PRENDRE LANGUE
Cette locution, est bien connue des juristes, dans son acception la plus rigoureuse, c’est prendre contact, s’informer d’une affaire, des intentions d’une partie adverse ou non. Dans une acception plus étendue l’on peut considérer que c’est adopter un langage particulier. Langage que les non initiés considèrent comme un jargon, un charabia, c’est-à-dire un langage de maquignon. C’est aussi un signe de reconnaissance, voire de connaissance.
Plus aérien si j’ose, c’est « la Langue des Oiseaux », celle des alchimistes, celle des mystes.
En 1990 le 30 janvier exactement, alors que j’avais déjà fait plusieurs pas dans ma loge mère, quittant la pâleur de la lune pour chercher la lumière du soleil, un de mes frères me fit cadeau des deux tomes des Demeures Philosophales de Fulcanelli. Curieux livres qui ont nécessités pas moins de trois préfaces rédigées par Eugène Canseliet. Toutes dédiées aux frères d’Héliopolis, aux frères du soleil.
Ces deux ouvrages m’apparurent d’abord comme des spéculations livresques très absconses, j’étais pourtant prévenu le sous titre était évocateur Les Demeures Philosophales et le symbolisme hermétique dans ses rapports avec l’art sacré, et l’ésotérisme du grand œuvre. Il me fallait lire, mais surtout expérimenter, pratiquer, étudier avant d’œuvrer avec le feu, même les enfants le savent on ne joue pas avec le feu.
Sous le langage voilé, il y a le secret d’une science totale universelle à partager avec son prochain.
Je ne sais plus si ma lecture des Demeures philosophales à précéder celle du Mystère des Cathédrales, peu importe j’avais pris langue avec le langage des Oiseaux. J’étais en recherche de cette science totale de la vérité, véritable utopie, dissimulée derrière les préjugés. Je prenais conscience, qu’en fait :
« Il n’y a rien de caché, enseigne l’Écriture, qui ne doive être découvert, ni rien de secret qui ne doive être connu.» (Mathieu X-26)
Certains livres, certaines pratiques ne sont pas accessibles à tous. Elles ne sont pas réservées à des élites intellectuelles, mais à des femmes et de hommes au cœur pur, qui cherchent à réaliser leur élévation spirituelle dans l’humilité. Ceux-là cherchent les idées derrière les symboles.
« C’est pourquoi les philosophes dans le but d’en cacher les principes au vulgaire, ont couvert l’antique connaissance du mystère des mots et du voile des allégories. » (Éugène Canseliet)
Le voyage de la Salamandre ou du Phénix vers le feu régénérateur n’est pas donc pas réservé à une élite pseudo intellectuel, mais humbles voyageurs, qui frappent à la porte du dedans, ceux qui ont l’intelligence du cœur. Ils n’ont pas peur, ils font confiance à leurs frères, qui leur donnent les mots de passe, les mots sacrés, les mots de la langue des oiseaux.
À travers les mots de cette langue se dissimule le principe. Comme la lumière luit dans les ténèbres.
Les francs-maçons ont choisi le symbolisme comme méthode de travail, c’est leur langue, à ce propos le frère Goethe à écrit :
« Le symbolisme transforme le phénomène en idée et l’idée en images, dans l’image, l’idée reste indéfiniment efficace et intouchable, et même quand elle est exprimée dans toutes les langues, elle reste inexprimable. »
Les symboles ne sont donc que des traits d’union entre le concret et l’abstrait. Il est difficile d’expliquer les symboles, ils évoluent sans cesse, ils vivent en nous, d’où le recours à la langue du cœur, de l’âme.
C’est un peu pour moi, comme la peinture où je suis néophyte, comment exprimer ce que je ressens en contemplant un tableau ?
Lors de mes premières visites dans les galeries ou les musés, mon regard se tournait vers les œuvres figuratives, celles qui me parlaient le plus. Comme beaucoup de jeunes artistes peintres, qui à leurs débuts, reproduisent ce qu’ils voient avec leurs yeux, chemin sans doute incontournable qui va du visible à l’invisible.
Fleur de la Haye Scrafini, dans un article sur la peintre Carla Accardi figure majeure de la peinture abstraite cite cette phrase de Wassily Kandinsky :
« L’impact de l’angle aigu d’un triangle sur un cercle produit un effet qui n’est pas moins puissant que le doigt de Dieu touchant celui d’Adam chez Michel Ange. »
C’est sans doute le travail sur l’étude des symboles, qui m’a amené à ressentir des émotions en contemplant des œuvres abstraites, comme certaines de Sérusier. Il m’a fallu aller plus loin, au-delà des apparences, au-delà des symboles physiques, qui ne sont qu’un moyen d’approcher de la connaissance, par un laisser aller.
Une prise de contact, une jonction avec l’invisible, un toucher vers l’harmonie. C’est ce que dit Carla Accardi en parlant de sa peinture :
« Je veux exprimer l’harmonie qui existe lorsqu’un être humain se tourne, les yeux fermés, vers la chaleur du soleil et qu’il émet un signe de vie. »
Cet être humain devient alors un enfant d’Héliopolis, un enfant du soleil, un enfant de la lumière.
Jean-François Guerry.