LA PIERRE BRUTE
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La Pierre Brute est dans l’attente du Ciseau et du Maillet désormais confiés à l’apprenti que je suis.
Je recherche le meilleur angle, d’une volonté sans cesse renouvelée.
Je me suis initié au travail avec force et détermination ; réfléchissant sur ma condition, je recherche ma pierre cachée.
Déjà, dans le cabinet de réflexion, elle est apparue : V.I.T.R.I.O.L. Visite l'intérieur de la Terre, et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée.
C'est une invitation à voyager différemment, à prendre une direction nouvelle, inhabituelle et inconnue.
Dans notre rituel au 1er degré, le plan de loge indique bien la présence de la pierre brute, au pied de l’Orient, sous la lune, sur la colonne du nord (colonne des apprentis).
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L’apprenti est identifié à la pierre brute sommairement équarrie, qui sera taillée, polie pour devenir parfaite afin de prendre place dans l’édifice sacré.
En une démarche alchimique bien particulière, l’apprenti maçon est invité à visiter l’intérieur de la terre et à rectifier pour trouver la pierre cachée des sages, la pierre philosophale.
Il lui est demandé d’accepter les méthodes d’apprentissage et savoir rectifier profondément en soi ce qui doit l’être pour, dès lors, changer son plomb en or.
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La pierre est la matière première du maçon, sa « materia prima ».
Au milieu d’une nature mortelle et changeante qui se renouvelait sans cesse dans une succession ininterrompue de disparitions et de renaissances, la pierre, dans sa permanence et son immobilité apparente, donne à penser qu’elle appartient à un autre ordre des choses et qu’elle est détentrice de lourds secrets.
Le premier secret fut levé lorsque les hommes découvrirent la taille et le polissage, rendus possibles par la création d’outils en pierre.
L’outil de perfectionnement est donc contenu en elle.
Comme l'apprenti, qui est à la fois la pierre et celui qui a la charge de la dégrossir.
Il est à la fois objet et sujet de son temple.
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De même, cette découverte du contenu souvent non apparent de certaines pierres ajoute à l’idée de perfectibilité, celle d’un trésor à dévoiler par le travail et la recherche.
L’Initiation rend ainsi à l’apprenti et à la pierre leur liberté potentielle et naturelle.
Car le monde est comme une grammaire : regrouper des lettres fait jaillir des mots ; assembler des mots pousse à l’émergence du sens et de l’action.
C’est toute la puissance du verbe créateur évoqué par Jean dans son prologue. C’est ce verbe mis en acte qu’attendent la pierre et l’apprenti.
Et cette pierre va assurer la cohésion de l’ensemble, unité qui va faire que chacune des pierres va former un tout, pour participer à la construction du temple.
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Mais d’où vient la Pierre Brute ?
A Héliopolis dans l’ancienne tradition égyptienne, la pierre primordiale est identifiée à une pierre initiale, à la fois pierre céleste et rayon de lumière pétrifié.
La pierre primordiale est évoquée dans le Talmud comme pierre de fondation du monde ; elle marque l’emplacement du Temple de Jérusalem.
Dans la tradition juive, la Pierre ou « le Rocher » est une façon de désigner Dieu, car il est interdit d’écrire son nom.
Dans la Bible, la taille désacralise l’œuvre de Dieu et symbolise l’action humaine substituée à l’énergie créatrice : l’Exode, le Deutéronome et le Livre des Rois proclament : « ... en levant ton ciseau sur la pierre, tu la rendrais profane. ». Une mise en garde, de valeur universelle.
La pierre taillée est œuvre humaine ; elle désacralise l'œuvre divine.
Dès lors, la taille de la pierre brute devra toujours s’accomplir selon un rite, c’est-à-dire par une sacralisation du travail aboutissant non seulement à la glorification même de ce travail, mais également de celui qui la commande et inspire l’ouvrier ; le tout s’opérant sur un plan tracé par le Divin.
Et la taille de la pierre qui se trouvait jusque-là interdite, car s’opposant au sacré, apparaît comme une nouvelle alternative.
Désormais, la pierre parfaite résultant du travail de l’homme devient digne de figurer dans les œuvres les plus hautes offertes en hommage au Divin, pour retrouver l’état primordial de l’Esquisse Initiale.
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Aujourd’hui il est communément admis que lors de l’émergence de la première matière hors de l’océan des origines, quelque chose a pris consistance et s’est solidifié.
Le noyau du monde, une île, est la première réalité géologique de l’histoire universelle de notre planète.
Cette première Pierre Brute contient ainsi la lumière cachée des origines et symboliquement l’éternité qui se révèle dans sa manifestation.
Elle a été soumise à l’érosion, modelée et taillée par les éléments naturels tels que l’air, l’eau, le feu.
Cette Pierre Brute n’est pas un bloc de pierre mais elle est toutes les pierres, toutes les formes minérales sur lesquelles on peut travailler selon les lois de l’harmonie.
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La Pierre Brute n’est pas là par hasard ; elle est là quand elle doit être et dans le contexte où elle doit se trouver, comme la pièce d’un puzzle, unique dans sa forme et indispensable à l’ensemble, à la seule place qui est la sienne, précise, prédéterminée et indispensable à la construction de l’édifice.
« Ne l'oublions jamais : notre pierre brute n'est que le premier élément de la construction de notre Temple, car en effet elle s'insère dans un ensemble plus vaste, celui de l'Humanité. Mais elle sera toujours à la base de la construction, elle sera toujours la même pierre qui manque à l'édifice tout en faisant partie des 144 000 pierres vivantes de la Jérusalem Céleste... »
J’ai dit.
Jean-François Guerry.