L’IMPOSSIBILITÉ D’ÊTRE SOI ? Part VII et Fin
« Prendre son vol chaque jour au moins un moment qui peut-être bref, pourvu qu’il soit intense. Chaque jour pour un exercice spirituel seul ou en compagnie d’un homme qui veut lui aussi s’améliorer aimer tous les hommes libres, s’éterniser, s’améliorer en se dépassant. »
Georges Friedmann- La Puissance et la Sagesse.
Les exercices spirituels transforment, métamorphosent l’homme en humain, ils s’adressent à l’essentiel de l’homme son être intérieur. Ils sont de deux catégories disait Pierre Hadot de formation et d’application. Bien de formation et non d’information, parce qu’ils theoria et praxis. Ils sont des pratiques, des travaux, une méthode pour la conversion du regard, pour voir le réel, le beau, le bon, le vrai, le juste. Ils dépassent la recherche exclusive d’un bien être intérieur personnel, leur application est la possibilité de transformation de notre être, mais aussi du monde. Ils sont un chemin vers soi, ver l’autre, vers les autres. Pierre Hadot, philologue, philosophe spécialiste de l’antiquité grecque et romaine l’avait compris, il en a fait l’œuvre de sa vie, une œuvre de vie. Car après tout, la vie ce n’est pas que des frigidaires, des budgets financiers, de la politique ou des mots croisés… Comme le disait Saint-Exupéry : « Au fond il n’existe qu’un seul et unique problème sur terre. Comment redonner à l’humanité un sens spirituel. »
C’est sans doute imprégné de ces influences et de ces réflexions que Xavier Pavie agrégé de philosophie et professeur en école de commerce a poursuivi ce chemin tracé par Pierre Hadot qui mène à la pratique des exercices spirituels en essayant de les mettre en application dans sa propre vie, répondant positivement à Socrate qui qui demandait à celui qui parlait de justice qu’attends tu pour la pratiquer !
Il y a quelques années, j’ai eu un bref échange avec Xavier Pavie à propos des exercices spirituels et de leur pratique. Il déplorait le manque de pratique de ces exercices dans notre société, il déplorait aussi le manque de lieux de pratique. Je lui dis alors, que personnellement j’avais trouvé la possibilité de cette pratique au sein de la Franc-maçonnerie et qu’il existait des lieux de pratique, les loges maçonniques pourvu que les travaux soient consacrés à la spiritualité et à la transmission de la tradition et non des forums politiques et économiques précisant qu’ils existent pour cela des organisations et des lieux plus adaptés et beaucoup plus compétents. Je lui précisais aussi, que ce n’est pas un hasard si les racines profondes de la Franc-maçonnerie plongent aussi dans les valeurs et les vertus de la philosophie de l’antiquité, pourvu qu’elle soit à la fois theoria et praxis. C’est ce qui humblement m’a mené quelques années plus tard à l’écriture de mon livre : Exercices spirituels antiques et Franc-maçonnerie.
Inès Weber poursuit cette route avec son regard de psychologue praticienne et l’éclairage qu’elle reçoit de ses patients à la recherche de la lumière. Ainsi, le retour à l’essence, à l’essentiel s’impose naturellement à elle. Il en résulte l’impératif d’Être soi, nous seulement pour soi, mais aussi pour le monde, toute analogie avec l’initiation maçonnique est valable. Elle décrit dans la deuxième partie de son livre comment espérer y parvenir. Par les percées de l’être à partir des expériences paroxystiques de Karlfried Graf Dürckeim. Ce sont des exercices qui permettent l’élévation de l’être au-dessus de lui-même, en quelque sorte des élévations de conscience, méthode partagée avec la Franc-maçonnerie.
