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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par jean françois
NOE

NOE

LA FIN DE L'ENQUETE !!!

Nous rappellons les épisodes précédents, eh oui il en reste toujours qui ne suivent pas. Pour ceux qui suivent ils reprendront l'enquête dans l'article de ce jour qui suit...

 

Bertrand Ségonzac, gratifie le Blog d’un travail original, qui permet une remontée aux sources des traditions, Juives, Chrétienne, Islamique, la tradition ?

Il y a peu de travaux sur le personnage de Melkisedeq, le lecteur trouvera des réponses à ses interrogations ou fera une découverte, qui lui permettra de briller en société ou ailleurs, je plaisante bien sûr, ce n’est pas le ton du travail de Bertrand Ségonzac. L’histoire est le fil conducteur, les textes anciens, les interprétations permettent l’accès aux symboles qui entourent le personnage.

Des questions surgissent, Melkisedeq est-il Témoin d’une Tradition primordiale ? Est il un Christ ? C’est à une véritable enquête que nous convie l’auteur, côtoyer la Tradition primordiale c’est évoquer René Guénon.

C’est aussi aller à la rencontre des Églises, des théosophies, des communautés Mystiques souvent recouvertes du voile du mystère.

 

Si la figure de Melkisedeq est celle d’un Roi de justice, il n’est pas surprenant, que chacun veuillent s’en attribuer la paternité. Roi de Salem, de Jérusalem, il est peut-être le Centre d’une utopie, comme le suggère Jean Tourniac dans son ouvrage « MELKITSEDEQ ou la Tradition Primordiale », utopie du rassemblement des peuples, autour d’un rassemblement spirituel qui serait alors un cran au-dessus des Religions monothéistes. Melkisedeq centre de l’union, cela ne serait pas pour déplaire aux Francs-maçons. Et peut être aux citoyens de notre Monde contemporain, nous avons besoin de Melkisedeq.

 

PART -I-

UN GRAND INITIATEUR MECONNU : MELKISEDEQ

 

 

« Sub umbra alarum tuarum Jehova“

(à l’ombre de tes ailes, Jehova ; psaumes 17, 8)

 

Avertissement :

Le nom Melkisédeq connaît de multiples orthographes, plus ou moins savantes en fonction des auteurs et des textes de référence, des racines mises en exergue et des diverses cultures concernées.

Il nous a semblé que le plus efficace était de choisir pour notre travail la version la plus simple et la plus commune ; cette option -Melkisédeq- est immédiatement accessible au lecteur même étranger aux langues anciennes et la prononciation, fut-elle purement mentale, ne fait pas obstacle à la fluidité de la lecture ; sur un sujet parfois un peu ardu c’est le moins qu’on puisse faire pour le lecteur de bonne volonté.

 

Par ailleurs les rapprochements entre Melkisédeq et l'initiation concernent la globalité de la démarche maçonnique mais la présentation de ce travail dans le cadre des grades ou degrés symboliques a exigé la suppression des références aux grades de sagesse et autres « hauts grades ». Nous n'avons conservé que quelques occurrences à caractère historique ou qui évoquaient les pistes ouvertes sans rien révéler de ce qui doit demeurer « sub rosa ».

 

INTRODUCTION

 

Il existe une bouteille de champagne, d’une contenance de trente litres, qui porte le nom de Melkisédeq. Ce n’est malheureusement pas notre sujet mais prouve cependant que ce nom est réellement répandu dans les domaines les plus divers.

En réalité l’idée du travail que nous présentons ici résulte d’une certaine frustration : le nom de Melkisédeq apparaît assez fréquemment dès lors qu’on aborde des ouvrages ayant trait à la spiritualité en général et à la franc-maçonnerie en particulier. Mais il se trouve que les auteurs, à l’exception de Tourniac et de Guénon que nous retrouverons dans nos développements, sont d’une très grande discrétion dans leur présentation tout en soulignant l’importance du personnage ! C’est un paradoxe plutôt troublant : Melkisédeq apparaît comme un personnage incontournable dont les auteurs soulignent à l’envie les caractères particuliers tout en demeurant dans le flou le plus total pour justifier et démontrer leur affirmation.

Il se crée ainsi pour le lecteur une situation parfaitement désagréable : serait-il jugé inapte à comprendre d’aussi profonds mystères et invité à prendre pour vérité l’affirmation de l’auteur ? A moins que ce soit ce dernier qui se soit satisfait de reprendre sans les comprendre les textes de plus ou moins lointains prédécesseurs ?

A moins encore que cette grande discrétion à propos de notre personnage soit une invitation habile faite au lecteur  à résoudre lui-même le mystère de Melkisédeq.

Enigmatique et mystérieux sont les deux qualificatifs les plus fréquemment accolés au nom de Melkisédeq ; important, incontournables sont également utilisés avec une grande constance ! Comment dès lors ne pas vouloir en savoir plus ?

Encore faut-il faire preuve de prudence et d’humilité !

Et adopter une méthode aussi simple que possible de manière à découvrir la consistance du personnage avant d’en examiner la signification.

Melkisédeq est d’abord un personnage lié au monde de la religion et nous rechercherons, à travers les textes sacrés puis dans les développements qui leur ont été donnés qui était ce personnage, quels rôles lui ont été assignés.

Mais la voie initiatique ne pouvait rester indifférente à un personnage si riche dont la stature acquise dans le monde des religions portait des enseignements qui ne pouvaient laisser indifférents des initiés, et particulièrement les francs-maçons.

C’est à un long voyage à travers le temps et la pensée que nous invitons, en toute modestie faut-il le souligner, les lecteurs intéressés et patients. Qu’ils soient d’entrée pleinement rassurés : nous écrivons comme nous pensons : très simplement.

Par ailleurs il faut souligner que ce difficile périple n’aurait pas été possible sans les travaux très complets publiés, chacun en fonction d’un point de vue particulier, par les revues Politica Hermética et Cahiers Évangiles.

Enfin il faut rendre hommage à la patience du Frère Claude Beau qui a assuré la première lecture de ce texte et sa mise en page selon les normes techniques en usage.

 

I - MELKISEDEQ DANS LE MONDE DES RELIGIONS

 

Énigmatique, mystérieux : ces qualificatifs sont très légitimement attribués à Melkisédeq pour la très bonne raison que nous ne le connaissons initialement qu’à travers trois, et seulement trois, brèves mentions ; deux dans l’ancien testament, une dans le nouveau Testament[1].

C’est à partir de ces textes et de leurs ambiguïtés -qu’il faut dans un premier temps découvrir- que des penseurs religieux ont produit des développements abondants et très divers que nous aurons à examiner.

 

A - LES TEXTES INITIAUX

 

1°) Les textes de l’Ancien Testament

Les textes

Melkisédeq apparaît dans deux passages de l’Ancien Testament dont il faut par ailleurs distinguer les versions qui diffèrent quelque peu.

Le premier texte est dans la genèse, 14, 18-20.

- Dans la version massorétique[2] nous lisons :

« Et Malki-Tsédeq, roi de Salem, fit sortir pain et vin, et lui, Prêtre

Pour El Elyon. Et il le bénit et dit

Béni (soit) Abram par El Elyon possédant cieux et terre,

Et béni (soit) El Elyon, qui a livré tes ennemis dans ta main »

Et il lui donna la dîme de tout.

- Dans la version « septante »[3] le texte est :

« Et Melchisédech, roi de Salem, apporta des pains et du vin. Il était Prêtre du dieu très-haut et il bénit Abram et dit : « Abram est béni par le Dieu très-haut, lui qui a créé le ciel et la terre, et il est digne d’être béni, le dieu très-haut, celui qui a livré tes ennemis entre tes mains ». Et il « lui donna le dixième de tout. »

L’un et l’autre de ces textes ne brillent pas par leur clarté ! D’autant qu’ils n’apportent rien à l’ensemble du chapitre concerné de la Genèse ; les spécialistes des études bibliques estiment qu’ils pourraient être supprimés sans que le sens du chapitre 14 ne soit en rien altéré ! Ce qui amène à formuler l’hypothèse qu’il s’agirait de versets insérés, ajoutés, au texte initial, un « targoum »[4].

La seconde mention de Melkisédeq constitue le psaume 110, 4 dans le texte en hébreu[5] : « le seigneur a juré et ne se repentira pas : tu es Prêtre à jamais à la manière de Malki- Tsédèq » et le psaume 109, 4 dans la version septante[6] : « Le seigneur a juré et ne se repentira pas : tu es Prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melchisédech ».

On pourrait d’ailleurs mentionner que tant pour le texte de la Genèse que pour le Psaume il existe d’autres interprétations et bien des nuances ; ainsi le Psaume 110, 4 dont on pense qu’il est un des plus anciens fait de David qu’il viserait soit un Prêtre « à la manière » ou « selon l’ordre » ou encore chez les syriaques « à la ressemblance » de Melkisédeq : autant de variations qui ouvrent des possibilités infinis aux exégètes !

Richesses et ambigüités des textes.

Les textes nous fournissent de nombreuses informations qui toutes sont sources de questions ; il n’est pas dans notre intention de résoudre les problèmes ainsi posés, nous en serions bien incapable mais chacune des informations données mérite quelques commentaires.

Ces informations concernent :

Le nom du personnage : Melkisédeq.

  • Ses rôles et fonctions.
  • La ville dont il est le roi.
  • Le Dieu dont il est le Prêtre.
  • L’offrande du vin et du pain.
  • Les bénédictions.
  • La dîme versée.
  • Le second personnage en cause : Abram.

La version « massorétique » (de massorètes, docteurs juifs attachés à la sauvegarde de la tradition) est celle qui résulte de la fixation du texte hébreu au terme de quatre siècles de travaux menés à Babylone et en Palestine. La version « Septante » est elle la forme grecque mise en forme pour les Juifs de la diaspora qui ne comprenaient plus l’hébreu ni l’araméen mais pratiquaient le grec.

Quel est le contenu de chacune de ces informations ?

- Le nom Melkisédeq : ce nom se compose de deux mots hébreux, melki qui signifie roi et sédeq dont la traduction est juste/justice. Il faut cependant remarquer que si son nom nous apparaît sous une forme hébraïque notre personnage appartient évidemment à un peuple installé dans la région avant les hébreux et vraisemblablement cananéen. Viendra le temps où les Hébreux ne pourront plus accepter que Melkisédeq ne soit pas l’un des leurs et ils tenteront de le rattacher à Noé ; ainsi le targoum Tg Néofiti assimile Melkisédeq à Sem, fils de Noé tandis que le Pseudo-Jonatham occulte purement et simplement le nom de Melkisédeq et écrit « le roi juste c’est Sem, fils de Noé roi de Jérusalem. »

- Les rôles et les fonctions de Melkisédeq : les textes sont ici parfaitement clairs : Melkisédeq est roi. Les problèmes commencent lorsqu’on analyse son nom et ses gestes : son nom peut se traduire par « mon roi est juste » ou mon « roi est justice » : est-ce à dire que nous sommes en présence d’un monarque qui a le sens de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ou bien qui concrètement est amené à rendre la justice ? Ce qui ne serait pas anormal puisque la fonction de juge est attachée au statut de roi et que la main de justice est l’un des insignes régaliens. Enfin Melkisédeq est incontestablement Prêtre, quelque soit la version de la Genèse ou du Psaume prise en considération. Mais alors de quelle prêtrise s’agit-il ?

Parmi les apocryphes de l’ancien Testament découverts à Qumran[7] un texte dit « légende hébraïque de Melkisédeq » paraît faire une synthèse en conférant à notre personnage le rôle d’un roi-Prêtre qui au dernier jour aura à juger les saints de Dieu !

Roi, Prêtre, Juge : trois fonctions, trois pouvoirs : une trilogie qui ne peut qu’interpeller les initiés.

