Publié le 8 Mai 2025 par Philippe Dubach

L'INTÉRIEUR DU CERCLE - Philippe Dubach

A l'intérieur du cercle

La distance interpersonnelle est une distance créée par tout individu qui côtoie ses semblables. C'est une distance sociale, un espace physique entre les corps qui se croisent.

Cette dimension cachée varie dans nos relations sociales quotidiennes. Elle se situe habituellement entre 120 et 220 cm, selon les individus, les mœurs ou les circonstances de nos interactions. Lors d'une conversation, cette distance diminue pour fluctuer entre 75 cm et 125 cm. Cette distance s'annule pour donner un baiser ou une accolade, symboles d'une proximité admise et partagée.

L'anthropologue Hall a fait de l'étude de cette dimension sociale sa spécialité. Il a élaboré une science, la proxémie, qui décrit un véritable langage secret exprimé par les interprétations des variations de cette distance.

La distance peut être choisie ou imposée. Sa mise en œuvre est toujours signifiante. Une personne qui se place derrière un objet, comme un bureau par exemple, impose sa distance mais impose aussi son autorité. Rentrer dans le cercle tracé par un individu, sans son acceptation, est vécu comme une intrusion. Se soumettre à cette proximité, c'est se soumettre à l'autorité de l'autre...

"Garder ses distances" est devenu une expression courante qui traduit bien la relation qui existe entre distance et domination. Pourtant, c'est au moment où la distance s'impose, sans possibilité de la diminuer, que l'amour ou le manque apparaît en pleine lumière.
Rappelez-vous notre confinement lors de l'épidémie de la Covid, durant lequel nos relations interpersonnelles ont subi une distanciation forcée. Trouver la bonne distance, le bon rayon à son propre cercle, est une science humaine des plus difficiles.
Je ne sais ni lire ni écrire cette distance, je ne sais que l'observer. Donnez-moi le centre et je tenterai de trouver le bon rayon...
Toute cellule possède son enveloppe, tout corps sa peau. Toute pierre a sa surface, tout édifice ses murs. Tout livre a sa couverture, comme tout pays sa frontière. L'enveloppe de toute chose est à la fois une barrière de protection et un lieu d'échange vital.

Tout se joue à cette frontière, à cette distance exacte entre l'intérieur et l'extérieur. Cette enveloppe constitue un véritable paradoxe.
C'est bien à la bonne distance que tout se réalise.
Si le corps a son cercle, l'esprit en possède un également, un cercle dont il est le centre. Ces cercles immatériels possèdent des distances plus subtiles que celles des corps. Ils dessinent des sphères spirituelles, des nuages d'éther qui s'effleurent ou restent distants au gré de nos mélis-mélos de pensées.
Cette distance spirituelle fonctionne comme celle du corps et possède un langage que certains percent et voient.
La contamination est un risque engendré par une distance rapprochée. Parfois, nous souhaiterions être contaminés par de sages pensées qui nous effleurent ; et, à l'inverse, nous contaminons les autres sans le vouloir.
Il existe des manipulateurs de l'esprit, capables de pénétrer à votre insu votre bulle spirituelle.
Rares sont les endroits où l'on peut s'ouvrir sereinement, se dévoiler sans crainte, libéré de la règle de la mise à distance.
S'ouvrir comme on ouvre un livre à un verset, ouvrir sa main, ses bras, son esprit... ce n'est pas simple.
Les pensées-barrières sont, à l'image des gestes-barrières, des stratégies pour éviter l'intrusion dans son espace intime.
Nos esprits adoptent un comportement réflexe de protection que nous ne pouvons percevoir que si nous en prenons conscience.
C'est lorsque nous sommes en totale confiance, à couvert, rassemblés en famille, en couple, avec nos frères, dans un lieu symboliquement clos, étanche à toute visite impromptue, que nous acceptons de réduire notre distance de sécurité.
C'est dans ces conditions que nous acceptons que l'autre vienne à pas sages à l'intérieur de notre surface spirituelle, se rapprocher un peu plus près de notre être véritable.
Derrière des portes extérieures symboliquement closes, nous acceptons plus volontiers d'ouvrir nos propres portes intérieures.
Ces portes que nous traversons nous font pénétrer dans des dimensions cachées, le plus souvent secrètes à nous-mêmes, tant ces portes sont demeurées closes, oubliées depuis longtemps.
Nous avons tellement le travers d'observer toute chose par l'observation de sa surface, la seule dimension visible, que nous avons perdu notre capacité de vision intérieure. Celle qui voit notre dimension intérieure.
Par exemple, on reconnaît une table par sa surface, jamais par son intérieur. Qui a besoin d'observer l'intérieur d'une colonne pour reconnaître une colonne ?
Et pourtant, il y aurait tant à découvrir à l'intérieur des enveloppes...
On le perce et voit : la surface des choses n'est que la frontière du visible. À l'intérieur, d'autres univers y sont inscrits.
Tentons de ne pas nous placer à l'extérieur de notre cercle pour nous rapprocher de son centre.
C'est là que se trouve la source de toute chose.

Philippe Dubach