FRANC-MAÇON POUR CONSTRUIRE DES PONTS
Pour ne pas rester collé à la glaise, pour sortir de sa torpeur, et de ses peurs, pour ouvrir des portes, pour s’élever vers la Lumière, pour chercher la Vérité, le franc-maçon constructeur de ponts, éternel naïf, est un bâtisseur de l’extrême. Il veut faire des ponts entre lui et les autres, entre la matière, et l’esprit, entre la raison et cette folie de la recherche du bonheur pour tous, entre son cœur et son âme.
Par des allers et retours constants entre la terre et le ciel, le long du fil qui descend de la voûte étoilée de sa loge, ce pont échelle, semblable au linga de l’Inde, ce poteau du sacrifice, ou se confond le sommet et les racines.
Le franc-maçon cherche à résoudre, l’inconnaissable mystère de la vie, il enjambe le cadavre de la mort, son cadavre, pour se redresser plus radieux que jamais. Il prie le Grand Architecte en silence contemplant les merveilles de la nature, espérant obtenir la liberté de passer le pont.
JF.
LE PONT.
Livre sixième des Contemplations : Au bord de l’infini. Victor Hugo
J’avais devant les yeux les ténèbres. L’abîme
Qui n’a pas de rivage et n’a pas de cime
Était là, morne, immense ; et rien n’y remuait.
Je me sentais perdu dans l’infini muet.
Au fond, à travers l’ombre, impénétrable voile,
On apercevait Dieu comme une sombre étoile.
Je m’écriai :-Mon âme, ô mon âme ! Il faudrait,
Pour traverser ce gouffre où nul n’apparaît,
Et pour qu’en cette nuit jusqu’à ton Dieu tu marches,
Bâtir un pont géant sur des millions d’arches.
Qui le pourra jamais ? Personne ! Ô deuil ! Effroi !
Pleure !-Un fantôme blanc se dressa devant moi
Pendant que je jetais sur l’ombre un œil d’alarme,
Et ce fantôme avait la forme d’une larme ;
C’était un front de vierge avec des mains d’enfant ;
Il ressemblait au lys que la blancheur défend ;
Ses mains en se joignant faisaient de la lumière.
Il me montra l’abîme où va la poussière,
Si profond, que jamais un écho n’y répond,
Et me dit :-Si tu veux, je bâtirai le pont.
Vers ce pâle inconnu, je levai ma paupière.
--Quel est ton nom ? Lui dis-je. Il me dit : - La prière.
Jersey, décembre 1852.
C’est avec le produit de la vente de ce recueil des Contemplations, que Victor Hugo acheta sa propriété de Guernesey, où il passa 19 ans en exil, après avoir été chassé de Belgique puis de Jersey. C’est là loin de tout, mais sans doute au plus près de lui-même qu’il écrivit la majorité de son œuvre, qu’il construisit un pont imaginaire entre l’ombre et la lumière.
Fils de franc-maçon il ne le fut pas lui-même, bien qu’on ait tenté de lui mettre à plusieurs reprises ce tablier qu’il ne porta pas. Sa pensée était maçonnique : humanisme, liberté de conscience, liberté politique, égalité sociale, laïcité, toutes ces valeurs exprimées avec gloire dans un discours marqué par le symbolisme.
Il fut inhumé directement au Panthéon.
JF.