PEUPLE, FOULE.. CYCLE DES CIVILISATIONS
Les travaux de recherche de Loge Kleiô de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française, sont de grande qualité, le temps long de réflexion dont nous disposons en ce moment est propice pour en tirer profit, à chaque fois comme disent les francs-maçons à leur lecture nous recevons notre salaire.
C’est avec les lumières du passé que l’on éclaire le labyrinthe de l’avenir. Après avoir marché dans les pas du Marquis Antoine Destutt de Tracy, initié de la loge la Candeur. La loge Kleiô nous propose une étude des travaux d’un non initié le psychologue Gustave Le Bon né le 7 mars 1841 à Nogent le Rotrou et décédé à Marnes la Coquette le 13 novembre 1931. Les travaux de ce psychologue non pas sur les profondeurs de l’âme comme Karl Jung, mais sur les profondeurs des civilisations et leur évolution, là aussi interrogent, mettent au jour notre actualité récente et justifie nos inquiétudes. Les mots race, peuple, foule, populisme sont disséqués dans son œuvre maitresse Gustave le Bon, Psychologie des Foules parue en 1895. Il écrivait en visionnaire :
« L’âge où nous entrons sera véritablement l’ère des foules. Aujourd’hui (donc en1895), ce sont les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et, au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante. »
Force est de constater, les récents événements l’ont démontré, que la parole de la foule, non du peuple dirige notre pays, elle a submergé tous les partis politiques, les corps intermédiaires, les illusions des partis émergents qui succombent les premiers à la terreur de la foule, la venue d’un nouveau Robespierre n’est pas loin.
Gustave Le Bon écrit encore :
« Ce n’est pas le besoin de la liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours l’âme des foules. Elles ont une telle soif d’obéir quelles se soumettent d’instinct à qui se déclare leur maître. »
Nous avons entendu récemment, lors d’un coup de force contre l’État, un « Je suis le peuple ! » Jeté en pâture à la foule.
Cette étude du passé, de la psychologie des foules, nous instruits peut-être malheureusement sur notre avenir.
Merci à Loge Kleiô, et plus particulièrement à V.B…, de la mettre à disposition des lecteurs du Blog.
Jean-François Guerry.
PEUPLE, FOULE.. CYCLE DES CIVILISATIONS
Les travaux de recherche de Loge Kleiô de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française, sont de grande qualité, le temps long de réflexion dont nous disposons en ce moment est propice pour en tirer profit, à chaque fois comme disent les francs-maçons à leur lecture nous recevons notre salaire.
C’est avec les lumières du passé que l’on éclaire le labyrinthe de l’avenir. Après avoir marché dans les pas du Marquis Antoine Destutt de Tracy, initié de la loge la Candeur. La loge Kleiô nous propose une étude des travaux d’un non initié le psychologue Gustave Le Bon né le 7 mars 1841 à Nogent le Rotrou et décédé à Marnes la Coquette le 13 novembre 1931. Les travaux de ce psychologue non pas sur les profondeurs de l’âme comme Karl Jung, mais sur les profondeurs des civilisations et leur évolution, là aussi interrogent, mettent au jour notre actualité récente et justifie nos inquiétudes. Les mots race, peuple, foule, populisme sont disséqués dans son œuvre maitresse Gustave le Bon, Psychologie des Foules parue en 1895. Il écrivait en visionnaire :
« L’âge où nous entrons sera véritablement l’ère des foules. Aujourd’hui (donc en1895), ce sont les traditions politiques, les tendances individuelles des souverains, leurs rivalités qui ne comptent plus, et, au contraire, la voix des foules qui est devenue prépondérante. »
Force est de constater, les récents événements l’ont démontré, que la parole de la foule, non du peuple dirige notre pays, elle a submergé tous les partis politiques, les corps intermédiaires, les illusions des partis émergents qui succombent les premiers à la terreur de la foule, la venue d’un nouveau Robespierre n’est pas loin.
Gustave Le Bon écrit encore :
« Ce n’est pas le besoin de la liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours l’âme des foules. Elles ont une telle soif d’obéir quelles se soumettent d’instinct à qui se déclare leur maître. »
Nous avons entendu récemment, lors d’un coup de force contre l’État, un « Je suis le peuple ! » Jeté en pâture à la foule.
Cette étude du passé, de la psychologie des foules, nous instruits peut-être malheureusement sur notre avenir.
Merci à Loge Kleiô, et plus particulièrement à V.B…, de la mettre à disposition des lecteurs du Blog.
Jean-François Guerry.
VIE ET MORT DES CIVILISATIONS
Gustave Le Bon
Psychologie des foules
1895
Quand l'édifice d'une civilisation est vermoulu, ce sont toujours les foules qui en amènent l'écroulement.
Gustave Le Bon 1841-1931
Médecin, anthropologue, psychologue, sociologue
Né en 1841 à Nogent-le-Rotrou, où son père, Jean Marie Charles Le Bon, est conservateur des hypothèques, Gustave Le Bon fait ses études au lycée de Tours. Il entre ensuite à la faculté de médecine de Paris.
Il parcourt l’Europe, l'Asie et l'Afrique du Nord entre les années 1860 et 1804. Il écrit des récits de voyage, des ouvrages d’archéologie et d’anthropologie sur les civilisations de l’Orient et participe au comité d'organisation des expositions universelles. En 1879, il fait une entrée remarquée au sein de la Société d'anthropologie de Paris qui lui décerne l’année suivante le prix Godard.
En 1888, il démissionne et rompt tout contact avec cette société peu ouverte à ses approches psycho-sociologiques novatrices ; pour lui, « il n'y a pas de races pures dans les pays civilisés » et il entend le terme de « race », à l'instar de Taine ou Renan, comme un synonyme de « peuple », c'est-à-dire « un agrégat d'hommes appartenant au même milieu et partageant la même culture (langue, tradition, religion, histoire, coutumes vestimentaires, alimentaires, etc.) ».