- La ville dont il est roi : salem. Ce nom désigne-t-il notre Jérusalem ? Les commentateurs l’affirment généralement. L’historien romain d’origine juive Flavius Josèphe (Rome 37-100 de notre ère) soutient cette thèse dans son ouvrage « antiquités juives » et précise même dans le livre VI de sa « guerre des juifs » que Jérusalem fut fondée par « un prince des cananéens, surnommé « le juste » à cause de sa piété ; il consacra cette ville à dieu en lui bâtissant un Temple et changea son nom de Salem en celui de Jérusalem. Mais il existe d’autres écoles qui considèrent que Salem pourrait bien n’être pas un nom de lieu ; en effet en hébreu le mot peut aussi signifier « sain et sauf » comme dans Genèse 33, 18 ou « allié » dans Genèse 34, 21; par ailleurs Salem et Shalom, qui signifie « paix » ont une racine identique. Lorsqu’on sait que la rencontre de Melkisédeq et d’Abram se produit au lendemain de combats victorieux des Hébreux contre des rois de la région, l’hypothèse d’un Melkisédeq qui serait le roi « allié » ou porteur de la « paix » n’est pas sans intérêt !

- Le Dieu dont Melkisédeq est le Prêtre : El Elyon n’est pas un inconnu mais bien un Dieu attesté au 1° millénaire avant notre ère. On le trouve cité chez les Phéniciens puis chez les Perses mais aussi chez les cananéens et les araméens ; il sera, semble-t-il, supplanté dans cette partie du Moyen-Orient par Baal. Parmi les dieux de cette époque et de cette région El Elyon avait eu la mission éminente de créer le ciel et la terre ! Ce qui était exactement le rôle imparti à El Shaddai le Dieu d’Abram.

Bien évidemment qu’Abram soit béni par le Prêtre d’un dieu qui n’est pas celui des Hébreux pose problème et nous aurons à en reparler !

Relevons encore qu’El Elyon peut sans doute être rapproché d’Ahura-Mazda, divinité perse dotée du même rôle de créateur du ciel et de la terre : ce qui confirmerait d’une certaine manière que ce texte a bien été ajouté à la Bible à l’époque perse.

- L’offrande du pain et du vin : certains exégètes ont imaginé que le pain et le vin apporté par Melkisédeq à Abram seraient très simplement le ravitaillement fourni à une armée de retour des combats par le roi de Salem, ville dont le nom peut signifier « allié » ; il se serait alors agit soit d’une action très concrète soit d’un acte symbolique renouvelant un rituel d’alliance.

Les Hébreux avaient peut-être une certaine difficulté à vivre le monothéisme dont ils étaient à l’époque les seuls véritables tenants ; d’ou des noms et qualificatifs divers et liés aux différents aspects de la divinité unique : El shaddaî, Adonaî, le Tétragramme traduit par Yavéh étant, bien qu’imprononçable, le nom en quelque sorte de synthèse !

Quitte à digresser poursuivons : en guémantrie l’addition des nombres qui correspondent aux lettres de El Shaddaî donne 345 soit les 3 chiffres qui caractérisent un triangle rectangle et l’équerre d’un Vénérable Maître ! Par ailleurs El Elyon signifie le Dieu très haut, nom bien connu des initiés qui pratiquent les degrés complémentaires de la maîtrise.

Sur cette question précise mais d'une extrême complexité, nous renvoyons aux travaux du professeur Thomas Römer, « Le cycle d’Abraham » cours 2009/2010, Collège de France.

Mais il se trouve que ce qui n’est pour nous qu’une conjonction apparemment sans portée particulière peut prendre en hébreux une signification beaucoup plus large et conséquente : il est possible en effet de traduire le « et » (dans et Melkisédeq) par «or il était Prêtre » : dès lors le don du pain et du vin s’interprète comme un geste sacerdotal. Le pain et le vin ne sont plus seulement destinés à redonner force et vigueur à des soldats vainqueurs et épuisés mais constituent un sacrifice offert au Dieu très Haut dont Melkisédeq est sans ambigüité présenté comme le Prêtre par la version « Septante » de la Genèse.

Ce sacrifice prend d’ailleurs des significations multiples : incontestablement il est un hommage rendu au Dieu très haut et une action de grâce pour les victoires ; mais il est aussi un signe de rédemption ; pain et vin étaient jusqu’alors l’objet de malédiction : le pain depuis la chute ne se gagnait qu’à la sueur des fronts ! Le vin avait enivré Noé dont le plus jeune fils s’était moqué, faute pour laquelle il avait été maudit (Genèse 9, 24-25). Or ici pain et vin symbolisent la vie et les malédictions sont levées. Il est bien sur inévitable de penser à une autre offrande du pain et du vin qui interviendra plus tard et se pérennisera : en offrant le pain et le vin Melkisédeq confère à Abram son caractère de Prêtre comme Jésus le fera lorsque après le partage du pain et du vin il demandera à ses disciples « de faire cela en mémoire « de lui. Ainsi avec cette offrande apparaît le premier rapprochement de Melkisédeq et de Jésus, l’un et l’autre Prêtre du Très-Haut.

- Les bénédictions : la version massorétique ne permettait pas de savoir qui bénissait qui ! Fort heureusement la version « Septante » est claire : c’est bien le roi-Prêtre qui bénit le patriarche Abram. Mais alors un autre problème apparaît : il est proprement scandaleux qu’Abram soit béni avant le Très-Haut, qu’une créature soit sanctifiée avant le Créateur ! Diverses explications ont été présentées ; par exemple Philon d’Alexandrie[8] dans « Sur Abraham 235 « justifie la situation par l’idée que Melkisédeq a compris que les victoires d’Abram ne pouvaient avoir été acquises qu’avec le soutien et l’alliance de Dieu et c’est en réalité ce qu’il a bien dit (bénédiction : bien dire) dans un premier temps avant de rendre grâce à Dieu dans un second temps ! Il arrive aux philosophes d’être aussi des habiles !

Un autre aspect est à souligner : Abram a déjà bénéficié d’une bénédiction, donnée par Dieu lui-même (Genèse 12, 2,3) et  Melkisédeq ne fait que reprendre, reproduire et confirmer cette bénédiction ce qui amène à penser que le Dieu d’Abram et celui de Melkisédeq sont une même entité connue de chaque protagoniste sous un nom différent.

- La dîme versée : l’une et l’autre des versions de la Genèse sont ici particulièrement imprécises et ne permettent pas véritablement de savoir qui donne la dîme à qui ! Donner la dîme est reconnaître la supériorité de celui qui la reçoit ; c’est surtout participer au bon fonctionnement d’un Temple puisque la dîme est un impôt qui a un caractère religieux ; il faut aussi préciser qu’il est du par tous, depuis le roi jusqu’au plus humble des sujets. Il y a donc deux aspects : la reconnaissance par Abram de son devoir vis à vis de Melkisédeq, la reconnaissance par Abram du Dieu de Melkisédeq puisqu’il participe à l’entretien de son culte. Voilà qui est pour le moins troublant sauf à affirmer une fois encore qu’Abram et Melkisédeq servent un même Dieu et qu’en outre le roi Melkisédeq est un représentant, un envoyé de ce Dieu unique. C’est sur ces fondements sans doute que la tradition et les auteurs ont tranché : c’est bien Abram qui verse la dîme à Melkisédeq (ou plutôt au Dieu de Melkisédeq)

- Abram : il faut rappeler que le second personnage de ce récit n’est pas encore Abraham et ne le deviendra que lorsque Dieu aura décidé de faire de lui son allié privilégié : « voici mon alliance, que je fais avec toi. Tu deviendras père d’une multitude de nations. On ne t’appellera plus Abram ; mais ton nom sera Abraham ».[9]

Abram signifie « père relevé » ce qui introduit une notion connue des initiés : celle de l’élévation ! Abram est choisi, élu, par Dieu qui lui promet la création d’une grande nation et des bénédictions multiples[10]. Dans ce contexte la rencontre avec Melkisédeq peut s’interpréter comme la confirmation des engagements pris par Dieu avant la transformation décisive d’Abram en Abraham (le changement de nom étant comme chacun sait une constante lors des étapes essentielles de la voie initiatique). Notons cependant que selon le professeur Römer[11] il est abusif de tirer des textes que le nom Abraham puisse signifier « père de la multitude » ; en réalité ce nom n’a aucun sens connu, ce qui confère à Abraham la qualité de figure légendaire échappant au cadre étroitement concret de l’histoire !

Après cet aride (et pourtant bien incomplet) examen des textes de l’Ancien Testament il paraît possible de tracer un premier portrait de Melkisédeq :

Il est roi et Prêtre, au service du Dieu Très-Haut, El Elyon, que très tôt on essaiera d’assimiler à Yahvé ; de même qu’on confondra rapidement Salem et Jérusalem.

C’est en sa qualité de Prêtre que Melkisédeq fera l’offrande du pain et de vin, même si les textes ne l’affirment pas explicitement, pas plus qu’ils ne permettent à ce moment de l’histoire d’aller plus avant dans les significations d’une telle offrande.

Par sa bénédiction Melkisédeq reconnaît Abram qui en retour paie la dîme et s’avoue de ce fait à cet instant vassal du roi de Salem. Et en bénissant d’abord Abram le roi ne se fait pas sacrilège mais fidèle serviteur de son Dieu qui lui avait confié la mission de rencontrer Abram et de le bénir : sa mission accomplie il donnera ensuite à dieu ce qui lui est du !

Le portrait ainsi tracé demeure relativement flou et l’apparition de Melkisédeq difficilement explicable ! Or dans l’Ancien Testament, ni de manière directe et explicite dans un quelconque document antérieur ou contemporain à la naissance du Christianisme, nous n’avons d’éléments supplémentaires à propos de ce personnage réellement énigmatique. Au total rien ne nous explique pourquoi l’Ancien Testament fait apparaître brièvement ce personnage dont pourtant nous pressentons l’importance si ce n'est la thèse selon laquelle il se serait agi de prendre acte qu’Abram, chef victorieux se voyait conférer par la bénédiction reçue une dimension religieuse, une forme de prêtrise. Dès lors chef (roi) et Prêtre il pouvait devenir Abraham… nous estimons que cette explication n’en est pas une et pour faire simple elle peut être réfutée par le simple examen des faits : Abram avait déjà été béni par Dieu lorsqu’il avait reçu mission de partir vers Canaan ; de même lorsqu’il devient Abraham il n’est nullement fait mention d’un rôle religieux particulier : depuis Noé on sait que tout chef de famille peut construire un autel et rendre grâce à Dieu et c’est avec Moïse et ses descendants qu’apparaîtra la classe des Prêtres.

Il nous faut donc poursuivre les recherches dans le Nouveau Testament si l’on veut disposer de tous les éléments.

 

2°) Le Nouveau Testament

  1. Le texte

Nous aurons moins à écrire puisque le Nouveau Testament ne comporte qu’une mention de Melkisédeq : il s’agit des chapitres 5 à 7 de l’Epitre aux Hébreux, et plus particulièrement au chapitre 7 des versets 1-3 qui peut se lire ainsi :

« Ce Melkisédeq donc, roi de Salem, Prêtre du Dieu Très-Haut, qui alla au devant d’Abraham revenant de défaire des rois, et le bénit, auquel aussi, Abraham attribua la dîme de tout, qui est d’abord interprété roi de justice, et ensuite aussi roi de Salem c’est à dire de paix, sans père, sans mère, sans généalogie, n’ayant ni commencement de jours ni fin de vie, rendu semblable au fils de Dieu, (il) demeure Prêtre durablement. »[12]

  1. Les problèmes soulevés

Ce texte très dense pose de nombreuses questions, tant sur la forme que sur le fond.

