CE QUI NOUS TROUBLE, CE QUI ME TROUBLE…
Ce qui nous rend malheureux, ce qui nous trouble, c’est que nous nous croyions hier invincibles, rien ne pouvait nous arrêter, sauf peut-être un détail, ce satané virus, pas celui qui s’est logé dans notre corps d’homme, qu’une bête inconnue que nous toisions nous a insidieusement légué, nous rappelant notre fragilité. Non, ce qui nous trouble c’est les limites de notre arrogance, de notre suffisance, de notre hubris auraient dit les Grecs. Ce qui nous trouble, ce n’est pas la dureté de la montée, c’est la difficulté de la descente, de l’humilité. Notre admiration va naturellement sans effort contempler, jusqu’à envier la réussite sans restriction, il faut être dans la compétition c’est tout. Il faut que les trompettes de la renommée résonnent, que nous soyons célèbres à défaut d’être sage, que notre corps sculpté cache notre cœur en errance.
Nous sommes prêts pour l’ascension de toutes les échelles, les plus hautes, les plus mystérieuses, avec les yeux bandés, ou les yeux éblouis, mais nous sommes incapables de redescendre vers les hommes nos frères, ceux qui nous attendent dans les vallées. Dans la vallée de Josaphat où coule le Cédron, la vallée entre le Mont des Oliviers et le Mont du Temple, la vallée d’où l’on voit briller les colonnes du temple.
Nous sommes incapables de faire le voyage intérieur, celui de la quête de l’âme. De suivre la huppe de Salomon, de franchir la vallée du Désir qui mène à la Sîmorgh éternelle. Il nous faut retrouver mes frères le chemin des vallées, des sept vallées du cantique des oiseaux :
« Au début, il y a la vallée du Désir
Puis la vallée sans rivage, la vallée de l’Amour
La troisième est la vallée de la Connaissance
La quatrième est la vallée de la Plénitude
La cinquième, la vallée de l’Unicité pure
La sixième, terrifiante, est la Perplexité
La septième vallée et aussi la dernière
C’est le Dénuement et l’Anéantissement
Après cela, tu ne pourras plus avancer
Tu seras aspiré sans pouvoir te mouvoir
Lors, pour toi une goutte sera un océan. »
(Extrait du Cantique des Oiseaux de Farîd od-dîn ’Attâr – Les sept vallées- Traduction de Leili Anvar)
Las, mes frères ce qui me trouble, c’est de ne pas pouvoir vous retrouver dans nos vallées de l’amour et de la Connaissance.
Jean-François Guerry.
« J’ai fait l’ascension jusqu’au sommet mais je n’ai pas trouvé d’abri dans les hauteurs blafardes et nues de la renommée.
Conduis-moi, mon Guide, avant que la lumière décline, dans la vallée de la quiétude où la moisson de la vie mûrit en sagesse dorée. »
Rabindranāth Tagore.