Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.
Le dernier livre de Bernard Rio pas encore paru : « Marcher », est comme une marguerite, dont on tourne une à une délicatement les feuilles, qui sont autant de pétales, comme des promesses de découvertes, de chemins qui mènent tous au cœur. Un poème de la marche, un itinéraire initiatique, une ode à la nature, une respiration. À la fois Odyssée gigantesque, et simple sucre d’orge en forme de coquille Saint-Jacques a savouré lentement.
Derrière le verbe Marcher, il y a mille choses. Une généalogie de la marche, une histoire éternelle, universelle, mythique et réelle. La marche a inspiré les philosophes de l’antiquité, jusqu’à nos jours, les poètes, les théosophes chercheurs de sagesse de toutes les traditions.
Bernard Rio grâce à ses connaissances et son expérience de la marche, dans sa Bretagne natale, terre de légendes et dans les autres régions de France nous emmène loin de nos sentiers battus. Ses marches ne doivent rien au hasard, même si elles ressemblent parfois à celles des vagabonds, elles sont autant de pas de côté dans une société de la quantité. Il ne s’agit pas d’un guide pour un tourisme de masse.
Sa marche est avant tout un parcours individuel, silencieux pour un contact, un rapport privilégié avec la nature. C’est une marche thérapeutique comme celle vers la fontaine de Barenton en Brocéliande, dans le carré du temple dont l’eau soigne les plaies du corps et de l’esprit.
La marche est une véritable révélation de l’homme vertical, qui marche tête haute vers les étoiles. Pour Bernard Rio, l’homme de la ville ne marche pas il court, il n’a jamais le temps, le dimanche il marche de la périphérie au centre.
La marche Bretonne de Bernard Rio a l’odeur des crêpes des crêperies aux vitres embuées de son enfance. Elle s’étire parfois dans les villes mais à son allure.
Et puis il y a l’ivresse des grands départs, des grands chemins comme ceux de Stevenson, quand l’homme presse le pas pour échapper aux ténèbres, il est urgent de partir, de se hâter vers le beau. Et puis quand on ne peut pas marcher on écrit, les voyages forment les écrivains. Bernard Rio voit dans la marche une apologie des sens, l’on reçoit la chaleur du soleil, la pureté de l’eau du ciel.
Il y a tout un art de la marche, une mise en scène, une mise en condition de l’esprit. Le silence et la marche vont de pair, la marche est plus une écoute de la nature, que paroles inutiles.
Bernard Rio évoque dans un court paragraphe, l’intrusion de la politique dans la marche, la distanciation entre le centre et la périphérie des ronds points. La foule, n’est pas le peuple. Il est difficile de maîtriser la colère pour qu’elle ne devienne pas violence. La colère en marche n’est pas noire, mais jaune. Bernard Rio refuse d’être dans l’avoir et le ressentiment. Il aspire à la lumière à la liberté de penser par lui-même. Regarder derrière le miroir, se libérer des contraintes, conquérir la liberté de passer, de marcher.
Dans l’épilogue de son livre Marcher – Écrire « Parler beaucoup, c’est peu partir, c’est peu marcher. »
« Marcher c’est d’abord franchir le pas, consacrer son temps à composer avec la nature et approcher sa nature profonde. »
Marcher c’est donc suivre son chemin intérieur, il évoque Henri Vincenot l’auteur du Pape des Escargots, s’arrêter pour regarder un instant l’escargot dont la coquille donne le sens de la giration du monde. Marcher pour être en paix avec soi-même !
Voilà un guide bien particulier que le marcheur peut mettre dans son sac, pour le lire et le relire tout au long de sa marche. Et celui qui ne marche pas, après cette lecture n’aura qu’un désir marcher.
Jean-François Guerry.
Le Livre : « Marcher » selon Bernard Rio – Collection Paradisier – Museo Éditions. En cours de Parution.
Bernard Rio
Nationalité : France
Biographie :
Spécialiste de l’environnement et du patrimoine, Bernard Rio est l’auteur d’une quarantaine d’ouvrages chez différents éditeurs. Il a notamment contribué à la partie celtique du Dictionnaire critique de l’ésotérisme publié par les PUF sous la direction de l’ethnologue et universitaire Jean Servier. Il collabore aussi à la presse magazine.
Le grand projet de la ‘Divine Comédie’ de Dante, ce n’est pas l’Enfer, ni le Purgatoire, mais le Paradis, dernière partie de ce triptyque, sommet du triangle, finalité de cette trinité. Ce Paradis rêve du retour à l’harmonie première au jardin d’Eden. Retrouvailles de Dante avec sa bien-aimée Béatrice qui a rejoint l’Orient éternel.
Le Paradis est la danse des flammes, il est éblouissant de lumière, c’est la réalisation de son chef-d’œuvre. Le Purgatoire a servi de pont pour la descente de la Jérusalem céleste, venue écraser la Jérusalem terrestre, l’arbre de vie domine les ruines. On peut voir dans cette Comédie en trois actes la délivrance de l’âme qui était prisonnière de l’ignorance et de l’erreur, pour parvenir à la Vérité, jusqu’au troisième ciel. Au moyen des vertus théologales, alors qu’au Purgatoire il était question des vertus cardinales.
Mais le chemin est encore long pour parvenir jusqu’à la couronne de la montagne, Dante passe à travers les sept ciels des planètes, arrivé au septième ciel ! Il est au ciel des étoiles, puis le ciel cristallin qui régit, ordonne tous les ciels et tourne dans l’ultime et dixième ciel, le ciel qui est hors de la matière, qui est pure lumière.
On peut parler d’un véritable élan, puis essor mystique et initiatique, c’est un vol comparable à celui de la huppe du Cantique des Oiseaux. Ce voyage paradisiaque qui n’est pas sans danger, car qui peut si ce n’est l’homme orgueilleux prétendre affronter sans crainte la grande lumière, intense et éternelle. Sans avoir auparavant fait le parcours long et parsemé d’embuches, d’épreuves. Le Paradis ou son apparence est parfois insupportable à la nature humaine.
Digression : cela me rappelle un voyage en Autriche, j’étais passé par la Suisse qui faisait déjà transition dans la rigueur, la propreté et l’ordre, comparée à notre douce France. L’arrivée en Autriche surtout dans les montagnes m’a laissé, une impression de pureté à la fois belle et dérangeante. Une beauté monotone des paysages, associée à la rigueur des habitants. Une netteté en toutes choses, engendrant paradoxalement un manque d’humanité. La perfection devient parfois tellement angoissante, qu’elle retient jusqu’aux sourires. Cette immersion dans des eaux trop pures est presque irréelle. Il faut s’habituer, se métamorphoser pour entrer au Paradis. Je ressens aussi cette émotion à l’écoute d’une musique cristalline trop pure, comme une sorte de tristesse du beau. La naissance de ce monde a-t-elle eut lieu à Hallstatt le berceau des Celtes.
Fin de digression, le Paradis de Dante est initiation aux vertus théologales que sont la foi, l’espérance et la charité. L’alchimie est présente dans cette initiation avec les trois saints : Pierre de l’église exotérique, Jacques le patron de la voie alchimique et Jean celui de l’église ésotérique.
La lumière traverse le corps de l’homme et le transforme elle atteint son cœur et son âme. C’est une progression du terrestre au céleste, du profane au sacré, des ténèbres à la lumière, cette route vers le Paradis de Dante est une véritable cosmologie Céleste, un voyage dans la nuit lumineuse des étoiles. Nous chevauchons des constellations, nous sommes imprégnés de lumière, émerveillés, nous sommes dans une sorte d’allégresse, c’est comme le premier vol d’un jeune oiseau sorti de son nid, une découverte sans mémoire, on n’avait jamais vu quelque chose d’aussi beau, tout soudain est Paradis, il n’y a plus d’Enfer ou de Purgatoire.
Nous n’avions pas la mémoire de telles merveilles ou cette mémoire était cachée dans notre inconscient personnel, et elle a été révélée par l’inconscient collectif. Jacqueline Risset la traductrice de la ‘Divine Comédie’ a écrit à ce sujet :
« On peut comprendre le ‘Paradis’ et toute la Comédie comme un Art de la Mémoire composé sur le modèle de ceux qu’à décrit Frances Yates : comme une grande transposition spatiale des peines et des récompenses destinées a fixer dans l’esprit des mortels le différents modes de leur sort futur (….) Dante en écrivant la Comédie, fait œuvre utile, et la mémoire est pour lui faculté de l’âme, est non seulement l’ensemble des traces, des expériences passées, elle est aussi le dépôt pour l’inspiration, la réserve d’images sur laquelle l’imagination s’exerce.»
Digression ou pas : cela me rappelle le travail remarquable sur l’Art de la mémoire dans la fondation de la Franc-Maçonnerie spéculative réalisé par Charles-Bernard Jameux, voir ses deux livres L’Art de la Mémoire et la formation du symbolisme maçonnique et Franc-Maçonnerie : temps, mémoire, symboles, les deux parus cher Dervy Éditions.
Fin de digression ou pas, la lumière du Paradis n’est accessible que de manière indirecte par le symbolisme des images, cela rappelle la méthode maçonnique du symbolisme, de la découverte du sacré, derrière les secrets. Des idées derrière les symboles, la mise en contact de l’initié dans sa loge mère, celle qui le nourrit spirituellement, avec la représentation des symboles qui agissent sur son imagination, véritable maïeutique, discours entre les symboles et l’imagination du postulant à la connaissance.
Le poème de Dante est comme un vase rempli d’images symboliques, un récipient spirituel, il agit comme un guide vers la lumière. À l’instar du tableau de loge dévoilé, du bas vers le haut, des marches de l’entrée de la loge, jusqu’au delta lumineux. Ce tableau est comme le lait maternel de la loge mère donné au jeune initié qui a soif et faim. Suivant l’injonction : donnez à boire à ceux qui ont soif ! Et donnez à manger à ceux qui ont faim, le vin de la connaissance et le pain nourriture de l’esprit.
La nourriture du Paradis de Dante, comme dans les meilleurs contes initiatiques est l’amour.
CHANT- I – Le Paradis Extraits
« Dans le ciel qui prend le plus de sa lumière je fus, et vis des choses que ne sait ni ne peut redire qui descend de là-haut ; car en s’approchant de son désir notre intellect va si profond que la mémoire ne peut l’y suivre. Vraiment tout ce du Saint Royaume dont j’ai pu faire trésor dans mon âme sera désormais matière de mon chant. »
(*notes de Jacqueline Risset : qui prend le plus de lumière, l’empyrée, le ciel qui est étymologiquement, le feu)
(* Désir : Dieu est l’ultime désirable.)
Le mot étoile, est le dernier mot du 33ème chant du Paradis comme du Purgatoire et de l’Enfer. C’est la quête de l’inaccessible étoile qui met en marche l’initié au-delà de lui-même, plus loin, plus haut.
Jusqu’au bonheur de dire : j’ai vu l’étoile flamboyante ! Il lui reste à découvrir le secret de ce qui est au centre de l’étoile.
Jean-François Guerry.
Source : La Divine comédie Le Paradis de Dante.
Notes : avec * de Jacqueline Risset traductrice de l’œuvre.
À lire en poche GF FLAMMARION Texte original bilingue traduction de Jacqueline Risset 3 vol au Prix de 10 € chaque Vol.
