Souvenirs d’enfance… Je n’ai jamais vraiment su manipuler cet objet diabolique qui montait et descendait en cadence, suspendu au doigt des plus habiles d’entre nous, les filles le plus souvent d’ailleurs. Certaines pouvaient le manier le temps de toute une récréation sans que jamais le yoyo ne s’arrête. Et ainsi, pendant plus de dix minutes, elles inventaient l’éternité et le mouvement perpétuel, de haut en bas, de bas en haut, allant et venant avec aisance, comme au mépris des contraintes newtoniennes. Et c’est sans doute par un effet retors de ma maladresse naturelle que ce jeu, finalement, me fascinait et que son mouvement envoûtant s’est imprégné durablement dans ma mémoire.
Si bien que lorsque j’appris que « tout se qui est en haut est comme ce qui est en bas », et réciproquement, sans même y prêter attention, c’est l’image du yoyo et de son trajet incessant qui s’imposa d’entrée à mon esprit, au risque de m’égarer dans une interprétation peut-être erronée mais cependant séduisante.
Certes, l’axiome hermétique nous invite à considérer que la condition humaine n’est pas si éloignée du monde divin que nos vicissitudes quotidiennes pourraient nous le laisser croire. Et c’est pourquoi les objets sacrés, certains lieux, bâtiments, animaux, voire des personnes parfois, sont investis de ce pouvoir de relier ces deux mondes à la manière d’un pli qui rapproche instantanément deux univers éloignés. Mais depuis Mircea Eliade nous savons que toute hiérophanie implique une rupture de l’ordre ontologique, ce qui suppose que le passage du profane au sacré est délicat, voire dangereux si il est tenté hors des voies balisées de la tradition. Celle-ci nous met en garde en effet contre la disjonction, la dislocation, voire pire peut-être, qui guette l’apprenti sorcier qui se risquerait à affronter le monde sacré sans la protection de la connaissance.
Or pour passer de ce qui est en haut à ce qui est en bas, le yoyo, lui, nous propose une voie certes plus futile, moins ésotérique peut-être, faite d’allers et de retours, une voie répétitive, lancinante sans doute, à la manière d’une mélopée soufie, mais sans rupture, sans perte inévitablement programmée. Le yoyo nous propose d’échanger la rupture contre un chemin.
Pour autant que les doigts agiles, jamais ne cessent d’être habiles.
Théodore Neville.