« Les classifications uniquement fondées sur la couleur de la peau ou sur la couleur des cheveux n'ont guère plus de valeur que celles qui consisteraient à classer les chiens d'après la couleur ou la forme des poils, divisant, par exemple, ces derniers en chiens noirs, chiens blancs, chiens rouges, chiens frisés, etc. »
Au chapitre de la colonisation, Le Bon partage avec l’anthropologue Armand de Quatrefages une position hétérodoxe : le rôle de la puissance colonisatrice devait se borner à maintenir la paix et la stabilité, à prélever un tribut, à nouer ou à développer des relations commerciales, mais en aucun cas ne doit s’arroger le droit d’imposer sa civilisation à des populations réticentes. Le Bon ne soutient pas la théorie d’une hiérarchisation des civilisations, mais admet des différences au niveau des stades de développement.
Son premier grand succès de librairie en sciences sociales est la publication en 1894 des Lois psychologiques de l'évolution des peuples, ouvrage qui se réfère aux lois de l'évolution darwinienne en les étendant de la physiologie à la psycho-sociologie.
Psychologie sociale
En 1895, il publie son oeuvre principale, Psychologie des foules.
A partir de grands événements historiques, il décrit l'action des hommes par le seul fait qu'ils sont en groupe. Les principes qu'il expose dans cet ouvrage formeront les bases d'une nouvelle discipline scientifique : la psychologie sociale.
Un parallèle peut être fait entre Le Bon et Machiavel. Le Prince comme Psychologie des foules sont des œuvres que l’on pourrait qualifier de cyniques car elles décrivent des phénomènes (l’art de diriger les peuples ou celui de dominer une foule) de manière crue, sans connotation morale.
Elles furent reçues par leurs lecteurs comme des alertes pour prévenir les mauvais gouvernements (Le Prince) ou les dérives populistes et révolutionnaires (Psychologie des foules)
Elles furent aussi utilisées comme des manuels à l’usage de ceux qui les appliquent pour asservir et manipuler.
Le Bon soutient dès 1924 que la montée du fascisme en Italie n'était pas un phénomène isolé mais risquait au contraire de s’étendre, par le même mécanisme d’un meneur de foules prenant, à la faveur d’événements violents, les rênes du pouvoir et les confisquant ensuite à son seul profit.
Il est connu pour avoir été le premier penseur ayant discerné le danger de la mystique de la supériorité de la race aryenne et condamné par avance la montée du nazisme : « L’Allemand moderne est plus dangereux encore par ses idées que par ses canons »,
« Le dernier des Teutons reste convaincu de la supériorité de sa race et du devoir, qu’en raison de cette supériorité, il a d’imposer sa domination au monde. Cette conception donne évidemment à un peuple une grande force. Il faudra peut-être une nouvelle série de croisades pour la détruire. »
« Les peuples ne se résignent pas à la défaite quand ils se croient supérieurs à leurs vainqueurs. Une tentative de revanche germanique peut donc être considérée comme un des plus sûr événements de la future Histoire. »
Etude des phénomènes révolutionnaires
PSYCHOLOGIE DES FOULES, citations :
« La foule psychologique est un être provisoire, formé d'éléments hétérogènes qui pour un instant se sont soudés, absolument comme les cellules qui constituent un corps vivant forment par leur réunion un être nouveau manifestant des caractères fort différents de ceux que chacune de ces cellules possède »
« Quels que soient les sentiments, bons ou mauvais, manifestés par une foule, ils présentent ce double caractère d'être très simples et très exagérés. Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'individu en foule se rapproche des êtres primitifs. Inaccessible aux nuances, il voit les choses en bloc et ne connaît pas les transitions... La simplicité et l'exagération des sentiments des foules font que ces dernières ne connaissent ni le doute ni l'incertitude. Elles vont tout de suite aux extrêmes. Le soupçon énoncé se transforme aussitôt en évidence indiscutable. Un commencement d'antipathie ou de désapprobation, qui, chez l'individu isolé, ne s'accentuerait pas, devient aussitôt haine féroce chez l'individu en foule »
« Les idées n'étant accessibles aux foules qu'après avoir revêtu une forme très simple, doivent, pour devenir populaires, subir souvent les plus complètes transformations. C'est surtout quand il s'agit d'idées philosophiques ou scientifiques un peu élevées, qu'on peut constater la profondeur des modifications qui leur sont nécessaires pour descendre de couche en couche jusqu'au niveau des foules. Ces modifications... sont toujours amoindrissantes et simplifiantes. Et c'est pourquoi, au point de vue social, il n'y a guère, en réalité, de hiérarchie des idées, c'est-à-dire d'idées plus ou moins élevées. Par le fait seul qu'une idée arrive aux foules et peut agir, si grande ou si vraie qu'elle ait été à son origine, elle est dépouillée de presque tout ce qui faisait son élévation et sa grandeur. D'ailleurs, au point de vue social, la valeur hiérarchique d'une idée est sans importance.»
« De même que pour les êtres chez qui le raisonnement n'intervient pas, l'imagination représentative des foules est très puissante, très active, et susceptible d'être vivement impressionnée. Les images évoquées dans leur esprit par un personnage, un événement, un accident, ont presque la vivacité des choses réelles. Les foules sont un peu dans le cas du dormeur dont la raison, momentanément suspendue, laisse surgir dans l'esprit des images d'une intensité extrême, mais qui se dissiperaient vite si elles pouvaient être soumises à la réflexion. Les foules, n'étant capables ni de réflexion ni de raisonnement, ne connaissent pas l'invraisemblable : or, ce sont les choses les plus invraisemblables qui sont généralement les plus frappantes. »
« Ce n'est pas le besoin de la liberté, mais celui de la servitude qui domine toujours dans l'âme des foules. Elles ont une telle soif d'obéir qu'elles se soumettent d'instinct à qui se déclare leur maître »
Influence
Le Bon participe activement à la vie intellectuelle française. En 1902, il crée la Bibliothèque de philosophie scientifique chez Flammarion, qui est un vrai succès d'édition, avec plus de 220 titres publiés et plus de deux millions de livres vendus à la mort de Le Bon en 1931. À partir de 1902 il organise une série de « déjeuners du mercredi » auxquels sont conviées des personnalités telles que Henri et Raymond Poincaré, Paul Valéry, Émile Picard, Camille Saint-Saëns, Marie Bonaparte, Aristide Briand, Henri Bergson, la comtesse Greffulhe, icône de la Belle-Époque et inspiratrice de Proust pour À la recherche du temps perdu.
En 2010, Psychologie des foules est choisi par Le Monde et Flammarion comme l'un des « 20 livres qui ont changé le monde ».
Les idées contenues dans Psychologie des foules jouèrent un rôle important au début du XXe siècle.