C’est la vie, c’est la vie du troisième monde, le monde intermédiaire, le Purgatoire de Dante. La sortie de l’Enfer où nous aurions été mis suite à la chute, la faute originelle de nos parents et que nous serions irrémédiablement tous condamnés à payer jusqu’à la fin des temps. Dante avec son Purgatoire, a-t-il mis fin, à cette dictature du choix entre le bien et le mal, ce manichéisme dogmatique. Du choix qui n’en n’est pas un, qui se hasarderait à dire ouvertement qu’il choisit le mal contre le bien, quoique !
Le Purgatoire, s’est l’ouverture vers la lumière, vers l’homme des lumières.
(* Tombant des cieux l’ange rebelle Lucifer est allé se loger au centre de la planète, ouvrant ainsi l’entonnoir qui servira d’Enfer. La masse de terre déplacée par cette chute forme une montagne qui s’élève sur la mer de l’hémisphère sud inhabité, cette montagne qui est une île, est le Purgatoire. ( Jacqueline Risset introduction au Purgatoire de Dante)
Au sommet de cette île est le paradis terrestre.
Les hommes volontaires, prennent le chemin qui monte à la couronne qui surplombe la terre. Ils devront maîtriser leurs passions et pratiquer la vertu pour espérer atteindre la couronne du sommet, de ce monde intermédiaire entre terre et ciel. Les âmes courent le long du fil à plomb entre le centre du temple et la voûte céleste ou sur l’échelle mystérieuse.
Le Purgatoire de Dante est donc le monde des hommes, la terre des métamorphoses, le lieu de passage entre le mal et le bien, entre l’extérieur et l’intérieur, le lieu des alternances entre ombre et lumière. Le Purgatoire est aussi un chemin vers le sacré, la voie du passage de l’horizontale à la verticale, le chemin de son soi, le regard vers l’intérieur. Voyez et méditez !
C’est un chant qui monte, qui s’incarne, une création du beau, une tension vers la vérité. Que cherchez-vous ? La Lumière. Comment y parvenir en pratiquant les vertus et en fuyant les vices. L’homme aspire à se vêtir d’ailes pour s’élever dans l’azur. Il veut sortir du labyrinthe de la nuit, il cherche le fil d’Ariane, le plan de l’architecte, véritable Icare il rêve de percer les secrets voilés derrière les nuages.
Mais a-t-il définitivement vaincu son orgueil ? Son corps est-il assez léger ? Son âme assez pure et fine ?
Dante figure l’homme dans son ascension de la montagne sur la corniche des orgueilleux, il lui faudra trouver le chemin de l’humilité et de l’intelligence du cœur. L’homme devra passer plusieurs fois dans le feu régénérateur devenir un véritable phénix. Il atteindra le bonheur terrestre celui de l’amour en montant sur les ailes du pélican.
Pour Dante le bonheur complet est l’alliance du bonheur terrestre et du bonheur céleste.
Au moment où nous allons retrouver la joie de nous asseoir sur la plage au petit matin pour voir le soleil se lever, rouge du feu purificateur, au moment où la terre se fait paradis pour les hommes.
« Douce couleur de saphir Oriental qui accueillait dans le serein aspect de l’air pur jusqu’au premier tour, recommença avec délice à mes regards dès que je sortis de l’air mort qui m’avait assombri le visage et le cœur.
La belle planète qui invite à aimer faisait sourire tout l’Orient en voilant les Poissons qui l’escortaient.
Je me tournai à main droite, attentif à l’autre pôle, et je vis quatre étoiles jamais vues, sinon par les premiers regards.
Le ciel semblait se réjouir de leurs flammes. »
(* Extrait des notes de Jacqueline Risset traductrice. En voilant les Poissons Vénus couvre de sa lumière la constellation des Poissons deux heures avant le lever du soleil.)
C’est le passage des ténèbres à la lumière, les yeux sont désilés, le bandeau tombe, l’on peut voir l’Orient.
(*Les premiers regards figurent les 4 vertus cardinales (prudence, justice, force, tempérance) les premiers regards sont aussi ceux d’Adam et Êve)
Avec le lever de la lumière, le déchirement du voile des apparences, apparaît la nécessité de la pratique des vertus.
« Je vis près de moi un vieillard solitaire digne de son air plein de révérence (…) Qui êtes-vous qui remontant le fleuve aveugle avez fui la prison éternelle ? »
(* le vieillard est ici Caton d’Utique grand défenseur de la république.)
L’on peut y voir le Vénérable Maître interrogeant le postulant à sa sortie des ténèbres du cabinet de réflexion et désireux de recevoir la lumière.
« Mon guide alors me prit aux épaules et par voix et par mains et par signes rendit humbles mon front et mes genoux. »
Le postulant aux mystères est accompagné par l’expert, les mots, les gestes lui sont révélés genoux à terre, il effectuera son premier travail.
« Comment je l’ai tiré serait long à te dire ; d’en haut descend une vertu qui m’aide à le conduire…. »
Cette vertu est-elle incarnée dans le principe du GADLU ?
« Qu’il te plaise d’approuver sa venue il cherche liberté qui est si chère… »
« Où tu laisseras l’habit… »
L’habit est ici le corps matière.
« Va donc, et entoure cet homme d’un jonc très lisse, et lave son visage, pour effacer toutes ses taches ; il ne conviendrait pas l’œil voilé par quelque brume d’aller devant le haut, qui est des gens de Paradis. »
L’homme qui vient des ténèbres et qui entreprend son chemin initiatique, il doit se purifier, se laver par l’eau de toutes ses taches. Sans cette préparation, cette purification, ce vide, il ne pourrait entreprendre cette montée vers le sacré, le céleste. Il se doit d’être humble, cette humilité est figurée par sa vêture, poitrine dénudée, un pied nu, yeux bandés, ni-nu, ni-vêtu. L’humilité est symbolisée ici par le jonc.
La canne des compagnons, était autrefois faite en jonc, en mémoire sans doute de Maître Jacques qui aurait trouvé refuge dans un marais. Le jonc peut être assimilé aussi au roseau qui plie mais ne rompt pas. À l’humble bâton du pèlerin de Saint-Jacques, au roseau qui fut remis à Judas comme un sceptre en signe de dérision. Ce jonc qui pousse dans les eaux primordiales est aussi symbole de purification.
« Cette petite île, tout autour, tout au bord, là-bas où les vagues frappent, porte des joncs sur sa vase molle ; nulle autre plante, portant feuillage ou tronc épais, ne peut y vivre, parce qu’elle ne sait y seconder les chocs. »
Ces vers renouvellent l’importance de l’humilité, qui fait pousser de magnifiques fleurs spirituelles à l’instar du lotus qui pour dans « la vase molle » des eaux fétides et pourtant orne la partie la plus haute des colonnes du temple leurs chapiteaux.
L’homme en chemin…
« Quand nous fûmes là où la rosée lutte avec le soleil… (…) Là selon le vouloir d’un autre il me ceignit oh merveille ! Telle il avait choisi l’humble plante, et telle elle renaquit, là où il l’avait cueillie aussitôt. »
Ainsi se termine le chant I du Purgatoire de Dante qui en comporte trente trois, véritable conte initiatique, alchimique, propice à mettre en œuvre la métamorphose de l’être intérieur.
Notre monde n’est donc pas l’Enfer, ni le Paradis au sens commun, mais de monde intermédiaire ce Purgatoire monde transitoire en évolution constante. Monde de l’espace temps de la vie humaine microscopique et infini grand par l’esprit, monde du perfectionnement de l’homme, qui peut par son travail, par une succession d’épreuves, de passages, de portes franchies, vers le bien atteindre ce qu’il croyait impossible la joie du cœur. Peut-être pas le bonheur, mais la vie saine purgée des scories encombrantes et inutiles à force de polir sa propre pierre. Atteindre ce lieu indescriptible ou l’âme vit en harmonie avec notre corps. Cette révélation est une apocalypse terrestre vécue ici maintenant, c’est pas l’Enfer, c’est pas le Paradis est-ce un Purgatoire ?
Jean-François Guerry.
Sources : ‘La Divine Comédie’ Le Purgatoire. De Dante.
Notes : avec les * sont de Jacqueline Risset la traductrice de la Divine Comédie.
Quand l'escalier, monté en courant, fut tout entier au-dessous de nous, et que nous nous trouvâmes à la dernière marche, Virgile arrêta ses regards sur moi
et me dit : "Tu as vu, mon fils, le feu qui n'a qu'un temps et le feu éternel, et tu es arrivé en un lieu où, par moi-même, je ne vois pas plus avant.
Je t'ai conduit jusqu'ici par ma science et mon art; prends désormais ton plaisir pour guide; tu es sorti des chemins ardus et étroits.
Vois là-bas le soleil qui luit sut ton front; vois l'herbe tendre, les fleurs et les arbustes qu'ici la terre produit d'elle-même.
Jusqu'à ce que viennent, pleins de joie, ces beaux yeux qui en pleurant m'ont fait venir à toi, tu peux t'asseoir, tu peux errer parmi ces plantes.
N'attends plus de moi ni paroles ni gestes : ton jugement est libre, droit et sain, et ce serait une faute de ne pas agir à son gré;
c'est pourquoi je te donne sur toi-même la couronne et la mitre."
J'ai vu déjà, au lever du jour, le ciel paraître à l'orient tout rose, et par ailleurs teinté d'un bel azur,
et la face du soleil alors naître voilée, de sorte que les yeux pouvaient supporter longtemps son éclat tempéré par les vapeurs;
de même, dans un nuage de fleurs, qui, des mains des anges, montait et retombait sur le char et tout autour, couronnée d'olivier sur un voile blanc, une dame m'apparut en manteau vert, vêtue d'une robe couleur de flamme ardente.
Ce n’est pas l’enfer, ce n’est pas le paradis, c’est ma vie. Ce n’est pas du volcan sicilien Salvatore Adamo que je vais vous parler. Mais d’un autre poète italien plus ancien Durante Degli Alighieri, dit Dante. Il est à l’Italie, ce que Cervantès est à l’Espagne, le père de la langue. Ce florentin s’est rendu célèbre grâce à son poème La Divine Comédie. Il fut aussi un homme politique, il a appartenu au courant des guelfes favorables au Pape en opposition aux gibelins favorables à l’empereur.
Dante fut un ésotériste, sa muse réelle ou imaginaire est connue sous le nom de Béatrice, il la rencontre alors qu’elle n’avait que neuf ans. L’on pense qu’elle fut l’inspiratrice de sa Divine Comédie. Un rapport a été fait entre ses neuf ans lors de leur rencontre, et les neuf cercles de l’enfer, et les neuf sphères de son Paradis, précédé par les sept gradins du purgatoire. Béatrice aurait été sa guide sur ce chemin initiatique.
Dante a enrichi son poème avec des images, des figures mythiques de l’antiquité ainsi que des personnalités de son temps.
Ce poème est un fil d’Ariane, dans un labyrinthe qui va des ténèbres de l’Enfer au monde intermédiaire du Purgatoire, jusqu’au monde céleste du Paradis. Des secrets voilés de la vie terrestre au sacré qui ouvre la porte de l’âme. C’est un parcours de vie qui mène à l’empyrée, là où règne le feu céleste, régénérateur, dans cette sphère cosmologique de l’antiquité grecque et chrétienne.