Sur la forme les spécialistes des textes sacrés ont démontré que son attribution à l'apôtre Paul ne correspondait pas à la réalité ; en effet on ne retrouve pas ici le style de l'apôtre des Gentils dont les épitres sont adressées à l'ensemble d'une communauté chrétienne, or notre texte s'apparente plus à un traité de théologie ne visant qu'un groupe restreint de destinataires, des responsables sensibilisés à la question du sacerdoce. Et dans son écriture il serait très proche des textes construits par les érudits d'Alexandrie proches du philosophe Philon que nous avons déjà rencontré; selon les chercheurs cette hypothèse serait soutenue sur le plan de l'écriture par les tournures utilisées et sur le plan historique par le fait que des allusions sont faites au Temple comme lieu de prière à l'époque où les textes sont écrits, or le Temple sera détruit en 70 par Titus et donc le texte est nécessairement antérieur.

Sur le fond l'épitre aux Hébreux confirme certaines données des textes de l'Ancien Testament: Melkisédeq est roi de justice et Prêtre du Très-Haut ; il règne sur Salem qui est assimilée à Jérusalem. En revanche certains éléments ont disparu : il n'est plus question de l'offrande du pain et du vin ni non plus des bénédictions.

Mais le texte apporte par ailleurs des informations nouvelles ; certaines sont le développement des textes précédents : ainsi en accentuant le lien entre le double aspect « justice » et « paix » (sédeq et salem) de Melkisédeq l'auteur de l'épitre fait ressortir les caractéristiques qui définissent dans la bible les Temps messianiques ce qui évidemment donne une ampleur « extra-terrestre » à notre personnage !

Et cette volonté de faire de Melkisédeq une figure qui dépasse la simple humanité est illustrée par l'apport essentiel du texte : profitant du silence des textes antérieurs sur les ascendants de Melkisédeq l'auteur proclame que notre personnage est « sans père ni mère, sans généalogie, n'ayant ni commencement de jours, ni fin de vie » ce qui se traduit au final par l'affirmation que Melkisédeq est éternel ! Et pour qu'aucun doute ne soit permis il est enfin écrit qu'il est ainsi « rendu semblable au fils de Dieu ».

Lorsqu'on fait la synthèse des différents aspects de Melkisédeq au travers des textes des deux Testaments il apparaît clairement que les deux religions du Livre alors connues ont à résoudre des problèmes différents mais issus des interrogations suscitées par ce personnage plus que jamais énigmatique, tout particulièrement à un moment de l'Histoire où l'apparition du christianisme, indiscutablement à partir du judaïsme, amène très vite les deux parties à s'affirmer en se confrontant.

Les Juifs doivent nécessairement « capter » Melkisédeq, le faire leur, alors qu'à la lecture des textes il est le Prêtre d'un Dieu qui n'est pas présenté comme celui d'Abram. Il n'est pas acceptable pour le judaïsme qu'Abram, élu par Dieu et vainqueur des Rois accepte les offrandes, soit béni et paie la dîme, c'est à dire se reconnaisse le vassal d'un autre sauf si cet autre est au moins le représentant du Dieu unique Yahvé ; le problème devient plus aigu encore avec l'épitre aux Hébreux : pour un juif ce qui n'est pas dans la Thora n'est pas dans l'univers : ce roi mystérieux n'a pas de généalogie[13] or le seul personnage -si on peut dire- qui puisse être sans généalogie ni père ni mère, ni commencement de jours ni fin de vie, c'est Dieu lui-même ! Face à ces équivoques il est impératif de faire clairement de Melkisédeq une figure biblique « orthodoxe », intégrée à la saga du peuple juif.

Evidemment pour les Chrétiens qui doivent convaincre de la personnalité divine de Jésus et diffuser la Bonne Nouvelle Melkisédeq apparaît comme une figure qui démontre que de tout temps Jésus était annoncé : le roi offre le pain et le vin, bénit Abram qui vient à lui (et qui figure l'humanité puisqu'il n'est pas encore Abraham patriarche juif) ; autant d'éléments qui font bien que Melkisédeq est « rendu semblable au fils de Dieu ». Mais c'est bien là que commence la difficulté : semblable au fils de Dieu veut-il signifier que Melkisédeq préfigure le Christ ? Ou bien qu'il s'identifie au Christ ? Dans cette seconde hypothèse Melkisédeq serait le Christ éternel apparu sous une forme humaine à Abram pour le bénir et confirmer sa mission. Dans un cas comme dans l'autre la « légitimité » du Christianisme était démontrée, sa qualité de Messie prouvée !

Nous cherchions des réponses à nos questions mais clairement le Nouveau Testament, s'il apporte quelques compléments d'informations, soulève surtout des interrogations majeures...

Incontestablement il faut poursuivre notre quête au travers des nombreux auteurs qui ont tenté d’élucider les mystères mais sans doute aussi voulu défendre leurs familles spirituelles.

 

[1]           Il est aujourd’hui de bon ton d’écrire « premier Testament » plutôt qu’ancien testament… sans que la signification de ce changement soit réellement expliquée, d’autant que le nouveau testament conserve lui son titre ! Mais après tout mon coiffeur est bien devenu depuis peu «  capilliculteur ».

[2]           Voir l’étude du Service Biblique Catholique Évangile et Vie –SBEV, supplément n° 136 aux Cahiers Évangile, juin 2006, Éditions du Cerf.

[3]           Idem 2.

[4]           Les Targoums sont des textes juifs qui commentent, lorsqu’ils ne les ré-écrivent pas, les textes bibliques. Au tournant de l’ère chrétienne ils ont souvent pour objectif de lutter contre le christianisme naissant.

[5]           Idem 2.

[6]           Idem 2.

[7]           Les restes de plus de 600 manuscrits ont été retrouvés dans des jarres cachées dans les grottes de la falaise rocheuse bordant le rivage de la mer morte. Sur cette découverte capitale on peut lire « les manuscrits de la mer morte » de Wise, Abegg et Cook, chez Plon, 2001.

[8]           Philon d’Alexandrie, philosophe juif de l’Alexandrie romaine et écrivant en grec, né vers 12 après JC.

[9]           Genèse 17, 4,5 (Bible par Luis Segond, Société Biblique de Genève).

[10]         Genèse 12, 1,4 (Bible louis Segond, op. cité).

[11]         Le cycle d’Abraham, op. cité.

[12]         Présentation de Dominique Cerbelaud ; supplément n°136 aux Cahiers Evangile ; op. Cité.

[13]         Contrairement à Jésus dont l’évangéliste Matthieu donne une généalogie très complète (Mattieu 1. 1,16).

PART - II -

 

B - LES INTERPRETATIONS DANS LES FAMILLES RELIGIEUSES

Si les textes initiaux sont rares la littérature à laquelle ils ont donné naissance est d’un volume considérable et d’une complexité étonnante ! C’est que tous, Pères de l’Église, Rabbins et Gnostiques entendaient bien tirer le plus grand profit d’un personnage si extraordinaire et le faire servir à la défense et à l’illustration de leurs thèses.

 

Il nous a donc fallu faire des choix ; ceux-ci d’ailleurs dans les seules sources que nous comprenions : certaines démonstrations exigent des connaissances que nous n’avons pas et la fréquentation de « sciences » dont nous ignorions jusqu’à l’existence !

 

Il nous a semblé que le plus simple consistait à examiner successivement les points de vue des principales parties concernées par le sujet qui sont les Chrétiens, les juifs et les gnostiques ; bien sûr ces deniers sont liés aux deux autres catégories, tout spécialement à la première, mais leur originalité tant dans le raisonnement que dans les perspectives ouvertes permet d’en faire, même un peu artificiellement une catégorie à part entière.

Il faut également garder à l’esprit que les textes des uns et des autres ont vocation à se répondre et que le développement des thèses en trois rubriques distinctes n’a pas d’autre raison d’être que le souci de clarté.

 

1°) Les développements dans le Christianisme

  1. Les thèses du Christianisme en construction

La volonté continue des Pères de l’Église a été de démontrer la légitimité et la supériorité de l’église chrétienne par rapport au judaïsme dont elle était issue.

Et pour cela il s’agissait d’expliquer que la prêtrise dont Melkisédeq était le modèle était supérieure à celle issue de Lévy ; et  que Melkisédeq avait annoncé Jésus vrai Prêtre du Très-Haut.

 

Vers 160 Justin[1] dans son « dialogue avec Tryphon » souligne que Melkisédeq est antérieur aux juifs et de ce fait est le « Prêtre des incirconcis ». Tertullien[2] dans « contre Marcion » (v. 9. 9) et dans « Contre les Juifs » (2, 7-1) insiste sur le fait que Melkisédeq a été élu au sacerdoce du Grand Dieu sans être circoncis ni faire sabbat, qu’il est Prêtre pour l’éternité et que cette prêtrise éternelle est maintenant assumée par Jésus fils de Dieu. Origène[3] dans son « Commentaire de l’Évangile de Jean » (1, 1) comme dans son « Homélie sur le Lévitique » (12, 1) insiste sur l’idée que quiconque est « Prêtre parmi les hommes » est petit et faible alors que Melkisédeq est lui « le grand Prêtre qui peut pénétrer dans les cieux » : il est donc bien au dessus de tout ce que la seule humanité a pu concevoir comme prêtrise car lui relève du divin, ce qui prouve qu’il est sans généalogie, éternel et non engendré et de plus éternel Prêtre pour l’éternité : ces caractères sont ceux de Jésus dont Melkisédeq devient alors le prototype.

 

Cyprien de Carthage[4] fait en quelque sorte la synthèse de cette approche dans sa lettre 63 IV, 1et 3 et la complète en glosant sur l’offre du pain et du vin qui n’apparaissait que dans l’Ancien Testament. Pour cet auteur Melkisédeq est une figure prophétique qui annonce le sacrifice de Jésus ; c’est ce que révèlent les Psaumes quil commente ainsi :« l’Esprit saint parlant au nom du Père et disant au Fils : je t’ai engendré avant l’étoile du matin ; tu es Prêtre pour l’éternité selon l’ordre de Melkisédeq » et Cyprien de Carthage précise en outre immédiatement « cet ordre (de Melkisédeq) se réfère à ce sacrifice et a  son point de départ dans ce fait que Melkisédeq fut Prêtre du Très-Haut, qu’il offrit le pain et le vin… », Et il termine enfin sa démonstration en proclamant « Qui en effet fut plus Prêtre du Très-Haut que notre seigneur Jésus qui offrit à Dieu son père le même (sacrifice) que Melkisédeq avait offert, à savoir le pain et le vin c’est à dire son corps et son sang ? Et Celui qui est la plénitude de toute chose a réalisé ce que cette figure annonçait ».

Tous les thèmes nécessaires à la démonstration que le triomphe du christianisme est pleinement justifié et légitime sont en place : Melkisédeq est antérieur au Judaïsme et en même temps éternel ; ses faits et gestes préfiguraient clairement ceux de Jésus.

 

C’est Ambroise de Milan[5] qui amènera la démonstration des pères et théologiens des premiers siècles à son aboutissement en faisant de Melkisédeq le père des sacrements de l’Église nouvelle. Dans son ouvrage « des sacrements » au chapitre IV, 10-12, il écrit « qui avait le pain et le vin ? Ce n’est pas Abraham. Mais qui les avait ? Melkisédeq. C’est donc bien lui qui est l’auteur des sacrements. »

Puis il ajoute : « qui est Melkisédeq qui signifie roi de justice, roi de paix ? Qui est la paix de Dieu ? La Sagesse de Dieu ? Celui qui a pu dire je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix… » Et dans ce même chapitre mais en 27 Ambroise de Milan rappelle que lors de la messe il est demandé à Dieu d’accepter « les dons de ton serviteur le juste Abel, le sacrifice de notre père Abraham et celui que t’a offert le grand Prêtre Melkisédeq ».