Si les praticiens du totalitarisme, Mussolini, Hitler, Staline et Mao, passent pour s'être inspirés (ou plus exactement, avoir détourné les principes) de Gustave Le Bon, beaucoup de républicains – Roosevelt, Clemenceau, Poincaré, Churchill, de Gaulle, etc. – s'en sont également inspirés.
Roosevelt « Je n'eus l’occasion de le rencontrer (Roosevelt) que deux mois avant la guerre, à un déjeuner qui lui était offert par mon éminent ami, Hanotaux, ancien ministre des Affaires étrangères. M. Roosevelt avait désigné lui-même les convives qu'il désirait voir à ses côtés. […] Après avoir parlé du rôle des idées dans l'orientation des grands conducteurs de peuples, Roosevelt, fixant sur moi son pénétrant regard, me dit d'une voix grave : — Il est un petit livre qui ne m'a jamais quitté dans tous mes voyages et qui resta toujours sur ma table pendant ma présidence. Ce livre est votre volume : Lois psychologiques de l'évolution des peuples. »
Charles de Gaulle emprunte dans son livre à la gloire de « l'homme de caractère » (Le Fil de l'épée) l'essentiel des thèses de Le Bon, tendant notamment à considérer la suggestion comme le fait élémentaire et irréductible expliquant tous les mystères de la domination.
Dans son ouvrage Psychologie collective et analyse du moi, paru en 1921, Freud s’appuie sur une lecture critique de Psychologie des foules, il y mentionne les travaux de Le Bon notamment sur « les modifications du Moi lorsqu’il est au sein d’un groupe agissant », et écrit « je laisse donc la parole à M. Le Bon. »
VIE ET MORT DES CIVILISATIONS
LA CONCLUSION DE PSYCHOLOGIE DES FOULES
« La création incessante de lois et de règlements restrictifs entourant des formalités les plus byzantines les moindres actes de la vie, a pour résultat fatal de rétrécir progressivement la sphère dans laquelle les citoyens peuvent se mouvoir librement.
Victimes de cette illusion qu'en multipliant les lois, l'égalité et la liberté se trouvent mieux assurées, les peuples acceptent chaque jour de plus pesantes entraves. Ce n'est pas impunément qu'ils les acceptent.
Habitués à supporter tous les jougs, ils finissent bientôt par les rechercher, et, perdre toute spontanéité et toute énergie. Ce ne sont plus que des ombres vaines, des automates passifs, sans volonté, sans résistance et sans force.
Mais les ressorts qu'il ne trouve plus en lui-même, l'homme est alors bien forcé de les chercher ailleurs. Avec l'indifférence et l'impuissance croissantes des citoyens, le rôle des gouvernements est obligé de grandir encore. Il leur faut tout entreprendre, tout diriger, tout protéger.
L'État devient alors un dieu tout-puissant. Mais l'expérience enseigne que le pouvoir de telles divinités ne fut jamais ni bien durable ni bien fort.
La restriction progressive de toutes les libertés chez certains peuples, malgré une licence qui leur donne l'illusion de les posséder, semble résulter de leur vieillesse tout autant que d'un régime quelconque. Elle constitue un des symptômes précurseurs de cette phase de décadence à laquelle aucune civilisation n'a pu échapper jusqu'ici.
Si l'on en juge par les enseignements du passé et par des symptômes éclatant de toutes parts, plusieurs de nos civilisations modernes sont arrivées à la période d'extrême vieillesse qui précède la décadence. Certaines évolutions semblent fatales pour tous les peuples, puisque l'on voit si souvent l'histoire en répéter le cours.
Il est facile de marquer sommairement les phases de ces évolutions. C'est avec leur résumé que se terminera notre ouvrage.
Si nous envisageons dans leurs grandes lignes la genèse de la grandeur et de la décadence des civilisations qui ont précédé la nôtre, que voyons-nous ?
A l'aurore de ces civilisations, une poussière d'hommes, d'origines variées, réunie par les hasards des migrations, des invasions et des conquêtes. De sangs divers, de langues et de croyances également diverses, ces hommes n'ont de lien commun que la loi à demi reconnue d'un chef.
Dans leurs agglomérations confuses se retrouvent au plus haut degré les caractères psychologiques des foules. Elles en ont la cohésion momentanée, les héroïsmes, les faiblesses, les impulsions et les violences. Rien de stable en elles. Ce sont des barbares.
Puis le temps accomplit son œuvre. L'identité de milieux, la répétition des croisements, les nécessités d'une vie commune agissent lentement. L'agglomération d'unités dissemblables commence à se fusionner et à former une race, c'est-à-dire un agrégat possédant des caractères et des sentiments communs, que l'hérédité fixera progressivement. La foule est devenue un peuple, et ce peuple va pouvoir sortir de la barbarie.
Il n'en sortira tout à fait pourtant que lorsque après de longs efforts, des luttes sans cesse répétées et d'innombrables recommencements, il aura acquis un idéal. Peu importe la nature de cet idéal. Que ce soit le culte de Home, la puissance d'Athènes ou le triomphe d'Allah, il suffira pour doter tous les individus de la race en voie de formation d'une parfaite unité de sentiments et de pensées.
C'est alors que peut naître une civilisation nouvelle avec ses institutions, ses croyances et ses arts. Entraînée par son rêve, la race acquerra successivement tout ce qui donne l'éclat, la force et la grandeur. Elle sera foule encore sans doute à certaines heures, mais, derrière les caractères mobiles et changeants des foules, se trouvera ce substratum solide, l'âme de la race, qui limite étroitement les oscillations d'un peuple et règle le hasard.
Mais, après avoir exercé son action créatrice, le temps commence cette oeuvre de destruction à laquelle n'échappent ni les dieux ni les hommes. Arrivée à un certain niveau de puissance et de complexité, la civilisation cesse de grandir, et, dès qu'elle ne grandit plus, elle est condamnée à décliner rapidement. L'heure de la vieillesse va sonner bientôt.
Cette heure inévitable est toujours marquée par l'affaiblissement de l'idéal qui soutenait l'âme de la race. A mesure que cet idéal pâlit, tous les édifices religieux, politiques ou sociaux dont il était l'inspirateur commencent à s'ébranler.