Cette allégorie ne peut qu’ouvrir la porte de l’imaginaire du cherchant en quête de lumière. Le poème est un cantique en trois parties : Enfer, Purgatoire, Paradis. L’on peut oser un rapprochement avec le Cantique des Cantiques attribué au Roi Salomon, qui au premier degré apparaît comme une succession d’odes à l’amour sensuel, ou est-ce l’amour de l’âme de l’être intérieur. La comparaison peut-être faite aussi avec le Cantique des Oiseaux du poète et soufi persan Farid- al- Din Attar, poème de 4500 distiques, qui nous mène jusqu’à l’illumination en suivant la huppe oiseau symbolique du Roi Salomon.
Revenons à l’Enfer de Dante, il est composé de 34 chants, suivi par les 33 chants du Purgatoire et se termine par les 33 chants du Paradis. Formant un ensemble de 100 chants, nombre symbolique 1, de l’unité.
L’Enfer est représenté par un cône descendant composé de neuf cercles jusqu’au Cocyte le lac souterrain où se trouve Lucifer prince des ténèbres. Cette spirale descendante est une caverne souterraine, véritable cabinet noir, cabinet de réflexion, le voyage souterrain est un passage obligé pour pouvoir remonter vers la lumière par une spirale ascendante.
Ouvrons les yeux sur des extraits du chant I du poème de l’Enfer, cherchons les correspondances, avec le chemin initiatique. Début du chant :
« Au milieu du chemin de notre vie.. »
(* notes de Jacqueline Risset traductrice du poème : Suivant Dante et Isaïe, notre vie humaine dessine un arc dont le centre le point culminant est l’âge de 35 ans, c’est à cet âge que Dante fit un voyage à Rome.)
Vu au travers du prisme maçonnique on peut y voir le midi de la vie, le moment favorable où l’on fait le point sur son passé, et où l’on envisage de donner un sens à sa vie. C’est le milieu de la vie humaine.
« Je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue.»
(* au sens allégorique les vices et l’erreur, période d’égarement moral et intellectuel.)
Je dirais la période de la vie ou la matière domine l’esprit. Où l’équ…est encore sur le comp..
« Elle est si amère que mort l’est à peine plus ! (…) Je ne sais pas bien redire comment j’y entrai tant j’étais plein de sommeil en ce point où j’abandonnai la voie vraie. »
Le poète est là dans un état d’errance, de sommeil spirituel, ses yeux sont voilés, son esprit plongé les profondeurs des ténèbres. Il a abandonné la voie vraie. Cela me rappelle le psaume 137 qui évoque l’exil à Babylone, écrit sur le rideau qui dissimule l’arche :
« Si je t’oubli Jérusalem, que ma main droite se dessèche. » La droite sera jetée par-dessus l’épaule, ce psaume est repris dans certaines cérémonies maçonniques. Dans la main droite l’on peut voir la voie vraie et juste, la voie spirituelle.
« Je regardai en haut et je vis ses épaules vêtues déjà par les rayons de la planète qui mène chacun droit par tous ses sentiers. »
La planète est ici le soleil, les rayons sont des rayons de lumière et feu, ils indiquent le chemin de la lumière.
« Je repris mon chemin sur la plage déserte, et le pied ferme était toujours plus bas que l’autre. »
(* le pied ferme est le pied gauche, alourdi et empêché par les passions humaines. Au Purgatoire, la marche sera de plus en plus légère et rapide. Au Paradis Dante volera.)
Un parallèle peut être fait avec la marche gauche, malhabile, trainante de l’apprenti maçon, il est demi vêtu par la lumière encore pâle, il est normal que son pas soit lourd, il vient à peine de sortir des ténèbres. Puis viens la marche du compagnon il a vu la lumière de l’étoile, il est capable de faire des pas de côté, de voyager sur toute la surface de la terre. Enfin celle du maître qui s’élève au-dessus du cadavre et se dirige vers le centre après avoir dominé ses passions, il est capable de se situer entre la matière et l’esprit.
« C’était le temps où le matin commence, et le soleil montait avec toutes étoiles (…) »
(*on pensait au Moyen Âge que le monde avait été crée et le ciel mis en mouvement au début du printemps. En 1300 l’équinoxe de printemps tombait le 12 mars. Toutes ces étoiles sont celles de la constellation du Bélier.)
Quand le soleil monte, c’est le point du jour, et la grande lumière commence à paraître. Le printemps annonce le renouveau. Le Bélier porteur du feu solaire est la force régénératrice, force de la vitalité du printemps.
Puis, viens dans le poème, le Lion de l’orgueil (45), et la Louve amaigrie de l’avarice (48).
« Tandis que je glissais vers le bas lieu, une figure s’offrit à mes regards, qu’un long silence affaiblie. Quand je la vis dans le grand désert, ‘Miserere de moi’. »
(* (…) la raison lorsqu’elle s’est tue pendant longtemps, a du mal à se faire entendre. Celui qui à cause du long silence du soleil, c’est-à-dire pour l’obscurité du lieu, apparaît indistinct à la vue.)
On ne sort pas aussi facilement des ténèbres, cela demande un long travail de préparation pour être en capacité d’affronter la lumière, il convient d’être prudent de se protéger le visage avec la main droite, glaive en main gauche ou en montant sur la montagne au stade ultime du perfectionnement une main doit encore nous protéger de la lumière ardente du buisson. Ou les mains levées vers le ciel, vers la voûte e sacrée. Il faut connaître les gestes et les paroles, et rester humble devant la lumière. Les chrétiens l’expriment ainsi, je ne suis pas digne de vous, mais dites seulement une parole et je serais guéri, car ils ont la foi et la volonté du bien.
« (en parlant de la bête) et quand elle est repue elle a plus faim qu’avant. (…) jusqu’au jour où viendra le lévrier, qu’il la fera mourir dans la douleur.
Lui ni terre ni métal ne le nourrira, mais sagesse, amour et vertu, et sa nation sera entre feltre et feltre. »
L’on imagine ici la bête comme la barbarie toujours assoiffée du sang de la vengeance. Puis vient le chien-guide de celui qui ne voit pas, le chien le conduit à la caverne, vers l’épreuve là où il y a une source, ce chien n’est pas fait des vils métaux, il apporte les vertus de la justice, de la sagesse, de l’amour. Cela rappelle certains degrés de l’initiation maçonnique dits de vengeance ou mieux d’élection, mettant en scène un chien, une source et une caverne. La conclusion la nation entre feltre et feltre, ce feltre est un humble tissu de feutre, la lumière est dissimulée sous un modeste voile, que l’on ne peut lever qu’avec une sincère humilité.
Voilà quelques réflexions sur le chant I de l’Enfer de Dante qui en comporte 34, c’est dire la puissance révélatrice de ce poème qui est venu habiter depuis 1300 l’imagination de nombreux artistes poètes, écrivains comme Honoré de Balzac avec sa Comédie Humaine, Lautréamont et ses Chants de Maldoror, musiciens comme Rossini et Liszt, peintres comme Botticelli ou Domenico di Michelino, metteurs en scène de théâtre, de cinéma et même de jeux vidéos.
Espérant que ces quelques lignes vous incite à plonger dans l’Enfer, puis le Purgatoire et enfin le Paradis, cette trinité est un peu l’histoire de notre vie. C’est ma vie…chante Salvatore.
Jean-François Guerry.
Sources : Dante « La Divine Comédie L’Enfer. » Traduction de Jacqueline Risset.
Notes : le notes avec * sont de Jacqueline Risset.
La première question est qu’est-ce que c’est ? La deuxième question est comment ça marche ? La troisième question est pourquoi ?
L’initiation maçonnique n’échappe pas à ces trois questions, la réponse aux trois questions est contenue dans la deuxième, c’est une marche. Les marcheurs sont des demandeurs, des chercheurs, au début leur longue marche, ils ne savent pas pourquoi, ils marchent, mais ils ont l’intuition qu’ils vont le découvrir en marchant.
La marche maçonnique, porte le nom d’initiation, cette marche est à la fois horizontale et verticale, c’est une marche sur la terre, c’est aussi une marche sur les barreaux de l’échelle, c’est une marche descendante, horizontale et ascendante. Une succession de pas ordonnés, de la naissance de la lumière à son déclin, du zénith au nadir.
Comme toute marche il faut une préparation, il faut être capable de faire cette marche, être dans un état de désir, mais aussi de réceptivité pour connaître les pas, cela va bien au-delà d’une simple curiosité, la marche maçonnique n’est pas anodine elle aura des conséquences sur toute notre vie. Le plus souvent il est nécessaire d’avoir un bâton de pèlerin pour accomplir cette marche, ce premier bâton est notre parrain. C’est celui qui nous a vu le premier à la recherche d’un chemin, il nous a proposé une direction, quand il a jugé le moment opportun. Ce moment arrive souvent quand l’horloge de la vie sonne les douze coups de midi, quand il est midi plein, il est temps de commencer la marche. L’on sent les douze coups résonner dans notre horloge interne, l’œil du cœur s’ouvre.
Alors l’on fait les premiers pas, comme l’enfant qui marchait avec ses quatre membres, l’on se redresse et l’on avance en titubant, le sourire aux lèvres, puis dans un éclat de joie, on se dirige vers sa mère, sa loge mère. On est comme l’amoureux plein de désir, qui marche vers sa bien-aimée pour faire sa demande en tremblant. L’on sait que le voyage sera long, qu’un seul pas, ne suffira pas. Mais, nous avons bien réussi, à sortir du cabinet noir des ténèbres, alors tous les espoirs sont permis.
En confiance nous suivons un frère plus expert, les yeux voilés, nos pas sont imprécis, mais qui peut prétendre marcher sans voir, même les aveugles ont besoin d’une cane, malgré le développement de leurs sens.
Après le tumulte des premiers voyages, l’on apprend la marche, non sans avoir auparavant mis de l’ordre en soi et être capable de garder cet ordre dans son cœur. Les pas de trois sont hésitants, les pieds trainent, faire trois pas à la suite en avant est presque un exploit, au regard de ceux qui font constamment un pas en avant et un pas en arrière. Surtout lorsque nous n’avons reçu qu’une faible lumière, que nous sommes sous la pâleur de la lune, dans le froid du nord. Mais nous ne sommes plus dans les ténèbres puisque nous avons reçu la lumière.
La longue marche se poursuit vers le midi, vers le zénith, vers la lumière qui éclaire toute la surface de la terre, guidé par l’étoile qui flamboie dans la voûte. Rassurés nous pouvons faire des pas de côté, comme l’adolescent qui apprend à se connaître, et veut découvrir le monde, il part avec son bissac rempli de ses rêves, il part pour les terres inconnues, infinies. En force il est entré dans la vie, il veut construire son plus beau chef-d’œuvre, sa vie. Il marche sa main droite sur le cœur, et la gauche vers la lumière ; il passe entre les colonnes et entre dans le temple sacré de la vie. Il voit plus loin, plus haut, il entend résonner les battements de son cœur, il sent les parfums odorants qui montent, il goute le nectar, la boisson des dieux, sa main touche la pierre qu’il va polir, sculpter puis déposer à sa juste place. Il est au midi.