 

Si on veut bien nous permettre une digression, rappelons que cette demande est encore aujourd’hui reprise dans la liturgie romaine ; le canon romain « supra quae » précise que l’acceptation des sacrifices offerts par les justes de l’Alliance atteste que Dieu accepte le sacrifice qui est fait ici et maintenant. Et le canon « hanc Igitur » rappelle explicitement que le pain et le vin offert par Melkisédeq avait été une préfiguration des mystères de l’eucharistie. Enfin le Psaume 109, 4 est repris lors des vêpres solennelles des grandes fêtes religieuses comme l’affirmation que la fonction sacerdotale ne relève pas de la lignée d’Aaron mais bien de Melkisédeq et la liturgie invite à voir en chaque Prêtre une figure du Christ.

  1. Les apports à la période médiévale

C’est au cours de la période médiévale que les exégètes vont développer et affiner la thèse d’un Melkisédeq figure du Christ[6], modèle du Prêtre et dont l’offrande annonce l’eucharistie.

 

Thomas d’Aquin[7] explique dans son commentaire de l’épitre aux Hébreux que « sans père » est une manière d’annoncer la naissance du Christ d’une vierge et que « sans mère » signifie qu’il s’agit d’une « génération spirituelle », et de ces particularités il faut conclure à l’absence de toute imperfection chez le Christ ; d’autant que d’être « sans généalogie » implique que le Christ Prêtre n’appartient pas à la famille des lévites et n’est donc pas lié par la « vieille loi ».

Certains ouvrages procèdent par une étude comparée systématique des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament pour démontrer l’identité des deux personnages ; ainsi Hugues de Saint Cher[8] commence-t-il le Psaume 109, 4 en rapprochant Jean 6 (ce pain que je donnerai est ma chair) de Lévitique 26 (« vous mangerez les plus anciennes des choses anciennes et, les nouvelles arrivant, vous jetterez les anciennes » : les plus anciennes donc avant la loi, au temps de Melkisédeq). Ou encore en rappelant que Jésus a dit « Qui est ma mère ? » (Mt 12), que le Messie est aussi prince de la paix et qu’il bénit tout comme Melkisédeq, roi de Salem (la paix), a béni Abram.

L’offrande du pain et du vin préfigure à la fois l’eucharistie et le sacrifice de la croix selon Guibert de Nogent[9], thème que reprend Nicolas de Gorran[10] dans son commentaire de Genèse 14, 18 tandis qu’Albert le Grand[11] souligne que l’offrande du pain et du vin comporte deux éléments authentiquement chrétiens : cette offrande est faite à Abram qui vient de vaincre les rois ennemis, or ces rois représentent clairement nos péchés ; ensuite vient une bénédiction faite au Très-Haut. Ces deux mouvements sont caractéristiques de la grâce que nous fait Dieu : par le pain et le vin, l’eucharistie, il nous permet de vaincre nos ennemis ; ce qui nous permet alors de bénir Dieu, c’est à dire de l’approcher, de lui faire don de nos êtres purifiés.

Restait à comprendre ce qu’avait voulu exprimer le Psaume 110, 4 (109, 4 pour la version septante) en évoquant la prêtrise « à la manière » ou « selon l’ordre » de Melkisédeq. Comme il ne s’agit pas ici de faire un traité théologique nous poserons simplement qu’au delà du sens premier des termes « a la manière de », « selon l’ordre de » et même selon certaines traductions « à la mode de » les exégètes ont tenté de construire une thèse permettant là encore d’assurer l’antériorité et la supériorité du sacerdoce chrétien, préfiguré par Melkisédeq sur celui d’Aaron ; le premier est éternel, le second lié à l’histoire d’Israël. En fait on serait passé d’un sacerdoce royal (Melkisédeq et roi et Prêtre à un « sacerdoce seulement sacerdotal » comme l’écrit Bruno le Chartreux[12]. En fait Melkisédeq est à l’époque le seul Prêtre et en bénissant Abram il lui confère la prêtrise qu’accepte Abram en payant la dîme et Lévi est engagé par cette acceptation puisqu’il est alors en « potentialité » dans les reins d’Abram ! Et comme Jésus préfiguré par Melkisédeq n’est pas de la tribu de Lévi mais de celle de Juda il faut toujours selon notre chartreux que la bénédiction du roi de Salem soit en même temps porteuse d’un transfert -à intervenir le moment voulu- des Lévi vers les Juda, en la personne de Jésus ! Cette démonstration pour brillante qu’elle soit suscita la réprobation véhémente de Thomas d’Aquin qui dans sa somme Théologique rappelle (III. 2, 9. 22 art 6) que le Christ est source de tout sacerdoce et qu’il ne peut être ni de l’ordre de Melkisédeq ni d’aucun autre. Si Lévi est lié par la dîme versée par Abram cela ne peut concerner le christ qui lui n’a aucun ascendant de nature humaine puisqu’il est fils de Dieu.

On pourrait encore examiner les apports de nombreux autres saints hommes mais il convient aussi de se pencher sur les arguments des tenants de la 1° alliance et plus généralement de ceux qui jugent abusif le rapprochement de Melkisédeq et de Jésus.

 

2°) Contestations et opinions divergentes

 

La contestation, qui viendra très tôt, des thèses chrétiennes viennent essentiellement et fort logiquement du monde religieux juifs mais pas uniquement et surtout aux contestations par des autorités « établies » s’ajouteront des visions plus originales.

  1. Contestations par les autorités établies

Nous entendons ici par autorités établies les rabbins qui au fil des écrits et des enseignements ont critiqué les thèses chrétiennes dont ils percevaient sans peine qu’elles visaient à établir le judaïsme comme l’ancêtre dépassé, sinon contesté, du christianisme.

Ainsi plusieurs développements du Midrash[13] et particulièrement Rabba 43, 6, mais aussi le Talmud de Babylone[14] conteste l’interprétation et la signification données à l’Épitre aux Hébreux par les pères de l’Église : il n’est pas possible que Melkisédeq soit supérieur Abram car il a gravement fauté en bénissant une créature, fut-il un patriarche, avant le Créateur ! Et par cette faute il a perdu sa qualité de Prêtre que très légitimement et par conséquent Abram a récupérée ! (on a presque envie de rajouter « et hop »).

D’autres auteurs souligneront qu’il est parfaitement abusif de prétendre que Melkisédeq est sans généalogie ; de fait l’Ancien Testament ne dit rien de tel et c’est un apport abusif de l’Épitre aux Hébreux, une oeuvre de « dissidents chrétiens ». Selon Ephrem le syrien Melkisédeq serait en réalité Sem, fils aîné de Noé ; il faut se souvenir que Noé dès qu’il put quitter l’arche pour la terre ferme construisit un autel et offrit un sacrifice à Dieu : c’est donc lui l’ancêtre et le modèle de la prêtrise et il a naturellement transmis cette fonction à son aîné. Dès lors que Melkisédeq est identifié à Sem, cette prêtrise issue de Noé se transmettra en toute légitimité à Abram, à Aaron avant de parvenir au Christ ; ainsi est-il démontré que Jésus est bien Prêtre « selon l’ordre de Melkisédeq » et à sa suite tous les Prêtres issus de Jésus.

Au terme de ce raisonnement Jésus se trouve donc légitimé comme Prêtre d’Israël dont la mission a été de signifier que le temps des sacrifices sanglants (taureaux, moutons, boucs) était révolu ; reprenait force et vigueur l’offrande du pain et du vin, c’est à dire le temps de la vie et de la joie !

Mais surtout Jésus, et le christianisme avec Lui, réintégraient en quelque sorte le Judaïsme et l’orthodoxie juive, ce qui était l’objectif recherché.

  1. La contestation factuelle

Dans certains écrits c’est l’assimilation de Salem et de Jérusalem qui est mise en question. C’est qu’il existe dans un périmètre relativement restreint une ville de Salem (près de Sichem) et la ville de Salîm dont parle le 4° Évangile en expliquant que c’est à proximité de cette ville que Jean le Baptiste officiait (cf. Jean 3, 23) ; deux villes de Salem/Salîm donc qui rendent douteuse l’assimilation à Jérusalem selon Ethérie, un voyageur qui visita la Palestine dans les années 384.

L’assimilation de Melkisédeq à Jésus est également réfutée par ceux qui refusent un caractère divin à Melkisédeq, caractère que son assimilation à Jésus impliquerait. C’est le point de vue de Jérôme[15] pour qui Melkisédeq est au mieux un ange adressé à Abram pour le conforter dans son rôle de patriarche (lettre 73, datée de 398). Pour certains Melkisédeq serait en réalité l’archange Michaël, mais d’autres vont beaucoup plus loin et la vie de Melkisédeq devient une vraie saga : neveu de Noé, protégé du déluge par l’archange Michaël, il est reçu au paradis, réouvert pour lui, et y suit un enseignement qui fait de lui le Prêtre par excellence ; sa première mission après le déluge est d’enterrer le corps d’Adam conservé jusqu’à ce moment par Noé. L’emplacement de la tombe devient alors le point parfait, l’axe du monde : et miracle ce lieu élu est Jérusalem ! Melkisédeq ainsi devenu Prêtre pour l’éternité est le modèle parfait, symbole de la Tradition offert, sous les traits d’Abram, à chaque croyant.[16]

 

3°) Les apports Gnostiques

 

Il convient de préciser ici que nous entendons le terme « gnostique » dans son sens premier : philosophe de l’idée religieuse qui prétend avoir une complète connaissance de Dieu et de ses manifestations.

A ce titre et en rapport avec notre sujet deux textes sont particulièrement intéressants et quelques éléments à prendre en considérations.

  1. La légende Hébraïque de Melkisédeq

Il s’agit d’un texte retrouvé parmi les manuscrits de la mer morte et sans doute antérieur au 1° siècle, vraisemblablement avant la destruction du Temple. Le nom de Melkisédeq, « mon roi est justice » met en avant le rôle de juge et la vertu de justice qui sont étroitement liés à la fonction sacerdotale et au Temple : le Prêtre fondateur du premier Temple s’appelait Sadoq (être-juste), celui du second temple Jésus fils de Yéhosadaq (celui de Yahvé-a-justifié), second Temple qui fut restauré par Simon dit « le juste » tandis que le Maître de la communauté des Esséniens (auxquels certains exégètes ont rattaché Jésus-Christ) portait le titre de « Maître de justice ». Melkisédeq qui les a tous précédés est donc bien la source et le modèle de ceux dont la mission est de mener le peuple au seuil du monde nouveau, à l’instant choisi pour que soit rendue la justice. Il est le premier des juges de la fin des temps, en charge de juger les élus, les « Saints de Dieu ».

  1. Le second livre d’Hénoch

Cet ouvrage a connu une vie quelque peu complexe ! Composé en grec il ne nous est parvenu qu’au travers une traduction slave tardive (XIV-XVII° siècle). Les spécialistes continuent de débattre à propos de sa date de rédaction mais aussi de son origine juive ou chrétienne ; si on suit Bernard Barc[17] auquel nous empruntons ces données, l’œuvre, contemporaine de l’Épitre aux Hébreux serait finalement d’un auteur juif mais le texte aurait été remanié par des chrétiens.

L’idée centrale est que l’histoire telle qu’elle se déroule depuis le déluge ne fait que reprendre celle qui a précédé cette catastrophe, elle-même due à l’ingratitude des hommes vis à vis du créateur. Le Melkisédeq qui apparaît à Abram tout comme celui qui viendra juger à la fin des temps ont un ancêtre antédiluvien !

