"En dépit de tous les progrès, l'inintelligence cependant subsistera.
Géant stupide, elle produira des désordres, tant qu'elle ne sera pas
immobilisée. Il faut que les retardataires de l’évolution intellectuelle soient rivés au sol devant l'entrée du grand Temple humanitaire."
GOETHE Märchen "Le serpent vert"
Comme toutes les histoires, celle-ci commence par il était une fois...
Il était une fois un roi, le plus puissant de tous les temps, créateur de l'Univers, puisque lui seul avait pu accéder à la connaissance de l'Absolu.
Celui-ci avait peu de distractions, la seule qu'il avait eu jusqu'ici était de pouvoir faire couler entre ses doigts toute cette poussière de petites planètes dorées qui volaient çà et là à travers l'espace infini.
Un jour, il connut la monotonie et eut envie de quelque chose de nouveau. Il prit entre ses doigts l'une de ces petites poussières, l'éleva jusqu'à son visage et lui donna un nom : Terre. Désormais, ce serait déjà plus drôle, celle-là, il l'a reconnaîtrait.
Mais ce n'était pas suffisant. Pour compléter son oeuvre, il créa sur cette planète quelque chose qui pouvait se mouvoir et se reproduire : ainsi apparut la vie.
Il s'amusait beaucoup à regarder ces formes bouger, ramper, se multiplier, pouvant elles-mêmes donner naissance à la vie. Toutefois, il leur manquait quelque chose et il décida d'attribuer à ces amas de matière vivante le pouvoir de se suffire à eux-mêmes, de mieux accéder à la liberté, il voulut leur donner une qualité qui les rendaient plus proches de sa propre image ; il leur donna l'Esprit. Ainsi naquit l'animal.
Mais tous ces animaux étaient absolument égaux entre eux, faits de manière identique, se nourrissaient des mêmes aliments et avaient une pensée uniforme. En observant l'un d'entre eux, il les connaissaient tous. Son œuvre n'était pas parfaite, il fallait la compléter. Il décida que la seule manière de rompre cette monotonie (et en même temps de satisfaire sa curiosité) serait de créer l'inégalité entre ces animaux. Il les convoqua donc tous ensemble (il y a bien des millions d'années) et leur fit la proposition suivante :
"Animaux ! J'ai décidé de vous donner à choisir entre trois manières d’être :
- soit vous aurez une forme physique considérable mais vous ne pourrez vous reproduire que très lentement.
- soit vous serez petits et fragiles mais alors vous pourrez vous reproduire très rapidement.
- soit, enfin, vous ne serez ni l’un, ni l'autre, mais je vous donne l'Intelligence."
Les animaux se concertèrent. Il y avait, bien sûr un choix très difficile à faire. Manquant du fruit de l'expérience, on ne pouvait compter que sur le seul raisonnement et il était évident que de cette décision dépendrait le sort de l'espèce qui serait dorénavant créée.
A la date prévue, les animaux se rassemblèrent à nouveau et firent part de leur choix. Beaucoup optèrent pour la force physique, d'autres préférèrent la multiplication rapide, mais celui qui surprit le plus l'assemblée fut une sorte de singe que l'on appelait Semos et qui fut le seul à choisir l'Intelligence. Ce choix provoqua le rire de toute l'assemblée et c'est à partir de ce jour que, par raillerie, les autres animaux le surnommèrent "Semos sapiens". Que pourrait-il bien faire de cette Intelligence ? Il était certain que le sort de cette espèce était réglé d'avance.
Ainsi tous les animaux repartirent sur la Terre et la lutte pour la vie commença.
Les premiers temps, la vie des Semos fut très difficile. La race faillit disparaître plusieurs fois. Toujours attaqué et toujours vaincus par des bêtes beaucoup plus fortes qu'eux, c'est avec énormément de peine qu'ils trouvaient leur nourriture. Ils en étaient réduits à manger essentiellement des végétaux et il leur fallait se contenter d’attraper des animaux plus petits mais souvent plus rapides à la course qu'eux. Les enfants qu'ils faisaient étaient rares par rapport à ceux d'autres espèces. Ils durent leur survie à leur ingéniosité à se cacher, à lutter contre le froid en s'abritant sous les rochers, en se vêtant de feuilles ou de peaux de bêtes.
Un jour, cependant, les Semos prirent conscience du profit que l'on pouvait tirer de l'usage d'un bâton ou d'une pierre : l'outil était né. Ils comprirent que certaines formes de pierres étaient plus meurtrières que d’autres : ce fut l'avènement de la pierre taillée.
