FICTION : L’ENVERS
Paris 7h 00- Vendredi 25 janvier 1382 bords de Seine- Nicolas passa rapidement dans la pénombre devant la loge située à l’entrée de son atelier de tapissier. Paris s’éveillait lentement, s’étirait dans le froid, bientôt la lumière reviendrait.
Au point du jour il attendrait Hennequin, ici à Paris on l’appelait Jean de Bruges. Cette journée s’annonçait mémorable. Il entendit du bruit dans l’atelier, Jean le faiseur de prodiges était là dans l’atelier.
Je n’ai pas pu dormir dis Jean, c’est le grand jour. La grande Lumière va commencer à paraître, j’ai veillé pour l’accueillir. Jean souleva le bord de la grande tapisserie, tout est prêt dit-il, l’endroit et l’envers sont semblables.
Dans quelques heures leur commanditaire Louis Ier le Duc d’Anjou viendrait contempler l’œuvre. « Les temps étaient proches » de sa révélation. Jean pensa aux sept années passées à sa fabrication, au travail, à la persévérance des œuvriers tapissiers. Il pensa : « Il n’y a plus de temps ». Jean avait fait le chemin de Bruges jusqu’au bords de Seine, mais aussi un chemin bien plus long dans son esprit, de Jérusalem à Babylone, puis de Babylone à Jérusalem et enfin médité sur l’île de Patmos.
C’est le grand jour dit Nicolas pour sortir Jean de ses rêves ! Espérons en confiance et en sérénité que cela plaira au Duc, ces deux compagnons avec leur allure d’anachorète courbés en passant dans la voûte souterraine, ils passaient et repassaient devant la tapisserie la main droite sur le cœur et l’autre tournée vers le ciel espérant que leur chef-d’œuvre plairait à leur maître.
Nicolas confiant déclara : « tout est juste et parfait », aussi bien le bas que le haut, l’envers et l’endroit, c’est un miracle nous pouvons « êtres contents et satisfaits ». La Lumière pénétra dans l’atelier en venant de l’Orient. La tenture de l’Apocalypse de Saint-Jean était née.
Arles, le mardi 2 décembre 1400 il est 11h 00. La cathédrale Sainte-Trophine carillonne à toute volée, Louis II d’Anjou et Yolande d’Aragon vont s’unir. Pour cet événement exceptionnel Louis II à fait disposer la grande tapisserie de l’Apocalypse de Jean de Patmos dans la cour de l’archevêché, pour que tous puissent admirer le miracle de la vie, l’acte final du nouveau testament, l’image de l’ordre revenu après le chaos.
Angers- dimanche 2 janvier 2000- 12 h 00. La terre est au plus proche du soleil à son périhélie. Je suis devant la tapisserie de l’Apocalypse émerveillé, je viens de voir l’envers. Ce qui peut paraître extraordinaire aux autres me paraît soudain normal. Au fond de ma conscience je vois Jean de Bruges et Nicolas Bataille, ils avaient prévu que l’envers serait semblable à l’endroit. Les teintes de l’endroit se sont fanées, dégradées avec le temps. Ainsi les verts de l’espérance qui recouvrent la terre, sont devenus bleus sur l’envers, ils se sont transformés, métamorphosés, le vert de la terre s’est transformé en bleu azur, le bleu du ciel vient donc de recouvrir la terre, c’est une apocalypse ! « Les temps étaient donc proches », maintenant enfin « il n’y a plus de temps » ! Plus encore, surprise la présence joyeuse des jaunes d’or et orangés sur les ailes des anges. Tout cela est insoupçonnable à celui qui ne regarde que l’endroit.
Cette tapisserie de l’apocalypse est l’image d’un véritable chant d’espérance, cette espérance d’un autre regard, le regard d’en haut que nous pouvons porter sur le monde et les hommes. Cette même espérance est symbolisée sur une certaine médaille d’argent et d’or fin où l’on trouve sur l’avers et le revers les lettres B. D. S. P. H. G. F, comme une révélation. Il paraît que cette technique de tissage qui rend semblable l’endroit et l’envers nous vient de l’Orient, là, où naît la Grande Lumière.
Jean-François Guerry.
BIBLIOGRAPHIE :
- Liliane Delwasse – Éditions du Patrimoine – La Tenture de l’Apocalypse d’Angers.
- Jean-Pierre Prévost- Les symboles de l’Apocalypse- Éditions Bayard.
- Rituels Maçonniques.