Jean-François GUERRY.
VIENT DE PARAITRE-
La Mort au présent
face à l’éternel Orient
La mort est au cœur de l’expérience maçonnique, à toutes ses étapes, grâce à une méthode d’intériorisation singulière. La Franc-maçonnerie traditionnelle l’intègre puissamment, à travers l’expression symbolique des rites de passage et avec l’appropriation physique, mentale et spirituelle de la mort par l’initié.
Toutes les grandes philosophies et courants spirituels intègrent la mort. Contre tous les fantasmes transhumanistes, il faut affirmer que l’humanisme et le mystère de l’homme se fondent dans la reconnaissance de la fragilité de la vie, dans la vulnérabilité partagée.
Vivre, c’est apprendre à mourir, mourir à soi-même, à ce monde, à ses apparences, passer à l’éternité. De Pascal à Camus, quel est le sens de la vie ? Peut-on échapper à cette question du sens qui est aussi liée aux questions du temps et de l’altérité.
La mort est devenue le dernier tabou de nos sociétés modernes, elle est évacuée, escamotée. On ne meurt plus chez soi entouré des siens, mais majoritairement à l’hôpital, souvent dans la solitude, comme l’évoque magnifiquement Marie de Hennezel dans l’entretien qu’elle a accordé aux Cahiers.
Au sommaire
Fred PICAVET, On ne badine pas avec la mort
Gaston-Paul EFFA, Les morts ne sont pas morts
Marie de HENNEZEL, Face à la mort, nous sommes frères François-Xavier TASSEL, La mort pour décrypter la société
Pierre PELLE LE CROISA, La mort est le sens de la vie
Jacques TRESCASES, Réflexions d’un initié sur la mort
Gaël de KERRET, Du songe à la mort : une lecture des Tenues funèbres Jean DUMONTEIL, La Franc-maçonnerie ou l’amour de la mort
« Cahiers de L’Alliance » n°14, La Mort au présent, Ed Numérilivre, Paris, février 2023, 120 pages, 20 €. – abonnement un an, 3 numéros, 48 €.
A commander sur www.eosphoros.fr ou www.numerilivre.fr
CONTACT- Jean-Claude TRIBOUT – cahiers.alliance@alliance.fm Février 2023
Le 30 décembre 2019, un peu avant le passage en 2020. J'ai publié un article intitulé de le Passage. voir ci-dessous
Cette boule en dolérite est conservée dans une maison de Locmariaquer depuis des générations. Son existence avait été évoquée en 1892 mais personne ne l'avait vue depuis. Il n'y a que deux autres «maillets bénis» connus aujourd'hui. Photo François de Beaulieu
L'existence en Bretagne d'un «maillet béni» servant à un rituel autour des agonisants a fait et fait encore l'objet de nombreux débats. Il semble que cet objet légendaire soit porteur d'un très ancien symbolisme.
Dix de perdus, un de retrouvé
Comme l'a fait remarquer l'ethnologue DonatienLaurent, on peut observer qu'une intéressante homonymie permet de confondre sous une même appellation une boule («mell», féminin) et un maillet («mel», masculin). Ce qui permet de comprendre que le fameux «maillet béni» pouvait aussi bien être, à l'oral, une petite massue ou un boulet. La première mention par l'historien Cayot-Delandre en 1847 fait la part belle à la celtomanie et concerne le site du Mané-Guen en Guénin: «Lesvieillards lassés de la vie se rendaient jadis sur son sommet afin que l'un des druides qui y résidaient les en débarrassât en les frappant avec la massue sacrée». Le plus célèbre «maillet» est en fait une boule et a longtemps été conservé dans un placard de la sacristie de la chapelle de Locmeltro en Guern (ilest aujourd'hui au presbytère); il est en granit, mesure 42 cm de circonférence et pèse 3kg. Unenote du linguiste JosephLoth (1847-1934) souligne que la présence du «mel» à Guern est ancienne: le nom même de Locmeltro est composé du préfixe «loc» qui désigne un oratoire ou une petite chapelle et de «meltro» qui signifie «le vallon de la boule» ! Onpeut d'ailleurs imaginer que le patronage de la chapelle par un saint Meldeoc quasi inconnu est né du besoin de christianiser les lieux et de proposer un nom «justifiant» celui du site. Une sorte de massue en bois ornée de cannelures et probablement achetée à Cléguérec est conservée au Musée du château des ducs de Nantes. Divers témoignages semblent attester l'existence d'un autre boulet à Quelven (Guern) et d'un maillet en bois déposé dans l'if du cimetière de Caurel. L'archéologue Zacharie Le Rouzic signale des «marteaux» à Carnac et «deux boules en schiste bleu foncé» qu'il aurait vues en 1893 dans la chapelle Saint-Germain en Brec'h (mais il n'y a pas de chapelle Saint-Germain à Brec'h, la plus proche est à Erdeven). C'est en 1892, qu'un amateur