MON LIBAN
Quand j’étais adolescent, il y avait dans le jardin de mes grands-parents au bout la terre, dans le Finistère un magnifique cèdre bleu du Liban, c’était mon arbre préféré, ses larges branches m’abritaient souvent, je rêvais à l’ombre de ce géant à des pays lointains extraordinaires. Il poussait avec moi d’année en année invincible au centre, c’était ma chambre du milieu, il brillait dans la pelouse verte, mes yeux suivaient son tronc, je pensais qu’il allait vers le ciel. Les enfants ont trop d’imagination et nous peut-être pas assez. Les banquiers qui construisent des tours d’acier et de béton, disent que les arbres ne montent pas au ciel, alors pourquoi construire des tours ?
Souvent l’après-midi au mois d’août nous recevions jeanne une cousine de ma grand-mère, elle venait prendre le café avec « les crêpes et le gâteau Breton aussi elle avait.» Jeanne vivait au Liban, quand elle était là il y avait comme des parfums d’orient qui couraient le long des meubles, remplissaient la cuisine.
Elle nous parlait du soleil, de l’insouciance du Liban, de la vie du port de Beyrouth, des couleurs, des mélanges des communautés, des montagnes enneigées, une véritable Suisse d’orient aux confins du désert, j’ouvrais grands mes yeux et mes oreilles résonnaient des rythmes mystérieux, elle avait ramené une bouteille d’Arack Touma, de temps en temps mes grands-parents en prenaient un petit verre, j’avais droit à un sucre imbibé, un contact avec l’anis. Alors le cèdre bleu touchait le ciel !
En 1987 j’avais 40 ans, il était midi quand je reçu la lumière dans ma loge écossaise au nom de Kalédonia, un nom alors mystérieux pour moi, c’est là que j’ai bu mon premier lait de maçonnerie, j’ai retrouvé le cèdre du Liban de mon adolescence. J’ai découvert l’époque légendaire, l’épopée d’Hiram de Tyr venu de Phénicie à quelques encablures d’Acre et de Jérusalem, avec ses bateaux chargés du bois des cèdres, qui servirent à la construction du temple de Salomon.
Je redécouvrais mon adolescence passée, je revenais au bout de la terre, dans mon Finistère de légende. J’allais peut-être enfin voir l’espace au-dessus du cèdre.
Mais depuis le Liban ce pays du lait blanc, n’a cessé de se déchirer, l’insouciance a disparu, les cèdres n’ont pas atteint le ciel, les banquiers, les marchands d’armes, les trafics, le terrorisme, le luttes fratricides ont eu raison, le temple a été détruit, les cèdres brisés.
J’ai la nostalgie de mon Liban perdu, celui du Finistère de mon adolescence, des merveilleux récits de Jeanne.
Aujourd’hui le Liban est celui décrit par Diane Mazloum dans son livre l’âge d’or. Il y a toujours bien sûr les parfums, l’Arack, le houmous, mais aussi le penthrite aux pieds des cèdres, la pelouse est brûlée.
Mon Liban imaginaire est maintenant celui de l’architecte, celui que je reconstruis avec mes frères, c’est un temple de l’esprit, un temple où les cèdres montent au ciel.
JF.
Si vous voulez aller plus loin, plus haut.
Lire : L’âge d’or par Diane Mazloum aux Éditions Lattés.