Le philosophe et essayiste est mort jeudi 6 août. Il avait 68 ans. C’était l’un des penseurs de la technique et du temps, confronté à l’ère numérique qui bouleverse radicalement nos modes de vie et de pensée.
La mélancolie, tenace, lui collait à la peau. Pour tenter de la tenir à distance, il s’engouffrait dans le travail, la recherche, la spéculation intellectuelle et l’action sociale. Bernard Stiegler est parti en toute discrétion. Son décès a été annoncé jeudi 6 août dans la soirée par le Collège international de philosophie dont il avait été l’un des directeurs de programme de recherche, à sa sortie de prison, en 1983. « Un contemporain hors du commun, qui a cherché à inventer une nouvelle langue et de nouvelles subversions », salue le communiqué
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L’une de ses singularités, si souvent soulignée, fut d’avoir été emprisonné pendant cinq ans pour une série de braquages. Et d’avoir transformé cette réclusion en occasion de se réinventer. Au terme d’une grève de la faim, il obtient une cellule individuelle et de pouvoir explorer l’histoire de la philosophie. C’est dans le silence et la solitude de ce réduit que Bernard Stiegler va devenir un autre homme.
Autodidacte et atypique, il en sort, soutenu par Jacques Derrida, son directeur de thèse, comme l’un des penseurs capitaux de la technique et de la techno-science, un théoricien de la mise en réseau des savoirs et des pratiques, un ardent promoteur de « l’économie de la contribution », inspirée de la théorie de la pollinisation.
Tout en poursuivant son travail d’enseignant universitaire et son œuvre d’essayiste, Bernard Stiegler est recruté par des institutions influentes de l’industrie culturelle (Institut national de l’audiovisuel, Ircam, Centre Pompidou), séduites par sa rigueur et la pertinence de son propos.
Dans la lignée de Heidegger, de Jacques Ellul, de Paul Virilio, que dit-il ? Les individus ne sont plus que des consommateurs perpétuellement frustrés et insatisfaits, manipulés par des techniques de marketing, soumis à l’idéologie du consumérisme qui joue sur les ressorts de la pulsion. Temps détruit, travail en miettes, esprit colonisé par la publicité, injonction consumériste, toxicité des évolutions technologiques, savoir-faire perdus, mémoire confisquée, monétarisation de l’existence, humanité dépressive…
Cet éveilleur de conscience pointe et dénonce la « barbarie » de cette économie du pulsionnel (cf l’usage frénétique des réseaux sociaux) et du contrôle général, de l’accélération technique pilotée par les intérêts financiers. Farouche procureur de la dérive mercantile de la télévision, il s’affirme comme un analyste décapant du nouveau « malaise dans la civilisation ».