DES VERTUS….
J’ai eu l’honneur et la joie de pouvoir partager un bout de mon chemin maçonnique dans ma loge avec un frère, dont la sagesse, la discrétion, la simplicité, l’humilité n’avaient d’égal que ses connaissances initiatiques. Étant chargé pendant un temps de « l’instruction », de mes plus jeunes frères, c’est auprès de lui que je cherchais des réponses à mes doutes, mes interrogations.
Quelques temps avant son départ pour l’Orient éternel, je me rapprochais de plus en plus de lui, voyant sa santé décliner, je voulais tirer profit de ses « Vaillants et Suprêmes Conseils. »
Un jour il me dit Jean-François, je vais te confier un grand secret : « La Franc-Maçonnerie en fait c’est très compliqué et aussi très simple : il suffit simplement de fuir le vice et de pratiquer les vertus. Cela donne une direction, un sens à ta vie et à la vie en général »
Les vertus sont nombreuses et demandent donc un long apprentissage. Pythagore déjà dans son école initiatique de Crotone enseignait les vertus en même temps que les sciences, les arts libéraux, l’ensemble formant une véritable élévation spirituelle. Les règles étaient strictes, comme le silence imposé pendant 5 ans aux néophytes avant leur accession au premier degré de l’initiation. Les élèves de Crotone étaient comme ceux du lycée d’Aristote, à la recherche d’un idéal de vie. Les profanes qui frappent à la porte d’un temple maçonnique à la recherche de la Lumière sont dans le même état de latence.
L’une des premières recommandations qu’ils recevront c’est de fuir le vice et de pratiquer les vertus, pour leur réalisation personnelle et pour que règne l’harmonie dans le monde.
Beaucoup de philosophes se sont intéressés aux vertus, Kant dans sa volonté de libérer l’homme des dogmes religieux, substitua les vertus par le devoir moral et le respect de la loi. Mais l’on voit aujourd’hui la dégradation de cette règle morale du devoir, cela ne suffit donc pas, faut-il revenir à l’apprentissage des vertus ? L’échec de la volonté louable par ailleurs d’enseigner le devoir civique, interroge ? Le en même temps démontre ses limites et son danger, laissant la porte ouverte aux extrémismes de toutes sortes.
Aujourd’hui tous les discours sur le devoir, les vertus est considéré comme une atteinte à la liberté. Prôner toute forme d’ordre social, vous fait passer au mieux comme un naïf, au pire comme un dangereux extrémiste.
La morale du bien étant considérée comme dogmatique, on se rabat pudiquement sur l’éthique, c’est forme d’aristocratie de la morale selon André Comte Sponville, ça fait plus chic ! Renonçant à l’aléatoire du bien et du mal, on essaye de faire au plus juste. C’est une réalité à hauteur d’homme est-ce suffisant ? On pourrait peut-être avoir une vision plus élevée, pour donner un nouvel élan, on préfère gérer le quotidien, par manque de vision de la société que l’on veut, on donne le change l’on fait des lois et l’on renonce à les appliquer ou si tardivement quelles perdent leurs effets.
Pour ne tomber dans une morale arbitraire ne faut-il pas promouvoir la pratique des vertus universelles. On a redécouvert ces temps-ci l’intérêt, de la fraternité, de la solidarité, du collectif, il faut encore un effort pour remettre Aristote à l’ordre du jour : « pour vaincre nos passions. »
Le temps de l’eau tiède, approche de sa fin. Il faut remettre du courage pour nous rapprocher de l’autre. Dans cette période de distanciation physique, il nous faut rajouter de la proximité morale, il faut combattre le vice et l’injustice.
C’est le philosophe agnostique André Comte Sponville, défenseur d’une spiritualité laïque qui a relancé le débat sur les vertus, et non sur la vertu. Il change parfois les dénominations chrétiennes des vertus. Ainsi le courage devient pour lui une vertu cardinale, il y associe la fidélité, il prône la générosité version laïcisée de la charité chrétienne. À mon sens son « Petit Traité des Grandes Vertus » devrait être distribué à tous les élèves de nos lycées.
L’initiation maçonnique est un cheminement de vie. Peut-on parler d’un cheminement vertueux, dans la mesure où le néophyte s’engage à fuir le vice et pratiquer les vertus, c’est du moins un objectif.
Vladimir Jankélévitch a réfléchi dans son Traité des Vertus au cheminement du vertueux. Il n’est pas loin là, de la pensée de Levinas à ce sujet. Il explore le dilemme de nos choix moraux, un débat intérieur, un choix cornélien qui nous mène souvent à privilégier nous-mêmes au détriment d’autrui, d’où aujourd’hui le manque de collectif, de fraternité, et de sa conséquence la solidarité dans notre société. Jankélévitch résout ce problème en préconisant une morale de l’amour. On en revient finalement aux vertus universelles, comme la charité, la vertu d’amour qui selon Saint-Paul dans sa célèbre épitre aux Corinthiens est la mère de toutes les vertus, sans laquelle les autres ne sont rien. Cette loi d’amour est aussi la fraternité maçonnique.
Le cheminement initiatique maçonnique, est une voie qui impose idéalement la pratique des vertus, cela ne peut-être que progressif et demande courage, devoir, fidélité. C’est de ma libre volonté que je demande à être admis franc-maçon, je promets d’être fidèle…Lentement nous nous essayons à la pratique et à l’acquisition des petites et des grandes vertus. Nous nous efforçons d’être nous-mêmes, plus humains. Je cite Jankélévitch :
« Avant le courage tout n’est que spéculation. Le courage est ainsi le passage du seuil du réel. »
Certains rituels maçonniques parlent d’un homme courageux. Le franc-maçon s’efforcera, de faire son devoir, en toute fraternité et dans l’honneur, il sera le plus possible juste. Le Traité des Vertus de Jankélévitch se termine par la vertu d’humilité, ce n’est sans doute pas un hasard, c’est une vertu des plus difficiles à pratiquer pour l’homme. Se dépouiller de l’inutile, se mettre à la portée de tous les hommes, savoir progresser avec tous ses frères, atteindre parfois le Nec Plus Ultra d’un enseignement et conserver humblement la ferme volonté de redescendre. L’humilité qui est une vertu fondamentale, est également fondamentale dans la pratique de toutes les vertus.
La mise en valeur de la vertu d’humilité met à bas toute forme d’élitisme, d’intellectualisme qui n’a pour but que d’enorgueillir. L’humilité est donc consubstantielle à la pratique des vertus. Le franc-maçon, qui décidé de combattre son ego, de renoncer à ses certitudes, d’écouter l’autre, de l’accueillir avec dignité, est un homme qui a le sens de l’honneur pour lui, mais surtout pour les humains en général.
Le besoin d’humilité est défini ainsi par Vladimir Jankélévitch :
« Bien qu’elle ne soit pas encore la charité, l’humilité est pourtant ses prolégomènes négatifs, car ce n’est pas simplement l’ego qui est visé, mais aussi l’égoïsme. L’humilité est une ouverture à autrui et au monde en général. »
J’irais jusqu’à dire que le franc-maçon, qui a atteint une sorte d’humilité permanente est au terme de son initiation, il est plus radieux que jamais. Son devoir lui impose pourtant une vigilance constante vis à vis de son ego.
Jean-François Guerry.