Compagnon il partage le pain avec ses frères de tous les orients, s’enrichit de leurs différences et reviens chez lui les yeux remplis des merveilles de la nature, après une longue marche vers l’étoile.
Instruit dans tous les arts, il répète les premiers pas la gorge serrée, puis la main sur le cœur il enjambe le cadavre de ses certitudes passées, déjà il s’était levé, il se relève encore pour un départ plus radieux que jamais, ses pas forment un arc dans le ciel, il a fait alliance avec ses sœurs, ses frères, avec le beau, le bien, l’unique. La lumière l’illumine maintenant il est parvenu au centre de lui-même. Il fait silence, il écoute le langage des oiseaux dans les vallées, il suit la huppe de Salomon, il a choisi son camp celui des hommes justes et bons, il monte jusqu’au sommet de l’échelle mystérieuse, puis redescend vers sa planète bleue, pour refaire avec ses sœurs et ses frères, les premiers pas humblement.
Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé, Ils m'ont porté de l'école à la guerre J'ai traversé sur mes souliers ferrés, Le monde et sa misère. Moi, mes souliers...
Moi, mes souliers ont beaucoup voyagé,
Ils m’ont porté de l’école à la guerre
J’ai traversé sur mes souliers ferrés,
Le monde et sa misère.close
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Moi, mes souliers ont passé dans les prés, Moi, mes souliers ont piétiné la lune, Puis mes souliers ont couché chez les fées Et fait danser plus d’une.
Sur mes souliers y a de l’eau des rochers, D’la boue des champs et des pleurs de femmes, J’peux dire qu’ils ont respecté le curé, L’pays, l’bon Dieu et l’âme.
S’ils ont marché pour trouver l’débouché, S’ils ont traîné de village en village, Suis pas rendu plus loin qu’à mon lever, Mais devenu plus sage.
Tous les souliers qui bougent dans les cités Souliers de gueux et souliers de reine, Un jour cesseront d’user les planchers, Peut-être cette semaine.
Moi, mes souliers n’ont pas foulé Athènes, Moi, mes souliers ont préféré les plaines; Quand mes souliers iront dans les musées, Ce s’ra pour s’y, s’y accrocher.
Au paradis, paraît-il, mes amis, C’est pas la place pour les souliers vernis, Dépêchez-vous de salir vos souliers Si vous voulez être pardonnés...(Bis)
Puisqu’il faut souscrire à la tendance, surfer sur la vague, qui veut séparer le monde d’avant du monde d’après, l’ancien monde du nouveau monde, en tant que baby boomer je dis ok chiche !
Les francs-maçons dès leur initiation sont invités à tuer le vieil homme, pour devenir un homme tout beau, tout neuf, plus fraternel, plus solidaire. Sont-ils dès lors différents, pas si sûr car le chemin est long de la métamorphose de l’être, de la conversion du regard, sur nous-mêmes, les autres et toutes les choses de la vie.
On parle beaucoup dans les loges et en dehors de la fraternité indispensable à la survie de l’espèce humaine, la fraternité se cultive c’est une belle plante, mais elle exige des soins attentifs et quotidiens, pour espérer la voir fleurir et plus encore donner des fruits, ces fruits sont la solidarité, ils sont l’aboutissement concret de la fraternité.
J’ai en mémoire un épisode de ma vie maçonnique où j’ai participé avec mes frères à la construction d’un temple matériel. À cette occasion j’ai pu mesurer avec la règle la solidarité à l’œuvre, et aussi l’ouverture du compas du cœur. J’ai vu Loïc l’architecte, Pierre le maître d’œuvre, les artistes décorateurs Claude et Firmin, les généreux donateurs comme Yves, sans oublier tous ceux qui venaient pendant leurs week-ends des orients les plus éloignés pour prêter main-forte, j’ai vu des chefs d’entreprise surbookés revêtir la tenue de leurs ouvriers comme Christian. J’ai vu aussi la patience des épouses sacrifier les week-ends en famille. J’ai vu les plus anciens, parfois les plus actifs sur le chantier comme Raymond. Tous mettaient du cœur à l’ouvrage, tous étaient solidaires.
Et puis il y avait les autres, les éternels excusés, ces frères que nous avons du mal à reconnaître comme tels. Ils ne ménageaient, pas leurs remarques, leurs critiques, leurs conseils avisés, leurs prétextes pour se soustraire à leur devoir de fraternité et de solidarité. Les réflexions allaient bon train, la meilleure d’entre elles, qui me reste en mémoire est celle d’un groupe de frères enjambant les matériaux du chantier pour se rendre à une réunion dans un bureau que nous leur avions aménagé. Ces frères s’interrogeaient sur l’identité des ouvriers capables de travailler pendant le week-end. J’étais alors avec mon Grand Maître Provincial les genoux à terre en train d’effectuer la pose du carrelage dans la salle des agapes ! Ils ne nous avaient pas reconnus comme tels, cela nous as bien fait rire. Nous étions redevenus des maçons opératifs, nous étions heureux.
Je formule le souhait que dans le monde d’après, il y ait plus d’ouvriers que de cadres. Un de mes frères Yannick passé à l’orient éternel, avait développé la charcuterie familiale jusqu’à en faire une grande entreprise de salaison. Il m’expliquait un jour à son grand regret que dans son entreprise il y aurait bientôt trois cadres pour surveiller et organiser le travail d’un ouvrier sur la tête duquel repose la production, il ne forçait pas le trait. Il me disait encore que le pire était que tous ces cadres étaient solidaires pour faire que le travail de leur ouvrier soi de plus en plus performant et rentable.
Yannick avait aussi des rapports tendus et déséquilibrés avec les centrales d’achat de la grande distribution, qui attendaient la parution des bilans annuels de son entreprise, pour voir si son bénéfice avait augmenté, pour faire pression sur lui, afin d’acheter moins cher ses produits. Déclenchant ainsi indirectement une pression sur ses ouvriers et sur les éleveurs, belle chaine de solidarité !
Le monde d’après a donc beaucoup à faire en matière de solidarité, pour ne pas s’arrêter simplement à des discours pavés de bonnes intentions, des formules creuses, vident de sens et d’actes concrets.
Nous sommes collectivement concernés par cette épreuve de solidarité.
Puisqu’il faut souscrire à la tendance, surfer sur la vague, qui veut séparer le monde d’avant du monde d’après, l’ancien monde du nouveau monde, en tant que baby boomer je dis ok chiche !
Les francs-maçons dès leur initiation sont invités à tuer le vieil homme, pour devenir un homme tout beau, tout neuf, plus fraternel, plus solidaire. Sont-ils dès lors différents, pas si sûr car le chemin est long de la métamorphose de l’être, de la conversion du regard, sur nous-mêmes, les autres et toutes les choses de la vie.
On parle beaucoup dans les loges et en dehors de la fraternité indispensable à la survie de l’espèce humaine, la fraternité se cultive c’est une belle plante, mais elle exige des soins attentifs et quotidiens, pour espérer la voir fleurir et plus encore donner des fruits, ces fruits sont la solidarité, ils sont l’aboutissement concret de la fraternité.
J’ai en mémoire un épisode de ma vie maçonnique où j’ai participé avec mes frères à la construction d’un temple matériel. À cette occasion j’ai pu mesurer avec la règle la solidarité à l’œuvre, et aussi l’ouverture du compas du cœur. J’ai vu Loïc l’architecte, Pierre le maître d’œuvre, les artistes décorateurs Claude et Firmin, les généreux donateurs comme Yves, sans oublier tous ceux qui venaient pendant leurs week-ends des orients les plus éloignés pour prêter main-forte, j’ai vu des chefs d’entreprise surbookés revêtir la tenue de leurs ouvriers comme Christian. J’ai vu aussi la patience des épouses sacrifier les week-ends en famille. J’ai vu les plus anciens, parfois les plus actifs sur le chantier comme Raymond. Tous mettaient du cœur à l’ouvrage, tous étaient solidaires.
Et puis il y avait les autres, les éternels excusés, ces frères que nous avons du mal à reconnaître comme tels. Ils ne ménageaient, pas leurs remarques, leurs critiques, leurs conseils avisés, leurs prétextes pour se soustraire à leur devoir de fraternité et de solidarité. Les réflexions allaient bon train, la meilleure d’entre elles, qui me reste en mémoire est celle d’un groupe de frères enjambant les matériaux du chantier pour se rendre à une réunion dans un bureau que nous leur avions aménagé. Ces frères s’interrogeaient sur l’identité des ouvriers capables de travailler pendant le week-end. J’étais alors avec mon Grand Maître Provincial les genoux à terre en train d’effectuer la pose du carrelage dans la salle des agapes ! Ils ne nous avaient pas reconnus comme tels, cela nous as bien fait rire. Nous étions redevenus des maçons opératifs, nous étions heureux.
Je formule le souhait que dans le monde d’après, il y ait plus d’ouvriers que de cadres. Un de mes frères Yannick passé à l’orient éternel, avait développé la charcuterie familiale jusqu’à en faire une grande entreprise de salaison. Il m’expliquait un jour à son grand regret que dans son entreprise il y aurait bientôt trois cadres pour surveiller et organiser le travail d’un ouvrier sur la tête duquel repose la production, il ne forçait pas le trait. Il me disait encore que le pire était que tous ces cadres étaient solidaires pour faire que le travail de leur ouvrier soi de plus en plus performant et rentable.
Yannick avait aussi des rapports tendus et déséquilibrés avec les centrales d’achat de la grande distribution, qui attendaient la parution des bilans annuels de son entreprise, pour voir si son bénéfice avait augmenté, pour faire pression sur lui, afin d’acheter moins cher ses produits. Déclenchant ainsi indirectement une pression sur ses ouvriers et sur les éleveurs, belle chaine de solidarité !
Le monde d’après a donc beaucoup à faire en matière de solidarité, pour ne pas s’arrêter simplement à des discours pavés de bonnes intentions, des formules creuses, vident de sens et d’actes concrets.
Nous sommes collectivement concernés par cette épreuve de solidarité.
Les spectres évitaient la route où j'ai passé Mais la brume des champs trahissait leur haleine La nuit se fit légère au-dessus de la plaine Quand nous eûmes laissé les murs de La Bassée
Un feu de ferme flambe au fond de ce désert Aux herbes des fossés s'accroupit le silence Un aéro dit son rosaire et te balance Une fusée au-dessus d'Ablain Saint-Nazaire
Les spectres égarés brouillent leurs propres traces Les pas cent fois refaits harassent leur raison Des panaches de peur montent à l'horizon Sur les maisons d'Arras en proie aux chars Arras
Interférences des deux guerres je vous vois Voici la nécropole et voici la colline Ici la nuit s'ajoute à la nuit orpheline Aux ombres d'aujourd'hui les ombres d'autrefois
Nous qui rêvions si bien dans l'herbe sans couronnes La terre un trou la date et le nom sans ci-gît Va-t-il falloir renaître à vos mythologies On n'entend plus pourtant grincer les cicerones
Ô revenants bleus de Vimy vingt ans après Morts à demi Je suis le chemin d'aube hélice Qui tourne autour de l'obélisque et je me risque Où vous errez Malendormis Malenterrés
Panorama du souvenir Assez souffert Ah c'est fini Repos Qui de vous cria Non Au bruit du canon retrouvé Faux Trianon D'un vrai calvaire à blanches croix et tapis vert
Les vivants et les morts se ressemblent s'ils tremblent Les vivants sont des morts qui dorment dans leurs lits Cette nuit les vivants sont désensevelis Et les morts réveillés tremblent et leur ressemblent
A-t-il fait nuit si parfaitement nuit jamais Où sont partis Musset ta muse et tes hantises Il flotte quelque part un parfum de cytises C'est mil neuf cent quarante et c'est la nuit de Mai
Un lecteur du blog finistérien, me fait parvenir de sa retraite, la quatrième de couverture du livre de l’avocat fiscaliste Jean-Philippe Delsol paru sous le titre provocateur de L’éloge de l’inégalité. De quoi faire se retourner dans sa tombe Maximilien de Robespierre son confrère, et bien d’autres acteurs de la révolution française. Notre lecteur réagit sans doute à l’article du blog La devise et ses principes du 21 mai, travail proposé par la Loge KLEÎO de la GLAMF. J’avais déjà évoqué cet ouvrage le 02 février 2020 dans un article du Blog.
