LE CARE D’APRÈS…
Le jour d’après le confinement n’est pas encore le jour de la fin de la pandémie. Mais il en dit déjà long sur nos comportements futurs, les apéritifs organisés en région parisienne au bord de l’eau sont de bons indicateurs, à la fois du non-respect des règles et aussi du besoin de fraternité, un verre à moitié vide et un autre à moitié plein, c’est le sacre du ‘en même temps’.
Dresser les bilans de nos erreurs passées, c’est sans doute utile pour construire ensemble au regard de l’expérience, c’est ainsi que l’on progresse. Évitons de tomber immédiatement dans des règlements de comptes stériles, la vengeance ne résout rien, elle entretient la haine, déchire les liens si difficiles à tisser, elle n’étanche même pas les mauvaises soifs.
Il vaut mieux penser au ‘Care’ de nos corps, mais surtout au ‘Care’ de nos esprits, et pour ceux qui regardent le ciel, au ‘Care’ de nos âmes. Il y a plusieurs siècles Marc Aurèle l’empereur philosophe, s’étonnait du soin que nous apportions aux choses matérielles, souvent superflues et notre manque de soins pour nous-mêmes, il pensait là au soin de notre esprit, de notre soi. Le prophète le plus humble de tous disait aussi aimez-vous les uns les autres comme vous vous aimez vous-mêmes.
En restant chez nous plus de 50 jours dans un face à face avec nous-mêmes, nous avons appris, ou réappris à nous connaître, l’on parle de réouverture des commerces, comme une délivrance, une liberté et assez peu de la réouverture de nos esprits, qui pourtant est la liberté par excellence. Nous avons pendant que nous étions cloîtrés déblayer, nos tiroirs encombrés au sens propre et figuré, les files d’attente devant les déchetteries en sont le témoignage, nous avons mis de côté les inutiles au sens propre comme au sens figuré, nous avons redécouvert ce qui est le plus précieux, l’or spirituel, le suc, le nectar qui coule en nous et nourrit notre esprit, fait notre humanité.
Égaux face au virus, nous avons réappris le sens du collectif, le mot fraternité, pas seulement le mot, mais les actes de fraternité. Les francs-maçons sont parfois raillés quand ils parlent de la fraternité qui les unit, on les soupçonne de se faire un réseau pour servir pour leurs intérêts personnels.
Notre monde si fragmenté, si archipélisé, n’a jamais été aussi réuni, nous avons pris conscience que les grandes choses ne peuvent se faire qu’avec l’aide des autres. Nous avons regardé ceux que nous ignorions, le sens de la vie n’était plus soudain de devenir milliardaire, mais de partager ensemble simplement en famille, avec des amis et les autres en général, le plaisir s’est transformé en un désir de plus d’humanité. Nous avons pu mesurer l’importance des relations sociales, de la rencontre avec l’autre, les autres et des limites du virtuel.
Nos corps ont besoin de soins, mais nos âmes encore plus pour retrouver la joie de vivre.
Et si le jour d’après était un combat contre la distanciation.
Si c’était le jour de la révélation du commencement de la construction d’un nouveau temple, non pas le énième temple des marchands, mais celui de l’esprit. Le commencement de la plus humble et difficile reconstruction celle de nous-mêmes ; et puis ensemble armés du glaive de la justice, de la balance de l’équilibre, de l’harmonie et surtout de l’amour fraternel, nous décidions non plus de dire, non plus d’écrire, mais de prendre soin de notre devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité.
Jean-François Guerry.
LÉGENDE BRETONNE
Celui qui cherche trouvera dans ces légendes des forêts de symboles.
LE FEU DE SAINT-JEAN
LE FEU DE SAINT-JEAN
Toute cette soirée du vingt-trois juin, les habitants de Saint-Bieuzy avaient été très occupés à chercher dans les bois des branches mortes et des brindilles sèches pour dresser le « rieu » (Feu de joie) traditionnel de la Saint-Jean.
Le village de Saint-Bieuzy est un nid de verdure dans une forêt, à l’orée de laquelle il dresse son clocher minuscule. Un petit cimetière qui, au printemps, n’est qu’un bouquet fleuri, entoure la mignonne église. En arpentant ce champ de repos, l’affaire de quelques pas, on se dit :
Heureux qui meurt ci,
Ainsi
Que les oiseaux des champs !
Son corps près des amis,
est mis
Dans l’herbe et dans les champs !
(Jean Richepin)
Le chemin qui longe la chapelle dévale en pente rapide jusqu’à l’étang de l’Isle-au-Nid, ainsi nommée parce que, de ses eaux, émerge un îlot tout petit, juste de la taille à ce qu’ne poule d’eau y puisse couver ses œufs à l’aise. La rive occidentale de l’étang n’est qu’une lande toute couverte de genêts en fleur.
