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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par Jean-François Guerry
Sagesse, Force et Beauté

Sagesse, Force et Beauté

LE BILLET D’HUMEUR DE THIERRY DIDIER.

 

Thierry Didier reconnu comme tel, est écrivain, il est l’auteur de La Passion Écossaise en cinquante stations et huit personnages. Éditions Symbolon- Collection – La Franc-Maçonnerie dévoilée. Il livre aux lecteurs du Blog un billet d’humeur sous le titre interrogateur : Sommes-nous de bons ancêtres ?

L’association des mots bons et ancêtres incline d’emblée à l’admiration, au respect, à la vénération du passé. Pourtant l’auteur nous parle d’humilité. Je le cite : « La progressivité maçonnique est ainsi une fusion entre les éléments du passé, et ce qu’on en ressort face à l’exercice du présent. » La vénération de la tradition et de l’institution maçonnique ne sera donc pas confondue avec la vénération de tel ou tel membre de cette institution. En appui de cette réflexion je me souviens des paroles de Jean-Noël Dubart chirurgien ancien Grand Maître de la Grande loge de France au cours d’un repas, qui disait en toute humilité à peu près : en réalité on ne se souvient de rien ou presque concernant les anciens Grands Maîtres, et c’est bien ce qui compte c’est que l’on se souvienne de l’institution pour quelle se pérennise.

Je suis en parfait accord avec cette réflexion, la hiérarchie d’honneur, n’est pas la hiérarchie spirituelle.

L’exemplarité même des grands initiés, n’est louable qu’au regard de leur action et de leur pratique des vertus, les deux étant souvent pratiquées avec discrétion et en silence.

Thierry Didier en souligne l’importance dans son billet je le cite à nouveau : « … la bonne santé d’une loge dépend également de sa capacité à ne pratiquer vis-à-vis des figures du passé, le culte de leurs personnalités, car ce culte peut alimenter fantasmes et diktats préjudiciables au bon développement du jeune Maître… »

Thierry Didier toujours dans son billet éclaire remarquablement la notion de Tradition et l’esprit du « dogme » qui doit être : « …inspiration, guidance et consécration… transcender les époques pour mettre en exergue l’initié. »

En conclusion de son billet, il répond selon lui à la question que faut-il transmettre et comment le transmettre ?

Je vous laisse à la lecture de ce billet instructif, mais surtout inspirant pour les bons Maîtres en général, et les seconds et premiers surveillants pour leur mission « de formateurs » des jeunes maçons en particulier.

                                                   Jean-François Guerry.

Caïn - Tableau de Fernand Cormon. Grand Palais Musée d'Orsay. Illustration des premiers vers de la conscience de V.Hugo

Caïn - Tableau de Fernand Cormon. Grand Palais Musée d'Orsay. Illustration des premiers vers de la conscience de V.Hugo

Sommes-nous de bons ancêtres ?

 

Cette interrogation a bien sur quelque chose de singulier, faisant appel à l’anachronisme, comme si nous étions capables de définir par avance ce qui restera à terme de nos pensées et de nos actions. Et donc d’affirmer que nos valeurs contemporaines seront nécessairement bonnes pour nos descendants, quelle que soit l’évolution de la pensée critique. Néanmoins cette formulation présente 2 avantages : d’abord, elle est, soit, un biais, mais qui a le mérite de nous obliger à réfléchir hors des sentiers battus de l’immédiateté, et ensuite, elle remet à sa juste place ce qu’est le souvenir ou la Tradition, c’est-à-dire une émergence du passé repensée à l’épreuve du présent. « Sommes-nous de bons ancêtres ? ». Cette phrase n’est pas de moi : elle est tirée d’un ouvrage profane sur le court-termisme écrit en 2021 par un australien, phrase dont le caractère cocasse m’a titillé. Au vu du titre de ce texte, vous pensiez peut-être que j’allais vous parler de réchauffement climatique, ou bien des différentes pénitences auxquelles nous contraint la bienséance contemporaine : suis-je un bon père ? Un bon citoyen ? Un bon frère ? Eh bien non. J’ai donc essayé de la retravailler sous l’angle initiatique. Le choix de ce titre est volontairement déstabilisant, car l’adjectif « bon » est subjectif et se réfère aux normes du moment, alors que le mot « ancêtre » semble présenter une valeur indépendante de toute appréciation, comme si sa distance temporelle lui conférait une aura de légitimité absolue.  