Un jour de félicité, ils découvrirent une puissance considérable, à la fois matérielle et spirituelle : le feu. Le feu, source de chaleur, leur permit de se protéger du froid et de rendre plus digestes les aliments. Il leur donna aussi la possibilité de pouvoir modeler une matière appelée métal selon la forme désirée.
C'est ainsi qu'après avoir eu tant de mal à survivre, grâce à l'outil dont ils étaient les seuls capables de se servir, un équilibre se fit peu à peu entre les Semos et les autres animaux. Bien sûr, il restait ceux qui avaient une puissance considérable mais ceux-ci se reproduisaient si lentement que peu à peu leur espèce disparut. Les Semos eux, grâce à leur Intelligence, inventèrent des instruments de plus en plus perfectionnés pour la chasse ou la pêche, des outils pour cultiver la terre afin de tirer le meilleur profit du monde végétal qui les entourait. C'est aussi à cette époque qu'ils commencèrent à dessiner, à chanter et à faire des sons harmonieux, seuls ou en groupe, répondant aux besoins esthétiques inconscients de leur esprit.
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Ce fut une étape importante dans l'évolution de la race des Semos lorsqu'en plus de l'utile ils découvrirent le beau. Les Semos se rendirent compte que les sons qu'ils émettaient pouvaient être modifiés et utilisés pour communiquer entre eux. Par convention, certains sons prirent une signification précise que l'on appela mot: le langage parlé était né et devint de plus en plus élaboré. Ils arrivèrent même à traduire ainsi toutes leurs pensées. Des dessins correspondant à ce langage furent ensuite créés : ce fut l'avènement de l'écriture.
Au début, les Semos formaient des groupes de sexes différents certes, mais tous égaux entre eux. En se multipliant, les groupes devinrent de plus en plus importants. Comme l'indiscipline naissait, on établit une règle et des responsables furent désignés mais il était bien entendu que ces responsables n'auraient aucun pouvoir sur les autres.
Les Semos avaient malheureusement deux inquiétudes : d'une part, ils ne connaissaient pas la raison de leur vie sur la Terre et, d'autre part, chacun d'entre eux savait, contrairement à d'autres animaux, qu'un jour prochain il serait frappé par une mort inévitable. Or, doté de l'intelligence et de la vie, ils ne pouvaient supporter l'idée d'être faits de la même matière que les choses.
Ils pensèrent donc logiquement qu'il y avait un créateur tout puissant qu'il se mirent à adorer. Tous n'étaient pas d’accord ; les uns crurent en un phénomène naturel, d'autres en des animaux, d'autres encore en un Semos réel ou imaginaire élevé au rang de divinité. Ces croyances leur promettaient l'éternité au-delà de leur mort, ce qui apportait de cette manière un remède à leur angoisse. Les religions prirent ainsi naissance mais chacune avec les divinités et leurs rites propres.
Les Semos vivaient ensemble en bon accord n'ayant ni le sens de la propriété, ni celui de la puissance. Ils se contentaient de cultiver et de chasser pour se nourrir. Le soir venu, ils se réunissaient autour du feu dans des cavernes abritées sans qu'il n'y eut jamais la moindre querelle entre eux. Ils vivaient en équilibre parfait avec le milieu naturel, ne mangeant que lorsqu'ils avaient faim, ne buvant que lorsqu'ils avaient soif et ne faisant l'amour que lorsque l'instinct le leur dictait.
Pour mieux vivre, ils se mirent à conquérir des territoires de plus en plus vastes. Ils asservissaient aussi des animaux les uns pour les faire travailler, les autres pour les manger. Si quelquefois l'autorité des Semos était contestée par quelque bête sauvage, celle-ci était pourchassée et impitoyablement mise à mort. Ils étaient ainsi devenus les maîtres de la planète.
Les animaux alors s'inquiétèrent de la puissance qu'avaient prise les Semos. Craignant qu'un jour il n'y ait plus suffisamment de territoires pour eux-mêmes, ils élirent un roi qui fut délégué auprès du Créateur de l'univers pour obtenir que l'Intelligence fut accordée aux animaux. Le Créateur de l'univers rappela que le choix avait été fait en toute liberté et que les ancêtres des animaux n'avaient pas manqué de rire des Sémos lorsque ceux-ci avaient opté pour l'Intelligence. De toute manière, il était bien entendu que la décision avait été prise une fois pour toutes et qu'il n'était pas question de la remettre en cause. Cependant, avant de congédier le roi des animaux, le Créateur lui dit: "Ami, ne t'arrêtes pas à ton observation présente, redescends sur Terre et dis à tes disciples que si l'Intelligence des Semos fait leur félicité d'aujourd'hui, elle contient peut-être en elle le germe de leur malheur de demain".
