Recension à propos de Kipling.
Le seul nom de Kipling évoque pour tout le monde le « Livre de la jungle », mais pour les Francs-Maçons c’est bien plus ses poèmes emblématiques que sont : « Ma Loge mère » et « Si ». Rémy Le Tallec nous propose une recension du livre de Pierre Assouline paru sous le titre : « Tu seras un homme mon fils »
Jean-François Guerry.
Pierre Assouline – « Tu seras un homme, mon fils » (Gallimard, 2020)
Rudyard Kipling, universellement connu pour son « Livre de la jungle », est aussi particulièrement cher au cœur des francs-maçons pour son poème fameux intitulé « If », adapté en français sous le titre « Tu seras un homme mon fils », son dernier vers.
Tout franc maçon connaît ce poème de Rudyard Kipling, qui élève très haut l’exigence éthique humaine, et donc a fortiori maçonnique, sous forme de message d’un père à son fils. C’est le point de départ de ce livre de Pierre Assouline, premier successeur de Bernard Pivot à la tête de la revue Lire, par ailleurs éminent auteur de biographies monumentales (Albert Londres, Hergé, Gaston Gallimard, Simenon, Cartier-Bresson…) et d’une abondante et remarquable oeuvre littéraire (Lutetia, Double vie, Le portrait, Vies de Job…etc).
Un jeune professeur de lettres à Paris, admirateur de Kipling, rêve de donner latraduction idéale du poème « If », et pour ce faire, il rencontre à de nombreuses reprises le poète-écrivain
Né aux Indes, comme on disait à l’époque, trimballé de famille d’accueil en famille d’accueil, des Indes en Grande-Bretagne, devenu journaliste, publie nouvelles, contes et poèmes, curieux, grand voyageur, Angleterre, Etats-Unis, France, pour laquelle il gardera toute sa vie une tendresse particulière. Chantre inconditionnel des grandes heures de l’empire britannique, il en devient la star littéraire entre fin XIXème – début XXème siècle, et reçoit le prix Nobel en 1907.
Le jeune professeur Lambert côtoie durant plusieurs années l’auteur de son poème afin de décrocher son approbation de la traduction française du fameux poème « If » qu’il essaie de concocter, et de percer, avec des trésors de discrétion, l’intimité de l’écrivain et surtout comprendre l’esprit qui a inspiré ce poème.
Au fil des pérégrinations littéraires et des lieux de villégiature de la société aristocratique de l’époque, entre Londres, la campagne anglaise, le sud de la France et Paris, se dévoile la vraie personnalité de Kipling, son attachement premier à sa famille, son quant à soi d’élégance intérieure, en total contraste avec un humour dévastateur, et des opinions bien tranchées et revendiquées qui ne lui valent pas que des amis. Où l’on s’aperçoit qu’on peut être admiré sans être aimé en son propre pays, où la litote est un sport national ; logique, lorsqu’on préfère la considération à la popularité. Kipling n’est pas simplement entier, hyperactif, c’est un inconditionnel dans l’âme : antisémite et implacablement anti-allemand, ce sont ses moindres défauts. De même, quand il aime, c’est sans mesure, la France le sait mieux que toute autre nation , tant sa francophilie et son admiration pour les grands auteurs de la littérature française ressort par tous les pores de son inspiration. Et face aux ténèbres de l’histoire, il est viscéralement du côté de la lumière et prêt à défendre jusqu’au dernier homme contre l’assaut des ténèbres.
A rebours de ce que la littérature des fin XX et début XXIème siècles charrie comme contemplations nombrilesques et impudeurs égotiques, Kipling est de ceux qui écrivent certains textes pour y exprimer des choses qu’ils n’oseraient confier à personne. Et Lambert/Assouline, fin analyste, réussit néanmoins à pénétrer le secret intime de Kipling, et la culpabilité qui le ronge depuis la mort de sa fille à 6 ans, comme si une lumière s’était définitivement éteinte en lui. Sentiment de culpabilité décuplé par la perte de son fils au tout début de la 1ère guerre.
Déclaré inapte au service armé malgré l’intervention de son père, - humiliation insupportable pour le plus grand patriote des grands écrivains de l’Empire britannique – et malgré ses déficiences physiques bien réelles, John Kipling veut à tout prix accomplir son devoir. Il réussit à se faire engager dans l’aviation, et sera abattu dès 1915 dans les ciels de Loos, au Nord de la France. Pour ajouter à l’horreur, malgré toutes les recherches officielles, appuyées par les propres recherches diligentées par son père, son corps ne sera pas retrouvé.
Dès lors, la vie de Kipling est hantée par cette blessure ouverte et le chagrin de ses enfants disparus, et la lancinante question posée par ce poème « If » : son exigence morale n’est-elle pas à la source de l’engagement de son fils ? Cruelle intranquillité de l’âme qui taraude tant d’esprits humains.
Homme d’honneur, avec son génie d’écrivain et son art poétique, son aura personnelle, Kipling n’aura de cesse d’alerter ses contemporains pacifistes sur les dangers du nazisme.
Rappel tragique du destin, à la fin du roman, c’est le propre fils de Lambert qui s’engage dans l’armée quand éclate la seconde guerre mondiale. Et le moins jeune professeur Lambert nous délivre enfin sa traduction du poème « Tu seras un homme mon fils ! ».
Qui repose la vivante et éternelle question de la transmission père-fils.
Rémy Le Tallec.
PS : Comme toujours chez Pierre Assouline, une opulente bibliographie en fin de volume permet de mesurer l’ampleur, la diversité, l’exhaustivité peut-être, des sources qui légitiment la crédibilité s’il en était besoin, et l’authenticité de cette magnifique œuvre romanesque autour d’un personnage bien réel.
"Si", de Rudyard Kipling (Tu seras un homme, mon fils)
"Si", poème écrit en 1895, publié en 1910 de Rudyard Kipling (1865 - 1936) Adaptation en français par André Maurois Mise en scène : Cathy Moreno Musique : "N...