Une question aussi ambigüe appellerait dans le monde profane à une réponse prudente, mesurée, relative et donc subjective, afin de ne pas se dévoiler, de ne pas être mis en porte-à-faux, et de ne s’interdire aucune échappatoire qui sauverait pour le coup notre honneur d’homme réfléchi. L’initiatique ne s’embarrasse pas de ces détails, il se renouvelle en permanence et réclame la force de la sincérité. Alors assurément, je répondrai : OUI, nous sommes de bons ancêtres ! Car la question posée ne doit pas nous faire oublier que nous ne sommes pas de purs esprits, et que toute question existentielle est avant tout posée par quelqu’un qui existe déjà, et qui a donc autorité à y répondre, fusse de façon lapidaire. Et donc autant faire court et s’inscrire dans une spirale qui, à défaut d’être forcément vertueuse, posera les bases d’une spiritualité qui sera d’autant plus efficiente qu’elle s’appuiera sur un socle solide, celui de nos certitudes : il sera toujours temps d’y renoncer plus tard…. Nous sommes donc de bons ancêtres : pour certains, affirmer la réalité d’un tel propos conditionne ce que l’on appelle une prophétie auto-réalisatrice. Cette prophétie n’est pas inutile, car elle vient appuyer une attitude qui, certes, n’est pas la panacée, mais qui a le mérite de servir de base, la flèche du temps se chargeant ensuite de remettre à leur juste place ce qui relève du fantasme et ce qui relève d’une réalité signifiante. Alors bien sûr, il ne s’agit pas d’élever une statue à celui qui pérore et bombe le torse à tout propos, car émettre une réponse affirmative n’est pas la garantie du succès ; elle permet toutefois d’amorcer un processus qui passe d’abord et avant tout par être convaincu par ce que l’on avance. « Sommes-nous de bons ancêtres ? » est une question alchimique, dans la mesure où le simple fait de se poser ladite question induit déjà et immédiatement dans notre esprit une réponse et donc un réarrangement de nos valeurs. Bien entendu, enfoncer le coin de la certitude ne va pas dans le sens du maçonniquement correct, car il est de bon ton de douter ou de relativiser. C’est oublier un peu vite que toute construction a besoin encore une fois d’une solide fondation pour être pérenne, et que la certitude de l’ascendant, si elle n’est pas invasive, fera la liberté et l’indépendance du descendant. Mais ce qui convainc sur le plan profane n’est évidemment pas suffisant pour illustrer le bien-fondé d’une telle interrogation sur le plan initiatique. Ce qui est intéressant avec l’option profane, c’est qu’elle n’est ni fausse ni même incomplète, elle correspond à une réalité qui à son échelle est totale. Ainsi la voie initiatique ne vient ni se substituer, ni même compléter la vision profane, elle est simplement autre chose. On pourrait s’arrêter là : ça n’est pas simplement une question de spiritualité, d’intellect ou de curiosité, car répondre oui à cette question est autant l’apanage du sage définitif que du quidam le plus primaire : seul le temps consommé, la voie explorée et la méthode utilisée modifieront la teneur d’un cheminement qui aboutira quelque part au même endroit : nous serons alors de bons ancêtres car nous nous serons posés un jour, à un moment donné, la question.

Alors bien sûr, l’impact sur autrui d’une telle certitude peut prendre un poids différent, suivant que le montreur d’exemple est narcissique et autocentré, ou bien empathique et soucieux de la liberté de l’autre. Un maçon égotique ne manquera pas de dire à son jeune frère qu’il va lui montrer ce que c’est qu’une bonne bonté, et que les canons de ladite bonté sont conservés en lieu sûr. Par contre, un maître véritable se contentera d’aiguiller sans l’influencer le jeune frère en question. Le qualificatif « bon », comme tous les épithètes, porte un élément de jugement : il est en cela tout à fait relatif, et n’a de valeur que par rapport à ces normes du moment qu’on appelle la morale. De plus, si la franc-maçonnerie est bien sur un travail individuel, c’est aussi un moyen de passer le relais sans oublier tout ce qui aura été conquis et assimilé par le collectif jusqu’au jour où ce fut à notre tour d’entrer dans l’arène. Cette vision d’un cumul est très importante, car elle permet à chaque nouvel initié de ne pas repartir de zéro, mais de bénéficier de l’acquis des générations précédentes. Ce cumul, bien réel, n’est pas visible : c’est en fait l’évolution de pensée de chaque maçon, à travers sa tenure, ses planches et ses prises de paroles, qui acteront discrètement cette progression à l’attention ensuite de tout un chacun. Le mot « ancêtre », qui est une sorte d’invariant de la culture humaine, est conditionné par la généalogie et la flèche du temps. Cet invariant intègre à l’individualité de la personne une dimension projective sur les générations futures. Bien entendu, cette projection est hautement imprévisible, puisque la trace que nous laissons dans l’histoire se modèle en fonction des choix qu’imposeront la vie en général, et l’état d’esprit du descendant en particulier. Le mot ancêtre nous renvoie ainsi à la querelle générale des Anciens et des Modernes, ferment dual sur lequel se bâtit tout questionnement contemporain. Deux approches distinctes veulent résoudre cette querelle : celle qui voie le passé comme fatalement incontestable, puisqu’il a triomphé de l’oubli, et celle qui considère que le présent est la seule vérité, dans la mesure où il est ce qui agit au moment où l’on parle. Ces 2 approches sont tout à fait recevables, et l’initiatique a cette vertu de ne pas trancher, car il est, comme l’indique son étymologie, un recommencement perpétuel, permettant de se dégager en temps réel du passé en tant que passif, et du futur en tant qu’inachevé. Alors, bien sûr, ce travail sur soi est contre-intuitif, car rien ne nous pousse à subir cette forme de torture intellectuelle : c’est d’une certaine façon plus simple pour les croyants à qui l’on offre, dans le Coran et la Torah, un contenu juridique à respecter, ou, dans le Nouveau Testament une contrition codifiée et structurée par le péché.