Avec l'évanouissement progressif de son idéal, la race perd de plus en plus ce qui faisait sa cohésion, son unité et sa force. L'individu peut croître en personnalité et en intelligence, mais en même temps aussi l'égoïsme collectif de la race est remplacé par un développement excessif de l'égoïsme individuel accompagné de l'affaissement du caractère et de l'amoindrissement des aptitudes à l'action.
Ce qui formait un peuple, une unité, un bloc, finit par devenir une agglomération d'individus sans cohésion et que maintiennent artificiellement pour quelque temps encore les traditions et les institutions.
C'est alors que divisés par leurs intérêts et leurs aspirations, ne sachant plus se gouverner, les hommes demandent à être dirigés dans leurs moindres actes, et que l'État exerce son influence absorbante.
Avec la perte définitive de l'idéal ancien, la race finit par perdre aussi son âme. Elle n'est plus qu'une poussière d'individus isolés et redevient ce qu'elle était à son point de départ : une foule.
Elle en présente tous les caractères transitoires sans consistance et sans lendemain. La civilisation n'a plus aucune fixité et tombe à la merci de tous les hasards. La plèbe est reine et les barbares avancent. La civilisation peut sembler brillante encore parce qu'elle conserve la façade extérieure créée par un long passé, mais c'est en réalité un édifice vermoulu que rien ne soutient plus et qui s'effondrera au premier orage.
Passer de la barbarie à la civilisation en poursuivant un rêve, puis décliner et mourir dès que ce rêve a perdu sa force, tel est le cycle de la vie d'un peuple. »
COMMENTAIRES DU CONFERENCIER
LES CIVILISATIONS ASCENDANTES
LA CHINE l’irrésistible ascension
LES CIVILISATIONS RESILIANTES
LA RUSSIE éternelle puissance
ISRAEL citadelle assiégée
l’IRAN vive les sanctions
LES CIVILISATIONS DECLINANTES
LES ETATS UNIS « pour résister soyons barbares »
L’EUROPE « après moi le déluge »
Fin de la conférence
ANNEXES
EXTRAITS PSYCHOLOGIE DES FOULES
L’ochlocratie (du grec ancien ὀχλοκρατία / okhlokratía, via le latin : ochlocratia) est un régime politique dans lequel la foule (okhlos) a le pouvoir d'imposer sa volonté « Gouvernement par la foule, la multitude, la populace »
Ochlocratie n'est pas un synonyme de démocratie au sens de gouvernement par le peuple. Le terme foule, non le terme peuple, est employé ː il suggère dans un sens péjoratif la foule en tant que masse manipulable ou passionnelle.
Exagération et simplisme des sentiments des foules
Les sentiments, bons ou mauvais, manifestés par une foule, présentent ce double caractère d'être très simples et très exagérés. Sur ce point, comme sur tant d'autres, l'individu en foule se rapproche des êtres primitifs. Inaccessible aux nuances, il voit les choses en bloc et ne connaît pas les transitions. Dans la foule, l'exagération d'un sentiment est fortifiée par le fait que, se propageant très vite par voie de suggestion et de contagion, l'approbation dont il devient l'objet accroît considérablement sa force.
La simplicité et l'exagération des sentiments des foules les préservent du doute et de l'incertitude. Comme les femmes, elles vont tout de suite aux extrêmes. Le soupçon énoncé se transforme aussitôt en évidence indiscutable. Un commencement d'antipathie ou de désapprobation, qui, chez l'individu isolé, resterait peu accentué, devient aussitôt une haine féroce chez l'individu en foule.
La violence des sentiments des foules est encore exagérée, dans les foules hétérogènes surtout, par l'absence de responsabilité. La certitude de l'impunité, d'autant plus forte que la foule est plus nombreuse et la notion d'un pouvoir momentané considérable dû au nombre, rendent possibles à la collectivité des sentiments et des actes impossibles à l'individu isolé. Dans les foules, l'imbécile, l'ignorant et l'envieux sont libérés du sentiment de leur nullité et de leur impuissance, que remplace la notion d'une force brutale, passagère, mais immense.
L'exagération, chez les foules, porte malheureusement souvent sur de mauvais sentiments, reliquat atavique des instincts de l'homme primitif, que la crainte du châtiment oblige l'individu isolé et responsable à refréner. Ainsi s'explique la facilité des foules à se porter aux pires excès.
Habilement suggestionnées, les foules deviennent capables d'héroïsme et de dévouement. Elles en sont même beaucoup plus capables que l'individu isolé. Nous aurons bientôt occasion de revenir sur ce point en étudiant la moralité des foules.
La foule n'étant impressionnée que par des sentiments excessifs, l'orateur qui veut la séduire doit abuser des affirmations violentes. Exagérer, affirmer, répéter, et ne jamais tenter de rien démontrer par un raisonnement, sont les procédés d'argumentation familiers aux orateurs des réunions populaires.
La foule réclame encore la même exagération dans les sentiments de ses héros. Leurs qualités et leurs vertus apparentes doivent toujours être amplifiées. Au théâtre, la foule exige du héros de la pièce des vertus, un courage, une moralité, qui ne sont jamais pratiqués dans la vie.
On a parlé avec raison de l'optique spéciale du théâtre. Il en existe une, sans doute, mais ses règles sont le plus souvent sans parenté avec le bon sens et la logique. L'art de parler aux foules est d'ordre inférieur, mais exige des aptitudes toutes spéciales. On s'explique mal parfois à la lecture le succès de certaines pièces. Les directeurs des théâtres, quand ils les reçoivent, sont eux-mêmes généralement très incertains de la réussite, car pour juger, il leur faudrait se transformer en foule. Si nous pouvions entrer dans les développements, il serait facile de montrer encore l'influence prépondérante de la race. La pièce de théâtre qui enthousiasme la foule dans un pays reste parfois sans aucun succès dans un autre ou n'obtient qu'un succès d'estime et de convention, parce qu'elle ne met pas en jeu des ressorts capables de soulever son nouveau publie.
Inutile d'ajouter que l'exagération des foules porte seulement sur les sentiments, et en aucune façon sur l'intelligence. Par le fait seul que l'individu est en foule, son niveau intellectuel, je l'ai déjà montré, baisse considérablement. M. Tarde l'a égale-ment constaté en opérant ses recherches sur les crimes des foules.
C'est donc uniquement dans l'ordre sentimental que les foules peuvent monter très haut ou descendre, au contraire, très bas.