Dans cet ouvrage, dicté au patriarche Hénoch transporté pour l’occasion à travers les sept cieux jusqu’au trône de Dieu, nous retrouvons nombre de mythes qui fondent les grands courants religieux, aussi est-il intéressant d’en tracer en quelques lignes le scénario.

Hénoch dont le nom signifie « fais la dédicace du Temple » remonte auprès de Dieu après avoir laissé pour consigne à ses fils, dont l’aîné est Mathusalem, de demander au Très-Haut de se choisir un Prêtre ; or voici que Dieu bouleverse les usages et les règles en ne choisissant pas l’aîné de Mathusalem, Lamech, ni même l’aîné des petits fils, Noé, mais le jeune frère de celui-ci Nêr !

Nous retrouvons une donnée fréquente dans les mythologies et les textes sacrés : ce n’est pas l’aîné qui reçoit l’héritage ; les exemples sont multiples, que le droit d’aînesse soit perdu pour un plat de lentilles (Esaü) ou le choix du cadet fait par le patriarche ou le roi (Jacob qui deviendra Israël, Salomon désigné par David).

Et bien d’autres encore pour marquer que c’est le choix et l’élection qui prévalent sur les us et coutumes.

Mais reprenons notre histoire : de Noé sortiront les douze tribus dont celle des Lévi qui assurera le service du Temple ; de Nêr viendra Melkisédeq (qui remarquons le au passage a une généalogie) Nêr dont le nom signifie « lampe perpétuelle » et dont l’épouse, la mère de notre personnage, s’appelle Sophonim qui signifie « fin des douleurs », de là à imaginer qu’avec la vraie lumière qui jamais ne s’éteint le malheur disparaîtra il n’y a qu’un pas aisé à franchir ! mais l’histoire est plus dramatique (mélodramatique) car si Melkisédeq hérite des vertus de sa mère à l’instant de sa naissance c’est que celle-ci est morte en le mettant au monde ; d’une certaine manière notre personnage préfigure le christ revenu des enfers et sortant du tombeau ; il nait mais à une vie qui n’est pas celle du commun puisque aussitôt Dieu l’appelle à Lui, le met en quelque sorte « en réserve » dans l’attente du jour du jugement : ainsi le fils du premier Prêtre, lui-même Prêtre va-t-il exercer son sacerdoce dans l’autre monde, au ciel, tandis que les Lévites sont les desservants ici-bas. En fait Melkisédeq, être parfaitement saint n’aurait été envoyé bénir Abram que pour fonder un sacerdoce particulier, incarné dans des personnages d’exception comme Abram, David et enfin Jésus ! Ce dernier étant -selon nous et en n’engageant que nous- d’une certaine manière la synthèse des types rencontrés avec cet apport déterminant qu’est l’action : nous ne sommes plus en présence d’un personnage mystérieux plus ou moins insaisissable, Prêtre, roi et prophète mais du fils de l’Homme qui enseigne comment par son activité « hic et nunc » chacun prépare son accès à la renaissance dans l’autre monde, le jugement à venir étant en quelque sorte déjà prononcé et le verdict de clémence acquis par la réalité du sacrifice du christ.

Un manuscrit découvert à Nag-Hammadi[18] et dont on estime qu’il fut rédigé entre 150 et 225, établit que Jésus seul est le Prêtre céleste du très-Haut, ce que ne peuvent accepter certains gnostiques qui n’hésiteront pas à faire de Melkisédeq un personnage supérieur à Jésus. Est ainsi affirmé que Simon le mage, fondateur du gnosticisme est une réincarnation de Melkisédeq, « puissance de Dieu » dont le Christ n’est qu’une figuration : d’où il ressort évidemment que le gnosticisme est légitime et supérieur au christianisme ! Vers 375 il se crée même une secte, les melkisédéciens, qui fonde sa doctrine sur cette thèse en précisant que l’âme de chaque gnostique est en quelque sorte Melkisédeq et mène une guerre avec les puissances du Mal en vue d’établir un monde sur lequel régnera le moment venu le vrai Messie. La secte est bien sûr condamnée comme hérétique !

 

4) L’actualité religieuse plus ou moins récente de Melkisédeq

 

Il s’agit moins d’être complet, ce qui est tout à fait impossible sauf à écrire une « somme » qui requiert des compétences propres que de relever trois plus récentes occurrences de notre personnage.

  1. Melkisédeq et la culture indienne

Notre personnage n’est pas lié à la seule culture judéo-chrétienne. La culture religieuse hindoue connaît le personnage de Malik Yaztaq, ce nom étant une traduction de l’arabe (on reconnaît Melki/Malik, ce dernier terme signifiant roi en arabe). Chez les Hindous le personnage est un prophète en charge d’annoncer, d’organiser et de gérer le déluge ; à ce titre il porte le titre de « chakravartin » qui recouvre les fonctions réunies de « grand Prêtre » et de « souverain universel » (les souverainetés territoriales relevant des Rajah et autres maharajah) ; Malik Yaztaq est donc le souverain juge qui impose une Loi que ses subalternes ont pour mission d’adapter à chaque communauté humaine.

  1. Les visions d’Anna-Catherine Emmerich

Parmi les figures qui apparaissaient à Catherine Emmerich[19] celle de Melkisédeq est une des plus fréquentes ; elle décrit le personnage comme étant incontestablement un précurseur du Christ ; ainsi le voit-elle le présentant à Abraham qui était « celui dont Jésus se servit plus tard » ; lors d’autres extases elle détermine que le lieu où Melkisédeq fait l’offrande du pain et du vin est la vallée de Josaphat, nom qui signifie « jugement » et elle précise que c’est à ce même endroit que Jésus « passera, là à l’endroit où Melkisédeq offrit le pain et le vin. »

  1. Les Mormons et Melkisédeq

Les Mormons (« l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours » pour être exact) attachent une importance particulière au sacerdoce. Le fondateur Joseph Smith (1805-1844) a eu la révélation du Livre des Mormons en 1827 et a reçu la mission de rétablir la véritable Église de Jésus sur terre ; dès lors qu’il s’agit d’Église et de sacerdoce le personnage de Melkisédeq est incontournable puisqu’il est le prototype du Prêtre. Chez les Mormons le sacerdoce est constitué de divers degrés et ouvert aux garçons à partir de douze ans : c’est la prêtrise d’Aaron qui ouvre la voie à la fonction de « Prêtre de Melkisédeq » accessible à vingt ans ; la progression se poursuivra ensuite : « anciens », « Prêtre des 70 », «  grand Prêtre », « évêque », « apôtre » pour espérer devenir finalement membre du « conseil des douze ». La logique du système n’est pas évidente mais la place de Melkisédeq bien établie, d’autant que nous l’avons vu plus haut, notre personnage est pour certains celui qui à la fin des temps devra juger les « Saints de Dieu ».

  1. Le catéchisme de l’Église catholique

Dans sa version la plus récente[20] le catéchisme présente les ordinations sacerdotales comme l’intégration dans un Ordre, considéré comme un corps constitué : dans l’antiquité romaine le mot « ordre » désignait des corps constitués au sens civil, surtout le corps de ceux qui gouvernent et le texte précise « ces corps constitués existent dans l’Église… l’ordination est bien le passage vers l’Ordre » ; ce texte constitue véritablement une novation, sujette sans doute à discussion car jusqu’alors la prêtrise « selon l’ordre de Melkisédeq » signifiait que le Prêtre recevait une charge, une mission d’origine divine, mais non qu’il devenait lui-même un être transcendant…

Mais laissons-là ces débats théologiques ! Relevons encore que si le Coran ne fait pas mention de Melkisédeq il faut garder à l’esprit que les Musulmans reprennent pour leur compte Ancien et Nouveau Testaments et qu’en outre pour les Chiites l’imam caché est parfois identifié à notre personnage. D’ailleurs Melkisédeq ne disparaît pas totalement car certaines figures bibliques paraissent être son reflet mais curieusement en « négatif » ! Ainsi le livre de Josué nous présente-t-il un roi de Jérusalem, Adonisedeq (« mon seigneur est justice ») menant une coalition qui s’oppose à la progression de peuple guidé par Josué en terre promise ; Dieu viendra au secours des hébreux et Adonisédeq finira emmuré dans une caverne (Josué, 10, 1-11). Son successeur, à son tour prisonnier, aura les pouces coupés, ce qui remarquons le  l’empêche de saisir une coupe ou de partager le pain (livre des Juges 1, 4-7). Finalement ce n’est qu’avec David qu’une dynastie juive s’installera durablement à Jérusalem. De plus l’offrande du pain et du vin demeurera dans la tradition biblique la marque de la prise de possession ou de la promesse du pouvoir royal, avec l’ajout il est vrai d’un chevreau ou d’un agneau ; c’est bien l’offrande des fruits essentiels du labeur partagé entre l’homme et la terre qui témoigne et atteste d’un destin hors du commun.

Et pour notre part il paraît temps de quitter le monde des religions pour considérer les apports de Melkisédeq dans le monde ésotérique. Au demeurant il est clair que quitter le monde des religions n’est pas sortir de la dimension religieuse dans son sens le plus universel : la science de ce qui « relie » notre monde à un autre, l’univers dont nous connaissons l’organisation à celui dont les caractéristiques nous échappent.

 

[1]           Justin, (en Samarie v.100- Rome v.165) philosophe, apologiste et martyr.

[2]           Tertullien (Carthage v.155- v.220) peut-être Prêtre, théologien et apologiste.

[3]           Origène (v.185-V.254) théologien et exégète d’Alexandrie. Certaines de ses thèses ont toutefois été condamnées par l’Église ; par ex. celle qui dans la Trinité subordonne le Fils au Père et à l’Esprit.

[4]           Cyprien de Carthage (Carthage début III° siècle - vers 258) Père de l’Église, évêque de Carthage et martyr.

[5]           Ambroise de Milan (v.340- Milan 397) Père et Docteur de l’Église, évêque de Milan). Nous sommes au lendemain du triomphe du christianisme sous Constantin !

[6]           Incidemment on peut imaginer que si un Prêtre est assimilé à Jésus-Christ qui est Dieu il se retrouve en quelque sorte et dans sa fonction « divinisé » ! Ce qui – outre le caractère très choquant d’un pareil avatar - me paraît dénué de tout fondement, au moins dans les textes sacrés.

[7]           Thomas d’Aquin (1225-1274) théologien et docteur de l’Église, canonisé en 1323 : son œuvre majeure est la «  somme Théologique ».

[8]           Hugues de Saint-Cher, dominicain (+ 1263) son « Postille » est un commentaire sur l’ensemble de la Bible).

[9]           Guibert de Nogent (1053-v.1130) bénédictin surtout connu pour une histoire des croisades.

[10]          Cité dans le supplément n°136, cahiers Évangile, op.cité. En dehors de la date de sa mort (1295) il m’a été impossible de découvrir plus sur ce personnage.

[11]          Albert le Grand : (v.1200-1280) dominicain, théologien, enseignant et passionné de science naturelle et d’alchimie (ce qui explique peut-être que sa canonisation ne soit intervenue qu’en 1931 !)

[12]          Bruno le Chartreux (v.1035-1101) théologien, grammairien, fondateur de l’ordre des chartreux ; a laissé des commentaires sur les Psaumes.

[13]          Le midrash est une forme de commentaire et d’interprétation de la Bible qui vise à dépasser le sens apparent d’un texte pour atteindre le sens profond

[14]          Talmud signifie étudier, enseigner. C’est l’exil qui a amené les rabbins à mettre par écrit les bases de la Tradition. Il y a un Talmud de Babylone où furent déportés les Juifs et de Jérusalem pour les juifs demeurés en Terre sainte.

[15]          Jérôme : (Saint, v. 347-420) docteur de l’Église, historien, auteurs de nombreux ouvrages et surtout traducteur de la bible en latin : la Vulgate.