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Les Semos, qui étaient arrivés à être la race la plus puissante de la Terre, avaient jusque-là vécus en paix. On aurait pu croire qu’ils avaient trouvé la clef du bonheur universel. Mais ce qu'ils n'avaient pas pu vaincre en eux c’était l'inquiétude et la peur primitives qui les habitaient alors qu'ils avaient à se défendre du milieu hostile qui les entouraient. Il en résultait un besoin de puissance, puissance qui, une fois acquise, les sécurisait. Au fur et à mesure des générations, cette inquiétude se perpétuait et ce besoin de puissance allait croissant, les entraînant dans une étrange folie : l'obsession de dominer.
Chaque Semos délimita une parcelle de terre et déclara qu'elle était à lui ; il était même prêt à se battre pour en interdire l’accès : ce fut l'avènement de la propriété. Les groupes mirent des frontières à leurs territoires morcelant ainsi toute la surface de la terre. Certains groupes voulurent en posséder beaucoup plus que leurs besoins ne l'exigeaient. Un jour, les frontières d'un groupe rencontrèrent celles d'un autre groupe et, comme les Semos étaient habitués à ce qu'on leur cède, ils commencèrent pour la première fois à se battre entre eux et à utiliser leur puissance contre leurs congénères. Ainsi certains groupes de Semos disparurent ou furent asservis au même titre que des animaux.
Leurs chefs étaient de nature encore plus inquiète que les autres, ce qui augmentait d'autant leur besoin de puissance. Ils contraignirent leurs condisciples à penser comme eux, soit par la parole, soit par la force. Ainsi la mission de responsabilité qui leur avait été confiée se commua en un véritable pouvoir. Certains mêmes voulurent le transmettre à leur descendance, prétendant qu'ils l'avait reçu du Créateur lui-même, ce qui rendait leur puissance absolue et indiscutable.
Les motifs de querelles entre les Semos devinrent de plus en plus nombreux et d'une futilité parfois surprenante. Ils s'aperçurent, par exemple, qu'il existait entre eux certaines différences par la taille, par les cheveux ou par la peau qui était blanche, jaune ou noire. Pour cette seule raison ils s'entretuèrent. Chaque groupe de Semos avait adopté une religion et chacune d'elles croyait posséder la Vérité. Ce qui est curieux, c'est que toutes voulaient le bien de l'ensemble des Semos et, cependant, elles les faisaient se massacrer sous prétexte que la vérité de l'une était différente de celle de l'autre.
Il régnait donc sur la Terre d'incessantes querelles. Au début, les Semos employèrent des armes rudimentaires proches de l'outil. Mais, au cours des temps et au fur et à mesure de l'expérience acquise, ils confectionnèrent des machines capables de lancer des flammes ou de projeter des morceaux de métal afin de mieux exterminer leurs semblables.
Les Semos ne se contentaient pas de se battre entre eux ; leur besoin de puissance les conduisaient à tuer les autres animaux, sans raison apparente, menaçant ceux-ci de disparition totale. Il en fut ainsi de certaines espèces, notamment celles qui n'eurent pas la chance de pouvoir se reproduire assez rapidement.
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Grâce à leur ingéniosité, les Semos avaient confectionné des machines de plus en plus perfectionnées, les soulageant peu à peu de toutes les peines physiques. Certains même eurent l'idée d'inventer d'étranges petits chariots montés sur quatre roues dans lesquels ils se déplaçaient très vite et qui leur évitaient de marcher. Ils fabriquèrent même des machines pour aller sur ou sous l'eau et d'autres qui leur permirent de voler à la manière des oiseaux. Mais, pour fonctionner, ces machines avaient besoin d'énergie qu'il fallait puiser dans les ressources naturelles qui s'appauvrissaient rapidement. Pour augmenter leur confort, ils fabriquaient beaucoup d'objets mais les industries ainsi créées polluaient sans vergogne l'atmosphère et les eaux.