d'archéologie de Locmariaquer, M.Mahé signale l'existence d'un maillet béni. Il ajoute que ce dernier servait à tuer les vieillards avant une grande bataille afin qu'ils ne tombent pas aux mains de l'ennemi ! Or, ce maillet existe toujours: il a été retrouvé caché dans la terre battue sous la table de la cuisine d'une ferme de Locmariaquer. Ses propriétaires en connaissaient l'existence et disaient que la «pierrebénie» («men beniguet») «était utilisée jadis pour assommer et tuer les vieillards impotents devenus trop encombrants». On peut penser qu'il s'agit de l'objet dont parlait M. Mahé, d'autant plus que celui-ci était le propriétaire des terres de cette ferme et que les deux commentaires se rapportant au maillet sont très proches. L'objet, en dolérite comme beaucoup de haches polies, pèse 4,1 kg, sa circonférence la plus grande est de 44cm. Enfin, il faut citer le cas, noté en 1906, d'une hache préhistorique longtemps conservée par une famille de Corseul et que l'on venait emprunter «pour que les agonisants puissent l'embrasser au moment de mourir». Son dernier propriétaire s'est fait enterrer avec elle. Ceci suggère que les rituels liés au «maillet béni» n'étaient pas limités à un étroit territoire allant de Caurel, au nord à Locmariaquer, au sud. D'ailleurs, on a trouvé divers témoignages de rituels proches dans les îles britanniques.
Des racines très profondes
Des archéologues ont relevé que les figurations de haches se trouvaient en majorité à l'entrée des couloirs et des chambres des sépultures mégalithiques du néolithique armoricain. Ils en ont déduit qu'elles devaient être liées à des rituels de passage ou d'aboutissement. Par de complexes cheminements, ces symboles ont pu être recyclés dans des mythologies où des dieux sont armés d'une massue ou d'un marteau qui peut, soulignons-le, tuer ou ressusciter ! C'est le cas du dieu germanique Thor ou du celte irlandais Daghdha et ses homologues gaulois Taranis et Succelos. Les haches polies, «pierres de foudre», que l'on trouvait dans les champs n'étaient-elles pas la matérialisation de leur puissance ? On l'aura compris, les récits évoquant des vieillards achevés à coups de marteau reflètent seulement que l'on a perdu la pratique et la signification d'un rituel de passage aux profondes racines symboliques qui avait su s'adapter aux nouvelles religions presque jusqu'à l'aube du XXesiècle.
Dans le Morbihan jusqu’à la limite des Côtes-du-Nord, on a beaucoup parlé d’une curieuse pratique, celle du mell benniget, le maillet bénit. Selon les témoignages, il s’agissait de mettre fin à la longue agonie d’un moribond en lui posant sur le front une pierre ovoïde conservée dans un sanctuaire religieux. On a voulu y voir le souvenir ancien d’une forme d’euthanasie. Mais sans aller jusque-là, ne s’agirait-il pas d’un rite de passage destiné à faciliter le départ de l’âme plutôt que d’aider le corps à mourir. On peut aussi se demander si, accompagnée du geste, la force de la croyance parmi le peuple ne suffisait pas à produire l’effet escompté, c’est-à-dire une mort douce, comparable aujourd’hui à l’extrême onction pratiquée par l’Eglise ?
Nous en avons trouvé d’autres traces ailleurs dans la mémoire des anciens, à la fois en Trégor et en Goëlo où elle subsiste sous forme de plaisanterie. Ainsi, dit-on en souriant à une personne très âgée : O, te zo bev atao, te vo ret lac’hañ ac’hanout gant an horzh vinniget, tu es encore en vie, il va falloir te tuer avec la masse bénite. On remarquera que la pierre a fait place à une masse en bois que l’on utilisait autrefois pour enfoncer les piquets des clôtures dans les champs.
En France aussi, on relève des traditions de la sorte, par exemple en Périgord et en Berry où il est question non plus d’une pierre mais d’un joug de bœuf, et aussi en Angleterre avec un holy mawle, maillet bénit ou encore en Ecosse où l’objet utilisé est une quenouille.
Daniel Giraudon, natif de Binic (22), gallèsant et bretonnant, est professeur des universités (émérite) à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et chercheur au Centre de Recherche Bretonne et Celtique (CRBC) de Brest. Docteur en ethnologie, il est l’auteur de nombreux ouvrages relatifs aux traditions populaires dont il a collecté la matière dans la mémoire des anciens. Il a obtenu en 2012 le prix Claude Seignolle pour son livre au sujet des croyances et légendes de la mort en Bretagne et pays celtiques, Sur les chemins de l’Ankou.