Il m’offre donc l’opportunité de revenir sur ce principe d’égalité, qui est plutôt un concept issu de l’esprit des lumières. Il est factuel d’observer son irréalité, sa perversion, ses limites. Nous ne pouvons en effet que prétendre à une tension vers, ce qui est déjà beaucoup. J P Delsol lui va plus loin jusqu’à prétendre que cette utopie est destructrice de la liberté.
La déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, considérée comme un texte fondamental de la révolution française, pour ma part je regrette que l’on n’y ait pas ajouté la déclaration des devoirs, mais l’époque ne s’y prêtait pas, qu’en serait-il d’ailleurs aujourd’hui ? Où le simple port d’un masque pour protéger les autres fait débat.
L’article premier de cette déclaration :
« Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. »
Ressemble plus à une déclaration d’intention qu’à une réalité. Sans faire de polémique, nous ne naissons pas égaux, ni de corps, ni d’esprit et c’est bien ainsi. Nous ne naissons pas non plus avec la même richesse matérielle. Qui peut raisonnablement expliquer à un jeune enfant né dans une dictature qu’il est libre, totalement libre, et qu’il possède les mêmes droits que celui qui naît dans une démocratie fut-elle un peu dégradée. Cet article premier reste donc un principe que l’on doit s’efforcer de réaliser ou pas comme le pense JP Delsol, en tout cas ne pas en faire l’alpha et l’oméga, la solution à tous nos problèmes.
L’auteur s’interroge pour savoir s’il faut absolument mettre en œuvre ce principe d’égalité, et s’il est, le gage de notre liberté. La tentation du dévoiement de ce principe, son exacerbation le transforme en une dictature de l’égalitarisme, qui serait le Graal, la résolution de tous nos problèmes, l’apaisement de notre société ?
Ce qui paraît simple est souvent complexe, ainsi cela suppose d’effacer, de réduire, d’anéantir toutes nos différences, pourtant vénérées par notre individualisme autre déviation de notre individualité. Ce sont les dictateurs qui rêvent de sujets asservis et égaux, l’état ne peut délivrer avec nos cartes d’identité, des passeports d’égalité.
« L’homme doit conquérir lui-même sa liberté. »
L’égalité comme la liberté ne peut être imposée. Réellement qui aspire à être totalement l’égal de l’autre, son clone.
Nous avons du mal à percevoir le fait que les inégalités se réduisent avec le temps, c’est un peu comme la température réelle et celle ressentie. Nous sommes persuadés que les inégalités se creusent, ou augmentent, l’augmentation de la fortune des plus riches, masque le fait que l’ensemble des pauvres à l’échelle de la planète diminue. Je reconnais que je serais incapable de vendre ces statistiques à un pauvre de Dehli, ou du Bangladesh, on ne se nourrit pas de statistiques.
Plus près de nous, l’égalité recherchée par exemple dans le domaine de l’éducation a-t-elle fait ses preuves ? Faut-il une dictature de l’égalité lire le passage de Tocqueville dans l’extrait du Figaro.
N’ya-t-il pas plus d’avantages dans la diversité que dans l’égalitarisme, la créativité n’est-elle pas tuée par l’égalité ?
Dans Contrepoints :
« C’est le dévoiement de l’égalité qui oblige à faire l’éloge de l’inégalité. »
La réalisation du rêve de l’égalité absolue serait mortifère. Il faut à mon sens une égalité des droits, et un bon usage de ces mêmes droits, c’est-à-dire une obligation de devoirs. Le désir d’égalité ne doit pas se transformer en envie d’égalité. Il faut distinguer plaisir et désir.
J’en reviens à l’avocat JP Delsol, il n’est pas étonnant qu’il se réfère à Montesquieu l’auteur de L’esprit des Lois et des Lettres Persanes. Charles Louis de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu issu d’une famille riche, n’a sans doute pas trop souffert du manque d’égalité. Son inégalité de naissance a été tempérée par le fait que ses parents lui ont choisi pour parrain, un mendiant de leur paroisse.
« Afin qu’il se rappelle toute sa vie que les pauvres sont ses frères. »
Son Esprit des lois qu’il mit plus de 10 ans à écrire et qui paraît à Genève en 1748, va enflammer Londres et Paris c’est une attaque frontale de la monarchie et de ses privilèges. Il prône la séparation des trois pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, nous sommes 41 ans avant 1789 !
L’égalité vue à travers le prisme maçonnique : rappellons que les francs-maçons doivent être des hommes libres, et qu’ils sont les amis des pauvres comme des riches pourvu qu’ils soient vertueux.
C’est donc bien les vertus qu’il faut défendre, plus que l’égalitarisme, il faut défendre la justice et la liberté. Il n’en reste pas moins que l’égalité a sa place avec la liberté et la fraternité. Il faut à mon sens se garder du nivellement par le bas de la société.
Le franc-maçon aspire au passage, de l’horizontale à la verticale, c’est le chemin de son élévation spirituelle. Pour cette réalisation il maniera l’épée de la justice et la truelle de la fraternité, l’envie d’être l’égal de l’autre, n’est ni un acte, ni une preuve d’amour fraternel.
Jean-François Guerry.
Jean-Philippe Delsol Avocat Fiscaliste
L’éloge de l’inégalité.
Dans le journal l’Opinion
« A vouloir libérer les hommes à leur place, l’État dévore ceux qu’il nourrit. À vouloir définir les conditions de la liberté réelle des hommes, l’État perd le sens des limites »
La question est de savoir si la liberté n’a pas besoin d’être soutenue pour s’exercer, si ceux qui ont plus ne doivent pas aider ceux qui ont moins pour leur permettre de disposer d’une liberté effective […]. Le « hic » de cette vision irénique au point d’être diabolique est qu’à vouloir […] libérer les hommes à leur place, l’État dévore ceux qu’il nourrit, il détruit l’homme dont l’être est par essence dans la liberté de découvrir et devenir ce à quoi il est appelé, dans une liberté qu’il doit acquérir par lui-même, à défaut de quoi elle ne serait plus sa liberté et ne lui permettrait plus d’être lui-même.
À vouloir définir les conditions de la liberté réelle des hommes, l’État perd le sens des limites, manque inéluctablement de discernement sous la pression de ceux qui s’habituent tant à recevoir qu’ils demandent à disposer de toujours plus […]. Le meilleur moyen de permettre à tous de disposer de libertés réelles est donc d’abord de leur en garantir le droit et de limiter autant que possible les entraves à leur exercice. Sauf bien entendu pour ceux qui n’en ont pas la capacité, que notre humanité commune conduit naturellement à assister avec le souci constant de les aider à recouvrer, quand c’est possible, l’autonomie qui leur permettra de prospérer par eux-mêmes.
A généraliser l’égalité des chances, elle deviendrait bientôt la version moderne et modérée de l’égalité des conditions, sous une forme respectable tout en portant en germe tous les dangers de l’égalitarisme niveleur. Car pour assurer une totale égalité des chances de tous à chaque instant, il faudrait nécessairement, sans y prêter attention peut-être, l’avènement d’un État omnipotent, intervenant sans cesse dans la vie de chacun. Et il ne serait pas admis que ceux auxquels était due leur chance n’obtiennent pas un revenu et un patrimoine équivalents à ceux...
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Les raisons du recul des inégalités de revenus dans le monde
Jean-Philippe Delsol publie "Eloge de l’inégalité" aux éditions Manitoba. L’auteur s insurge contre la doxa contemporaine qui voudrait que l’égalité soit la mesure de toute chose. L’égalité est devenue l’obsession maladive de notre monde tandis que la jalousie ordinaire le taraude pour faire de l’inégalité son bouc émissaire préféré. Extrait 1/2.
Les études les plus sérieuses montrent que la pauvreté régresse dans le monde en même temps que la liberté y progresse, et vice versa le cas échéant. C’est notamment ce qu’a mis en relief l’économiste d’origine catalane Xavier Sala-i-Martin en recueillant de nombreuses données pour évaluer la distribution des revenus des individus et son évolution. Il utilise le c oefficient de Gini pour comparer le niveau et la dispersion des revenus dans 191 pays sur les trente-cinq années précédant la crise de 2007-2008, soit la période 1970-2006. Et selon cet indicateur, il constate que les inégalités mondiales en termes de revenus sont passées de 0,676 en 1970 à 0,616 en 2006. Selon son analyse, l’extrême pauvreté, celle de ceux qui gagnent moins de 1 $ par jour (selon le critère alors en vigueur) a baissé de 80 % sur la période concernée.
La liberté fondée sur l’égalité de tous en droit crée inéluctablement de l’inégalité au profit de quelques-uns et, en même temps, plus d’égalité au profit de tous car elle éradique progressivement la misère. Le progrès économique, favorisé par la liberté d’initiative laissée aux entrepreneurs et l’ouverture de la société à la concurrence, a permis d’augmenter progressivement le niveau de vie des populations les plus modestes. Jean Fourastié a montré qu’il fallait encore 40 salaires horaires de référence (s.h.) pour acheter une paire de bas de soie en 1910 quand un tiers d’heure suffisait en 1976 pour payer un bas en nylon, que le kilogramme de sucre valait encore 7,10 s.h. en 1874 et seulement 0,23 en 1974, que le rendement du blé par hectare a plus que décuplé en deux cents ans et que le prix du blé a été divisé par 67. Ainsi, tandis que les bonnes années, vers 1700, un kilogramme de blé coûtait 3 s.h., en 2013, un kilogramme de pain baguette représentait environ 14 minutes de travail. « Le volume physique des biens et services consommés par le Français moyen, écrit-il, a augmenté, depuis 1800, au minimum, dans les proportions suivantes : pour les biens alimentaires (primaires), de 1 à 4 ; pour les objets manufacturés (secondaires), de 1 à 100 ; pour les biens et services tertiaires de 1 à 6.»