L’ancêtre est aussi appelé ascendant, ce qui en fait le ressort incontournable de spéculations généalogiques. Cette dynamique de l’ancêtre présente l’avantage, ne nous en cachons pas, d’une forme de satisfaction, à l’idée que nous sommes momentanément au sommet de la progressivité maçonnique, ne serait-ce déjà que sur le plan quantitatif. Car en effet le nombre théorique d'ancêtres d'une personne est, multiplié par deux à chaque génération ascendante. En comptant en moyenne 25 ans par génération, une personne née en 1975 (soit génération 1) aurait 2 puissance 3 ancêtres, soit 8 à la quatrième génération nés vers 1900, et 2 puissance 7 (donc 128) à la huitième génération nés vers 1800. Eu égard à cette dilution, nous ne sommes donc pas si pesants que ça, ce qui doit nous rendre humbles par rapport à ce qu’on veut transmettre : cette « dissémination » de l’action de l’ancêtre nous disculpe et nous allège de notre futur, tant nous sommes nombreux à en partager la descendance. C’est pourquoi existe la Tradition, qui amplifie en les cumulant des parcours personnels, parcours personnels qui, individuellement, seraient voués à l’oubli. La progressivité maçonnique est ainsi une fusion entre des éléments du passé, et ce qu’on en ressort face à l’exercice du présent. Un bon ancêtre est aussi celui qui accepte, ou au moins tente de résoudre du temps de son existence des troubles liés à l’indigence de ses propres aïeuls. Mais la bonne santé d’une loge dépend également de sa capacité à ne pas pratiquer vis-à-vis des figures du passé le culte de leurs personnalités, car ce culte peut alimenter fantasmes et diktats préjudiciables au bon développement du jeune Maître : l’ancêtre doit rester à sa place, et ne pas devenir une légende urbaine, parée d’une aura aussi dangereuse que fumeuse. Ainsi, on ne dit pas « suis-je un bon ancêtre ? », mais plutôt le pluriel de celui-ci. Il y a compétition entre le temps présent où l’on se pose la question, et la fin en soi que génère le mot « ancêtre » en termes de conséquences pour l’avenir. Dans la vie ordinaire, cette généalogie n’est pas fraternelle mais familiale, elle comporte pour partie des savoirs et des attitudes que je qualifierais de constructifs, mais aussi pour l’autre partie ce que l’on appelle du terme évasif et sibyllin de « troubles transgénérationnels », sortes de sourds malaises issus d’un lointain passé, dont la nuisance est à l’aune de leurs dissimulations. Cette double empreinte, mêlée à l’expérience du vécu individuel va nous guider et nous faire agir dans un sens qui sera tout personnel. Mais la tradition se veut aussi solaire, c’est-à-dire placée en surplomb de notre individualité, conservant aussi que ce qui pourra nous être utile. La Tradition est le compromis permanent entre la mémoire d’une chose et sa commémoration, c’est-à-dire sa projection dans le monde d’aujourd’hui : c’est pourquoi la pensée ternaire est le mode d’action et de pensée du franc-maçon : mémoire et commémoration se mêlent alors en un ensemble original dont découlera un 3ème terme définissant le franc-maçon comme un être pétri d’oppositions, de biais contre-intuitifs, mais aussi de projets et d’initiatives.

