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Bernard Stiegler est décédé le 6 août. Une vie hors du commun s’achève, une vie hors des chemins balisés, une vie hors de tout, hors de lui. Une vie de travail et de méditation, pour l’autre, pour les autres. Le philosophe de la « Disruption » ex ouvrier agricole, ex-tenancier de restaurant musical, ex-braqueur de banques, ex-taulard, témoin et acteur de vie hors normes, précurseur des lanceurs d’alertes.
Il fût sauvé, de ses dérives par le philosophe Jacques Derrida. Il fera une carrière remarquable au centre Pompidou, à la télévision etc… Il va dénoncer l’économie du pulsionnel, la monétarisation de tout, et surtout de l’existence. Il alertera sur la financiarisation des réseaux sociaux.
La disruption est la pensée centrale de Bernard Stiegler, il met en lumière :
« La crise totale que traversent les sociétés occidentales. La disruption est le phénomène d’accélération de l’innovation technologique qui mène au point de rupture. »
L’on peut rapprocher le mode de vie du philosophe athée Bernard Stiegler, de celle du poète et écrivain croyant Christian Bobin, ainsi que celle d’un autre philosophe Olivier Abel ; tous les trois ont choisi de renoncer à l’accélération de la vie. Ils se sont retirés dans des havres de paix et d’harmonie proches de la nature, ils sont dans l’éloge de la lenteur.
Il est temps sans doute dans un monde de la multiplication des chiffres, de la dictature des « followers », que les suiveurs, les marcheurs occasionnels et éphémères se rendent compte que leur dictature technologique est invasive, impérialiste et qu’elle programme leur mort, la fermeture de leurs comptes quand elle aura épuisé leurs données personnelles. Dès que les comptes en banques de ces influenceurs de vie sont bien garnis, ils jettent leurs créditeurs.
Il ne s’agit pas de renier l’utilité des progrès des sciences et des techniques, mais de ne pas en faire des idoles. Le bonheur est et restera dans le pré et TIK TOK !
Jean-François Guerry.
Bernard Stiegler (photo Libération)
REVUE DE PRESSE
DISPARITION LIBERATION
Mort du philosophe Bernard Stiegler, technicien de la pensée et penseur de la technique
Le philosophe engagé à gauche est mort à l’âge de 68 ans. Condamné en 1978 pour plusieurs braquages de banques, il avait étudié en prison. Il est l'auteur d'une œuvre hybride et pionnière sur la technique et le numérique.
En mars dernier, Bernard Stiegler donnait encore une interview àLibération à l’occasion de son dernier livre, Qu’appelle-t-on panser ? La leçon de Greta Thunberg(Les liens qui libèrent). Evoquant l’impuissance des gouvernements et des multinationales face à la crise climatique et à la colère des jeunes générations, il confiait : «Même s’ils le voulaient, les Etats n’auraient pas les concepts pour changer. Il faudrait, pour pouvoir le faire, établir une nouvelle critique de la science dans le monde industriel.» Pendant plus de quarante ans, Bernard Stiegler a largement contribué à mettre une telle critique sur pied. «Il était un pionnier de la réflexion contemporaine sur la place de la technique dans notre société, sur la technique comme partie active et constituante de notre civilisation»,explique le philosophe Jean-Luc Nancy à Libération.
LE MONDE :Le philosophe Bernard Stiegler est mort à l’âge de 68 ans
Condamné en 1978 pour plusieurs braquages de banques, il avait étudié la philosophie en prison. Penseur engagé à gauche, il prenait position contre les dérives libérales de la société.
Né le 1er avril 1952 à Villebon-sur-Yvette (Essonne) d’une mère employée de banque et d’un père ingénieur à la télévision française, Bernard Stiegler a comme vécu plusieurs vies. En 1968, il arrête ses cours de seconde au lycée pour rejoindre les barricades de la rue Gay-Lussac. Il adhère rapidement au Parti communiste, qu’il quittera en 1976, rejetant« le stalinisme imposé par Georges Marchais ».
Après 1968, il fait tous les métiers : manœuvre, employé de bureau, commis de courses dans un cabinet d’architecte… Ouvrier agricole, il gère une exploitation dans le Lot-et-Garonne pendant deux ans jusqu’à la grande sécheresse de 1976.
Bernard Stiegler ouvre ensuite un bistrot musical à Toulouse, où il invite des musiciens de jazz. Son café-restaurant séduit Gérard Granel, professeur de philosophie à l’université de Toulouse, passionné de jazz. Les deux hommes deviendront amis. Mais les finances du bistrot sont très tendues et il décide un jour de braquer une banque« pour combler[son]découvert ». « J’y ai pris goût et j’ai braqué trois autres agences », racontait-ildans un portrait que lui avait consacré Le Monde en 2006.
Il sera finalement arrêté par la police lors de son quatrième braquage puis condamné à cinq ans de prison. De 1978 à 1983, il profite de son incarcération pour s’inscrire à l’université de Toulouse et y suit des études de philosophie par correspondance.
« La possibilité et la nécessité de changer nos vies »
A sa sortie de prison, en 1983, il rencontre le philosophe français Jacques Derrida, qui s’apprête à diriger le nouveau Collège international de philosophie créé par Jean-Pierre Chevènement. Bernard Stiegler y tient un séminaire bimensuel sur la technique dès 1984. Un séminaire qui lui permettra de se faire remarquer et d’être ainsi embauché comme chercheur au ministère de la recherche. Toujours appuyé par Jacques Derrida, il avait soutenu sa thèse à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS) en 1993. En 1988, l’Université de technologie de Compiègne (UTC) lui propose un poste de professeur, qu’il accepte.