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Impulsivité, mobilité et irritabilité des foules
La foule, avons-nous dit en étudiant ses caractères fondamentaux, est conduite presque exclusivement par l'inconscient. Ses actes sont beaucoup plus sous l'influence de la moelle épinière que sous celle du cerveau. Les actions accomplies peuvent être parfaites quant à leur exécution, mais, le cerveau ne les dirigeant pas, l'individu agit suivant les hasards de l'excitation. La foule, jouet de tous les stimulants extérieurs, en reflète les incessantes variations. Elle est donc esclave des impulsions reçues. L'individu isolé peut être soumis aux mêmes excitants que l'homme en foule ; mais sa raison lui montrant les inconvénients d'y céder, il n'y cède pas. On peut physiologiquement définir ce phénomène en disant que l'individu isolé possède l'aptitude à dominer ses réflexes, alors que la foule en est dépourvue.
Les impulsions diverses auxquelles obéissent les foules pourront être, suivant les excitations, généreuses ou cruelles, héroïques ou pusillanimes, mais elles seront toujours tellement impérieuses que l'intérêt de la conservation lui-même s'effacera devant elles.
Les excitants susceptibles de suggestionner les foules étant variés, et ces dernières y obéissant toujours, elles sont extrêmement mobiles. On les voit passer en un instant de la férocité la plus sanguinaire à la générosité ou à l'héroïsme le plus absolu. La foule est aisément bourreau, mais non moins aisément martyre. C'est de son sein qu'ont coulé les torrents de sang exigés pour le triomphe de chaque croyance. Inutile de remonter aux âges héroïques pour voir de quoi les foules sont capables. Elles ne marchandent jamais leur vie dans une émeute, et il y a peu d'années qu'un général, devenu subitement populaire, eût facilement trouvé cent mille hommes prêts à se faire tuer pour sa cause.
Rien donc ne saurait être prémédité chez les foules. Elles peuvent parcourir successivement la gamme des sentiments les plus contraires, sous l'influence des excitations du moment. Elles sont semblables aux feuilles que l'ouragan soulève, disperse en tous sens, puis laisse retomber. L'étude de certaines foules révolutionnaires nous fournira quelques exemples de la variabilité de leurs sentiments.
Cette mobilité des foules les rend très difficiles à gouverner, surtout lorsqu'une partie des pouvoirs publics est tombée entre leurs mains. Si les nécessités de la vie quotidienne ne constituaient une sorte de régulateur invisible des événements, les démocraties ne pourraient guère subsister. Mais les foules qui veulent les choses avec frénésie, ne les veulent pas bien longtemps. Elles sont aussi incapables de volonté durable que de pensée.
La foule n'est pas seulement impulsive et mobile. Comme le sauvage, elle n'admet pas d'obstacle entre son désir et la réalisation de ce désir, et d'autant moins que le nombre lui donne le sentiment d'une puissance irrésistible. Pour l'individu en foule, la notion d'impossibilité disparaît. L'homme isolé sent bien qu'il ne pourrait à lui seul incendier un palais, piller un magasin ; la tentation ne lui en vient donc guère à l'esprit. Faisant partie d'une foule, il prend conscience du pouvoir que lui confère le nombre, et à la première suggestion de meurtre et de pillage il cédera immédiatement. L'obstacle inattendu sera brisé avec frénésie. Si l'organisme humain permettait la perpétuité de la fureur, on pourrait dire que l'état normal de la foule contrariée est la fureur.
Dans l'irritabilité des foules, leur impulsivité et leur mobilité, ainsi que dans tous les sentiments populaires que nous aurons à étudier, interviennent toujours les caractères fondamentaux de la race. Ils constituent le sol invariable sur lequel germent nos sentiments. Les foules sont irritables et impulsives, sans doute, mais avec de grandes variations de degré. La différence entre une foule latine et une foule anglo-saxonne est, par exemple, frappante. Les faits récents de notre histoire jettent une vive lueur sur ce point. En 1870, la publication d'un simple télégramme relatant une insulte supposée suffit pour déterminer une explosion de fureur dont sortit immédiatement une guerre terrible. Quelques années plus tard, l'annonce télégraphique d'un insignifiant échec à Langson provoqua une nouvelle explosion qui amena le renversement instantané du gouvernement. Au même moment, l'échec beaucoup plus grave d'une expédition anglaise devant Khartoum ne produisit en Angleterre qu'une faible émotion, et aucun ministre ne fut changé. Les foules sont partout féminines, mais les plus féminines de toutes sont les foules latines. Qui s'appuie sur elles peut monter très haut et très vite, mais en côtoyant sans cesse la roche Tarpéienne et avec la certitude d'en être précipité un jour.
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L'autoritarisme et l'intolérance
constituent pour les foules des sentiments très clairs, qu'elles supportent aussi facilement qu'elles les pratiquent. Elles respectent la force et sont médiocrement impressionnées par la bonté, facilement considérée comme une forme de la faiblesse. Leurs sympathies n'ont jamais été aux maîtres débonnaires, mais aux tyrans qui les ont vigoureusement dominées. C'est toujours à eux qu'elles dressent les plus hautes statues. Si elles foulent volontiers à leurs pieds le despote renversé, c'est parce qu'ayant perdu sa force, il rentre dans la catégorie des faibles qu'on méprise et ne craint pas. Le type du héros cher aux foules aura toujours la structure d'un César. Son panache les séduit, son autorité leur impose et son sabre leur fait peur.
Toujours prête à se soulever contre une autorité faible, la foule se courbe avec servilité devant une autorité forte. Si l'action de l'autorité est intermittente, la foule, obéissant toujours à ses sentiments extrêmes, passe alternativement de l'anarchie à la servitude, et de la servitude à l'anarchie.
Ce serait d'ailleurs méconnaître la psychologie des foules que de croire à la prédominance chez elles des instincts révolutionnaires. Leurs violences seules nous illusionnent sur ce point. Les explosions de révolte et de destruction sont toujours très éphémères. Elles sont trop régies par l'inconscient, et trop soumises par conséquent à l'influence d'hérédités séculaires, pour ne pas se montrer extrêmement conservatrices.
Abandonnées à elles-mêmes, on les voit bientôt lasses de leurs désordres se diriger d'instinct vers la servitude. Les plus fiers et les plus intraitables des Jacobins acclamèrent énergiquement Bonaparte, quand il supprima toutes les libertés et fit durement sentir sa main de fer.
