LA JUSTICE ET L’AMOUR, L’AMOUR DE LA JUSTICE -Part – II Autrui inspirateur de justice.
La justice vertu cardinale, qui contient toutes les autres vertus cardinales, elle n’existe pas en elle-même, c’est pourquoi on lui construit des palais de pierre et des tribunaux en nous-mêmes, construire la justice, pour faire justice et la rendre.
Si Emmanuel Kant l’associe à la volonté de faire, Vladimir Jankélévitch l’associe simplement à l’intention. Elle n’en demeure pas moins une vertu première sous le regard de la prudence ou de la tempérance qui sont plutôt des talents.
Un homme qualifié de juste est bon par nature, on ne peut également agir pour le bien qu’en étant juste, c’est faire son devoir d’homme.
La Franc-Maçonnerie demande à ses sœurs et ses frères de faire leur devoir de défense de la justice, rien de plus ordinaire pour des femmes et des hommes qui se revendiquent libres et de bonnes mœurs, que combattre la barbarie.
On en revient me direz-vous toujours aux droits de l’homme et aux devoirs qui en découlent, à cette morale universelle qui nous dicte de ne pas faire à autrui, ce que l’on ne voudrait pas qu’il fasse. Une évidence et une banalité pas toujours appliqué.
La justice est plus que la simple application des lois, être dans la légalité c’est respecter les lois, est-ce être juste ? Se soumettre à des lois injustes, n’est pas être juste ! Etre juste c’est penser le bien pour soi-même et pour autrui.
Force est de constater que les lois protègent souvent les inégalités et les privilèges, se soumettre à de telles lois c’est abdiquer, renoncer devant sa conscience et être injuste. On ne peut faire allégeance qu’au bien, au bon, au vrai, le Franc-Maçon qui fait allégeance à son ordre, à son obédience, à sa loge le fait dans le respect de son honneur et de sa dignité d’homme.
La justice symboliquement représentée par une femme avec un bandeau sur les yeux, une balance dans une main et dans l’autre un glaive ou une épée, fait référence à Thémis qui est venue mettre fin à la barbarie en s’asseyant à côté de Zeus. Le bandeau sur ses yeux, nous rappelle qu’elle n’est pas toujours justesse, elle frappe parfois à l’aveugle, malgré ses talents, elle reste parfois dans la stricte suffisance, elle est parfois ‘un peu juste’, pas tout à fait juste, l’équilibre de la balance est un acte difficile. Il est nécessaire qu’elle soit sublimée, par l’éthique, qui recherche la juste proportion, l’acceptable qui fait le lien social. La pure justice ne saurait se rendre sans l’amour d’autrui.
Elle est donc irrémédiablement dans le rapport avec autrui.
La justice est à la recherche de la vérité, de cette vérité à hauteur d’homme, les Francs-Maçons qui se veulent des hommes éclairés ne peuvent êtres que des chercheurs de la Vérité. Conscients qu’ils ne trouveront jamais la Vérité, ils persévèrent quand même sur le chemin de la justice. Car elle harmonise les rapports avec autrui.
Morale et justice sont intimement liées, il nous faut donc Connaître et pratiquer la loi morale, l’injustice naît souvent de l’ignorance de la morale et de l’autre, elle fermente dans l’indifférence de l’autre, quand l’on détourne son regard de l’autre, quand on passe son chemin en fermant les yeux ; ou pire encore quand l’on regarde au ciel en oubliant la terre. En affirmant que la justice n’étant pas de ce monde, l’on ne peut rien faire face à l’injustice. On renonce alors à l’espérance d’être juste envers l’autre, d’être aimant envers lui.
Le prétexte avancé, est que la justice est un concept inatteignable, une utopie me direz-vous ! Pourtant ce sont les justes qui font la justice et non l’inverse.
La légende du Roi Salomon symbole de la justice, est chère aux Francs-Maçons était-il juste ? Ou faisait-il simplement respecter la légalité ? Son célèbre jugement était sur le point de faire naître une inégalité, mais c’était une ruse ! En rendant l’enfant à sa vraie mère il récompense l’amour, c’est la beauté de son jugement.
