UTOPIE ET FRANC-MAÇONNERIE
Le Franc-Maçon est t’il, un utopiste, un naïf, un rêveur, voir un homme dangereux, quand il se donne pour but de construire ou plutôt de reconstruire, une cité humaine idéale, encore faut t’il définir cette cité, cette Utopia de Thomas More, ce lieu parfait qui n’existe pas ?
Le Franc-Maçon à la fois humaniste et spiritualiste vit son initiation dans le réel. Un lecteur du Blog Chr...Mas…propose à notre réflexion un texte de Roger-Pol Droit philosophe, écrivain paru dans les Echos, que j’essayerais d’enrichir après votre lecture, avec le prisme de la tradition maçonnique.
JF.
INTRODUCTION :
L’utopie est de retour. Le terme apparaît, de plus en plus, dans les débats et commentaires. La longue liste des projets qualifiés d'« utopiques » juxtapose, pêle-mêle, revenu universel, fin du capitalisme, vie sur Mars, homme bionique, paix mondiale, développement durable... et quantité d'autres.
« Utopie » sert à déprécier aussi bien qu'à valoriser. On se félicite par exemple que la voiture sans chauffeur, pure chimère hier encore, soit à présent une « utopie en cours de réalisation », rêve devenant réalité. A l'inverse, taxer d'utopie un programme politique revient à le disqualifier : inapplicable, illusoire.
Les paradoxes de l'utopie
En fait, l'étrangeté de l'utopie est bien d'appartenir aux deux versants à la fois. Irréaliste au regard de ce qui existe, irréalisable même, au premier regard, elle est aussi horizon mobilisateur, folie qui peut finir par se concrétiser, au moins partiellement. « Soyez réaliste, demandez
l'impossible ! » disait autrefois Mai 68. Dans ce slogan, tous les paradoxes de l'utopie se trouvent condensés.
Leur lointaine origine se trouve chez Platon, dans « La République ». Projet : concevoir le fonctionnement de la « cité juste », conforme à l'ordre réel du monde, respectant le Bien et le Beau. Une cité où règneraient définitivement l'équilibre et la vertu, non le désordre et les vices. Où les décisions seraient prises selon la vérité et la raison, non selon les appétits et les intérêts. Bien qu'il ne soit en vigueur nulle part dans le monde des hommes, ce modèle politique constitue pour Platon la véritable réalité, la forme de la société parfaite.
Il interdit donc aux philosophes de rester dans leur tour d'ivoire, les exhorte à descendre dans la caverne, à conformer la société au modèle idéal.
Au risque d'échouer, comme lui-même, qui ne parvint jamais à convaincre le tyran Denys de Syracuse. Au risque, surtout, de vouloir façonner à toute force, jusque dans ses moindres détails, une société figée, une vie réglée - de la sexualité à l'éducation, du travail aux loisirs.
En organisant tout, l'utopie développée dans « La République », inaugure, à sa manière, la longue histoire des totalitarismes. Et celle des descriptions minutieuses de sociétés parfaites. Devenue genre littéraire, politique et moral, l'utopie a rempli des bibliothèques.
Thomas More, en 1516, forge le mot « utopie » pour dénommer cette île introuvable où vivent, heureux et en paix, des humains qui ont résolu toutes les questions du vivre-ensemble. Ce lieu « qui n'existe pas » (« ou-topos », en grec ancien, signifie littéralement un « non-lieu ») critique évidemment la société réelle. Le procédé sera cent fois repris, de siècle en siècle, notamment par « La Cité du soleil » de Campanella (1623), par Cyrano de Bergerac et ses « Histoires des Etats et Empires de la Lune » (1657), en attendant, au XIX siècle, le phalanstère de Charles Fourier ou le « Voyage en Icarie » d'Etienne Cabet (1842). Point commun : les faits et gestes quotidiens sont prescrits un par un. Alimentation, vêtements, transports, divertissements... rien n'est laissé au hasard. Du rêve, on est passé au papier millimétré !
Car le plus grand paradoxe de l'utopie n'est sans doute pas de vouloir réaliser l'irréalisable. Après tout, ce qui semble impossible aujourd'hui peut très bien ne plus l'être demain... Au cours de l'histoire, d'innombrables mutations techniques l'ont montré. Le paradoxe majeur, le voilà : l'utopie fige l'histoire humaine en voulant la rendre parfaite. Elle prétend détenir la vérité, cherche à tout prévoir, tout régler... et engendre un monde étouffant et cauchemardesque. Si elle se réalisait, cette perfection serait sans liberté ni surprise. Et l'histoire serait morte, puisque rien ne pourrait plus se détraquer.
Faut-il donc jeter l'utopie ? Sûrement pas. Ce serait perdre un moteur
indispensable de l'action. Obnubilée par ce qui est faisable à courte vue, la vie se restreint et s'étiole. Partir à la conquête de l'inaccessible, cultiver « l'esprit de l'utopie » (Ernst Bloch, 1918) est une constante humaine. Mais ne vivre que par et pour l'utopie, en désirant à tout prix la réaliser, c'est s'exposer au chaos, aux catastrophes, aux échecs - autre constante humaine.
Alors, que faudrait-il faire ? Cultiver l'utopie, mais n'en faire qu'un usage modéré, raisonnable et paradoxalement réaliste. ? Inventer l'utopie bien tempérée ? Sans doute. Le problème, chacun s'en rend compte, c'est que
pareille solution est finalement... utopique.
Roger-Pol Droit est écrivain et philosophe.Source : Les Echos.
La lecture de ce texte peut sembler sonner les glas, de l’espérance d’un monde meilleur, et de « l’Utopie Maçonnique » de la reconstruction d’un monde meilleur, idéal. Sauf que le Franc-Maçon vit dans le monde, il n’est pas un mystique isolé dans le désert ou dans une tour fut t’elle d’ivoire. Il connaît les imperfections de la société et ses propres imperfections. Il accepte sa part d’ombre, en marchant sur le pavé mosaïque, il cherche l’équilibre entre l’ombre et la lumière accessible à sa qualité d’homme.
Il sait que son idéal de perfection ne sera jamais atteint, il n’est qu’espérance sur le chemin, il marche pour faire grossir les vertus qui sont en lui, amoindrissant son Ego en rectifiant sans cesse avec l’Equerre, il connaît la suprématie du compas sur l’équerre.
Ainsi son désir de modifier la société se fait par l’ouverture aux autres, l’acceptation des différences. Son utopie est d’être simplement un homme véritable, avec ses défauts, ses qualités.
La transgression, le risque font partie de sa vie. Il ne cherche pas pour autant à se brûler les ailes. Il sait que le monde ne sera jamais parfait, mais qu’une forme d’harmonie entre les hommes et la nature peut mener à une vie meilleure, qui n’est pas une utopie, tout est une question de degrés d’élévation de sa conscience.
JF.