C’est là que doit flamber le feu de Saint-Jean. Tous les habitants de Saint-Bieuzy ont contribué à l’édification du cône majestueux de bois sec. Le plus ancien du village, le père Eusèbe, un mendiant, va bientôt l’enflammer. Pas de vieilles qui n’y ait apporté sa brassée d’ajoncs, pas d’enfant qui n’y ait jeté quelque pomme de pin tenue à pleine poignée.
La musique dont s’accompagne cette fête nocturne est primitive et barbare : elle consiste à faire « brunder », ce qui signifie faire vibrer, à la façon des ailes des hannetons, un brin de jonc tendu sur un chaudron de cuivre. Cela s’appelle « tirer la chèvre. »
Depuis le coucher du soleil, on tirait la chèvre avec ardeur dans toutes les fermes et les chaumières de Saint-Bieuzy. Il en résultait un bourdonnement qui semblait sourdre à la fois des airs, des bois et des eaux de l’étang, comme une exaspération du bruit de milliers d’ailes vibrantes, qui est la voix des soirs d’été.
Mais ce n’était qu’une musique d’ouverture, car c’est au son du biniou que bientôt les gars et les filles doivent mener leur ronde autour du rieu.
En attendant le moment solennel où le vieil Eusèbe s’approchera, armé de sa torche de résine incendiaire, tout le village est réuni sur la lande. On est joyeux. De gais propos, des rires, des cris d’enfants, des chants, se détachent sur la basse continue de « la chèvre ».
Seul parmi l’assistance, Gilles Pligeaux, le plus riche de la paroisse, propriétaire de la belle ferme de l’Isle-au-Nid, fait sombre figure et répond à peine à ceux qui essaient de lier conversation avec lui.
Gilles Pligeaux est un homme solide, au seuil de la cinquantaine ; il a de beaux traits, mais un front barré d’une ride verticale, et sa bouche, trop hermétiquement close, lui donne un air d’inflexibilité têtue. Quoique riche, il est âpre au gain, veuf, il vivait près de son fils Laurent, mais depuis plusieurs mois, il a chassé de chez lui ce garçon qui s’entêtait à vouloir épouser Jeannette Floc’h, la fille d’un pauvre vieux qui creuse des sabots et des écuelles de bois dans une hutte de branches sèches, à la clairière de la forêt.
Pour ne plus être seul, et pour arrondir encore son capital, Gilles Pligeaux songe à épouser en secondes noces la meunière du Moulin-des-Eaux, une veuve très consolée.
De Laurent parti sans le sou, il ne sait plus rien, sinon qu’il s’est placé comme valet de ferme, très loin de Saint-Bieuzy, au pays de Carhaix.
Hé, Gilles, dit en l’abordant Fañch Senven, son voisin, sais-tu bien qu’il est ici ?
Qui cela ?
Ton Laurent. Il vient d’arriver avec deux gars de Carhaix : l’un sonne de la bombarde et l’autre tape du tambour, ton fils souffle dans un biniou. Il va mener la danse « quant à eux » (avec eux)
Alors, le v’là devenu un « sonneux », qui court les noces et les pardons ! Répondit Gilles, et la ride de son front se creusa d’avantage. C’est une honte !
Faut bien gagner sa vie ! Observa philosophiquement son ami. Et puis, ce n’est pas un vilain métier.
D’ailleurs, dit Gilles durement, c’est son affaire. Il ne m’est plus de rien. Je le déconnais !
Ayant prononcé ces paroles, Gilles Pligeaux ferma sa bouche plus hermétiquement qu’avant et tomba dans le silence.
Quelques minutes après, le feu flambait clair, droit et radieux.
Il s’élançait vers le ciel comme une immense langue de flamme. Mais le feu de Saint-Jean, qui s’allume au soir du plus long jour de l’année, le feu de Saint-Jean, qui prolonge les rayons du soleil couchant jusqu’à l’aurore, comme pour abolir la nuit dans le triomphe de la lumière, le feu de Saint-Jean n’est pas seulement matériel, c’est un feu mystique.
Il éclaire les tréfonds de l’âme de celui qui veut bien s’en laisser pénétrer. Sa lumière entre lui comme un éclair dans une caverne obscure et ne laisse pas un coin ténébreux de son être qui ne soit illuminé. C’est un ruisseau de clarté qui coule dans les replis les plus sinueux de sa conscience, révélant les racines les plus enfouies de ses actes, les germes les plus secrets de ses désirs, ranimant les cendres refroidies de son passé.
On peut ainsi, à la lueur du rieu sacré, avoir quelques minutes de clairvoyance absolue.
À suivre… légende racontée par Marie Allo dans Contes et Légendes du Pays Breton. Collection les meilleurs écrivains Bretons Paul Duval Éditeur à Elbeuf. Non daté.