La sagesse de la terre ? Je crois qu’on ne pourrait résumer cette sagesse qu’en disant qu’elle est une complicité totale entre l’homme et son environnement, une intimité constante entre l’individu qui vit dans un lieu donné, et toutes les composantes de ce lieu. L’homme de la terre en arrive à connaître si bien son milieu naturel qu’il évite autant que possible de se trouver en conflit avec lui, qu’il en connaît tout ce que cet environnement comporte de leçons pour toutes les époques et toutes les circonstances de la vie. Et il est évident, d’autre part, qu’il est assez difficile d’atteindre cette espèce de complicité dont je parle. Mais le paysan traditionnel n’était pas troublé par ce mur que la technicité et la science établissent entre la créature et la création. Aujourd’hui, un exploitant agricole sur un tracteur n’est plus en contact direct avec la terre. Autrement dit, il est facile d’être de son temps. La belle affaire ! il suffit de suivre tout le monde et de bêler avec le troupeau. Mais être de son lieu, cela n’est pas donné à tout le monde. Etre de son lieu, c’est justement établir entre l’endroit où l’on vit, où l’on a ses occupations, où l’on mène son existence tout entière, entre l’endroit où l’on vit donc, et soi-même, cette espèce d’entente qui fait qu’on finit par approcher de se qu’on appelle la Sagesse.
Pierre-Jakez Hélias, La Sagesse de la terre ( 1978)