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L’imagination des foules
C'est sur l'imagination populaire que sont fondées la puissance des conquérants et la force des États. En agissant sur elles, on entraîne les foules. Tous les grands faits historiques, la création du Bouddhisme, du Christianisme, de l'Islamisme, la Réforme, la Révolution et de nos jours l'invasion menaçante du Socialisme sont les conséquences directes ou lointaines d'impressions fortes produites sur l'imagination des foules.
Aussi, les grands hommes d'État de tous les âges et de tous les pays, y compris les plus absolus despotes, ont-ils considéré l'imagination populaire comme le soutien de leur puissance. Jamais ils n'ont essayé de gouverner contre elle. « C'est en me faisant catholique, disait Napoléon au Conseil d'État, que j'ai fini la guerre de Vendée; en me faisant musulman que je me suis établi en Égypte, en me faisant ultramontain que j'ai gagné les prêtres en Italie. Si je gouvernais un peuple de Juifs, je rétablirais le temple de Salomon. » Jamais, peut-être, depuis Alexandre et César, aucun grand homme n'a mieux compris comment l'imagination des foules doit être impressionnée. Sa préoccupation constante fut de la frapper. Il y songeait dans ses victoires, dans ses harangues, dans ses discours, dans tous ses actes. A son lit de mort il y songeait encore.
Comment impressionner l'imagination des foules? Nous le verrons bientôt. Disons dès maintenant que des démonstrations destinées à influencer l'intelligence et la raison seraient incapables d'atteindre ce but. Antoine n'eut pas besoin d'une rhétorique savante pour ameuter le peuple contre les meurtriers de César. Il lui lut son testament et lui montra son cadavre.
Tout ce qui frappe l'imagination des foules se présente sous forme d'une image saisissante et nette, dégagée d'interprétation accessoire, ou n'ayant d'autre accompagnement que quelques faits merveilleux : une grande victoire, un grand miracle, un grand crime, un grand espoir. Il importe de présenter les choses en bloc, et sans jamais en indiquer la genèse. Cent petits crimes ou cent petits accidents ne frapperont aucunement l'imagination des foules; tandis qu'un seul crime considérable, une seule catastrophe, les frapperont profondément, même avec des résultats infiniment moins meurtriers que les cent petits accidents réunis. La grande épidémie d'influenza qui fit périr, à Paris, cinq mille personnes en quelques semaines, frappa peu l'imagination populaire. Cette véritable hécatombe ne se traduisait pas, en effet, par quelque image visible, mais uniquement par les indications hebdomadaires de la statistique. Un accident qui, au lieu de ces cinq mille personnes, en eût seulement fait périr cinq cents, le même jour, sur une place publique, par un événement bien visible, la chute de la tour Eiffel, par exemple, aurait produit sur l'imagination une impression immense. La perte possible d'un transatlantique qu'on supposait, faute de nouvelles, coulé en pleine mer, frappa profondément pendant huit jours l'imagination des foules. Or, les statistiques officielles montrent que dans la même année un millier de grands bâtiments se perdirent. De ces pertes successives, bien autrement importantes comme destruction de vies et de marchandises, les foules ne se préoccupèrent pas un seul instant.
Ce ne sont donc pas les faits en eux-mêmes qui frappent l'imagination populaire, mais bien la façon dont ils se présentent. Ces faits doivent par condensation, si je puis m'exprimer ainsi, produire une image saisissante qui remplisse et obsède l'esprit. Connaître l'art d'impressionner l'imagination des foules c'est connaître l'art de les gouverner.
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Les images, les mots et les formules
En étudiant l'imagination des foules, nous avons vu qu'elles sont impressionnées surtout par des images. Si l'on ne dispose pas toujours de ces images, il est possible de les évoquer par l'emploi judicieux des mots et des formules. Maniés avec art, ils possèdent vraiment la puissance mystérieuse que leur attribuaient jadis les adeptes de la magie. Ils provoquent dans l'âme des multitudes les plus formidables tempêtes, et savent aussi les calmer. On élèverait une pyramide plus haute que celle du vieux Khéops avec les seuls ossements des victimes de la puissance des mots et des formules.
La puissance des mots est liée aux images qu'ils évoquent et tout à fait indépendante de leur signification réelle. Ceux dont le sens est le plus mal défini possèdent parfois le plus d'action. Tels, par exemple, les termes: démocratie, socialisme, égalité, liberté, etc., dont le sens est si vague que de gros volumes ne suffisent pas à le préciser. Et pourtant une puissance vraiment magique s'attache à leurs brèves syllabes, comme si elles contenaient la solution de tous les problèmes. Ils synthétisent des aspirations inconscientes variées et l'espoir de leur réalisation.
La raison et les arguments ne sauraient lutter contre certains mots et certaines formules. On les prononce avec recueillement devant les foules; et, tout aussitôt, les visages deviennent respectueux et les fronts s'inclinent. Beaucoup les considèrent comme des forces de la nature, des puissances surnaturelles. Ils évoquent dans les âmes des images grandioses et vagues, mais le vague même qui les estompe augmente leur mystérieuse puissance. On peut les comparer à ces divinités redoutables cachées derrière le tabernacle et dont le dévot n'approche qu'en tremblant.
Les images évoquées par les mots étant indépendantes de leur sens, varient d'âge en âge, de peuple à peuple, sous l'identité des formules. A certains mots s'attachent transitoirement certaines images: le mot n'est que le bouton d'appel qui les fait apparaître.
Tous les mots et toutes les formules ne possèdent pas la puissance d'évoquer des images; et, il en est qui, après en avoir évoqué, s'usent et ne réveillent plus rien dans l'esprit. Ils deviennent alors de vains sons, dont l'utilité principale est de dispenser celui qui les emploie de l'obligation de penser. Avec un petit stock de formules et de lieux communs appris dans la jeunesse, nous possédons tout ce qu'il faut pour traverser la vie sans la fatigante nécessité d'avoir à réfléchir.