J’ai relevé aussi dans son livre de nombreuses références à Pierre Hadot, en particulier celle-ci bien à propos en cette période où l’on fête Saint-Jean Baptiste. Hadot a écrit : « Nous ne sommes que ce dont nous avons conscience et pourtant nous avons conscience d’avoir été plus que nous-mêmes dans les moments précis où, nous élevant à un niveau de simplicité intérieur, nous avons perdu conscience de nous-mêmes. » (Pierre Hadot – Plotin où la simplicité du regard- Éditions Gallimard Folio 1997 Page 40). Cela bien sûr, nous rappelle les paroles de Jésus dans l’Évangile de Jean 3-30 : « Il faut que je croisse et que je diminue. »
Inès Weber dans la dernière partie de son livre, contrarie avec bonheur le titre de mes articles L’impossibilité d’être soi ? Vous aviez remarqué néanmoins la forme interrogative. Inès Weber propose à ses lecteurs et à ses patients, par la pratique d’exercices spirituels de mieux vivre, et d’être soi. Comment ? En repérant certains moments de sa vie où l’on se sent bien, en privilégiant les rencontres avec les autres, certaines rencontres qui nous font du bien, en pratiquant la méditation même brève mais régulière. Cela fait nous rappelle la pratique de l’empereur stoïcien Marc Aurèle, qui chaque jour écrivait ses pensées pour lui-même. Il était d’ailleurs persuadé qu’elles ne seraient pas éditées et ne franchiraient ni l’espace, ni le temps. C’était donc bien dans le but de son amélioration personnelle. Inès Weber nous recommande donc toutes les expériences de l’être pour être soi. Elle convoque aussi souvent Jung, ainsi Dans l’homme à la découverte de son âme. Jung donne ce conseil : « Aussi faut-il que l’homme qui a fait l’expérience se mette en chemin pour devenir et être, petit à petit, celui qu’il a reconnu le temps de l’expérience. »
Puis les chapitres du livre de Inès Weber sont égrenés comme autant de pierres posées à terre sur notre chemin, qu’il nous suffit de saisir pour les tailler et les polir : de l’expérience à l’exercice, pour s’améliorer, se transformer. C’est-à-dire être le même et différent à la fois, briser l’écorce, faire tomber les voiles qui masquent notre énergie spirituelle cachée dans notre intérieur, notre Maître Secret. Faire l’expérience de l’être, de cette paix particulière qualifiée par Romain Rolland de Sentiment Océanique, (A ce propos je vous recommande encore la lecture du Blog de Jean Dumonteil Sentiment Océanique. Jean Dumonteil est le Directeur de la rédaction des Cahiers de l’Alliance Maçonnique – G L A M F).
Ce que nous propose Inès Weber est une voie initiatique pour nous unifier, pour devenir Un et prendre conscience de ce qui unit toute chose, c’est aussi un chemin universel, fraternel.
À chacun de chercher et de trouver sa voie, pour sa pratique qui doit provoquer des changements d’états d’être, la conversion du regard. Un travail que les Francs-maçons commencent en Force à colonne B, puis persévèrent en établissant cette force à la colonne J. En se consacrant régulièrement à leurs travaux avec l’assiduité indispensable sans laquelle toute progression, toute élévation de conscience est impossible. C’est le rappel de la citation de Georges Friedmann en début d’article. Reprendre en main sa vie et lui donner un sens plus spirituel, plus humain.
Inès Weber insiste en fin de son ouvrage sur besoin des autres pour être soi je ne puis qu’abonder, c’est la spécificité de l’initiation maçonnique ; qui semble être donc une voie royale pour la possibilité d’être soi.
Jean-François Guerry.
Notes Éditeurs :
En prenant à son compte la distinction que proposaient les stoïciens entre le discours sur la philosophie et la philosophie elle-même, Pierre Hadot a toujours placé au centre de ses préoccupations la philosophie en la concevant comme une métamorphose totale de la manière de voir le monde et d'être en lui.
En s'interrogeant notamment sur les « expériences de pensée » dans l'Antiquité, sur la figure de Socrate, sur la lecture que Michelet fait de Marc Aurèle, il montre de manière lumineuse que les Anciens concevaient la philosophie comme un mode de vie, comme un effort concret de transformation de soi par la méditation, comme un exercice spirituel de chaque instant vers la sagesse.
Réédition du grand classique épuisé de Pierre Hadot, véritable « livre culte », augmentée de la Leçon inaugurale au Collège de France et de divers articles, eux aussi introuvables, publiés dans des revues confidentielles.