Il est donc nécessaire la mettre la Tradition à distance, toutefois en s’y appuyant et en s’en inspirant. La Tradition devient donc grâce à sa nature collective, un atténuateur d’ego, un bain duquel n’émerge pas une tête plutôt qu’une autre, eu égard au nombre de descendants potentiels. La Tradition est donc pour le franc-maçon un modérateur, un régulateur à même de nuancer le passé vis-à-vis de tous ceux qui y ont participé. La Tradition, à cet égard, ne doit pas outrepasser sa fonction, auquel cas deviendrait-elle une sorte de dogme intouchable qui freinerait alors l’évolution de l’initié. Le dogme représente, dans une doctrine, un point précis de celle-ci, point défini comme fondamental, certain et unilatéral. Le dogme  porte aussi  l’idée d’ une valeur fondatrice ou d’une vérité première, libre à nous ensuite d’en tirer les enseignements qui nous conviennent le mieux, dont les préceptes suivants sont empreints d’une liberté  rendue possible justement par le « dogme » initial qui a été posé : c’est comme si un cadre avait été défini, et qu’ensuite la liberté régnait à l’intérieur de ce cadre On définit ainsi un bon ancêtre à la façon dont il s’approprie le passé, c’est-à-dire en évitant de le transformer en un passif qui clouerait sur place le malheureux descendant. Cet esprit est contenu dans le petit texte du VM en fin de chaine d’union : « qu’il inspire notre conduite dans le monde profane, qu’il guide notre vie, qu’il soit la lumière sur notre chemin » : inspiration, guidance et consécration : ce tryptique qualifie la fin

provisoire d’un parcours dont l’amorce et la conclusion seront portées par un homme prenant tour à tour l’habit de l’ancêtre, puis du descendant. Un Franc-Maçon doit sa fierté en répondant à cette double question : « suis-je le bon dépositaire de ce qui m’a été communiqué ? » Et serai-je un bon passeur ? Ce double questionnement est tendancieux, car il occulte potentiellement le présent de l’initié. Finalement toute pénitence est le fruit de cet agrégat contre nature que forme le passé avec le présent, et qui donc requalifie le passé : Napoléon était-il de droite ? L’Homme de Neandertal était-il sexiste ? Les favorites des rois étaient-elles féministes ? On se rend bien compte que ces assemblages sont voués d’avance à une mort certaine. La caractéristique principale de l’initiatique est de transcender les époques pour mettre en exergue l’initié, c’est-à-dire quelqu’un dont l’essence prime sur les circonstances du moment.Un ancêtre n’est donc « bon » que s’il n’entrave en aucune manière la légitimité et donc l’autonomie de celui qui lui succède.

Alors bien sur existent-ils des jalons, des principes et des occurrences incontournables, tels que le principe de construction, les outils ou la méthode symbolique, qui emmènent l’initié dans un monde d’analogie et d’introspection.« Sommes-nous de bons ancêtres ? » conduit à une double promesse : Pouvons-nous dès aujourd’hui que nous sommes déjà de bons ancêtres ?. Oui, nous sommes définitivement de bons ancêtres, perce que nous nous qualifions comme tels : peu importe, en vérité, que ce soit objectivement vrai, ce qui compte est d’éviter de faire porter sur les épaules de nos descendants le poids d’un fardeau qui ne leur appartient pas, et la force de l’ancêtre sera de savoir se faire « oublier », c’est-à-dire de transmettre des valeurs sans imposer le statut ou le culte de sa personnalité propre, qui n’intéressent personne. Être « bon » sur le plan initiatique, signifie, je le répète, être capable de léguer des postures ou des informations sans que ces dernières contraignent ou assujettissent le moins du monde la descendance.

C’est pourquoi il est au moins aussi important de transmettre une attitude, une posture, un comportement qu’un simple savoir, tout simplement parce que l’homme qu’on donne à voir aux plus jeunes sera perçu dans sa globalité immédiate, là où l’inculcation d’un principe requerra de passer par l’intellect qui est, lui, assigné à une certaine forme de relativité et est déjà le résultat fini d’un modelage dont les caractéristiques personnelles La tradition est un concept, voire une forme de pensée qui doit être maniée avec précautions, sans perdre de vue que les « accidents », c’est-à-dire les évènements qui semblent être en rupture avec l’orthodoxie participent, à la façon des mutations chromosomiques, à l’élaboration d’un futur qui n’est jamais que la fusion du passé et du présent. Un bon « descendant » fera toujours un bon ancêtre, dans la mesure où il montrera à ses ouailles une pensée cohérente avec son attitude.