Aussi, quand les foules, à la suite de bouleversements politiques, de changements de croyances, finissent par professer une antipathie profonde pour les images évoquées par certains mots, le premier devoir du véritable homme d'État est de changer ces mots sans, bien entendu, toucher aux choses en elles-mêmes. Ces dernières sont trop liées à une constitution héréditaire pour pouvoir être transformées. Le judicieux Tocqueville fait remarquer que le travail du Consulat et de l'Empire consista surtout à habiller de mots nouveaux la plupart des institutions du passé, à remplacer par conséquent des mots évoquant de fâcheuses images dans l'imagination par d'autres dont la nouveauté empêchait de pareilles évocations. La taille est devenue contribution foncière; la gabelle, l'impôt du sel ; les aides, contributions indirectes et droit réunis; la taxe des maîtrises et jurandes s'est appelée patente, etc.
Une des fonctions les plus essentielles des hommes d'État consiste donc à baptiser de mots populaires, ou au moins neutres, les choses détestées des foules sous leurs anciens noms. La puissance des mots est si grande qu'il suffit de termes bien choisis pour faire accepter les choses les plus odieuses. Taine remarque justement que c'est en invoquant la liberté et là fraternité, mots très populaires alors, que les Jacobins ont pu « installer un despotisme digne du Dahomey, un tribunal pareil à celui de l'Inquisition, des hécatombes humaines semblables à celles de l'ancien Mexique ». L'art des gouvernants, comme celui des avocats, consiste principalement à savoir manier les mots. Art difficile, car, dans une même société, les mêmes mots ont le plus souvent des sens différents pour les diverses couches sociales. Elles emploient en apparence les mêmes mots; mais ne parlent pas la même langue.
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Les moyens d’action des meneurs
Quand il s'agit de faire pénétrer lentement des idées et des croyances dans l'esprit des foules - les théories sociales modernes, par exemple - les méthodes des meneurs sont différentes. Ils ont principalement recours aux trois procédés suivants: l'affirmation, la répétition, la contagion. L'action en est assez lente, mais les effets durables.
L'affirmation pure et simple, dégagée de tout raisonnement et de toute preuve, constitue un sûr moyen de faire pénétrer une idée dans l'esprit des foules. Plus l'affirmation est concise, dépourvue de preuves et de démonstration, plus elle a d'autorité. Les livres religieux et les codes de tous les âges ont toujours procédé par simple affirmation. Les hommes d'État appelés à défendre une cause politique quelconque, les industriels propageant leurs produits par la publicité, connaissent la valeur de l'affirmation.
Cette dernière n'acquiert cependant d'influence réelle qu'à la condition d'être constamment répétée, et le plus possible, dans les mêmes termes, Napoléon disait qu'il n'existe qu'une seule figure sérieuse de rhétorique, la répétition. La chose affirmée arrive, par la répétition, à s'établir dans les esprits au point d'être acceptée comme une vérité démontrée.
Lorsqu'une affirmation a été suffisamment répétée, avec unanimité dans la répétition, comme cela arrive pour certaines entreprises financières achetant tous les concours, il se forme ce qu'on appelle un courant d'opinion et le puissant mécanisme de la contagion intervient. Dans les foules, les idées, les sentiments, les émotions, les croyances possèdent un pouvoir contagieux aussi intense que celui des microbes. Ce phénomène s'observe chez les animaux eux-mêmes dès qu'ils sont en foule. Le tic d'un cheval dans une écurie est bientôt imité par les autres chevaux de la même écurie. Une frayeur, un mouvement désordonné de quelques moutons s'étend bientôt à tout le troupeau. La contagion des émotions explique la soudaineté des paniques. Les désordres cérébraux, comme la folie, se propagent aussi par la contagion. On sait combien est fréquente l'aliénation chez les médecins aliénistes. On cite même des formes de folie, l'agoraphobie, par exemple, communiquées de l'homme aux animaux.
Si les opinions propagées par l'affirmation, la répétition et la contagion, possèdent une grande puissance, c'est qu'elles finissent par acquérir ce pouvoir mystérieux nommé prestige.
Tout ce qui a dominé dans le monde, les idées ou les hommes, s'est imposé principalement par la force irrésistible qu'exprime le mot prestige. Nous saisissons tous le sens de ce terme, mais on l'applique de façons trop diverses pour qu'il soit facile de le définir. Le prestige peut comporter certains sentiments tels que l'admiration et la crainte qui parfois même en sont la base, mais il peut parfaitement exister sans eux. Des êtres morts, et par conséquent que nous ne saurions craindre, Alexandre, César, Mahomet, Bouddha, possèdent un prestige considérable. D'un autre côté, certaines fictions que nous n'admirons pas, les divinités monstrueuses des temples souterrains de l'Inde, par exemple, nous paraissent pourtant revêtues d'un grand prestige.
Le prestige est en réalité une sorte de fascination qu'exerce sur notre esprit un individu, une oeuvre ou une doctrine. Cette fascination paralyse toutes nos facultés critiques et remplit notre âme d'étonnement et de respect. Les sentiments alors provoqués sont inexplicables, comme tous les sentiments, mais probablement du même ordre que la suggestion subie par un sujet magnétisé. Le prestige est le plus puissant ressort de toute domination. Les dieux, les rois et les femmes n'auraient jamais régné sans lui.
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Les foules dites criminelles
Les foules tombant, après une certaine période d'excitation, à l'état de simples automates inconscients menés par des suggestions, il semble difficile de les qualifier en aucun cas de criminelles. Je conserve cependant ce qualificatif erroné parce qu'il a été consacré par des recherches psychologiques. Certains actes des foules sont assu-rément criminels considérés en eux-mêmes, mais alors au même titre que l'acte d'un tigre dévorant un Hindou, après l'avoir d'abord laissé déchiqueter par ses petits pour les distraire.
Les crimes des foules résultent généralement d'une suggestion puissante, et les individus qui y ont pris part sont persuadés ensuite avoir obéi à un devoir. Tel n'est pas du tout le cas du criminel ordinaire.
L'histoire des crimes commis par les foules met en évidence ce qui précède,
On peut citer comme exemple typique le meurtre du gouverneur de la Bastille, M. de Launay. Après la prise de cette forteresse, le gouverneur, entouré d'une foule très excitée, recevait des coups de tous côtés. On proposait de le pendre, de lui couper la tête, ou de l'attacher à la queue d'un cheval. En se débattant, il frappa par mégarde d'un coup de pied l'un des assistants. Quelqu'un proposa, et sa suggestion fut accla-mée aussitôt par la foule, que l'individu atteint coupât le cou au gouverneur.