Xavier Pavie : Exercices Spirituels Philosophiques.
Résumé
L’exercice spirituel philosophique s’élabore essentiellement pendant l’Antiquité. Stoïciens, épicuriens et cyniques appellent à développer la sérénité face aux incertitudes de l’existence en vue d’une vie meilleure. Ils s’attellent alors à mettre au point des techniques et méthodes, afin d’aider l’homme à surmonter les maux, les douleurs et les obstacles quotidiens. Véritable mode de vie, la pratique de la philosophie comme exercice spirituel perdure malgré la concurrence de la religion chrétienne au Moyen Âge, à la Renaissance, à l’Âge classique et jusqu’à nos jours.
De Marc Aurèle à Foucault et Thoreau en passant par Kant et Montaigne, cette anthologie, unique en son genre, regroupe les textes fondateurs des exercices spirituels de cinquante philosophes. Articulée autour de neuf thèmes, elle propose une fascinante traversée de l’histoire de la philosophie : une référence utile tant pour le spécialiste que pour le lecteur qui s’intéresse à la philosophie comme manière de vivre.
Caractéristiques
Nombre de pages:
336
Code ISBN:
978-2-13-082507-4
Numéro d'édition:
1
Format
15 x 21.3 cm
Sommaire
Citations
« La philosophie est une manière de vivre, cela signifie qu’elle a une prise directe avec le monde et n’est pas seulement dans une forme spéculative. »
Jean-François Guerry : Exercices Spirituels antiques et Franc-Maçonnerie.
Les hommes cherchent à découvrir leur être intérieur. Ils recherchent la connaissance par un retour à l’essence de leur soi. Construire leur temple intérieur pour pouvoir participer à la construction du monde qui les entoure, trouver leur juste place.
Comment y parvenir ? La philosophie antique était theoria et praxis. Elle était un art de vivre. La Franc-maçonnerie est aussi un art parfois qualifié de royal., un art qui impose de Savoir, Comprendre et Agir. L’observation de la pratique maçonnique démontre que les travaux maçonniques sont de véritables Exercices Spirituels.
On peut vivre sans la philosophie, comme l’on peut vivre sans la Franc-maçonnerie, mais moins bien.
Académie Maçonnique Provence Éditions Ubik Prix 16,50 €
253 Pages Préface de Charles Bernard-Jameux.
Inès Weber – Être soi- Une quête essentielle au service du monde.
EAN : 9782072990304
256 pages
GALLIMARD (06/04/2023)
4.4/5 5 notes
Résumé :
La plupart des personnes qui consultent un psychologue ressentent une insatisfaction profonde, alors même qu’elles pourraient avoir toutes les raisons d’être heureuses selon les critères standards du bonheur : loisirs, divertissements, vie sociale, etc. La somme de tous ces acquis n’est pourtant pas égale au bonheur. Il leur manque l’essentiel.
Dans notre monde contemporain, tout est tourné vers l’avoir ou le paraître. C’est l’inflation des besoins matériels au détriment des aspirations spirituelles, et dès lors, même si notre moi se porte bien, on peut souffrir d’un mal-être que notre système économique, en bon prédateur, sait tourner à son profit. Le besoin d’être soi est donc devenu un de ses appâts publicitaires favoris : « soyez comme vous êtes », « devenez le meilleur de vous-même », « osez vivre votre vie ».
À travers ce premier essai lumineux, la jeune psychologue Inès Weber nous met pourtant en garde. Quel « être soi » authentique mérite d’être visé ? Comment ne pas tomber dans une consommation de bien-être et comment se chercher au-delà de ce que la société nous conditionne à être ?
Bien des sagesses et philosophies anciennes nous invitent précisément à chercher en nous ce qui nous dépasse. L’auteur ouvre des pistes de résistance aux aliénations et montre le chemin d’une quête intérieure aussi exaltante qu’exigeante.
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La culture de soi: exercices spirituels et philosophie antique avec Pierre Hadot
https://www.franceculture.fr/ "La vie comme elle va" (émission du 23/03/2003) , avec Pierre Hadot, spécialiste de la philosophie antique, professeur honoraire au Collège de France.