Thierry Didier. 

BILLET D'HUMEUR de Thierry Didier : SOMMES-NOUS DE  BONS ANCÊTRES ?
Thierry Didier : La Passion Écossaise en cinquante stations et huit personnages. 

 

Éditions SYMBOLON - Collection La Franc-Maçonnerie dévoilée. 243 Pages -22€
www.symbolon.fr

 

La conscience
Victor Hugo

Lorsque avec ses enfants vêtus de peaux de bêtes,
Echevelé, livide au milieu des tempêtes,
Caïn se fut enfui de devant Jéhovah,
Comme le soir tombait, l’homme sombre arriva
Au bas d’une montagne en une grande plaine ;
Sa femme fatiguée et ses fils hors d’haleine
Lui dirent : « Couchons-nous sur la terre, et dormons. »
Caïn, ne dormant pas, songeait au pied des monts.
Ayant levé la tête, au fond des cieux funèbres,
Il vit un oeil, tout grand ouvert dans les ténèbres,
Et qui le regardait dans l’ombre fixement.
« Je suis trop près », dit-il avec un tremblement.
Il réveilla ses fils dormant, sa femme lasse,
Et se remit à fuir sinistre dans l’espace.
Il marcha trente jours, il marcha trente nuits.
Il allait, muet, pâle et frémissant aux bruits,
Furtif, sans regarder derrière lui, sans trêve,
Sans repos, sans sommeil; il atteignit la grève
Des mers dans le pays qui fut depuis Assur.
« Arrêtons-nous, dit-il, car cet asile est sûr.
Restons-y. Nous avons du monde atteint les bornes. »
Et, comme il s’asseyait, il vit dans les cieux mornes
L’oeil à la même place au fond de l’horizon.
Alors il tressaillit en proie au noir frisson.
« Cachez-moi ! » cria-t-il; et, le doigt sur la bouche,
Tous ses fils regardaient trembler l’aïeul farouche.
Caïn dit à Jabel, père de ceux qui vont
Sous des tentes de poil dans le désert profond :
« Etends de ce côté la toile de la tente. »
Et l’on développa la muraille flottante ;
Et, quand on l’eut fixée avec des poids de plomb :
« Vous ne voyez plus rien ? » dit Tsilla, l’enfant blond,
La fille de ses Fils, douce comme l’aurore ;
Et Caïn répondit : « je vois cet oeil encore ! »
Jubal, père de ceux qui passent dans les bourgs
Soufflant dans des clairons et frappant des tambours,
Cria : « je saurai bien construire une barrière. »
Il fit un mur de bronze et mit Caïn derrière.
Et Caïn dit « Cet oeil me regarde toujours ! »
Hénoch dit : « Il faut faire une enceinte de tours
Si terrible, que rien ne puisse approcher d’elle.
Bâtissons une ville avec sa citadelle,
Bâtissons une ville, et nous la fermerons. »
Alors Tubalcaïn, père des forgerons,
Construisit une ville énorme et surhumaine.
Pendant qu’il travaillait, ses frères, dans la plaine,
Chassaient les fils d’Enos et les enfants de Seth ;
Et l’on crevait les yeux à quiconque passait ;
Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles.
Le granit remplaça la tente aux murs de toiles,
On lia chaque bloc avec des noeuds de fer,
Et la ville semblait une ville d’enfer ;
L’ombre des tours faisait la nuit dans les campagnes ;
Ils donnèrent aux murs l’épaisseur des montagnes ;
Sur la porte on grava : « Défense à Dieu d’entrer. »
Quand ils eurent fini de clore et de murer,
On mit l’aïeul au centre en une tour de pierre ;
Et lui restait lugubre et hagard. « Ô mon père !
L’oeil a-t-il disparu ? » dit en tremblant Tsilla.
Et Caïn répondit :  » Non, il est toujours là. »
Alors il dit: « je veux habiter sous la terre
Comme dans son sépulcre un homme solitaire ;
Rien ne me verra plus, je ne verrai plus rien. »
On fit donc une fosse, et Caïn dit « C’est bien ! »
Puis il descendit seul sous cette voûte sombre.
Quand il se fut assis sur sa chaise dans l’ombre
Et qu’on eut sur son front fermé le souterrain,
L’oeil était dans la tombe et regardait Caïn.

Victor Hugo

BILLET D'HUMEUR de Thierry Didier : SOMMES-NOUS DE  BONS ANCÊTRES ?

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