OMNI, SOLI ET SEMPER
Ce qui vaut pour tous, il est urgent de le chercher Hic et Nunc ici et maintenant. Les Francs-maçons recherchent le propre de l’homme, par l’acquisition des savoirs et plus encore la Connaissance, par l’action. Ils recherchent ce qui distingue l’homme de l’animal en rendant gloire au travail.
L’homme pourtant sans contestation possible est une espèce d’animal, à qui l’on a ajouté des qualificatifs liés à ses qualités, animal social, animal raisonnable etc... Il naît, il se nourrit, se reproduit, il meurt. Qu’est-ce donc qui le rend plus humain, qu’est-ce que le propre de l’homme, qu’est-ce que l’homme a en propre.
Emmanuel Kant a analysé le propre de l’homme à partir de trois de ses dispositions : « Une disposition à l’animalité, une disposition à l’humanité, une disposition à l’individualité ».
Il semble que nous oublions de plus en plus la deuxième des dispositions au profit de la première et la dernière, comme inconsciemment un refus du juste milieu. L’homme ne serait finalement pas un animal rationnel ? Un homme faisant usage de sa raison dans le seul but de satisfaire son bien-être, à ne pas confondre avec le désir d’être un homme de bien. Il n’agirait que de manière intéressée, serait seulement individualiste. Il se sert alors de son libre arbitre pour compter, calculer, mettre sa raison à son seul profit, est-ce cela être authentiquement humain ?
Où se trouve la recherche et le souci du bien moral, défendu par les stoïciens. Ce qui fait la loi morale, la responsabilité de son frère.
Mais quel est le véritablement le propre de l’homme, de cet homme qui travaille à la Gloire du Grand Architecte de l’Univers, de cet homme qui proclame la Gloire au travail.
Essayez de prononcer cette injonction dans une assemblée sans y mettre la connotation de l’intérêt financier, proclamant simplement que le travail est un devoir, le travail de l’homme. La majorité de l’assemblée vous prendra pour un illuminé, un mot polysémique qui sera compris différemment par d’autres. Certains verront cet homme illuminé au centre d’une étoile flamboyante, vénusienne déclarant son amour du travail.
Il me faut à ce stade penser plus loin la réflexion sur le travail de l’homme et convoquer la philosophe et politologue Hannah Arendt. Pour elle le propre de l’homme repose sur trois modalités de l’activité humaine : le travail en tant que labeur, le faire œuvre, et l’action.
Ces trois activités constituent le propre de l’homme, ce qui le distingue de l’animal. Aucun animal, ne cumule, ne réunit ces trois modalités dans son activité. Il peut se consacrer au labeur pour se nourrir, pour construire son nid comme l’oiseau, son barrage pour le castor, son terrier pour le lièvre, ces animaux « travaillent » pour se nourrir et construire leur demeure, mais peuvent-ils agir ?
En construisant sa demeure physique, en travaillant pour se nourrir, l’homme ne fait pas œuvre d’homme, il ne s’ouvre pas à son humanité, il ne s’élève pas humainement, spirituellement. Il lui faut agir.
L’on peut certes objecter, que le labeur fait par l’homme nécessite des outils, une organisation, une rationalisation, qui rend le travail labeur plus humain. Est-ce suffisant pour faire œuvre humaine ? Les compagnons du métier, bâtisseurs réalisant leur chef-d’œuvre ou élevant une cathédrale étaient animés par autre chose, par la conscience d’une transcendance intérieure ou extérieure, un souffle de l’esprit.
D’où la thèse de Hannah Arendt le propre de l’homme, pour être véritablement homme est l’action. C’est bien d’agir que nous demande la Franc-maçonnerie, contre toutes les injustices, les despotismes religieux, politiques de toute sorte, les dogmes qui avilissent et contraignent les libertés.
Hannah Arendt développe dans Vita activa : « L’action ouvre celui qui agit à son humanité authentique car elle témoigne d’un commencement qui n’est pas un recommencement (comme le sont les commencements qui se produisent dans l’ordre de la nature de la vie du labeur) mais d’un commencement qui est une véritable rupture avec tous les conditionnements ou tous les processus naturels ou culturels. Une rupture qui est une innovation et qui fait sentir un inconditionnement. En tant que commencement, l’action fait sentir un inconditionnement ou, plus précisément, laisse apparaître les conditions dans lesquels nous agissons comme conditions qui « ne peuvent jamais expliquer l’homme, ni répondre à la question de savoir ce que et qui nous sommes, assurément pour la simple raison qu’aucune condition ne nous conditionne absolument. Ce que nous sommes en tant qu’être humain, ni qui nous sommes en tant qu’individus singuliers, n’est pas entièrement déterminé par les conditions de notre vie au sein d’un monde dans la mesure où nous sommes capables d’actions. Bref le commencement de l’action fait sentir la liberté constitutive de l’humanité de l’homme car elle brise la clôture dans laquelle l’homme se meut quand il se laisse conditionner par des processus naturels ou utilitaires. (…) Bref, parmi les modalités de la vie active, seule l’action fait signe vers un avènement de l’humanité. »
Hannah Arendt introduit en quelque sorte une échelle de la consistance de notre humanité, de nos degrés d’humanité, qui met en valeur nos capacités humaines, nos capacités d’actions, c’est un message pour une voie, une direction, un sens, pour notre vie, agir pour nous et pour les autres à portée de notre volonté, de notre libre arbitre c’est un message d’espérance et d’amour pour nous, pour l’autre, pour l’humanité.
Jean-François Guerry.
Note : Vous pouvez lire en quatrième de couverture du livre de Hannah Arendt collection Le livre de poche :
Comment l’humanité, qui était au sommet du progrès technique, a -t-elle pu se laisser happer par la barbarie totalitaire et finir par y sombrer ?(…) Cette faillite, nous dit Arendt, est la conséquence de l’oubli par l’homme moderne d’un monde de valeurs partagées et discutées en commun avec autrui, dès lors qu’il n’a plus envisagé les choses qu’au travers du prisme de leur utilité pour son bonheur privé. Indifférent aux autres.
Je rajouterais le choc que j’ai reçu en pleine poitrine quand j’ai entendu nos hommes politiques lors de la pandémie faire l’éloge de femmes et d’hommes pour leur utilité !