De 1996 à 1999, il devient directeur général adjoint de l’Institut national de l’audiovisuel (INA), avant de prendre la direction de l’Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) en 2002. Il y reste jusqu’en 2006, quand il est nommé directeur du Développement culturel du Centre Pompidou. C’est au sein de cette institution qu’il fonde la même annéel’Institut de recherche et d’innovation (IRI), chargé d’« anticiper, accompagner, et analyser les mutations des activités culturelles, scientifiques et économiques induites par les technologies numériques, et [de] développer de nouveaux dispositifs critiques contributifs ».
Parmi ses nombreux essais, Bernard Stiegler avait publié en janvierQu’appelle-t-on panser ? La Leçon de Greta Thunberg, dans lequel il s’interrogeait sur l’inaptitude des Etats et des entreprises à répondre aux demandes écologiques, et estimait que les sciences devaient être autonomes par rapport au capitalisme. Il était aussi l’auteur deL’emploi est mort. Vive le travail !,Etats de choc : bêtise et savoir au XXIe siècleet coauteur, avec Denis Kambouchner et Philippe Meirieu, deL’école, le numérique et la société qui vient.
« Le confinement en cours devrait être l’occasion d’une réflexion de très grande ampleur sur la possibilité et la nécessité de changer nos vies. Cela devrait passer par ce que j’avais appelé, dansMécréance et discrédit(Galilée, 2004), unotiumdu peuple. Ce devrait être l’occasion d’une revalorisation du silence, des rythmes que l’on se donne, plutôt qu’on ne s’y plie, d’une pratique très parcimonieuse et raisonnée des médias et de tout ce qui, survenant du dehors, distrait l’homme d’être un homme. »
LE FIGARO
Le Collège international de philosophie a annoncé jeudi 6 août le décès de Bernard Stiegler, à l'âge de 68 ans. Directeur de l'Institut de recherche et d'innovation (IRI), créé en 2005 au Centre Pompidou pour imaginer les mutations des pratiques culturelles entraînées par les technologies numériques, le philosophe avait axé sa réflexion sur le numérique et ses conséquences sociales.
Dans le journal La Croix : Bernard Stiegler, un éveilleur de conscience
Le philosophe et essayiste est mort jeudi 6 août. Il avait 68 ans. C’était l’un des penseurs de la technique et du temps, confronté à l’ère numérique qui bouleverse radicalement nos modes de vie et de pensée.
Bernard Stiegler, un éveilleur de conscience
Le philosophe et essayiste est mort jeudi 6 août. Il avait 68 ans. C’était l’un des penseurs de la technique et du temps, confronté à l’ère numérique qui bouleverse radicalement nos modes de vie et de pensée.
Jean-Claude Raspiengeas,
La mélancolie, tenace, lui collait à la peau. Pour tenter de la tenir à distance, il s’engouffrait dans le travail, la recherche, la spéculation intellectuelle et l’action sociale. Bernard Stiegler est parti en toute discrétion. Son décès a été annoncé jeudi 6 août dans la soirée par le Collège international de philosophie dont il avait été l’un des directeurs de programme de recherche, à sa sortie de prison, en 1983. « Un contemporain hors du commun, qui a cherché à inventer une nouvelle langue et de nouvelles subversions», salue le communiqué
L’une de ses singularités, si souvent soulignée, fut d’avoir été emprisonné pendant cinq ans pour une série de braquages. Et d’avoir transformé cette réclusion en occasion de se réinventer. Au terme d’une grève de la faim, il obtient une cellule individuelle et de pouvoir explorer l’histoire de la philosophie. C’est dans le silence et la solitude de ce réduit que Bernard Stiegler va devenir un autre homme.
Né le 1er avril 1952, militant d’extrême-gauche, aspiré par Mai 68, il « s’établit » un temps comme ouvrier agricole et manœuvre. À Toulouse, il rachète une petite épicerie, lance un restaurant musical, vite transformé en club de jazz. Endetté, il décide d’attaquer sa banque à main armée et récidive avant d’être coffré. « La chance de ma vie», disait-il.
Autodidacte et atypique, il en sort, soutenu par Jacques Derrida, son directeur de thèse, comme l’un des penseurs capitaux de la technique et de la techno-science, un théoricien de la mise en réseau des savoirs et des pratiques, un ardent promoteur de « l’économie de la contribution », inspirée de la théorie de la pollinisation.
Tout en poursuivant son travail d’enseignant universitaire et son œuvre d’essayiste, Bernard Stiegler est recruté par des institutions influentes de l’industrie culturelle (Institut national de l’audiovisuel, Ircam, Centre Pompidou), séduites par sa rigueur et la pertinence de son propos.
La « barbarie » de l’économie du pulsionnel
Dans la lignée de Heidegger, de Jacques Ellul, de Paul Virilio, que dit-il ? Les individus ne sont plus que des consommateurs perpétuellement frustrés et insatisfaits, manipulés par des techniques de marketing, soumis à l’idéologie du consumérisme qui joue sur les ressorts de la pulsion. Temps détruit, travail en miettes, esprit colonisé par la publicité, injonction consumériste, toxicité des évolutions technologiques, savoir-faire perdus, mémoire confisquée, monétarisation de l’existence, humanité dépressive…
Cet éveilleur de conscience pointe et dénonce la « barbarie » de cette économie du pulsionnel (cf l’usage frénétique des réseaux sociaux) et du contrôle général, de l’accélération technique pilotée par les intérêts financiers. Farouche procureur de la dérive mercantile de la télévision, il s’affirme comme un analyste décapant du nouveau « malaise dans la civilisation ».