LA JUSTICE ET L’AMOUR, L’AMOUR DE LA JUSTICE-Part-III- l’amour d’autrui.
…. C’est l’amour de la justice qui est la relation intentionnelle et implique par suite l’intention véritable d’être juste.
Vladimir Jankélévitch.
Quand j’ai débuté cette réflexion sur la justice et l’amour, l’amour de la justice, je n’avais pas encore lu ce que Jankélévitch a écrit sur ce thème de la justice et l’amour dans son tome II du Traité des Vertus. C’est à travers ma pratique maçonnique que je pressentais la relation de ces deux vertus. La relecture de mes rituels sans cesse me rappelait cette relation. Puis il vint une évidence la justice c’est la fraternité. C’est l’idée de John Rawls, voir la fin de l’article II.
Jankélévitch précise :
« …encore une fois de plus tout est dans le mouvement du cœur ; rien n’y est si le cœur n’y est pas ; et si le cœur y est tout est sauvé, transfiguré par une nouvelle lumière. »
Comme le Franc-Maçon a la Franc-Maçonnerie au cœur, il a conscience que la justice est une étape sur le chemin de l’amour, qui est tout, car sans lui, rien d’autre n’est possible à l’instar de ce que disait Paul dans sa célèbre lettre aux Corinthiens.
L’amour fait battre notre cœur, la justice précède et récompense l’amour. La justice est bien plus qu’un acte social, elle nous montre la voie du bien et du bon.
Examinons ce que dit John Rawls à ce propos dans sa Théorie de la Justice : on ne peut pas concevoir la justice en fonction des cas particuliers, ainsi un homme riche aura tendance à considérer la fiscalité sociale comme injuste, alors que l’homme pauvre pensera l’inverse. Le Franc-Maçon quand il affirme être l’ami du riche comme du pauvre s’ils sont tous les deux vertueux, relie la justice au bien, il l’élève au-dessus de toutes les considérations sociales. Ce qui est pure justice.
Un autre pilier de la Théorie de Rawls est ce qu’il pense de la méritocratie. Il affirme il n’y a aucun mérité à avoir du talent, c’est tout simplement avoir de la chance, un virtuose par exemple a reçu un don, un don naturel. Ces dons peuvent être mis au service du bien, comme au service du mal. Il existe des hommes très intelligents qui ne sont pas vertueux, des princes blancs et des princes noirs, ces derniers n’ont pas l’amour de la justice. La justice doit s’intéresser à ceux qui n’ont pas eu la chance de recevoir un don, la justice est là pour rétablir les inégalités de fortune. Il n’est pas honteux qu’elle apporte ses bénéfices au plus défavorisés. Si le jugement doit être le même pour les riches que pour les pauvres, sa pénalité doit être modulée en fonction de la richesse, j’ai longtemps pensé le contraire sans y réfléchir, en effet la même sanction pour le riche que pour le pauvre, serait inégale et bien plus douce pour le riche, que pour le pauvre. Il faut que la justice corrige l’adage populaire « Quand les riches maigrissent, les pauvres sont déjà morts. »
Il n’est pas honteux non plus que la situation des favorisés s’améliorent, si non ce serait une injustice ; à la condition que la situation des pauvres s’améliore en même temps, d’où l’importance de la solidarité qui découle de la fraternité, fraternité qui est finalement assimilable à la justice.
Rawls nous met aussi en garde contre l’envie qui divise et ronge la société, il faut donc encore que la justice ajustée par l’éthique œuvre pour réduire les inégalités et donc l’envie. Ce n’est pas le plus simple, depuis Abel et Caïn l’envie ronge, et cherche le bouc émissaire. Il faut nous défier de l’arrogance, de l’ostentation, de la recherche de la célébrité pour satisfaire son ego. Des discours qui tuent, qui sont des lames acérées, des offenses pour les faibles, non tout le monde ne peut pas être milliardaire et est-ce une fin en soi ? L’arrogance et l’envie détruisent la fraternité.