Comme nous l'avons relaté, les Semos primitifs ignoraient la propriété qui était devenue pour les Semos d'aujourd'hui le souci essentiel. Pour échanger cette propriété, on avait d'abord eu recours au troc mais cela était peu aisé; on créa donc un intermédiaire nécessaire qui possédait en lui le symbole de la propriété. Ce moyen était fait de petits ronds de métal ou quelquefois de feuilles de papier conventionnellement imprimées de certaines de signes et d'images. Certains Semos comprirent vite l'avantage qu'il y avait à en posséder beaucoup. Ils acquéraient ainsi aux yeux des autres une puissance potentielle très importante. Mais, comme leur fortune était souvent entreposée en quelque endroit obscur, leur souci était de faire connaître aux autres l'importance de celle-ci. Différents moyens étaient possibles :
- la manière de se vêtir de peaux de bêtes jugées très rares
- de porte des bouts de métal ou de pierres décrétées précieux
- de posséder une plus ou moins grande cabane pour s'abriter
- ou encore d'avoir un important chariot pour se déplacer
Certains Semos, plus raisonnables que d'autres, essayaient de convaincre leurs congénères que cela ne pouvait en rien leur apporter le Bonheur mais en vain.
Les Semos avaient ainsi acquis de plus en plus de savoir. Ils pensaient même pouvoir atteindre la Connaissance absolue et apaiser leur inquiétude de manière définitive mais à chaque fois qu'un problème était résolu un autre se présentait immédiatement. Par ailleurs, beaucoup craignaient que les forces qu'ils avaient engendrées échappent à leur contrôle. En effet, s'ils avaient inventé des machines suffisamment perfectionnées pour pouvoir supprimer toute peine physique, ils avaient aussi découvert l'arme absolue qui permettait de supprimer toute vie sur Terre en un instant. Cela avait au moins pour conséquence de mettre un terme aux conflits car celui qui en aurait déclenché un en aurait du même coup péri.
On pourrait croire que dégagés de bien des soucis de la vie matérielle et n'ayant plus à craindre de nouvelles querelles, les Semos auraient désormais vécus parfaitement heureux mais l'histoire démontre le contraire.
Comme ils ne faisaient plus marcher leur corps, celui-ci dégénéra au fur et à mesure des générations. Cela fut aggravé par l'apparition d'une science dénommée médecine qui permettait aux êtres faibles de survivre et de se reproduire. Ce corps était tout juste bon à soutenir une tête considérable car seule la tête, siège de l'Intelligence, continuait à évoluer.
Ce qui était encore plus grave pour les Semos, c'est que la tristesse s'installa en eux de manière permanente. A cela il y avait deux raisons. La première était que l'avènement de la machine avait supprimé tout travail artisanal or celui-ci semblait nécessaire à l'équilibre des Semos. En effet, c'est par l'œuvre accomplie qu'ils justifiaient leur existence et prenaient conscience de leur utilité. La deuxième raison était d'avoir complètement perdu la notion de la relativité qui leur permettait d'accéder au Bonheur intérieur. Ne connaissant plus ni la peine ni la douleur, ils ne pouvaient concevoir ce qu'était la joie. Ce qui avait été source de bonheur pour les parents devenait chose normale pour les enfants. Ils en étaient même arrivés à perdre la notion d'Idéalet prenaient peu à peu conscience de leur inutilité. Ce sentiment de tristesse devint si fort que certains Semos en arrivèrent à supprimer volontairement leur vie. D'autres se mirent à inventer des sources de plaisir artificiel en absorbant des liquides ou des poudres qui leur permettaient d'oublier un instant leur condition mais cela était préjudiciable à leur santé physique et les conduisaient à peu près sûrement à la mort.
Cette tristesse fut un tel fait commun que l'ennui de se suicider collectivement leur naquit peu à peu. On décida de réunir une assemblée générale pour savoir si l'on pouvait porter remède à cet état de chose ou s'il valait mieux supprimer la race des Semos. Il apparut rapidement à l'assemblée qu'il n'était pas possible, en l'état présent de conformation physique et intellectuelle des Semos, de pouvoir survivre. Le suicide collectif fut décidé.
Ainsi disparut la vie sur la Terre…
Alors le narrateur se tourne vers le Principe Créateur et le voit la tête entre les mains en train de pleurer. Lui qui était si puissant, lui qui n'avait jamais fait la moindre erreur, venait de commettre sa première faute : celle de n'avoir pas su donner aux Semos le complément nécessaire à l'Intelligence, la Sagesse.
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"Dis, monsieur, elle n'est pas en vrai ton histoire ?
"Bien sûr que non, mon enfant ! Elle n'est pas en vrai, ce n'est qu'un conte, un conte pour grands"
Yann Vidrequin
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