CATARACTE
Et s’il fallait que le corps diminue pour que l’esprit s’ouvre et grandisse ? S’il fallait la mise sur nos yeux d’un voile, s’il fallait en passer par la ruine du corps, comme par les ruines du temple, le corps tout entier est un symbole. C’est quand la chair quitte les os que l’on distingue mieux le sacrum, cet os qui soutient notre colonne vertébrale, symbole de notre verticalité.
La cataracte qui obscurcit nos yeux, met un bandeau sur nos yeux, nous dissimule le monde extérieur, le monde des apparences, nous ouvre à une autre vue, au domaine du réel, à la richesse intérieure infinie, que rien ne peut égaler. Aucun voile ne peut obscurcir l’esprit qui n’a pas de limite.
Cette cataracte qui croit avec la vieillesse du corps, ouvre la porte de l’intérieur à celui qui veut bien entrer en lui-même. Quand la lumière extérieure se brouille, diminue, la Grande Lumière intérieure commence à paraître, et elle augmente progressivement.
La cataracte n’est pas une maladie contagieuse, n’espérer pas en être atteint. Elle est le résultat d’une usure provoquée par les écailles inutiles, un passage des ténèbres à la Lumière. Car sous les ruines des ans, comme sous les ruines du temple de pierre, pour celui qui cherche il y a toujours une lumière, un cœur battant, un triangle lumineux d’or fin ou demeure inscrit le nom de l’ineffable. Il faut descendre pour connaître une ascension spirituelle. Ce chemin est un chemin de joie, et comme l’on dit avec un large sourire dans mon pays là où la Finis terrae à Brest même ! Quand vous descendrez, montez donc, vous verrez le petit comme il est grand !
Heureusement il n’y a pas que l’œil physiologique, que l’organe, il y a le principal l’œil du cœur, celui de la Lumière intérieure. Le symbolisme de l’œil est étroitement mêlé avec celui de la Lumière. Frithjof Schuon a écrit dans son ouvrage L’œil du Cœur :
« Les rapports entre l’œil, le cœur et le soleil sont multiples et profonds, ce qui permet souvent de les considérer comme synonymes. L’œil est le soleil du corps, comme le cœur est le soleil de l’âme, et le soleil est à la fois l’œil et le cœur du ciel. »
C’est souvent les yeux fermés que l’on voit le mieux. Ogalalla un sage de la tribu des Sioux disait :
« Je suis aveugle et je ne vois pas les choses de ce monde ; mais quand la Lumière vient d’En-Haut, elle illumine mon cœur et je peux voir car l’œil de mon cœur voit toute chose. »
J’ai un peu cette sensation quand je ferme mes paupières pour me mettre à l’ordre de deuil et penser à mes frères qui ont rejoint l’Orient éternel, je les vois en pleine Lumière.
Comment donc parvenir à voir les yeux fermés, si ce n’est par une pérégrination intérieure quotidienne, par des exercices spirituels de purification, à la manière des philosophes antiques parfaitement décrits par Pierre Hadot.
Les francs-maçons ne font pas autre chose dans leurs loges, ils s’efforcent de fuir le vice et de pratiquer la vertu. D’après Jean Climaque le père du désert, celui de l’échelle mystérieuse : l’œil du cœur peut voir le divin « soleil de l’intelligence », et dans ce cas le contemplatif se voit lui-même tout lumineux.
Sur le chemin de Damas Saul atteint de cécité, a été interpellé ainsi :
« Saul, mon frère celui qui m’a envoyé, c’est le seigneur, c’est Jésus, celui qui s’est montré sur le chemin que tu suivais pour venir ici.
Ainsi tu vas retrouver la vue, et tu seras rempli d’esprit saint. »
Il faut donc sans rire, vous faire opérer de la cataracte le moment venu, vous le sentirez, vous n’aurez qu’une envie c’est de retirer le voile qui vous empêche de voir avec le cœur. Vos yeux physiologiques seront capables de voir toutes les merveilles du monde, du cosmos.
C’est donc bien par le passage de cette cataracte de cette chute d’eau purificatrice qu’il faut passer pour voir le monde réel, et regarder les choses et les êtres avec amour. N’est-ce pas l’essentiel comme l’a dit Paul dans sa lettre aux Corinthiens. L’amour reste donc à mon sens aussi le message principiel présent dans les rituels maçonniques, et l’œil du cœur l’organe qui permet d’accéder à l’intelligence du cœur, la plus grande des intelligences. Je vous souhaite de garder en permanence votre œil du cœur ouvert.
Jean-François Guerry.
Bibliographie : L’ŒIL DU CŒUR de Frihjof Schuon -Collection Théoria L’Harmattan.
RESUME
Cet ouvrage reprend l'intégralité du texte original paru à l'Age d'Homme en 1995, mais augmenté de trois chapitres inédits. Il couvre un large éventail de sujets : entre autres, les principes fondamentaux du symbolisme, la méditation, la vie après la mort, le profond mystère du Bodhisattva, et des réflexions précieuses sur l'intégration des activités quotidiennes dans la vie spirituelle. L'auteur s'attache ainsi à dégager l'intention spirituelle profonde des doctrines, des formes et des pratiques traditionnelles, tout en insistant sur la nécessité du cadre religieux comme garant de leur efficacité. Parallèlement, il évoque admirablement le caractère sacré de la création et du message de beauté qui lui est inhérent. Au coeur de cette sagesse, et à l'encontre de la laideur envahissante du monde moderne, le lecteur redécouvre alors la maxime platonicienne : "La beauté est la splendeur du vrai", laquelle exprime le rapport primordial et intime entre le vrai et le beau, sur lequel doit se fonder toute voie spirituelle.