Ce mouvement de convergence des situations s’est accéléré au cours des dernières décennies. Depuis que les pays sous-développés sont plus ou moins sortis de la mouvance communiste, après que le Mur lui-même est tombé entre l’Est et l’Ouest en permettant à de nombreux pays de redécouvrir les chemins de l’initiative individuelle et du libre choix, la pauvreté s’estompe. Malgré des entraves récurrentes à la libération des sociétés de leur assujettissement à de fausses élites prévariquées, la misère recule partout, ou presque, dans le monde. De 1981 à 2012, le taux de pauvreté mesuré en dessous de 1,90 US$ (en parité de pouvoir d’achat 2011) par jour est passé de 80 % à 8 % en Asie du Sud, de 57 à 18 % en Amérique latine (Caraïbes incluses), de 23 à 5 % en Europe de l’Est et Asie centrale. Il est resté élevé en Afrique subsaharienne où il ne s’est réduit sur la période que de plus de 50 % à plus de 40 %. Le rapport 2015 de l’UNESCO sur son programme Éducation pour tous montre que le taux brut de scolarisation est passé de 33 à 54 % entre 1999 et 2012. Certes, le niveau de pauvreté mesuré pays par pays n’est pas toujours comparable. En établissant généralement le seuil de pauvreté par rapport au revenu médian du pays, les pauvres de certains pays seraient les riches d’autres pays. Ces dernières décennies, les inégalités de revenus ont augmenté entre les individus de certains États, comme en Chine ou en Inde par exemple, mais ont régressé dans d’autres et se sont réduites largement au niveau mondial comme entre nations.
Selon Sala-i-Martin, ces résultats sont confirmés par d’autres études et notamment par d’autres indicateurs statistiques sur les inégalités, comme l’indice Theil et les indices Atkinson. Sur le plan mondial, le niveau de vie des habitants les plus pauvres de la planète converge vers le niveau de vie des pays développés, de même que l’espérance de vie, les conditions sanitaires, la scolarisation et l’accès au confort des technologies modernes. Des données plus récentes le confirment également. En retenant le taux de pauvreté monétaire évalué par la Banque mondiale désormais à moins de 1,90 $ par jour, il ressort qu’en 2011 il y avait encore 897 millions de personnes vivant en dessous de ce seuil de pauvreté, soit 12,7 % de la population mondiale. C’était évidemment 897 millions de trop. Mais cela représente une réduction de deux tiers de la pauvreté depuis 1990, ce qui est considérable. D’ailleurs, à peine deux ans plus tard, en 2013, il apparaît, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale rendu public le 2 octobre2016, que le nombre d’individus vivant avec moins de 1,90$ par jour avait encore baissé à 800 millions, soit 100 millions de moins en deux ans. Dans 60 des 83 pays couverts par ce nouveau rapport pour suivre l’évolution de la prospérité partagée, le revenu moyen des 40 % les plus pauvres de la population a augmenté entre 2008 et 2013, malgré la crise financière. Un résultat significatif puisque ces pays représentent 67 % de la population mondiale. « Contrairement à une idée répandue, les inégalités dans le monde sont en recul constant depuis 1990 et, bien souvent, les inégalités au sein de la population d’un même pays refluent depuis 2008 », écrivent les auteurs du rapport. Ils observent également que les pays où les inégalités ont baissé le plusentre2008 et2013sontsouventceux qui ont le plus libéralisé leur économie dans cette période, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne.
Les conclusions de la Banque mondiale sont confirmées par les derniers chiffres du Census Bureau (l’équivalent de l’INSEE aux États-Unis)qui montrent une hausse du revenu médian aux États-Unis de 5,2 % en termes réels, tenant compte de l’inflation, entre 2014 et 2015, un record depuis 1967, date à laquelle le Census Bureau a commencé à publier cette statistique. À ce rythme-là, le revenu médian doublerait en seulement quatorze ans. De même, aux États-Unis on comptait, en 2015, 3,5 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté de moins qu’en 2014, soit une baisse de 1,2 point. Depuis, la richesse a continué d’augmenter pour tous sous cette présidence que tous décrient mais qui accroît la prospérité des États-Unis. En 2018, le PIB augmente de 4,2% en rythme annuel et le taux de chômage tombe à son plus bas niveau depuis 1969 : 3,7 % ! Celui des Noirs (afro-américains), est à 6 %, soit un record aussi. Sur les neuf premiers mois de l’année, 211 000 emplois ont été créés en moyenne, plus que les 182 000 en moyenne de 2017. Ceux qui accusaient le milliardaire Trump de faire des« cadeaux aux riches » se font beaucoup plus discrets : en réalité, les salaires du premier quintile de revenus – les plus pauvres – augmentent plus qu’ils ne le faisaient à la fin des années 1990. Les salaires les plus bas ont augmenté de 5 % en moyenne au deuxième trimestre 2018 et ceux des salariés non-diplômés de 6 % tandis que le salaire moyen ne gagnait « que » 2,8 % par rapport à l’année précédente (septembre 2017).
Extrait du livre de Jean-Philippe Delsol, "Eloge de l’inégalité", publié aux éditions
Le Figaro
Eloge de l’inégalité
C’est le siècle des Lumières qui … adopta l’idée que l’égalité est naturelle.
Jean-Philippe Delsol publie un ouvrage sous le titre provocateur de « Eloge de l’Inégalité », aux Editions Manitoba/ Les Belles Lettres. Il sort aujourd’hui en librairie. Nous vous en livrons ci-dessous un extrait de l’introduction en espérant qu’il vous donnera l’envie d’acheter, de lire le livre dans son entier et de le mettre en toutes mains dans votre entourage.
À la mère qui voulait avantager l’un de ses deux enfants, Nivelle de La Chaussée répond : « L’égalité, madame, est la loi de nature, Il faut n’en avoir qu’un quand on veut qu’il ait tout. » Voltaire reste exclusivement attaché à l’égalité en droit, mais il a de la peine à résister à la pensée désordonnée de légions d’utopistes en faveur d’une égalité sociale. La Révolution sera l’héritière de ce débat, partagée entre 1789 et 1793. L’égalité en droit inscrite dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen votée le 27 août 1789 a très largement contribué au considérable progrès de nos sociétés en libérant les énergies enchâssées dans des ordres et des corps intermédiaires figés et en permettant l’avènement de nouveaux talents. Mais, là où l’Assemblée constituante avait déclaré que « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits » (article 1er), quatre ans plus tard, dans la Constitution de l’An 1, les Montagnards érigent l’égalité en droit (article 2) et inaugurent les droits-créance de chacun sur tous : droit au travail, à l’instruction, aux secours publics… L’égalitarisme est né qui ne veut plus considérer les personnes dans leur identité, mais dans leur conformité, tous semblables sans distinction de valeur ni de droits.
L’histoire s’emballe alors dans une course à l’égalité qui sert de prétexte à tous les idéalismes autant qu’à toutes les ambitions et à toutes les fureurs. Accompagnant les soubresauts populaires qui parsèment le XIXe siècle européen, Robert Owen dévoue sa vie à améliorer le sort des ouvriers en favorisant plus que tout l’éducation des enfants pour leur assurer une égalité des chances, mais celle-ci accouche presque toujours de la revendication d’une égalité des conditions à laquelle Cabet déjà s’emploie en créant en 1849 sa communauté d’Icarie en Illinois. Au même moment Marx demande que chacun reçoive selon ses besoins. C’est la faute à Rousseau sans doute, qui invente une égalité originelle pervertie par la société et qu’il se propose de retrouver dans la soumission à un Contrat social tout aussi imaginaire et livré à des majorités tyranniques.
Il inscrit dans la tête des peuples la légende égalitaire nourrie par ailleurs par la jalousie et l’envie ordinaires. Certes cette nostalgie d’un paradis terrestre et d’une unité originelle n’était peut-être que la traduction laïque de ce rêve fusionnel qui hante les mythes et les religions, mais en voulant lui donner force de loi elle en a fait l’instrument de la puissance plutôt que celui de l’espérance qui anime ceux qui évitent de confondre le spirituel et le temporel. Ignorant cette distinction fondamentale, les idéologies totalitaires ont brandi l’égalité en guise de justification pour répudier l’identité de chacun en récusant jusqu’à l’âme qui la fonde. Elles ont dénié la liberté individuelle pour bâtir des cités où l’oppression a été généralisée à la mesure de la perfection qu’elles prétendaient instaurer dans une réduction à une uniformité dégradante. Elles n’ont pas hésité à commettre tous les crimes pour anéantir la différence en supprimant l’autre, le ci-devant, le bourgeois, le juif… L’humanité est ressortie épouvantée de cet embrasement cataclysmique du XXe siècle, mais loin de comprendre que l’une des causes en était cette égalité dénaturée, elle s’y est abandonnée autrement.
C’est ainsi que désormais, l’égalité est devenue l’obsession du monde, non plus seulement, légitimement, comme une égalité en droits, mais comme une égalité d’accès, de tous à tout, puis de situation matérielle autant qu’intellectuelle, comme un reniement de ce que nous sommes. Elle est devenue le sésame des politiques tandis que l’inégalité est le bouc émissaire de tous nos maux et parfois un gros mot jeté en outrage à ses adversaires. Elle est sanctifiée, adulée, intouchable. Elle est considérée comme la référence suprême de toute loi, de tout débat, de toute vertu, au point que le risque de ne pas satisfaire à ses canons génère facilement une forme d’anxiété sociale et contagieuse. Le djihad autant que le réchauffement climatique, la misère et la pollution, les tourments du mondialisme autant que ceux de l’isolationnisme et les crises politiques autant que les crises économiques ou sociales seraient dus aux inégalités. Désormais la cause de tout est l’inégalité : la dissension sociale, la hausse de l’insécurité, la mauvaise santé, l’obésité, les grossesses adolescentes, la corruption des élections, la décroissance ou la mauvaise croissance… Une rationalité incertaine et la confusion des causes et des conséquences aboutissent à ce méli-mélo qui compose un ersatz de discours où la démagogie l’emporte souvent sur l’intelligence. Mais rien n’y fait, l’insatiable égalité couche tout sur son chemin tant il est facile de dénoncer ce qui distingue et d’alimenter la convoitise, le dépit et la haine.
Tocqueville annonçait déjà cette hargne des égalitaristes : « Ils n’ont pas seulement la haine de certains privilèges, la diversité même leur est odieuse : ils adoreraient l’égalité jusque dans la servitude. Ce qui les gêne dans leurs desseins n’est bon qu’à briser. Les contrats leur inspirent peu de respect ; les droits privés, nuls égards ; ou plutôt il n’y a déjà plus à leurs yeux, à bien parler, de droits privés, mais seulement une utilité publique. Ce sont pourtant, en général, des hommes de mœurs douces et tranquilles, des gens de bien, d’honnêtes magistrats, d’habiles administrateurs ; mais le génie particulier à leur œuvre les entraîne. » C’est pour réagir à ce déchaînement que j’ai puisé mon titre, avec la plénitude de sa provocation, dans la sagesse d’Érasme, grand ami de More à l’époque du déchirement du christianisme malmené par la Réforme, qui observe que « La nature n’a pas accordé à tous les mêmes dons et ne les a pas répartis d’une manière égale afin que cette inégalité fût compensée par des services réciproques. » En introduisant son Éloge de la folie, Érasme croit « avoir loué la Folie d’une manière qui n’est pas tout à fait folle ». Il fait écrire la Folie comme je pourrais donner la plume à l’inégalité : « Et voici que je m’étonne de l’ingratitude des hommes ou plutôt de leur indifférence ! Tous me font volontiers la cour, tous, depuis des siècles, jouissent de mes bienfaits, et pas un n’a témoigné de sa reconnaissance en célébrant l’Inégalité (il écrit la Folie), alors qu’on a vu des gens perdre leur huile et leur sommeil, à écrire en l’honneur des tyrans … » Mon Éloge ne sera pas dithyrambique, ni inconditionnel, ni même seulement exclusif des réserves, limites et critiques que l’inégalité requiert dans ses débordements et la débauche qui la guettent toujours. Il dira ce que plus personne n’ose dire sans risquer de se faire occire, que l’inégalité a ses mérites et toute sa valeur autant que l’égalité en diverses occasions. Cet Éloge tentera surtout de remettre l’égalité et l’inégalité à leur place, comme l’Église au milieu du village, disent les Suisses avec bon sens. D’aucuns penseront, comme le craint Érasme, « qu’il est d’une suprême sottise d’exprimer une vérité intempestive », mais c’est précisément ce qu’il fit au travers de sa satire facétieuse pour éclairer ses contemporains sur les dérives de son époque, comme aujourd’hui il paraît nécessaire de s’occuper de rappeler que l’égalité n’est pas la raison du monde.