[16]          La caverne des trésors, apocryphe du VI° siècle relevant de la tradition syriaque

[17]          Bernard Barc, l’exaltation de Melkisédec. Cahiers Évangile ; op. Cité.

[18]          Nag-Hammadi, village de Haute-Égypte ; vers 1975-1946, des paysans découvrirent une jarre remplie de manuscrits, une cinquantaine au total, à sujets religieux. Par chance courant 1946 un spécialiste de ce type de documents se vit proposer l’un de ces manuscrits par un trafiquant ; ayant compris son intérêt il lança une recherche, qui prit deux années, pour retrouver l’ensemble des textes.

            Les manuscrits de la Mer morte sont plus anciens et plus connus aussi mais ceux de Haute-Égypte pourraient bien avoir selon les chercheurs une portée historique plus grande.

[19]          Anna-Catherine Emmerich ou Emmerick (1774-1824) dite la None de Dülmen, mystique germanique célèbre pour ses stigmates et ses visions.

[20]          Catéchisme de l’Église catholique, libreria éditrice vaticana, citta del vaticano, 1992 ; éd. Françaises Mame-Librairie 1992 et 1998.

[1]           Justin, (en Samarie v.100- Rome v.165) philosophe, apologiste et martyr.

[1]           Tertullien (Carthage v.155- v.220) peut-être Prêtre, théologien et apologiste.

[1]           Origène (v.185-V.254) théologien et exégète d’Alexandrie. Certaines de ses thèses ont toutefois été condamnées par l’Église ; par ex. celle qui dans la Trinité subordonne le Fils au Père et à l’Esprit.

[1]           Cyprien de Carthage (Carthage début III° siècle - vers 258) Père de l’Église, évêque de Carthage et martyr.

[1]           Ambroise de Milan (v.340- Milan 397) Père et Docteur de l’Église, évêque de Milan). Nous sommes au lendemain du triomphe du christianisme sous Constantin !

[1]           Incidemment on peut imaginer que si un Prêtre est assimilé à Jésus-Christ qui est Dieu il se retrouve en quelque sorte et dans sa fonction « divinisé » ! Ce qui – outre le caractère très choquant d’un pareil avatar - me paraît dénué de tout fondement, au moins dans les textes sacrés.

[1]           Thomas d’Aquin (1225-1274) théologien et docteur de l’Église, canonisé en 1323 : son œuvre majeure est la «  somme Théologique ».

[1]           Hugues de Saint-Cher, dominicain (+ 1263) son « Postille » est un commentaire sur l’ensemble de la Bible).

[1]           Guibert de Nogent (1053-v.1130) bénédictin surtout connu pour une histoire des croisades.

[1]           Cité dans le supplément n°136, cahiers Évangile, op.cité. En dehors de la date de sa mort (1295) il m’a été impossible de découvrir plus sur ce personnage.

[1]           Albert le Grand : (v.1200-1280) dominicain, théologien, enseignant et passionné de science naturelle et d’alchimie (ce qui explique peut-être que sa canonisation ne soit intervenue qu’en 1931 !)

[1]           Bruno le Chartreux (v.1035-1101) théologien, grammairien, fondateur de l’ordre des chartreux ; a laissé des commentaires sur les Psaumes.

[1]           Le midrash est une forme de commentaire et d’interprétation de la Bible qui vise à dépasser le sens apparent d’un texte pour atteindre le sens profond

[1]           Talmud signifie étudier, enseigner. C’est l’exil qui a amené les rabbins à mettre par écrit les bases de la Tradition. Il y a un Talmud de Babylone où furent déportés les Juifs et de Jérusalem pour les juifs demeurés en Terre sainte.

[1]           Jérôme : (Saint, v. 347-420) docteur de l’Église, historien, auteurs de nombreux ouvrages et surtout traducteur de la bible en latin : la Vulgate.

[1]           La caverne des trésors, apocryphe du VI° siècle relevant de la tradition syriaque

[1]           Bernard Barc, l’exaltation de Melkisédec. Cahiers Évangile ; op. Cité.

[1]           Nag-Hammadi, village de Haute-Égypte ; vers 1975-1946, des paysans découvrirent une jarre remplie de manuscrits, une cinquantaine au total, à sujets religieux. Par chance courant 1946 un spécialiste de ce type de documents se vit proposer l’un de ces manuscrits par un trafiquant ; ayant compris son intérêt il lança une recherche, qui prit deux années, pour retrouver l’ensemble des textes.

            Les manuscrits de la Mer morte sont plus anciens et plus connus aussi mais ceux de Haute-Égypte pourraient bien avoir selon les chercheurs une portée historique plus grande.

[1]           Anna-Catherine Emmerich ou Emmerick (1774-1824) dite la None de Dülmen, mystique germanique célèbre pour ses stigmates et ses visions.

[1]           Catéchisme de l’Église catholique, libreria éditrice vaticana, citta del vaticano, 1992 ; éd. Françaises Mame-Librairie 1992 et 1998

PART - III -

 

II - MELKISEDEQ, UN PONT VERS L’AILLEURS

 

Notre personnage n’est pas resté un sujet de recherches et de réflexions dans le seul domaine du monde des religions ; il a rapidement été pris en considération par les spiritualistes de toute nature et de ce fait il est impossible de prétendre présenter tout ce qui a été écrit et imaginé par les uns et les autres ; en fait, faute de pouvoir être exhaustifs il a paru plus sage de faire des choix de manière à marquer un certain cheminement, que l’on souhaite logique, du domaine des religions à celui de la spiritualité dégagée des religions.

Mais sur une matière quelque peu hardie et pour aider le lecteur à ne pas perdre le fil, sans doute faut-il d’abord résumer ce que nous savons de Melkisédeq !

 

Au moment où nous en sommes de notre travail nous savons que Melkisédeq est Roi de justice et de Paix, mais aussi qu’il est Prêtre et que son sacerdoce trouve sa source en Dieu le Très Haut ce qui fait de lui le Prêtre par excellence, au dessus et à part de tous les sacerdoces issus de transmissions humaines. On a également bien noté qu’il était généralement admis qu’il était « sans généalogie » (les hypothèses de rattachement proposées reflétant très clairement des visées « sectaires »), ce qui en fait pour les chrétiens une préfiguration de Jésus, l’hypothèse selon laquelle il serait lui-même de nature divine ou une pré-incarnation du Christ n’étant soutenue que par une minorité de gnostiques ; au contraire son offrande du pain et du vin conforte son personnage « d’annonceur » du Christ, qu’on pourrait avec profit rapprocher de Jean le Baptiste ; on peut également souligner que le Christ en reprenant la traditionnelle offrande du pain et du vin rappelait sa propre qualité de Roi, d’un royaume qui relevait d’un autre monde. (Et en nous invitant à partager avec lui ce pain et ce vin pour les siècles des siècles il nous conférait aussi une nature royale, mais ceci est un autre débat qui n’a pas sa place ici !)

Bien évidemment il est passablement artificiel de faire la distinction entre « religieux » et « ésotérisme » ; l’un sans l’autre n’a pas de signification véritable mais une fois encore dans une matière difficile à travailler il a paru préférable de créer des clivages artificiels plutôt que d’être abscons ! De même nous trouverons nombre de concepts déjà rencontrés mais qui ici feront l’objet d’approches nouvelles, seront abordés par les penseurs dans un état d’esprit et sur le fondement de références particulières et seront finalement « exploités » avec une vision très différentes de celles relevées jusqu’alors.

 

A - Deux visions particulières de Melkisédeq.

 

1°) Naundorff et le prophète Melkisédeq

Naundorff[1] créera une nouvelle église dont la mission première sera de transmettre la « vraie Révélation » dont il était le détenteur en sa qualité d’héritier légitime du royaume de France. Les personnages dominants seront Moïse et Jésus mais Melkisédeq est également bien présent. Dans un ouvrage publié en 1841, « Salomon le sage » Naundorff présente Melkisédeq comme le prophète qui a reçu la mission spécifique d’organiser en quelque sorte « l’apprentissage » d’Abram : c’est ainsi que sur ordre de Melkisédeq Abram séjourne en Egypte pour y recevoir l’enseignement des mages ; à son retour il paiera la dîme due pour cet enseignement et en contrepartie et parce qu’apparemment il a été bon élève il recevra le pain et le vin ! Mais plus encore Melkisédeq est pour Naundorff le prophète qui atteste que lui, le prétendant est bien le détenteur de la « vraie révélation » et qu’à ce titre il a l’autorité nécessaire pour corriger les erreurs de l’Ancien Testament (en 1840 il a d’ailleurs publié un livre intitulé « Révélations sur les erreurs de l’Ancien Testament » )

 

Gageons qu’un royaume de France dirigé par Naundorff aurait sans doute réservé bien des surprises ! Pour autant l’apport du prétendant au portrait de notre personnage n’est pas négligeable : il souligne en effet très particulièrement le caractère prophétique de Melkisédeq plutôt peu mis en valeur jusqu’à présent.

 

Or Naundorff a une vision intéressante du pouvoir prophétique (et bien sûr non dénuée d’arrière-pensées puisque le prétendant se posait lui-même en prophète) :

Le prophète serait celui qui a la compréhension de vérités écrites de temps immémorial et même de toute éternité, et qui reçoit pouvoir et mission d’en dévoiler tout ou partie à ceux qu’il a plu au Très-Haut de désigner !

Apparaît ainsi la notion de vérité première et éternelle, écrite depuis toujours et attestée par un prophète dont le rôle n’est en rien de « prédire » un quelconque avenir mais bien de rappeler à qui veut bien ou doit bien entendre la Vérité.

Pour nous gardons dès maintenant à l’esprit cette notion de Vérité première et éternelle.

 

2°) Saint-Yves d’Alveydre et le roi Melkisédeq

 

C’est une autre face de Melkisédeq qui retient particulièrement l’attention de Saint-Yves d’Alveydre[2] aujourd’hui d’abord connu (ou plus exactement mal connu) pour avoir forgé le mot et imaginé le concept de « synarchie » dont d’ailleurs la signification réelle est maintenant singulièrement détournée de son contenu initial. Dans son ouvrage « Mission des Juifs », publié en 1884, Saint-Yves d’Alveydre mentionne à plusieurs reprises Melkisédeq, pontife et initié mais en premier lieu roi de justice « par mérite personnel et non par hérédité » (sans généalogie) dont la mission fondamentale est de permettre à Abram, par la bénédiction et l’offrande du pain et du vin, de renouer avec le centre caché où réside la « Loi pure ».

C’est par l’action du Roi parfait qui le bénit et lui offre les symboles de la royauté que sont initialement le pain et le vin qu’Abram devient apte à assumer à son tour un rôle royal et la paternité d’une multitude de peuples et selon Saint-Yves d’Alveydre il faudra que le moment venu le Christ recrée cette même situation pour que se perpétue la Tradition initiale, au delà du ou des seuls peuples élus de l’Ancienne Loi. De cette manière et vingt deux siècles après Abram Jésus retrouvera les gestes de bénédiction et de partage du pain et du vin et rattachera ainsi la Loi Nouvelle à l’Ancienne Loi ; très au-delà d’un simple renouvellement de la mission de Melkisédeq c’est aussi proclamer que ces deux Lois sont des moments inscrits dans le déroulement des temps d’une Loi Pure : voici après Naundorff qu’apparaît à nouveau le concept de Loi éternelle et unique, de Tradition primordiale !

 

Bien sûr Saint-Yves d’Alveydre est extraordinairement plus complexe que les lignes très réductrices qui précèdent ! Mais sa thèse constitue une illustration de la transition qui se fait dans la pensée moderne du religieux à l’ésotérique ; même si une fois encore il nous faut insister sur le caractère artificiel de l’apparente opposition entre ces deux termes et redire qu’ici dualité est synonyme de clarté.