Cela nous éclaire sur la difficulté de l’art de la justice, Blaise Pascal disait à ce sujet :
« Il y a deux sortes d’hommes, les uns justes qui se croient pêcheurs, les autres pêcheurs qui se croient justes. »
L’on comprend le choix du symbole de la balance et la difficulté de la pesée de l’âme. Autre remarque ce n’est que quand le Franc-Maçon avance dans son travail, dans la construction de son temple intérieur, qu’il est en capacité livrer un combat contre l’injustice, quand la lumière l’illumine. La justice n’est plus pour lui un simple compromis entre le bien et le mal, mais une intention forte à faire le bien et une volonté d’amour.
Quand la justice a le souci d’autrui elle devient universelle, elle prend la défense des lois naturelles. Elle dépasse mon intérêt particulier, les intérêts de mon groupe, de mes proches elle tient compte d’autrui en toutes circonstances, face à chaque décision, la question est, est-ce bon pour moi mais aussi pour les autres ?
La loge maçonnique est un espace sacré propice à l’harmonie et à la justice, le travail en ordre et à l’ordre suivant un rituel précis. Les sœurs et les frères travaillent individuellement et collectivement à âmes égales. Chacun à son office et à sa place, quand un officier manque il est remplacé, le travail continue, c’est un lieu d’égalité et de justice.
La route est longue vers l’amour d’autrui, l’amour inconditionnel qui fait abstraction des races, des croyances, des statuts sociaux, des préjugés de toutes sortes. Sur la route de l’amour se trouve l’étape de la justice, une étape reposante quand le fléau de la balance est vertical, quand l’ego ne fait pas pencher l’un des plateaux. Quand l’amour arrive d’abord à équilibrer l’ego, puis fait pencher la balance.
Il fut un temps peut-être où la justice était naturelle, ou plutôt il n’y avait pas besoin de justice, puisque l’amour régnait parmi les hommes, que la joie était dans les cœurs, aujourd’hui c’est une espérance, un combat de chaque jour.
Hélas les justes se font rares, c’est pourquoi l’on en fait des héros, comme ceux qui au péril de leur vie, lors de la dernière guerre mondiale ont recueillis des juifs dans leur foyer au péril de leur vie, parce qu’ils voulaient combattre l’injustice.
C’est donc toujours et encore le rapport à autrui qui dévoile l’homme juste, celui qui veut faire régner l’ordre après le chaos, mettre de l’égalité à la place de l’inégalité, défendre les droits humains, c’est le devoir des hommes justes, des indignés non par pour eux-mêmes, mais pour les autres.
En définitive la justice c’est la fraternité, cette fraternité chère aux Francs-Maçons. Elle a été décrite dans « La Théorie de la Justice » de John Rawls. La fraternité qui fait l’égalité partout où règnent les inégalités.
Cette fraternité que l’on oublie, qui est submergée par l’individualisme quand tout va bien et que l’on appelle au secours quand tout va mal ou presque, nous en avons la preuve aujourd’hui avec ce fameux quoi qu’il en coûte ! On ne compte plus maintenant, on aide, on sauve, on soutient, on a de la compassion et de l’amour pour autrui, on regarde ceux que l’on ignorait encore hier. C’est peut-être le début d’une réflexion qu’il faut faire entre l’universalisme et le communautarisme qui trie, tamise, qui clive qui fait que l’on aime les siens, nos proches et pas autrui ou de loin, ou un peu au mieux.
Rawls nous dit qu’il ne faut pas sacrifier la justice à l’utilitarisme, privilégier ce qui est utile en étant injuste ce n’est pas acceptable. C’est nier les droits de l’homme, les droits de l’individu. Un désordre même pour la société est préférable à l’injustice pour un individu, car c’est la porte ouverte aux dictatures. Cette justification de l’utile est une injustice.
Jean-François Guerry.
À SUIVRE : LA JUSTICE ET L’AMOUR, L’AMOUR DE LA JUSTICE – Part- III- Autrui toujours, dans les pas de John Rawls et de Emmanuel Levinas.
AMOUR
J’entrevois une conception de l’amour qui défie la raison : une pensée totale, qui enferme dans la présence toujours actuelle de l’univers, et en même temps un sentiment intime, personnel et paternel de toutes les créatures particulières et de chacune pour elle-même, dans tous les instants et tous les atomes de chaque vie. L’amour pense l’absolu de l’univers dans l’éternel et, cœur de tous les êtres, il vit personnellement dans leur conscience.
Extrait de Météores de Stéphane Barsacq – Revue Nunc -Éditions de Corlevour.