Il parlait de celui qui requérait des hommes des excès de vertu et de sagesse comme on pourrait parler aujourd’hui de celui qui veut les hommes égaux en tout : « ce faisant, il supprime l’homme même, il fabrique un démiurge, un nouveau dieu, qui n’existe nulle part et jamais n’existera ; disons mieux, il modèle une statue de marbre, privée d’intelligence et de tout sentiment humain 13 ». L’égalitarisme détruit l’homme en effet et le trompe. Car il est généralement prétexte à de pires inégalités, injustifiées. En son nom, s’instituent de nouveaux privilèges accordés à ceux qui se sont proclamés les sauveurs du genre humain. En son nom, est bafoué l’état de droit et est légitimée l’oppression des autres. En son nom, se légitiment toutes les violences et gonflent démesurément les pouvoirs de l’État et des nomenklaturas qui le dominent et savent s’y servir sans mesure. L’égalité illimitée n’est jamais qu’une chimère contre la nature des hommes qui sont dissemblables par naissance et fructifient de leur diversité. Les hommes sont différents et donc inégaux dans l’usage de leur liberté qui les conduit à travailler plus ou moins, à innover ou non, à épargner ou dilapider, à s’activer pour fonder des entreprises ou des cités ou à les saper sans merci et parfois sans raison autre que la bêtise ou la cupidité… L’altérité de chacun établit par elle-même des inégalités si naturelles et consubstantielles à l’être que les combattre tend à le détruire, à anéantir l’humanité de la personne. C’est l’image de la tour de Babel, le lieu de la confusion en hébreu, qui voulait rivaliser avec les cieux mais dont Yahvé empêcha le projet en brouillant les langues et en dispersant ses peuples, en rendant inégaux ceux qui pensaient pouvoir être tous semblables au Très Haut. La construction de cette tour jusqu’au ciel est le signe de l’orgueil des hommes et surtout des plus forts qui voulaient, dit la Bible, se faire un nom et dominer en imposant une langue unique.
Mais le message divin est que les hommes sont faits pour la diversité qui s’enrichit de leurs échanges. Ainsi, l’inégalité n’empêche pas l’harmonie. Mieux même, elle la permet tant il faut de pluralité et de bigarrure pour la créer au lieu que l’uniformité de l’égalité ouvre à des déserts de conformité sans relief ni couleur. Lorsqu’elle respecte un état de droit, la liberté des hommes est créatrice de richesse pour tous au travers de l’échange qui suppose l’égalité des valeurs offertes réciproquement et qui en même temps contribue à l’inégalité des situations selon l’usage que fait chacun des idées, des produits ou de l’argent reçus. L’échange permet ainsi le progrès pour autant qu’il soit libre et que la propriété soit garantie, car il faut pouvoir posséder ce qu’on offre pour que la transaction se fasse. Quand ces conditions sont réunies, le monde prospère comme il l’a fait depuis que le commerce s’est ouvert et a permis de doter chaque peuple du progrès des autres et que tous puissent faire négoce de leurs richesses. Ce mouvement a eu ses hauts et ses bas bien sûr, ses déconvenues et ses trahisons. L’inégalité s’est accrue en certaines périodes au profit des plus hardis, en avant du progrès qu’ils suscitaient, mais la pauvreté s’est résorbée dans le long terme à proportion de cette liberté du commerce et de l’industrie et du respect des règles élémentaires d’honnêteté que la morale commune commande et que le droit doit imposer. C’est l’effort considérable du monde depuis la dernière guerre mondiale et la chute du Mur pour supprimer des barrières tarifaires et l’abaissement non moins important des frais de communication et de transport qui ont permis de réduire partout la pauvreté. L’égalité et l’inégalité peuvent toutes deux être bonnes ou perverses. Dans leur démesure, elles sont sans doute l’une et l’autre à bannir. Mais il existe une égalité par le haut qui transcende l’inégalité. Sans rejet des inégalités naturelles et des différences de savoir et d’avoir de chacun, sans les rancœurs qui invitent à l’égalitarisme niveleur, les hommes peuvent partager également leur finitude et leur aspiration à l’infini, leur imperfection congénitale et leurs inquiétudes doublées d’une possible espérance. Pour accéder à la conscience commune de cette humanité sensible, insatisfaite et tendue vers son achèvement inaccessible comme pour pouvoir commercer le plus positivement avec ses semblables, chacun mérite l’égal respect de ses droits, égaux à ceux des autres, dans l’exercice de ses libertés. …
Il fallut que tous aient le même droit de s’exprimer, de se défendre, d’être jugé indépendamment de son état, de gagner sa vie dans n’importe quel métier et d’en changer librement, d’acheter et de vendre, d’épouser, de s’instruire… pour que la société s’éveille au nouveau monde avec tous ses défauts et ses immenses qualités pour ceux qui peuvent être soignés, chauffés, nourris autrement mieux qu’ils l’auraient été autrefois.
Bien sûr il faut aussi être attentif à ceux qui n’ont pas leur autonomie, enfants ou adultes handicapés notamment, auxquels la collectivité doit faciliter l’expression de leurs droits. Mais lorsque l’égalité des chances veut profiter à d’autres que ceux dont l’incapacité est avérée, elle dégénère presque nécessairement en une égalité des conditions dont l’histoire démontre qu’elle en appelle toujours à la contrainte pour tenter de s’imposer sans jamais au demeurant y parvenir. C’est dans l’excès d’égalité ou d’inégalité que le bât blesse. C’est dans le respect humain, dans l’éducation à la rigueur et au dépassement, dans une certaine humilité et une volonté certaine, lorsque les institutions publiques sont limitées et fortes, soumises elles-mêmes au droit qu’elles imposent aux autres, que les conditions sont réunies pour que la communauté des hommes convienne de suffisamment d’égalité pour se comprendre et accepte assez d’inégalité pour que la complémentarité de leurs différences crée de l’harmonie et de la richesse plutôt que de l’acrimonie et de la discorde. La réalité est plus complexe qu’il ne paraît. Les hommes sont tous égaux dans leur dignité et tous différents dans leurs aptitudes. Ils sont tous façonnés de la même humanité et pourtant chacun est unique et autre. C’est, d’une certaine manière, le mystère de l’humanité que cette unicité de chacun qui permet de renouveler la terre par l’action humaine toujours surprenante ainsi que le constate Hannah Arendt : « Le nouveau apparaît donc toujours comme un miracle. Le fait que l’homme est capable d’action signifie que de sa part on peut s’attendre à l’inattendu, qu’il est en mesure d’accomplir ce qui est infiniment improbable. Et cela à son tour n’est possible que parce que chaque homme est unique, de sorte qu’à la naissance quelque chose d’uniquement neuf arrive au monde. » Nous sommes tous également inégaux. Non seulement nous sommes différents, mais cette distinction est dans notre nature, dans le projet de chacun à sa naissance comme créature unique, si bien que toute volonté d’égaliser ne peut, au-delà d’un certain niveau d’équilibre fragile, se faire que par la violence, fût-elle légale, et conduit presque nécessairement au despotisme étatique. À l’inverse, les passions débridées peuvent favoriser d’autres injustices à l’égard des plus faibles. Ceux-ci craignent, ou sont incapables, d’assumer leur responsabilité d’homme et préfèrent se ranger sous une houlette tutélaire dont la protection a souvent tôt fait de dégénérer en absolutisme.
Leur soumission à la volonté d’autrui nourrit leur ressentiment qu’ils surmontent en puisant au rêve d’une égalité magique susceptible par ailleurs de détruire les forces du progrès portées par les individus capables d’assumer leur originalité et leur différence. Il existe en toute humanité cette tension permanente entre l’affirmation de l’individualité singulière de chacun et la préférence donnée à la sécurité promise plutôt qu’à la liberté, au risque de perdre l’une et l’autre. Chacun dispose d’un droit égal à sa liberté, mais cette liberté est créatrice d’inégalité dans l’exercice que chacun en fait. L’égalité peut être consacrée au rang de vertu quand elle n’est qu’un état et un attribut de la justice. Sa tragédie est que très nombreux sont ceux qui la sanctifient à tort, quand personne ne l’a jamais réalisée. Tous en rêvent et tous les efforts pour la faire advenir tournent au cauchemar dans les mines de sel de Sibérie, les prisons cubaines ou les camps chinois. La tragédie de l’égalité est aussi que l’inégalité est naturelle et nécessaire à l’épanouissement de chacun autant qu’au développement de la société, et qu’elle est néanmoins souvent incomprise et parfois intolérable. Égalité et inégalités naviguent souvent dans les eaux troubles des paradoxes. C’est le dévoiement de l’égalité qui oblige à faire l’éloge de l’inégalité avec la mesure qui y sied. »
Éloge de l’inégalité, de Jean-Philippe Delsol
Le dernier livre de Jean-Philippe Delsol revient sur cette passion bien française pour l’égalité, ou plutôt pour l’égalitarisme.
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Par Francis Richard.
C’est le dévoiement de l’égalité qui oblige à faire l’éloge de l’inégalité.
Le dévoiement de l’égalité se nomme l’égalitarisme, qui a pour but ultime d’établir l’égalité absolue, c’est-à-dire l’égalité de condition, ce qui n’est guère vertueux puisqu’elle ne peut être obtenue – de manière utopique – que par la contrainte et des atteintes à la liberté et à la propriété.
Pour faire bonne mesure, Jean-Philippe Delsol ne se fait pas pour autant le défenseur absolu de l’inégalité, même si l’inégalité est naturelle et souvent efficace : elle est toujours nuisible quand elle est infondée et dès lors souvent excessive. Tout est justement question de mesure :
La bonne vie est dans la recherche d’équilibres toujours instables plutôt que d’imposer la mise en œuvre d’un modèle parfait et inaccessible.
L’ENVIE
Quel est le moteur de l’égalitarisme ? L’envie (bien française), qui exprime la tristesse ressentie face à la possession par autrui d’un bien que l’envieux voudrait bien posséder à sa place, et la volonté de se l’approprier par tout moyen et à tout prix. Son contraire est l’admiration (bien anglo-saxonne)…
vient cette envie d’égalité sans limites ? C’est la faute à Rousseau et à son imagination fertile. Il a en effet inventé la fable selon laquelle les Hommes, naturellement bons, auraient été dénaturés par la société : ce serait donc à elle d’œuvrer pour les rétablir dans ce paradis originel.