L’importance de la démonstration réside dans la transformation de la cause qui fait que la Loi Nouvelle est supérieure à la Loi Ancienne, ce qui implique que l’ancienne Alliance doit s’effacer devant la Bonne Nouvelle désormais proclamée ; certes Melkisédeq n’était qu’un envoyé de Très-Haut alors que Jésus est le fils de Dieu et Dieu Lui-même mais surtout en annonçant la Bonne Nouvelle à l’univers et à tous les peuples il délivre un message unique et éternel : la mission des juifs est terminée non d’ailleurs au profit de nouveaux élus mais pour tous puisque chacun se voit ré-attaché à la Loi Pure !

Prophète, Roi, Prêtre : tel est Melkisédeq, figure en trois personnages (idée qui n’est pas étrangère au degré de Compagnon de l’Arche Royale, complément du grade de maître). Mais n’anticipons pas, le chemin est encore long. D’autant qu’avec le concept de tradition primordiale nous aurons nécessairement à rencontrer René Guénon, non sans avoir cependant au préalable examiné les apports, s’il y a lieu, des cabalistes.

 

B - LES APPORTS DE LA KABBALE

 

Dans son sens premier le terme « kabbalah » signifie tradition et dans son acception générale « loi orale » ; une loi orale reçue par Moïse en même temps que la loi écrite. Parce que orale la kabbale garde une part non négligeable d’incertitude, offre de vastes possibilités d’interprétation et exige de rechercher des références aussi anciennes que possibles puisque dans le domaine de la tradition l’ancienneté vaut supériorité.

Si l’on veut bien considérer que Melkisédeq assume ses rôles de roi, Prêtre et prophète à un moment charnière de l’histoire de l’humanité -entre Abram père des multitudes auquel il révèle la tradition primordiale et Moïse, père du peuple élu qui recevra les lois écrite et orale- se souvenir aussi que le personnage est énigmatique et mystérieux, on conviendra que la kabbale[3] ne pouvait pas s’en désintéresser !

 

Dans un développement précédent nous avons mentionné le Talmud (en l’occurrence de Babylone) qui citait Melkisédeq ; on pourrait donc trouver surprenant de ne pas voir notre personnage abondamment exploité dans les grands ouvrages de la kabbale[4] mais les apparences sont trompeuses car les kabbalistes développent en réalité longuement les attributs de notre personnage.

Le lien avec la kabbale repose en fait sur le nom même de Melkisédeq.

Reprenons le tout début de notre travail où nous présentions le sens de ce nom, Melkisédeq est roi : Melki, Melek, Malek, Malik[5] mais aussi Malkuth sont autant de manière de dire « roi ». De même que justice se dira Sadeq (avec les diverses orthographes possibles) ou Sadok (là aussi avec de multiples orthographes) ou encore Tsédek.

Ainsi le roi de justice peut être appelé Malkuth-Tsedek et c’est cette version que privilégient de nombreux érudits juifs. Or elle présente pour nous un intérêt très particulier puisqu’elle nous renvoie directement au cœur de la recherche kabbalistique : les sephirot.

L’arbre séfirotique compte dix sephirot[6] qui sont autant d’aspect de la Vérité cosmique et servent d’outils pour approcher la compréhension de l’Etre divin ; approcher seulement car on ne peut parvenir à une compréhension totale, qui serait d’ailleurs une « appréhension » Nos possibilités ne dépassent pas la conception au demeurant imparfaite de Dieu, du Grand Architecte de l’univers ou tout autre nom donné à la divinité et qui ne sont que les reflets lointains de ce que la kabbale nomme « Aîn Soph » (qui se traduit par « l’Illimité de l’Illimité ») ou encore « Aîn Soph Aur » (qui signifie lumière de la Lumière sans limites).

Deux points vont nous intéresser particulièrement : la dixième séphira qui porte le nom de Malkuth mais aussi la dix-huitième cinéra[7] qui s’appelle Tsédek ! 

Malkuth en sa qualité de dixième sephira se traduit au premier chef par « royaume » et en deuxième sens par « porte » ou « seuil ».

Tsédeq dans son rôle de liaison relie la septième sephira Nizah, dont le sens est gloire, éternité, victoire à la neuvième Yesod qui signifie fondement.

Le rapprochement de ces termes et de leurs différents sens permet d’établir que ce nom Malkuth-Tséseq peut être traduit par l’idée d’un roi qui ouvre la voie vers la gloire et la justice.

Ainsi notre Melkisédeq apparaît-il comme celui qui annonce des devenirs possibles, qui ouvre la voie au juste, et permet à celui qui prend le chemin de justice de passer d’un monde à un autre ; il figure à lui seul les rois mages dont l’un offrait l’or qui symbolise la puissance et le pouvoir du roi, le deuxième l’encens dont les Prêtres se servent dans le sanctuaire et le troisième la myrrhe dont les vapeurs favorisaient les visions des prophètes.

Et comme Melkisédeq est roi de Salem (la paix) nous comprenons que le seuil que franchit Abram, retour vainqueur de luttes contre les rois, est celui qui mène à un monde de paix, à un monde dont les pesanteurs profanes sont exclues. Bien sûr chacun de nous se trouve être Abram et les rois à vaincre sont nos passions et le seuil à franchir celui de l’initiation pour peu évidemment qu’elle soit réelle et ne demeure pas virtuelle.

 

Les kabbalistes approfondissent encore leur réflexion : si Melkisédeq est un  seuil, une porte il appartient donc, par un coté, au monde profane. Mais il est aussi Prêtre et à ce titre relève du monde sacré, c’est à dire qu’il a reçu le pouvoir de représenter et de transmettre la spiritualité dans le monde profane et d’indiquer le juste (Sedeq) chemin pour accéder au monde spirituel. Dans ce rôle de seuil, de voie juste il est réellement un pont entre deux mondes ; ce qui lui confère le droit assurément légitime d’être désigné comme pontife, roi, Prêtre, prophète : il est bien le trois fois puissant, le Trismégiste et peut sans contestation possible porter la tiare aux trois couronnes (qui fut longtemps portée par le pape, le Souverain Pontife)

 

L’arbre séfirotique décrit d’ailleurs clairement cette image du lien entre le bas et le haut, la terre et le ciel ; en effet la présence divine, la Shekinah, s’établit dans l’axe médian qui relie les deux pôles de l’arbre : en bas Malkuth, le royaume, en haut Kether, la couronne mais parcourir cet axe ne se fait pas n’importe comment : à gauche de l’axe figure la sephira Pechad, la rigueur qui, il est vrai, est tempérée à droite par Chesed la miséricorde. Ainsi est-on invité à passer ce pont qui mène de la terre au ciel en même temps qu’on est averti qu’il faudra rendre des comptes à une justice qui, il est vrai, fera preuve de miséricorde.

Tout ceci est si proche du portrait de Melkisédeq que l’on comprend qu’il n’était pas réellement utile de citer son nom !

Mais la kabbale offre une autre piste de réflexion puisqu’elle associe le nombre 5 à la sephira geburah qui signifie justice, gravité : de cette manière notre Roi de justice se trouve lié à la franc-maçonnerie, tout d’abord au Compagnon maçon dont le chiffre est bien le 5 et qui de plus découvre une étoile à cinq branches dont le centre est orné d’un G (comme geburah ou gravité) mais aussi à l'idée de quintessence si parfaitement explorée par Rabelais (et qu'on retrouve au delà de la maîtrise dans le système maçonnique)

 

En marge de la kabbale mais bien dans son esprit, diverses annotations corroborent cette association entre Melkisédeq et ses attributions avec la recherche des messages ésotériques ; donnons ici quelques exemples pour inciter le lecteur intéressé à poursuivre la quête.

Comme roi et juge Melkisédeq tient le glaive et la balance, ce qui n’est pas sans rappeler l’archange Michel qui est le « gardien de la porte » de la vie éternelle et en charge de la pesée des âmes, comme Melkisédeq est réputé devoir juger les saints à la fin des temps (Cf. notre première partie). Mais il nous importe plus de savoir que le glaive, certes symbole de justice, est aussi dans le zodiaque[8] le signe médian et figure le pont qui relie les petits mystères (qui ont trait à la matière et à ses évolutions) aux grands mystères (qui traitent des mondes de l’esprit). Et revoilà le pontife, le lien entre les mondes, ce pont dont les initiés doivent comprendre comment il faut le franchir.

 

Autre symbole de justice tenu par notre roi, la balance. Symboliquement la balance est vouée au gouvernement des reins puisque ceux-ci ont pour mission de faire le tri entre ce qui est bon pour l’organisme et doit être absorbé et ce qui doit être rejeté ; ainsi sommes nous conviés à produire le travail nécessaire et continu indispensable pour revenir à l’essentiel. D’ailleurs en sanscrit balance se dit « tula » et Guénon (dont nous nous rapprochons maintenant rapidement) situe le centre premier et suprême justement en un lieu nommé Tula.

Et puisque nous citons le sanscrit, pourquoi ne pas mentionner l’égyptien ancien : le chiffre 5, dont nous avons rappelé les liens avec Melkisédeq, se dit «  dua » dans la langue des pharaons mais s’écrit aussi « duat » et prend alors un second sens, celui de monde des morts, sur lequel règne Osiris, le « grand juge »

Finissons avec le 5 : le pentagramme dans lequel Léonard de Vinci inscrivit l’homme symbolise la création et la reproduction pour une raison arithmétique propre à ce chiffre ; en effet lorsqu’on le multiplie par lui-même le 5 réapparaît toujours à la droite du produit obtenu.

Mais ne nous égarons pas dans l’anecdotique ; nous n’avons plus d’excuses pour retarder l’examen des apports de Guénon.

 

C - UNE SYNTHESE PAR GUENON

 

On peut être surpris que René Guénon[9] soit abordé dans l’une des parties de notre travail qui n’est pas directement consacrée à la Franc-maçonnerie alors même qu’il a affirmé que cette institution était, encore à son époque, la dernière voie authentiquement initiatique du monde occidental.

L’explication est que pour nous René Guénon est un spiritualiste et même un Maître ès spiritualité pour lequel la franc-maçonnerie n’a été qu’une étape, peut-être même qu’un point de passage sur le chemin d’une recherche qui a embrassée en réalité toutes les voies et toutes les directions. D’ailleurs la franc-maçonnerie dont parlait René Guénon présentait des traits que vraisemblablement peu de maçons reconnaîtraient aujourd’hui et lui-même a été suffisamment insatisfait pour s’orienter vers d’autres écoles initiatiques sans pour autant cesser d’intervenir dans des articles ou sa correspondance sur et à propos de la symbolique mise en œuvre en maçonnerie. En fait René Guénon n’a jamais appartenu profondément qu’à sa propre école ! Et il y a, à notre sens, un peu d’abus dans la manière dont la Franc-maçonnerie s’approprie l’homme et son œuvre.

Mais pour notre plus grand bonheur il se trouve que Guénon s’est intéressé à Melkisédeq et qu’il lui consacre un chapitre important de son ouvrage « le roi du monde »[10]

 

Pour l’auteur Melkisédeq est la figuration d’une fonction, celle de roi du monde dont les attributs sont symboliquement soulignés par le nom même : Melki (roi) Sédeq (justice) à Salem (la paix). Dans ce contexte l’offre du pain et du vin prend à coup sûr le caractère d’une investiture spirituelle, d’une initiation. Le rôle fondamental de la fonction de roi du monde est de rattacher les traditions à la Tradition primordiale ; c’est un exemple qui nous est ici donné : Abram est le tenant d’une tradition spécifique à un peuple, à une culture, le Judaïsme, encore en gestation mais désormais « validée ».

