J’AI SOIF !
Ce cri vient du désert du Sinaï, où d’ailleurs partout dans le monde, il fut entendu il y a longtemps à Mara, mais las l’eau de Mara est amère, c’est celle que l’on boit après avoir renoncé à ses serments. Pour retrouver la fontaine de jouvence, les douze sources d’eau pure, les pèlerins de l’esprit durent se rendre jusqu’à Élim.
Cette légende en forme de parabole est tirée du livre de l’Exode. De quoi avaient soif les femmes et les hommes ? Ce n’est pas de cette eau souillée amère de Mara, mais de l’eau sacrée de la connaissance.
Dès le premier degré maçonnique, il est proposé au postulant de boire à la source de la connaissance, ni nu, ni vêtu. Il s’approche de la lumière de l’Orient, les yeux voilés, il porte à sa bouche la coupe des libations, il s’engage à être fidèle à ses serments, à lui-même, reconnu comme tel il recevra les bienfaits de la connaissance.
Dans la Bible, le volume de la loi sacrée, il est dit que ce sont les prophètes qui transmettent la Connaissance, ils sont les porteurs des messages, encore faut-il être en état de les recevoir, on ne saurait faire boire un âne, s’il n’a pas soif. Il est écrit aussi que l’on ne donne pas de la confiture aux cochons. Il faut pour recevoir, chercher, demander, frapper à la porte.
Moïse le bègue dit-on fut le premier à transmettre, il donnait sans doute la première lettre, à nous de donner les suivantes. Puis vinrent Isaïe, Ézéchiel, Jésus, Jean de Patmos…
Yahvé parla à Isaïe :
« Car je vais répandre de l’eau sur le sol assoiffé et des ruisseaux sur la terre desséchée. Je répandrai mon esprit sur ta race et ma bénédiction sur tes descendants. »
C’est donc bien de l’eau de la connaissance qu’il s’agit. Déjà dans la Genèse 21-14-19 :
« Abraham se leva tôt, il prit du pain et une outre d’eau, qu’il donna à Agar (…) Elle s’enfuit errer dans le désert de Bersabée. Quand l’eau de l’outre fut épuisée, elle jeta l’enfant sous un buisson (…) Je ne veux pas voir mourir l’enfant (…) Elle s’assit en vis-à-vis, et elle se mit à crier et à pleurer. (…) Dieu décilla les yeux d’Agar et elle aperçut un puits. »
Ces deux scènes dans le désert, démontrent que celui qui cherche l’eau de la connaissance, peut passer les épreuves de la vie en ouvrant son cœur. Celui qui cherche dans l’humilité des ténèbres, les mystères de la vie, s’il est libre et bonne volonté, il passera toutes les épreuves et recevra la lumière de la Vérité.
L’eau, le vin, de la connaissance vient à manquer, quand on construit des idoles humaines ou des temples qui ne sont que matériels, ce qui est illustré dans les paroles de Jérémie 2-13:
« Car mon peuple a commis deux crimes : ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive, pour creuser des citernes, citernes lézardées qui ne tiennent pas l’eau. »
S’initier, c’est donc tendre vers le sacré, faire alliance avec la spiritualité, c’est boire toujours le vin de la connaissance humblement ‘avec modération’, pour ne pas tomber dans l’ivresse de la vanité et de l’ego. C’est partager le pain nourriture spirituelle, dans une union commune. Certaines cérémonies maçonniques, reprennent ces rites de partage et d’alliance.
Celui qui cherche humblement sait que sa vie entière sera nécessaire pour approcher, pour espérer voir, la grande Lumière, pour peu qu’il ait toujours comme au premier jour soif de connaissance et d’amour.
Les dernières paroles du Christ rapportées par Jean 19-28, ces paroles lient la soif au désir d’accomplissement, de complétude, d’unité.
« (…) Sachant que désormais tout était achevé pour que l’écriture fut parfaitement accomplie Jésus dit : J’ai soif ! »
En conséquence à notre humble niveau, en fonction de nos possibilités et du désir de nos sœurs et de nos frères, donnons à manger à ceux qui ont faim, et à boire à ceux qui ont soif !
Jean-François Guerry.
NOTE ÉDITEUR
"Pour éprouver la soif, il faut être vivant." Amélie Nothomb "On n’apprend des vérités si fortes qu’en ayant soif, qu’en éprouvant l’amour et en mourant : trois activités qui nécessitent un corps." Avec sa plume inimitable, Amélie Nothomb donne voix et corps à Jésus Christ, quelques heures avant la crucifixion. Elle nous fait rencontrer un Christ ô combien humain et incarné, qui monte avec résignation au sommet du Golgotha. Aucun défi littéraire n’arrête l’imagination puissante et fulgurante d’Amélie Nothomb, qui livre ici un de ses textes les plus intimes.
Dans « Soif », Amélie Nothomb explore l’esprit de Jésus, « le plus incarné des humains »
Amélie Nothomb ose explorer, à la première personne, les états d’âme de Jésus au temps de sa passion. L’occasion d’une belle méditation sur ce que veut dire avoir un corps.
D’aucuns trouveront prétentieux le nouveau livre d’Amélie Nothomb. Pour qui se prend la romancière, qui ose imaginer ce que fut le monologue intérieur de Jésus dans les heures de sa Passion ? D’autres lui reprocheront une trop grande liberté par rapport aux textes du Nouveau Testament, notamment quand elle évoque une relation amoureuse avec Marie Madeleine, ou fait dire à Jésus qu’il n’a jamais prononcé telle ou telle parole contenue dans les Écritures. Mais un roman n’est pas parole d’Évangile.