En sanctifiant l’égalité, Jean-Jacques Rousseau a suscité involontairement les atrocités commises au XXe siècle pour qu’advienne par la force ce rêve, bien vite devenu cauchemar, d’une société égalitaire, dont la Terreur de 1793 et la Vendée décimée auront été les prémisses…
LA NATURE HUMAINE
L’égalitarisme forcené se traduit aujourd’hui par la négation de la nature humaine et l’indifférenciation généralisée, jusqu’à l’égalisation des Hommes avec les mondes animaux et inertes, en leur accordant à tous des droits similaires, alors que le droit est une affaire exclusivement humaine :
La justice est propre aux Hommes, pas aux animaux, en ce sens qu’elle est ordonnée à leur fin […] Le droit est ce qui permet aux hommes de vivre en société.
Avec le transhumanisme, l’Homme serait tout aussi déshumanisé que par l’égalitarisme : on n’aurait finalement plus affaire à des personnes, mais à des produits. Ce qui ne devrait d’ailleurs pas déplaire aux égalitaristes puisqu’il serait enfin possible d’égaliser les humains en les chosifiant…
LA LIBERTÉ
Quant aux robots, ils ne seront jamais que des fabrications humaines, dénués de cette liberté qui est le propre de l’Homme, lui permettant d’être responsable et le distinguant du monde animal. Cela n’empêche pas certains de poser déjà la question de leur personnalité juridique…
À propos de liberté, l’auteur parle de son paradoxe :
La liberté fonde l’égalité d’agir par laquelle s’institue nécessairement l’inégalité sous le bénéfice de la capacité de penser et de faire qu’elle permet.
Il donne comme exemple l’échange égal (librement consenti), qui crée des richesses inégales.
Données chiffrées à l’appui, il montre qu’il y a davantage de croissance dans les pays où la redistribution et les dépenses publiques sont moindres, et que dans ces pays, la pauvreté recule sans que nécessairement les inégalités reculent pour autant. Mais l’important est moins l’inégalité que la pauvreté :
Les études les plus sérieuses montrent que la pauvreté régresse dans le monde en même temps que la liberté y progresse, et vice-versa le cas échéant.
LA PROPRIÉTÉ
Un ferment de développement est la propriété qui est antinomique à l’égalité. C’est pourquoi les égalitaristes cherchent à la supprimer ou, à défaut, à exproprier par l’impôt. Or la propriété, c’est la liberté. De plus, elle est efficace parce qu’elle est naturelle à l’Homme et lui est essentielle :
La propriété coexiste à l’Homme, elle est constitutive de sa nature en ce sens que l’Homme est déjà propriétaire de lui-même, c’est-à-dire aussi responsable de lui-même ; en ce sens aussi que la propriété est l’outil de sa liberté, de son indépendance.
L’ÉGALITÉ EN DROIT
L’égalité en droit est le moyen de permettre à chacun que toute sa dignité soit reconnue et d’exercer toute sa liberté, notamment celle de créer des richesses et des emplois : celui qui s’enrichit en vendant des produits ou des services à des consommateurs libres de lui acheter ou non, ne vole personne.
A contrario,
plus l’État est présent dans l’économie, plus l’autorité publique intervient dans l’allocation des ressources, plus le risque est grand que des connexions particulières permettent de bafouer l’égalité en droit en concédant des avantages particuliers à certains, en leur attribuant des droits préférentiels souvent monnayés au bénéfice de ceux qui délivrent les permis et autres autorisations nécessaires à l’exercice de telle ou telle activité.
Abordant le sujet de l’égalité des chances, l’auteur souligne qu’elle ne doit pas être instaurée au détriment de l’égalité en droit, mais plutôt et seulement en accompagnement de celle-ci. C’est pourquoi
ce n’est qu’à titre subsidiaire [que l’État] doit lui-même mettre en place les moyens d’accueil, d’accompagnement et de soin qui font défaut aux plus démunis et aux incapables avérés.
LA CONDITION HUMAINE
L’Homme a à la fois un sentiment d’insuffisance et un désir d’élévation : la condition humaine est faite d’une commune misère de l’être insatisfait et d’une commune étincelle d’espérance. C’est pourquoi l’égalité fondamentale est celle de chacun dans la recherche de ses fins, elle est dans la liberté de chacun de combattre pour se réaliser.
La réalité est que
en chacun le mal le dispute en permanence au bien. Il reste pourtant possible de croire que l’espérance est dans la vocation de l’Homme à rechercher sans cesse ce qui l’élève dans son être, qui n’est ni la richesse ni le pouvoir, ni l’égalité ni l’inégalité, mais son chemin sans fin vers la Vérité à rechercher sans relâche pour dépasser les querelles et les infirmités de ce monde.
Jean-Philippe Delsol, Éloge de l’inégalité, 214 pages, Manitoba.
TABLE DES MATIÈRES
Introduction
1. L’égalité n’est pas vertu, l’inégalité non plus d’ailleurs
Le droit dévoyé à l’égalité
L’inégalité destructrice
L’inégalité tempérée
2. L’envie d’égalité
Le poison égalitaire de la centralisation
Du ciel sur la terre
L’égalité sans limites
La face positive de l’envie
3. C’est la faute à Rousseau
L’égalité pervertie
4. L’égalité dénaturée
Par déni de la nature humaine
Le droit des animaux
La frontière brisée entre nature et culture
Le droit est exclusivement humain
Les hommes sont des personnes
Le transhumanisme déshumanise
Des robots ou des hommes
L’absurde égalité
5. Le paradoxe de la liberté
L’échange égal crée des richesses inégales
La justice commutative
Des méfaits du monopole
6. Croissance et inégalité
De mauvaises contraintes favorisent l’inégalité !
Les chantres de la décroissance et de la médiocrité
7. Mieux vaut lutter contre la pauvreté que pour l’égalité
Les méfaits de l’assistance internationale
Développement et pauvreté
Les inégalités de revenus reculent dans le monde
Les inégalités relatives
La porosité sociale et l’effet de ruissellement
Inégalités et pauvreté
Aux marges des nouveaux eldorados
8. Pas de prospérité sans propriété
La propriété est efficace
La propriété, c’est la liberté
La propriété n’est pas efficace par hasard
La propriété de soi
La possession sans propriété
9. L’égalité en droit
La justice comme égalité
Démocratie et égalité
Égalité de droits et inégalités de richesses
L’égalité souffre de la démesure
La boussole de l’égale justice
L’égalité contrainte est une forme d’inégalité et parfois de violence
10. L’égalité des chances
L’inégalité naturelle
L’égalité des chances d’une inégale éducation
Les limites de l’égalité des chances
11. L’égalité par le haut
Une égalité de perspective
L’égalité d’inquiétude
L’égalité distributive
L’égalité au-delà du désir
La liberté dans l’errance
Le miracle de l’être
Hier je n’avais pas connaissance de la communication de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française (GLAMF), et pour cause cette communication était réservée aux membres de cette obédience qui sont plus de 15 000. Ayant pour habitude de ne pas commenter les communications internes aux obédiences, je n’ai pas pu vous relater les points forts de cette communication de crise. Grâce à un envoi de Jean-Claude Tribout rédacteur en chef des Cahiers de L’Alliance Maçonnique, je peux vous apporter un complément d’information.
Dans sa lettre du 30 mars adressée à ses frères le Grand Maître de l’Alliance Maçonnique Française Jean-René Dalle, fait un appel à la fraternité et à la responsabilité. Il évoque la fraternité à l’épreuve. Cette fraternité consubstantielle à la Franc-Maçonnerie, est mise à l’épreuve, chaque maçon a l’occasion de cette crise à un devoir de fraternité.
Le chemin initiatique est un chemin d’apprentissage de la vraie vie celle de l’esprit, mais aussi de la mort. Le franc-maçon par ses serments répétés tout au long de sa progression initiatique a juré de garder le secret, mais aussi d’aider ses frères, l’instant est venu d’être responsable. Il se doit de faire en sorte d’augmenter l’humain, le vivant, de dépasser les soucis de la vie matérielle.
Le Grand Maître fait appel à la mobilisation des présidents de loge et de leurs officiers. Mobilisation dans les loges sur des thèmes de réflexion pour préserver le lien entre les frère, et fraternité en dehors des loges. Pour que la joie demeure dans les cœurs.
Il est demandé aux frères de mettre à profit ce temps long, pour une réflexion personnelle intérieure, mise à profit pour aider à reconstruire les deux temples, le temple matériel et celui de l’esprit.
Les frères sont invités, à lire ou à relire le Cahier N°4 de l’Alliance ; consacré à La Symbolique du Temps. En particulier deux articles le premier de Jean Dumonteil qui associe la liberté et le temps, la nécessaire persévérance. La méditation doit s’inviter dans nos foyers, pour préparer notre élévation spirituelle.
Jean Dumonteil cite Henri Bergson :
« Si je veux me préparer un verre d’eau sucrée j’ai beau faire, je dois attendre que le sucre fonde… »
Je retiens pour ma part, l’expression « J’ai beau faire » en la traduisant par je veux faire du beau, c’est ce à quoi pour moi prépare cette méditation.
De là découlent lentement le temps progressif maçonnique et l’initiation en général. Le temps long est nécessaire pour atteindre, l’éternité, retrouver la parole perdue. Presque paradoxalement il est urgent de se mettre à la pratique de ce temps long, c’est peut-être une nécessité pour un monde d’après différent.
L’article fait état du grand mystère de lumière qui ne s’éteint pas même au milieu des ténèbres et atteint son apogée à midi.
Jean Dumonteil semble mêler nostalgie, retour à l’unité, mais aussi espérance dans la pratique du rite qu’il qualifie de « battement de cœur de la vie maçonnique. » Rappelant ainsi la spécificité de l’initiation maçonnique, à la fois personnelle et collective. Créatrice de fraternité, cette fraternité qui n’est pas innée qui se cultive et qui doit être encore plus nourrie, pour être plus active en ces temps difficiles.
L’article « Le Temps Sacré » par Jacques Branchut auteur du livre « L’Aventure Maçonnique » paru chez Dervy est également proposé à la méditation des frères. Évoquant le passage du temps profane au temps sacré, du temps linéaire contraint, déterminé, fini au temps cyclique et infini, qui ouvre la porte de l’éternel, du dépassement de l’être.
Une réflexion sur l’espace profane et l’espace sacré. Mais aussi suivant ma lecture sur le passage du secret au sacré.
Ainsi la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française, malgré la distanciation imposée pour protéger ses membres et nous tous en général n’est pas inactive en cette période de confinement. Les frères sont appelés à renforcer leur fraternité naturelle, leur solidarité dans l’action.
Ils sont aussi appelés, à une, nécessaire méditation, pour consolider leur présent, réfléchir à leur avenir, celui de leur obédience et du monde en général. C’est par le reflet de leurs actions personnelles et collectives qu’ils peuvent nourrir l’espérance avec tous les autres francs-maçons, d’influencer le monde d’après. Pour que ce nouveau monde, fasse une place plus grande à ce qu’il y a de mieux dans l’humain, son esprit et son cœur. Ainsi la pratique du bien et du beau fera régner à jamais la joie dans les cœurs.
J’ai donc eu mon salaire à la lecture de la communication interne de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française.