Secondairement Guénon va en quelque sorte insister sur la nécessaire « régularité » de la transmission de cette validation : El Elyon, le Dieu Très-Haut est d’un « rang » plus élevé que El Shaddaî le Dieu d’Abram et il est important que le patriarche le reconnaisse ; ce qui est le cas puisqu’il paye la dîme à Melkisédeq ; voici le Judaïsme sur la bonne voie ! Mais quel titre pourra bien présenter le christianisme pour être à son tour reçu comme une ramification particulière de la Tradition primordiale ? La régularité exige en effet une transmission comportant un parallélisme des formes (et du fond qu’elles sous-tendent).

Selon Guénon tous les éléments utiles sont bien présents. Et même finalement avec quelques plus-values à notre sens ! En effet il faut assimiler El Elyon à Emmanuel (Dieu est avec nous). Dès lors que Dieu lui-même préside à la transmission elle est incontestable et le sacerdoce qui va naître de cette intervention divine sera tout à fait conforme à la validation accordée vingt deux siècles plus tôt à Abram par l’envoyé d’El Elyon ; ce sacerdoce sera véritablement « selon l’ordre de Melkisédeq ». Le christianisme se trouve ainsi à son tour rattaché à la tradition primordiale.

Et pour le cas où il resterait quelques sceptiques Guénon rappelle qu’au règlement de la dîme par Abram font écho les offrandes des Rois Mages à Jésus, si ce n’est qu’ici il ne s’agit pas d’un chef d’un peuple en quête d’un royaume mais de trois puissants personnages dont nous avons vu qu’ils symbolisaient les trois pouvoirs ; notons incidemment qu’ils n’ont que faire des instructions du roi Hérode qui les avait priés de lui rendre compte sur le chemin du retour.

Au terme de sa démonstration, ici très simplifiée, René Guénon peut donc affirmer qu’au sens de la Tradition primordiale, on peut proclamer sans hésitation « la parfaite orthodoxie du christianisme »[11].

 

Poursuivant ses développements Guénon souligne un certain nombre de thèmes qui nous sont déjà bien connus mais en tire des conséquences qui lui sont propres ; ainsi et nous le savons Melkisédeq est un lien, un pont entre deux mondes mais chez Guénon ces deux mondes sont celui du manifesté et du non manifesté. Et Melkisédeq est la présentation dans le monde manifesté du Principe, il est la manifestation de la Tradition primordiale dans ses rapports avec le monde manifesté et les traditions qui s’y sont construites ou y ont été établies. C’est bien sur à juste titre qu’il est porteur de l’épée et de la balance parce que la préoccupation première des mondes manifestés doit être la recherche de l’Harmonie dont les composantes sont la justice et la paix.

La démonstration de René Guénon s’inscrit dans une pensée construite à partir d’un postulat clair : la Connaissance englobe la totalité des Univers visibles et invisibles.

Avant la Chute l’homme avait la possibilité d’accéder à cette Connaissance et pouvait appréhender l’Etre et le Non-être dans leur globalité. Depuis la Chute l’homme a conservé l’intuition de la Connaissance mais ne peut plus y accéder puisque sa démarche vers Elle ne peut aboutir dans le monde manifesté dont la matérialité constitue une contrainte quasi-insurmontable.

Evidemment Dieu se réserve la pleine liberté d’accorder à tel(le) ou tel(le), ici et maintenant, le bénéfice de la vision béatifique mais les statistiques incitent à ne pas trop espérer une telle opportunité. Pourtant certains privilégiés (quoique Job trouverait le terme mal choisi) en quelque sorte chargés de mission par Dieu, se doivent de posséder les connaissances et les pouvoirs nécessaires au bon accomplissement de leur tâche : d’où l’envoi de Melkisédeq à Abram qui lui transmet ce qu’il doit savoir de la Tradition primordiale pour réussir à son tour la fondation d’une tradition particulière qu’il plaît à Dieu de concéder au peuple hébreux.

 

Mais qu’est donc celui qui transmet une tradition sinon un initiateur ! Et ici notre personnage apparaît comme l’initiateur par excellence (comme il figurait le Prêtre par excellence) car la tradition à laquelle il initie est bien supra-normale dans la mesure où l’initiateur est sans généalogie ; il est un messager du monde spirituel qui initie à la Tradition primordiale. Certes nous rencontrons dans le Livre sacré d’autres traditions authentiquement transmises mais incomplètes ou affaiblies par la faute des initiateurs : ainsi la tradition noachite, que Noé tenait de Seth qui lui l’avait reçue de son père Adam auquel Dieu lui-même l’avait transmise ! Hélas Adam avait failli et de ce fait n’avait pas été à même de transmettre une Tradition pure et non entachée par sa faute ! Car non seulement une tradition doit être transmise par un intervenant qualifié mais il faut encore que rien ne soit venu la pervertir ou à tout le moins l’affaiblir.

Cependant selon la thèse de René Guénon il demeure toujours ici ou là quelques élus qui ont su conserver ou retrouver par des efforts adéquats une tradition valide même si ce ne peut évidemment être  la Tradition primordiale. L’exemple le plus clair  est justement celui de Noé qui avec ses proches se trouve devoir en quelque sorte fonder à nouveau l’humanité disparue avec le Déluge. Deux des fils de ce patriarche avaient eu à se moquer de leur père qui sous l’effet de la boisson offrait le spectacle de sa nudité ; un seul des fils se fit le protecteur de la dignité paternelle en recouvrant pudiquement la nudité exposée : les mauvais fils, Cham et Japhet, conservèrent bien la langue de leur père mais n’en comprirent plus tout le sens et la signification ; ils devinrent incapables de porter la tradition faute de saisir les mots qui la transmettaient (la même mésaventure arrivât lors de la construction de la tour de Babel : décidément l’homme est mauvais élève !) ; en revanche Sem, (parfois justement assimilé à Melkisédeq comme noté dans notre première partie), parce qu’il avait sauvegardé la dignité de Noé deviendra le détenteur et le gardien de la Connaissance et conservera la « Parole » qui constituera le « dépôt caché »  invisible aux profanes et objet des recherches des initiées.[12]

 

[1]           Naundorff Karl (1747-1845), prussien d’origine et horloger, arrive en France en 1833 et prétend se faire reconnaître comme étant Louis XVII ; il est expulsé en 1836 et s’installe à Londres, publie des ouvrages à l’appui de ses prétentions et en 1838 crée une Eglise Catholique Evangélique. Pour connaître mieux ce personnage qui eut un certain succès chez les légitimistes on peut lire « Naundorff l’imposteur, de Edmond Duplan, Paris, Olivier Orban, 1990.

[2]           Joseph-Alexandre Saint-Yves d’Alveydre (1842-1909), marquis à partir de 1880 du fait de la principauté de San Marin. Très lié aux occultistes mais resté profondément chrétien, Saint-Yves d’Alveydre cherchait à travers ses nombreux ouvrages à unir Science et Religion en même temps qu’à favoriser l’apparition d’une société plus juste. Il imaginait que l’occultisme pouvait être l’outil pour atteindre les buts fixés.

[3]                On trouve parfois écrit « cabale » qui vient de caballus, cheval or au plan symbolique le cheval est un animal solaire qui représente l’émancipation spirituelle ; le cavalier est donc un homme libéré de toutes les croyances dogmatiques et apte à s’unir à l’Essentiel ; ce qui est aussi la situation du kabbaliste qui lui s’applique à décoder le message authentique de Dieu. Cabaliste et kabbaliste retrouvent ce message en revenant à l’Un, figuré par la tradition primordiale.

[4]                Les œuvres les plus marquantes des kabbalistes sont le Sepher Yésirah ou livre de la création puis surtout le Zohar ou livre de la splendeur, écrit à la fin du premier siècle de notre ère par le rabbin Siméon Bar Yochaî et considérablement commenté et développé par les rabbins espagnols du XIV° siècle et tout particulièrement Moïse de Léon.

[5]           Malik était l’un des titres porté par le négus, empereur d’Ethiopie, jusqu’à la révolution de 1974 qui vit l’établissement de la république.

[6]           Une sephira, des sephiroth.

[7]           Cinéra : ce sont dans l’arbre séphirotique les liaisons entre chacune des sephiroth ; bien sur chacune de ces liaisons est elle-même une source de multiples interprétations, commentaires et gloses !

[8]           En franc-maçonnerie le zodiaque est rarement mis en avant si ce n’est toutefois dans le rituel de l’Arche Royale d’Ecosse.

[9]           René Guénon (1886-1951) : on se permet d’espérer qu’il est inutile de présenter cet immense personnage qui fut la figure essentielle et dominante de l’école traditionnelle ; rappelons que la tradition dont il s’agit est la Tradition primordiale, supra humaine et source unique des traditions auxquelles elle confère l’authenticité sous réserve de conditions impératives à respecter dont une transmission dans les règles pour citer l’une des plus fondamentales. On peut ne pas partager toutes les analyses de René Guénon mais on ne peut s’affranchir de sa fréquentation.

[10]         Le roi du monde, René Guénon, collec. Tradition, Nrf, Gallimard 1958 (et très régulièrement réédité).

[11]         Guénon en 1927 dans la revue Christ-Roi éditée par les moines de Paray-le- Monial précisera un peu son propos : le Christ ne peut évidemment pas être assimilé à Melkisédeq puisqu’il est lui-même Dieu/fils de Dieu et donc à ce titre Principe et Fondement de toute réalité transcendante. De ce fait la démarche des rois mages est «  la reconnaissance décisive du sacerdoce et de la royauté suprême qui lui appartienne (au christ) véritablement selon l’ordre de Melkisédeq… »

[12]         Sur l’affaire de la nudité voir Genèse 9, 20-28 ; l’épisode de la tour de Babel est en genèse 11, 1-9. (Bible de Louis Segond, Société Biblique de Genève).

 

Bertrand Segonzac.

 

(avec l’accord de l’auteur, article publié précédemment dans les Cahiers de la GLAMF)

 

La dernière partie du Texte dans un autre article à suivre ce jour,sous le Titre MELKISEDEQ Part -IV-

 

Nous voilà au terme de notre enquête, mais au début d'une voie de connaissance. Ce texte selon votre désir, pourra faire référence. Pour lire et le relire en intégralité je vous propose un envoi par mail sans frrais permettant une impression sur support papier . Il suffit de me communiquer votre demande par mail à l'adresse suivante : guerryjf@gmail.com 

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M
Bonjour cher ami,<br /> <br /> Merci pour cette synthèse ! <br /> <br /> Il y a une "contradiction" que je ne comprend pas à propos de René Guénon. Comment put il à la fois justifier les appels à la croisade de Saint Bernard et les croisades des Templiers malgré sa connaissance de la tradition islamique ? Il y a surement des positions qui m'ont échapées, mais j'avoue que cela fait plusieurs années que j'essaye de comprendre sans y parvenir. Est ce par la volonté qu'avait René Guénon de s'opposer à tous syncrétisme qu'il a "justifier" les positions de Saint Bernard concernant les croisades et les justifications de la guerre faite aux musulmans par les templiers sous pretexte que les musulmans auraient constitués une menace contre le temple de Salomon ? Or que ce ne fut pas le cas, au contraire... Je comprend bien le point de vue de l'Église catholique et sa volonté de s'opposer à un ennemi commun pour mieux s'unifier mais du point de vue de la Tradition (dont les templiers et Saint Bernard furent selon Guénon les représentants pour ce qui est de la tradition chrétienne) cela me semble contradictoire.. Qu'en pensez vous ?
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M
Bonsoir JF,<br /> <br /> Merci bien
J
Bonsoir Massinissa<br /> <br /> Merci de ton intérêt pour cet article j'interroge l'auteur et je te transmets sa réponse<br /> <br /> JF