DES NOUVELLES DE L’AVENTIN
Petit rappel historique le mont Aventin est une des sept collines de Rome, assez modeste d’une hauteur d’une quarantaine de mètres (chiffre symbolique du confinement). L’Aventin est bien exposée, elle est la colline la plus au sud. Lieu de confinement agréable, Rémus s’y établira, dans la République elle fût le refuge de la plèbe en conflit avec le patriciat. Elle a un caractère sacré, on peut y voir le temple de Diane et celui de la Liberté, et elle est à l’origine de l’expression se retirer sur l’Aventin.
Certains sages ont choisi de sortir du monde et de se retirer sur l’Aventin, aujourd’hui il semble que la colline soit un peu encombrée aux dernières nouvelles, lues dans la presse ou entendues et vues dans les médias. On y voit de moins en moins de sages et de plus en plus de révolutionnaires, armés de plumes.
Ces grands courageux qui dominent la situation avec leur science infuse, sont en permanence à la recherche des failles, des erreurs, de ceux qui gèrent en bas de leur colline les problèmes quotidiens. Du haut de l’Aventin ces courageux inactifs, déversent sur la foule (pas le peuple) leurs marmites bien préparées remplies de liquides aigres, parfois sirupeux, précédant une vengeance certaine.
Il faut juger au plus vite le travail de l’autre, trouver l’impardonnable, l’on pourrait penser que les habitants de l’Aventin sont épris du perfectionnement de l’homme, eh bien non puisqu’ils sont parfaits de nature, ce sont des ‘connaissants nés’, ils ne cherchent donc rien de plus que la jouissance de l’effet que produisent leurs critiques destructrices. Pour eux toute action est un sujet favorable, propice à une condamnation certaine.
Ne cherchez pas leurs actions, ils ne bougent pas, ils sont tapis dans l’ombre, surveillant la première erreur de leurs proies. Ne cherchez pas les pierres qu’ils ont apportées à l’ouvrage, à l’édifice, ils se maintiennent dans une position horizontale, bien plus confortable.
Malheureusement ces femmes et ces hommes sont présents dans la cité, un peu partout. La franc-maçonnerie Ordre Initiatique et Fraternel, comme toute société humaine, compte aussi parmi ces membres quelques réfugiés de l’Aventin. En quelques années j’ai rencontré beaucoup de frères plus prompts à la critique négative, qu’à l’enrichissement fraternel. Ce sont en général les mêmes observateurs avisés et savants du travail des autres, ceux qui sont en pointe, les pointilleux, ceux qui voient la paille dans l’œil de leur frère et pas la poutre dans le leur.
Ceux-là même qui arrivent toujours au dernier moment débordés, quand le temple est installé, ceux qui refusent les postes administratifs dans leur loge, sans doute pas à la hauteur de leurs connaissances, ceux qui ont l’excuse facile pour la participation à leurs tenues régulières programmées de longue date. Les mêmes absents qui se sentent offensés de n’avoir pas reçu un compte-rendu détaillé de la tenue où ils étaient absents.
Les mêmes encore qui préparent leurs interventions, après les travaux présentés par leurs frères, en refaisant une planche, en soulignant les oublis, les omissions, les imprécisions et comble de joie les erreurs ou les failles qui leur permettront de briller devant les autres, c’est sans doute parce qu’ils débordent de fraternité !
Vous me direz que je force le trait, c’est vrai, ces frères sont des exceptions, sinon ils deviendraient des empêcheurs d’initier et les loges seraient vides. Mais un seul d’entre eux peut rompre un égrégore.
Ces frères réfugiés sur les hauteurs de leur Aventin sont bientôt seuls face à eux-mêmes, ils sont confinés dans leurs certitudes c’est à la mode, avant d’être déconfits. Quand leur auditoire s’amenuise en général ils changent de loge. Malheureusement bien souvent la critique marque plus que les belles choses.
Je demande pour ma part au Grand Architecte de m’aider à ne pas tomber dans ce travers, de ne pas devenir un destructeur du temple, mais de rester un humble constructeur, sans perdre ma liberté de jugement. De m’efforcer quand je râle (assez souvent d’ailleurs) que ce soit dans l’intérêt du collectif, et de râler avec le sourire, cela pour moi-même d’abord, je ne veux pas souffrir d’aigreurs d’estomac et pour ne pas trop raser mes frères.
Et puis après tant d’années de théorie, un peu de pratique des vertus de tempérance, de bienveillance et de fraternité, ce n’est pas un exploit, mais simplement un devoir, paix et joie à tous mes frères et même à ceux qui sont sur leur Aventin.
Jean-François Guerry.