Jardins de France.
Jardin
J’ai passé une grande partie de mes loisirs d’enfant à jouer dans des jardins, chez nous bien sûr mais aussi chez mes grands-parents. En y repensant, il m’est venu la curieuse idée que c’était alors le temps de l’innocence. Or quiconque a été gamin dans sa vie sait pertinemment que l’innocence des enfants repose avant tout sur l’amnésie des adultes.
Le jardin nous viendrait d’un mot franc qui signifiait clôture. Outre quelques jardins de curé, jardins des délices ou jardins d’enfants (on y cultive des marmots ?), le plus célèbre d’entre eux est bien entendu le jardin d’Eden, le paradis. Mais paradis aussi, issu de l’avestique, aurait le sens d’enclos. Diable ! Les anciens avaient donc déjà inventé les squares urbains, les parcs de ville aux jolies grilles vertes qui sont inaccessibles après 19 heures en hiver et 21 heures en été ? Imagine-t-on des gardiens en uniforme kaki dans les jardins suspendus de Sémiramis à Babylone ? Tout jardin serait-il donc naturellement barricadé ?
Il faut bien avouer que l’exemple vient de loin. En effet, si Adam et Eve ont été chassés du paradis terrestre, c’est bien qu’il y avait une clôture qui en délimitait l’intérieur de l’extérieur, ainsi qu’une porte pour passer de l’un à l’autre… Il faut donc admettre que le Créateur était au courant a priori de la chute tragique de nos coupables aïeux. Mais c’est de la faute du Malin, me direz-vous, pas de celle du Créateur ! Certes, et il serait théologiquement douteux d’instruire le procès du Créateur en perversion sans prendre en compte le démoniaque serpent à la pomme.
Le serpent, diable d’animal, nous confronte en fait à la notion trop humaine de l’au-delà. Au-delà des règles pour goûter aux fruits de l’arbre de la connaissance, au-delà des limites du jardin pour la punition qui suit la transgression, au-delà de la nature pour apprendre le monde, au-delà de nous-mêmes pour savoir qui nous sommes. Par sa présence, le mal nous révèle, il nous enferme dans l’illusion de la perfection, cet au-delà inaccessible.
La plus belle ruse du diable est sans doute de nous faire croire qu’en l’évitant nous pourrions être irréprochables… Or l’épisode du paradis perdu nous enseigne pourtant que c’est la faute qui conduit à l’innocence.
Théodore Neville.
Communiqué :
En accord avec Théodore de Neville nous avons décidés de mettre cette semaine la lettre J et non la lettre I, sa planche traitant de l'immortalité et ce compte tenu des circonstances.
Théodore Neville - JFG