ICOM 2017
Les rencontres organisées du 19 au 21 mai 1917 par la Grande Loge de France à TOULON pilotées par l’ICOM et dont le programme a été mis en œuvre par les Loges de Recherche Marquis de Lafayette et Mare Nostrum, elles recevront 26 des meilleurs historiens mondiaux de Franc-Maçonnerie réunis avec les plus importantes Loges de recherche des principales obédiences. La qualité des travaux, conférences présentées ne pourra que séduire l’ensemble des participants, l’entrée est ouverte à tous publics sur inscription. Vous pourrez également faire une visite à l’exposition, au salon du livre et du vin, des visites des découvertes, touristiques sont aussi organisés.
Le lieu au Palais Neptune dans le centre historique de Toulon.
Au cours de ces rencontres le Samedi 20 mai 2017 « Le Diner des Lumières » recevra Jean-Noël Jeanneney universitaire, ancien ministre, historien de la politique, des médias et de la culture, ancien président de Radio France, président du bicentenaire de la révolution, ancien président de la BNF, professeur à sciences Po.
JFG.
Du rôle civique de l’historien, par Jean-Noël Jeanneney, invité à débattre au Diner des Lumières
Extraits de l’intervention de Jean-Noël Jeanneney au 8e forum Le Monde, en octobre 1996.
« Lorsque, dans le silence de l’abjection, on n’entend plus retentir que la chaîne de l’esclave et la voix du délateur, lorsque tout tremble devant le tyran et qu’il est aussi dangereux d’encourir sa faveur que de mériter sa disgrâce, l’historien paraît, chargé de la vengeance des peuples. C’est en vain que Néron prospère … Tacite est déjà né sous l’Empire. »
Dans ses Mémoires récents, Pierre Vidal-Naquet raconte le choc moral et affectif qu’il ressentit en découvrant un jour, sous l’Occupation, en 1942 ou 1943, cet article célèbre de Chateaubriand, paru dans le Mercure du 4 juillet 1807 : « Cette lecture, écrit-il, m’a marqué pour la vie ! » Ses engagements d’intellectuel y trouvent l’une de leurs sources.
« L’historien, chargé de la vengeance des peuples » … L’injonction à assumer ce rôle est majestueuse, et presque effrayante. De quoi s’agit-il ? Rien de moins que de faire de l’historien l’acteur premier de la lutte contre le mensonge, au service de la liberté, de la vérité et de la nation.
Il faut se hâter de dire qu’il existe une manière simple (et frileuse) de se protéger contre l’effroi qu’un membre de ma corporation pourrait ressentir devant une mission aussi accablante : c’est d’observer d’entrée de jeu que cette idée de la responsabilité de l’historien a été depuis longtemps rejetée par beaucoup, soit qu’ils en missent en cause l’intérêt civique, soit qu’ils le crussent incapable de l’assumer.
Au coeur de ce refus, on rencontre la conviction, fréquente dans l’Antiquité, en particulier chez les Grecs, qu’il se trouve bien des occasions dans l’histoire des peuples où le silence sur le passé est un devoir. Après les drames, après les oppressions, après les déchirements civils, il faut que s’affirme la réconciliation. Rappelons-nous Sophocle, quand, dans Antigone, s’achève la nuit de toutes les haines entre les protagonistes et que le choeur s’écrie : « Des combats d’aujourd’hui il faut installer l’oubli. » C’est dire à l’historien : « Tais-toi. »
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Il reste que l’historien ne peut jamais, quelles que soient les prudences qu’il affiche, échapper complètement au problème de sa responsabilité civique, puisque toute son activité intellectuelle est concernée par elle.
Cette responsabilité s’organise autour de trois axes :
il lui revient de contribuer à la vérité sur les hommes, ce qu’ils ont été et, par conséquent, ce qu’ils sont ; de nourrir la lucidité des acteurs ; et enfin de servir l’identité de la nation à laquelle il appartient.
La vérité sur les hommes ? Retrouvons ici Pierre Vidal-Naquet, emblématique dans sa trajectoire de savant et de citoyen. Il a décidé d’être historien deux ou trois ans avant de se spécialiser dans l’étude de la Grèce antique. Et cette compétence sur l’Antiquité ne l’a pas détourné par la suite, en diverses conjonctures nationales graves, d’appliquer les règles de son métier à des analyses contemporaines de grande portée civique. Détourné, que dis-je ? Elle l’y a irrésistiblement conduit. Comme en témoigne son combat lors de la guerre d’Algérie, dans l’affaire de Maurice Audin, assassiné par l’armée française ; ou par la suite le rôle qu’il a joué dans la lutte contre le négationnisme et, plus récemment encore, ce beau livre qu’il a appelé Le Trait empoisonné qui, tout en jouant d’échos avec l’Antiquité, a entravé la douteuse offensive de certains de nos collègues contre la mémoire de Jean Moulin et, par-delà celui-ci, de la Résistance tout entière.
Autant la revendication de je ne sais quel monopole dans la mise au jour de la vérité, à partir d’un savoir-faire patenté, serait dérisoire et presque insensée, autant la corporation historienne serait coupable de ne pas contribuer, en de telles circonstances, à faire le départ entre le vrai et le faux.