Publié le 21/09/13 9:39 -- mis à jour le 00/00/00 00:00
Bernard Rio, journaliste et écrivain de métier, a, comme beaucoup de Bretons, un attrait vers les légendes celtiques et les anciens cultes, dont il cherche les traces. Son livre, dont le titre «Voyage dans l'Au-delà : les Bretons et la mort» résume bien le projet à deux faces. Du côté pile, il montre, avec force citations de toutes les époques, que la Bretagne a toujours été le lieu de pratiques originales, montrant une grande familiarité avec les morts, qu'ils viennent de «passer» ou justement qu'ils n'aient pas forcément réussi à passer, du premier coup dans l'au-delà. Il prolonge ainsi Anatole Le Braz et sa «Légende de la mort chez les Bretons armoricains» (1893).
Du côté face, l'auteur instruit un procès aux dernières générations de Bretons qui ont coupé les liens avec les morts et l'Au-delà, au point de ne plus être capables de les voir quand ils leur lancent des appels pour les aider à faire le grand saut. Ils ne respectent plus les traditions millénaires.
Autrefois, tous les Bretons savaient que l'Ankou, qui évoque un Hercule gaulois ou un Ogme irlandais, dieux capables de destruction ( voir l'article ), voyage en carriole la nuit pour aller ramasser les âmes et n'hésite pas à en cueillir au passage, si leurs propriétaires se promènent à une heure indue. Ils savaient aussi reconnaître les intersignes qui annonçaient les morts, ainsi que les voix plaintives ou les fracas venus des âmes qui hantaient les lieux de leur trépas, maisons, forêts ou étangs, et dont ils n'avaient pu s'éloigner. Ils entassaient, parfois, les squelettes exhumés dans les ossuaires et mettaient leurs crânes dans des petites boîtes sur des étagères. Avant l'enterrement, ils veillaient les morts, jour et nuit, quitte à faire bombance et à rire, danser ou chanter dans la pièce à côté.
Bernard Rio a recueilli des témoignages datant de moins de 50 ans auprès de personnes qui ont osé confier leurs cauchemars prémonitoires ou leurs visions, car, un mort peut envoyer un message par un répondeur téléphonique ou tout autre matériel. Il nous apprend ainsi qu'un logement de fonction du lycée de Pontivy est hanté par un moine du couvent qui se trouvait en ce lieu au XVIIIème siècle. Il rapproche la chevauchée de la déesse irlandaise Rhiannon, les récits de Dame blanche et l'auto-stoppeuse du pont de Plougastel. Il rapproche aussi la pratique du mell beniget (maillet béni), dont on frappait la tête du mort à l'emplacement de la fontanelle avec le rite identique pour les papes décédés mais le maillet est, alors, en argent.
Cette érudition et cette enquête sont accompagnées de remarques qui n'expriment pas seulement le regret d'un passé révolu. Bernard Rio déplore que les Bretons soient devenus si insensibles à la réalité de la présence des morts. Il convoque les accusés à son tribunal de papier : ils se nomment, selon les pages, le positivisme, le rationalisme et le «bazar du matérialisme». Derrière ces mots, il y a les rationalistes qui se nomment saint Thomas d'Aquin, Descartes et Kant. Ils ont étouffé ceux que le sort des âmes en peine sur terre préoccupait, saint Augustin, saint Bernard de Clairvaux et les évêques du Concile de Trente. Il faudrait dépasser le discours de la raison et admettre la coexistence du monde visible avec un monde invisible et la relativité d'Einstein y aiderait.
Chacun pourra donc lire le livre qui lui convient : un excellent manuel d'ethnologie bretonne ou un appel à une recherche des messages de l'Invisible.
L'iconographie de l'ouvrage est tout à fait remarquable.
Voyage dans l'Au-delà : les Bretons et la mort, Éd. Ouest-France, 2013, 285 p. ISBN 978-2-7373-5809-8
Note : la peinture de Johann Heinrich Füssli (Henry Fuseli), réalisée en 1781, évoque le lien entre la cavale blanche et le cauchemar dont parle Bernard Rio.
Christian Rogel
ABONNEZ-VOUS EN DÉPOSANT UNE ADRESSE MAIL DANS LA FENÈTRE S’INSCRIRE A LA NEWSLETTER. (Gratuit)
Pour les Abonnés : Il est possible de recevoir gratuitement les textes des articles au format Word en écrivant à l’adresse suivante :
Info : le blog respecte la loi RGPD
www.lafrancmaconnerieaucoeur.com
DÉSABONNEMENT SUR SIMPLE DEMANDE SUR LE SITE OU À L’ADRESSE MAIL : courrierlafmaucoeur@gmail.com
Astuce : cliquez sur les images pour les aggrandir.
FAITES CONNAÎTRE LE BLOG À VOS AMIS.