« Celui-ci, cuisinier sans place, demi-badaud qui est allé à la Bastille pour voir ce qui s'y passait, juge que, puisque tel est l'avis général, l'action est patriotique, et croit même mériter une médaille en détruisant un monstre. Avec un sabre qu'on lui prête, il frappe sur le col nu ; mais le sabre mal affilé ne coupant pas, il tire de sa poche un petit couteau à manche noir et (comme, en sa qualité de cuisinier, il sait travailler les viandes) il achève heureusement l'opération. »
On voit clairement ici le mécanisme précédemment indiqué. Obéissance à une suggestion d'autant plus puissante qu'elle est collective, convic¬tion chez le meurtrier d'avoir commis un acte fort méritoire, et conviction naturelle puisqu'il a pour lui l'approbation unanime de ses concitoyens. Un acte semblable peut être légalement, mais non psychologiquement, qualifié de criminel.
Les caractères généraux des foules dites criminelles sont exactement ceux que nous avons constatés chez toutes les foules : suggestibilité, crédulité, mobilité, exagé-ration des sentiments bons ou mauvais, manifestation de certaines formes de moralité, etc.
Nous retrouverons tous ces caractères chez une des foules qui laissèrent un des plus sinistres souvenirs de notre histoire : les septembriseurs. Elle présente d'ailleurs beaucoup d'analogie avec celles qui firent la Saint-Barthélemy. J'emprunte les détails du récit à Taine, qui les a puisés dans les mémoires du temps.
On ne sait pas exactement qui donna l'ordre ou suggéra de vider les prisons en massacrant les prisonniers. Que ce soit Danton, comme cela parait probable, ou tout autre, peu importe; le seul fait intéressant pour nous est celui de la suggestion puis-sante reçue par la foule chargée du massacre.
L'armée des massacreurs comprenait environ trois cents personnes, et constituait le type parfait d'une foule hétérogène. A part un très petit nombre de gredins profes-sionnels, elle se composait surtout de boutiquiers et d'artisans de corps d'états divers : cordonniers, serruriers, perruquiers, maçons, employés, commissionnaires, etc. Sous l'influence de la suggestion reçue, ils sont, comme le cuisinier cité plus haut, parfaite-ment convaincus d'accomplir un devoir patriotique. Ils remplissent une double fonc-tion, juges et bourreaux, et ne se considèrent en aucune façon comme des criminels.
Pénétrés de l'importance de leur rôle, ils commencent par former une sorte de tribunal, et immédiatement apparaissent l'esprit simpliste et l'équité non moins simpliste des foules. Vu le nombre considérable des accusés, on décide d'abord que les nobles, les prêtres, les officiers, les serviteurs du roi, c'est-à-dire tous les individus dont la profession seule est une preuve de culpabilité aux yeux d'un bon patriote, seront massacrés en tas sans qu'il soit besoin de décision spéciale. On jugera les autres sur la mine et la réputation. La conscience rudimentaire de la foule étant ainsi satisfaite, elle va pouvoir procéder légalement au massacre et donner libre cours aux instincts de férocité dont j'ai montré ailleurs la genèse, et que les collectivités ont le pouvoir de développer à un haut degré. Ils n'empêcheront pas du reste - ainsi que cela est la règle dans les foules - la manifestation concomitante d'autres sentiments contraires, tels qu'une sensibilité souvent aussi extrême que la férocité.
« Ils ont la sympathie expansive et la sensibilité prompte de l'ouvrier parisien. A l'Abbaye, un fédéré, apprenant que depuis vingt-six heures on avait laissé les détenus sans eau, voulait absolument exterminer le guichetier négligent, et l'eût fait sans les supplications des détenus eux-mêmes. Lorsqu'un prisonnier est acquitté (par leur tribunal improvisé), gardes et tueurs, tout le monde l'embrasse avec transport, on applaudit à outrance », puis on retourne tuer les autres. Pendant le massacre une aimable gaieté ne cesse de régner. Ils dansent et chantent autour des cadavres, dis-posent des bancs « pour les dames » heureuses de voir tuer des aristocrates. Ils continuent aussi à manifester une équité spéciale. Un tueur s'étant plaint, à l'Abbaye, que les dames placées un peu loin voient mal, et que quelques assistants seuls ont le plaisir de frapper les aristocrates, ils se rendent à la justesse de cette observation, et décident de faire passer lentement les victimes entre deux haies d'égorgeurs qui ne pourront frapper qu'avec le dos du sabre, afin de prolonger le supplice. A la force les victimes sont mises entièrement nues, déchiquetées pendant une demi-heure ; puis, quand tout le monde a bien vu, on les achève en leur ouvrant le ventre.
Les massacreurs sont d'ailleurs fort scrupuleux, et manifestent la moralité dont nous avons déjà signalé l'existence au sein des foules. Ils rapportent sur la table des comités l'argent et les bijoux des victimes.
Dans tous leurs actes on retrouve toujours ces formes rudimentaires de raisonne-ment, caractéristiques de l'âme des foules. C'est ainsi qu'après l'égorgement des douze ou quinze cents ennemis de la nation, quelqu'un fait observer, et immédiate¬ment sa suggestion est acceptée, que les autres prisons, contenant des vieux men¬diants, des vagabonds, des jeunes détenus, renferment en réalité des bouches inutiles, dont il serait bon de se débarrasser. D'ailleurs figurent certainement parmi eux des ennemis du peuple, tels, par exemple, qu'une certaine dame Delarue, veuve d'un empoisonneur : « Elle doit être furieuse d'être en prison ; si elle pouvait, elle mettrait le feu à Paris ; elle doit l'avoir dit, elle l'a dit. Encore un coup de balai. » La démons¬tration paraît évidente, et tout est massacré en bloc, y compris une cinquantaine d'enfants de douze à dix-sept ans qui, d'ailleurs, eux-mêmes, auraient pu devenir des ennemis de la nation et devaient par conséquent être supprimés.
Après une semaine de travail, toutes ces opérations étaient terminées, et les massacreurs purent songer au repos. Intimement persuadés qu'ils avaient bien mérité de la patrie, ils vinrent réclamer une récompense aux autorités ; les plus zélés exigèrent même une médaille.
L'histoire de la Commune de 1871 nous offre plusieurs faits analogues. L'influence grandissante des foules et les capitulations successives des pouvoirs devant elles en fourniront certainement bien d'autres.