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On parle volontiers aujourd’hui de “demande sociale”, mot à la mode. Les chercheurs de l’Institut d’histoire du temps présent, chaque fois qu’émerge un “enjeu de mémoire” récent dans le champ du débat civique, sont sollicités de toutes parts de donner leur avis d’experts.
Significative est aussi la multiplication des commissions constituées pour éclaircir des sujets de controverse au profit des citoyens.
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Il n’est pas question, je le redis, de réclamer pour l’historien un monopole dans ce champ. Il faut être en retrait par rapport à l’ambition lyrique de Chateaubriand. Certes, l’historien manquerait à sa responsabilité s’il refusait cette tâche de mise au jour du vrai quand l’intérêt public l’exige spécialement, mais il pécherait par forfanterie s’il en revendiquait le monopole.
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Autre front intéressant : celui des relations, confiantes ou conflictuelles, entre les juges et les historiens. Il revient aussi à la justice de faire sortir la vérité du puits. Y a-t-il donc concurrence quand un jugement revêt une portée historique ? Comment s’organisent leurs débats ? En fait, les juges tendent de plus en plus souvent à faire venir à la barre des historiens comme experts. Il est probablement possible de tracer une ligne qui distingue la responsabilité des uns et des autres : s’il revient aux historiens d’aider à apprécier la responsabilité des acteurs, lorsqu’il y a crime ou délit au regard des normes et des lois de la communauté nationale, il appartient aux juges d’en tirer les conséquences pour d’éventuels châtiments.
Cette notion d’expertise en histoire, qui est de maniement difficile, s’éclaire finalement si l’on considère qu’elle peut et doit aider le jugement moral ou le jugement judiciaire à mieux comprendre et éventuellement à mieux conclure. D’abord, en insistant sur la latitude d’action des protagonistes afin de restituer, à chaque moment, la diversité des éventualités qu’ils ont affrontées. Cet effort incessant, contre les tentations de l’anachronisme, pour restituer la liberté des personnages, je l’inscrirai volontiers au coeur de notre tâche.
Et c’est pourquoi d’ ailleurs l’historien s’aventure moins loin de sa mission qu’il n’y paraît lorsqu’il réfléchit à l’uchronie (l’équivalent dans l’ordre temporel de ce qu’est l’utopie dans l’ordre spatial).
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La deuxième mission civique me parait être d’éclairer la lucidité des acteurs. Nous retrouvons ici, pour nous stimuler, la sévérité de Paul Valéry qui, dans le cours de ce même texte que je citais plus haut, affirmait que le travail des historiens rendait les nations « amères, superbes et vaines ». On concédera volontiers à Valéry que les précédents peuvent, s’ils obsèdent les responsables politiques, paralyser leur intelligence des situations.
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Il faut évidemment étendre cette responsabilité des historiens au-delà des dirigeants, jusqu’à l’ensemble des citoyens, les citoyens qui sont formés à l’histoire, par les livres, par la presse, par l’audiovisuel et d’ abord à l’école.
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Parmi le bombardement des informations dont la technologie moderne des médias a accéléré l’intensité sur nous tous, les plus efficaces citoyens de demain, et les plus sages, seront ceux qui auront appris, grâce, au premier chef, à l’histoire (quelle responsabilité !) à mieux classer, hiérarchiser, organiser la complexité du monde où leurs choix, leurs comportements et leurs votes doivent s’inscrire. Ils sauront que la vie collective n’est pas linéaire et qu’elle se construit suivant des rythmes complexes, les uns lents et profonds, les autres cheminant sur le moyen terme, d’autres enfin accélérés et superficiels, et que c’est l’ensemble de ces rythmes qui, à chaque moment, délimite le champ des libertés individuelles. On appliquera aisément cela à toutes sortes de questions que l’actualité met au jour : la laïcité, autour de l’« affaire Clovis » ; le rôle de la justice, très présent par les temps qui courent ; le système fiscal, de façon récurrente ; l’équilibre entre l’État et le marché, constamment.
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Je ne puis mieux conclure qu’en donnant la parole, pour la dernière fois, à un historien – un grand : Gabriel Monod. Fondateur de la Revue historique en 1876, il s’est efforcé d’offrir une synthèse entre les différents devoirs que je viens d’évoquer trop brièvement, quand il écrivait dans le cours d’un article sur les progrès des sciences historiques en France depuis le XVIème
siècle : « Sans se proposer d’autres buts, d’autres fins que le profit qu’en tire la vérité, l’histoire travaille, d’une manière secrète et sûre, à la grandeur de la patrie en même temps qu’au progrès du genre humain. »
Il n’est pas facile de concilier ces deux soucis ! Et pourtant, c’est ce défi-là qui donne au métier qui est le nôtre son sel, sa portée et, dans les meilleurs des cas, sa vertu.
Cet article est à consulter en intégralité, notes comprises, dans La République a besoin d’Histoire, Editions du Seuil, 2011
Pour ma part je retiendrai notre responsabilité de citoyen devant la prolifération des médias et leur naturelle propension à nous envahir d’informations dans une immédiateté de plus en plus active. Que nous devons classer, hiérarchiser pour écarter le superficiel au profit de l’essentiel. Reprenant ainsi notre pleine capacité de juger par nous mêmes, garder la Maîtrise, c’est un des enseignements de la Franc-Maçonnerie. En tant que citoyens nous sommes constructeurs de notre histoire et prenons aussi notre part dans la construction de l’histoire.
JFG.