Dans ce livre au titre lapidaire, Amélie Nothomb offre une belle réflexion – une méditation ? – sur ce que signifie avoir un corps. Sans corps, on ne peut éprouver de sentiments, faire l’expérience de la soif ou de la mort. La romancière imagine ce qui traverse l’esprit de Jésus dans les dernières heures de sa vie, depuis son procès et jusqu’à son ensevelissement, et même après. Le temps de la Passion ravive la mémoire d’événements, d’expériences, de rencontres marquantes…
Le temps de la Passion est aussi celui de l’introspection
Le Jésus d’Amélie, qui se qualifie de « faux calme », vit avec intensité sa condition corporelle, jouissant de chaque moment, même les plus anodins : « Quand je m’allonge pour dormir, ce simple abandon me procure un plaisir si grand que je dois m’empêcher de gémir. Manger le plus humble brouet, boire de l’eau m’arracherait des soupirs de volupté si je n’y mettais pas bon ordre. » Ce qui fait dire à Jésus : « J’ai la conviction infalsifiable d’être le plus incarné des humains. »
L’épreuve de la Passion n’en sera que plus terrible : l’écoute des accusations – des miraculés ingrats qui se plaignent que les miracles dont ils ont bénéficié n’ont pas changé leur vie dans le sens attendu –, la peur du condamné à mort dans l’attente de son exécution, la couronne d’épines, la flagellation, le poids du bois sur les épaules, les chutes, les clous qui pénètrent la chair, la soif, la mort. « L’assoiffé est dans une telle présence que c’en est gênant. Nul besoin de gloser là-dessus. Mourir, c’est faire acte de présence par excellence. »
Le temps de la Passion est aussi celui de l’introspection. Le regret lui vient d’avoir une fois dans sa vie « laissé (s) on désir se transformer en colère », en maudissant un figuier qui ne portait pas de figues dont il aurait aimé se rassasier. « J’ai prétexté une parabole, pas la plus convaincante. Comment ai-je pu commettre une injustice pareille ? Ce n’était pas la saison des figues. En vérité, ce jour-là, j’ai été commun. » Il se souvient aussi avec émotion des êtres chers (sa mère, Joseph, la si belle Marie de Magdala) – « avant l’Incarnation, j’ai peu de souvenirs ». Il pense à ses disciples avec une bienveillante lucidité sur les limites et les qualités de chacun. Pierre : « Je sais pourtant qu’il me reniera, mais il m’inspire une telle confiance. » Jean : « Je sais que l’écoute de Jean est amour et me bouleverse. » Judas : « Il aurait découragé n’importe qui, il m’a découragé plus d’une fois. L’aimer relevait de la gageure et je ne l’en aimais que plus. »
Une manière de parler de la foi
Mais ce Jésus si incarné n’est pas qu’un homme. Il est le fils de qui il tient sa condition charnelle. Et c’est vers celui qu’il appelle père que le crucifié adresse ses récriminations. Une plainte pathétique qui est aussi une preuve d’amour. « Cette crucifixion est une bévue. Le projet de mon père consistait à montrer jusqu’où on pouvait aller par amour. (…) Pourquoi fais-tu cela ? Je te critique. Ai-je dit que je ne t’aimais pas ? Je t’en veux, je suis fâché contre toi. L’amour autorise de tels sentiments. Que sais-tu de l’amour ? C’est bien là le problème. Tu ne connais pas l’amour. L’amour est une histoire, il faut un corps pour la raconter. » Et c’est ce corps souffrant qui parle, exprime ses doutes, réfléchit sur le sens du mot « croire », anticipe les douteuses interprétations de sa mort ignoble : « L’idée même d’une expiation répugne par son absurde sadisme. »
À travers les mots et les doutes qu’Amélie Nothomb imagine traverser la conscience de Jésus, c’est aussi une manière de parler de la foi qui est interrogée. Il faut un langage incarné pour parler de l’Incarnation. La romancière y excelle.
Marie-Madeleine, l’amante de Jésus ?
« Il est impossible d’écrire sur Marie-Madeleine sans interpolation. Les évangiles sont trop discrets à son sujet. L’héritage populaire a, en abondance et en détail, compensé cette réserve. (…) Parler de Marie-Madeleine ne peut pas éviter un récit plus ou moins fictif », avertit le dominicain Jean Pierre Brice Olivier au début de son beau roman Sainte Marie-Madeleine. Vierge et prostituée (Cerf, 2017). Dans le roman d’Amélie Nothomb, Jésus est amoureux de Marie-Madeleine et partage sa couche. Cette proximité est inconnue des évangiles canoniques (ceux retenus pour la liturgie) mais apparaît dans les évangiles dits apocryphes (littéralement : d’origine cachée) qui sont plus tardifs. « Le Seigneur, dit-il, aimait Marie plus que les disciples et il l’embrassait souvent sur la bouche… Et Pierre dit : Sœur, nous savons que le Seigneur t’a aimée différemment des autres femmes. Dis-nous les paroles qu’il t’a dites, dont tu te souviens et dont nous n’avons pas connaissance… », lit-on par exemple dans l’évangile de Philippe. Mais la marque « gnostique » de ces textes suggère que le verbe aimer désigne peut-être moins une affection qu’une initiation au secret. Le baiser aurait une signification moins érotique qu’initiatique.