Rawls attire notre attention également sur le combat contre l’ignorance qui apporte le bien, et donc plus de justice. Mais comment définir le bien ? C’est une gageure, il est plus facile de définir le mal, on s’accorde mieux pour le combattre. Mais le bien c’est une autre affaire ! Comment ne pas tomber dans le moralisme ou le dogmatisme ? Peut-être par l’écoute et le respect de la dignité humaine, avant de se faire un jugement, de faire appel à sa conscience, là encore intervient la fraternité et l’amour désintéressé, l’agapé. Définir le bien revient à définir le vrai, c’est pourquoi il faut chercher la Vérité toujours en ayant conscience de ne jamais la trouver, ce qui compte c’est l’effort et le courage de la Vérité.
C’est parfaitement illustré encore dans les rituels maçonniques : « Il n’est point besoin d’espérer pour entreprendre, ni nécessaire de réussir pour persévérer. »
C’est toujours le chemin qui compte plus que le but, pour ma part, je pense que l’espérance doit toujours être en nous, le courage pour commencer, c’est-à-dire s’initier. L’espérance et la persévérance pour poursuivre.
La justice pure est difficile à atteindre, mais quand l’idée de justice parle en nous, c’est la voix de l’amour que nous faisons entendre.
Pour Emmanuel Lévinas, la justice est intimement liée à autrui. C’est notre relation à autrui qui créé le besoin de justice. « La justice n’est pas pour soi, elle est pour autrui pour l’autre de relation à autrui. » Notre désir de justice est une responsabilité pour les autres, vis à vis des autres. L’idée de la justice en rapport à autrui, lui donne une dimension infinie. C’est l’idée de l’infini que l’on trouve dans les Méditations de Descartes (3ème).
Pour Lévinas la justice élève le moi, elle pénètre dans notre conscience et s’impose à nous, c’est ainsi sans doute par altruisme que l’on réclame justice pour l’autre, pour autrui, résultat de notre indignation, la justice nous met en action, c’est le courage de la justice.
Lévinas ne croit pas aux justices sociales, qui sont trop diverses. Pour lui fraternité, en quelque sorte la justice pure est plus originaire, que les justices sociales.
La fraternité, et la bonté qui l’accompagne, est la vraie justice :
« La justice ne demeure justice que dans une société où il n’y a pas de distinctions entre proches et lointains, mais où demeure aussi l’impossibilité de passer à côté du plus proche ; où l’égalité de tous est portée par mon inégalité, par le surplus de mes devoirs sur mes droits. »
Cela me remet en mémoire la réflexion sur les droits et les devoirs qui a fait l’objet de précédents articles, et bien sûr le devoir de justice du Franc-Maçon, le 4èmedegré initiatique, et les degrés de vengeance et d’élection du R E A A viennent soutenir cette pratique du Devoir pour les initiés.
Lévinas rajoute :
« La philosophie de la théorie de la justice sociale réside dans la mesure apportée à l’infini de la relation pour l’autre, mesure qui est sagesse de l’amour. »
Donner justice, rendre justice c’est donc donner à l’autre, prenez et mangez, prenez et buvez….Oublié son moi est la voie de la justice. Ouvrir la porte du palais de justice, c’est s’ouvrir à l’autre, aux autres quelques soient les distances qui nous séparent. Nous souvenant que nous ne sommes jamais fils unique, car nous avons des frères. La connaissance et la reconnaissance de nos frères efface la haine et permet de vivre ensemble, de faire société.
Je vais laisser la conclusion à Emmanuel Lévinas avec cet extrait de texte lumineux, dont l’intensité doit remplir de joie les cœurs des sœurs et des frères en particuliers et des hommes en général.
« Le problème de la justice consiste alors plus précisément à créer une société de frères. Non pas d’élever la socialité à la fraternité, mais le contraire, à savoir élever la fraternité à la société. (Personnellement je pense que les deux mouvements ne sont pas incompatibles, les croyants verront la descente de la Jérusalem céleste, les autres l’élévation de l’homme dans les hautes sphères de la spiritualité, le fil à plomb et l’échelle de Jacob sont compatibles.)
Créer une société à partir de la fraternité. Or c’est par la justice seulement que j’arrive à l’amour des frères. »
C’est tout simplement dans le surgissement du visage d’un autrui étranger que naît la conviction d’être son frère. »
Jean-François Guerry.