La Fraternité ou la mort. Sculpture de Louis-Simon Boizot. L'une tient le bonnet Phrygien de la République l'autre le triangle de l'égalité Musée du Nouveau Monde à La Rochelle
L’IDÉAL DE SAGESSE EN CAUSE ?
On ne cesse de répéter que notre société est mondialisée, et que nous sommes devenus individualistes. Y a-t-il un paradoxe ? Entre le tous pareils et le chacun pour soi la primauté de l’individuel sur le collectif, l’égoïsme, l’égocentrisme rejetant le commun, le solidaire, le fraternel. Le chacun pour soi d’abord ! Il semble que la devise de la Pythie de Delphes soit réduite exclusivement à sa première partie : Connais-toi toi-même. L’univers, les dieux, les autres sont jetés aux oubliettes. La tension vers le Dieu nature des stoïciens, le Dieu unique des religions du livre, le principe d’un Dieu unique créateur architecte de l’univers oubliés aussi ? Remplacés par l’homme Dieu authentique unique seul. Cette réflexion, m’a été inspirée par la lecture d’un entretien donné par Claude Romano à la rédaction de Philosophie Magazine. Petite biographie rapide de Claude Romano, il fût élève de l’ENS, Maître de conférence à l’Université de Paris Sorbonne, Professeur à l’Université Catholique Australienne. Il travaille sur la phénoménologie, la métaphysique, l’herméneutique et la littérature. Auteur de nombreux ouvrages dont Être soi-même,Éditions Gallimard 2019, La Liberté intérieure, une esquisse Paris Hermann 2020. L’entretien qu’il donne à Philosophie Magazine se situe dans le cadre de la parution de son ouvrage : La révolution de l’authenticité à l’âge du romantisme de Goethe à Nietzche. Chez Mimésis 2023.
Les nourritures terrestres et spirituelles de notre société tendent à l’uniformité, c’est factuel. Pourtant en contrepoids, la montée de l’influence, voire de la dictature des minorités ne cesse de croître, on sectorise, on classe, voire on jette avec violence. Claude Romano écrit : Il est devenu très commun de ne pas vouloir être commun. C’est devenu si commun que c’est peut-être le plus commun dénominateur de notre époque.
Sommes-nous dans une recherche d’authenticité exacerbée qui est le ferment de la destruction de notre société, c’est ce que démontre Claude Romano, reprenons depuis le début, les philosophes de l’antiquité étaient à la recherche d’un idéal de sagesse, ou au moins être une image du Sage à défaut de pouvoir être Sage. Ils se sont appuyés sur les préceptes, les oracles delphiques : connais-toi toi-même…, Rien de trop. Puis sur le poète Pindare Deviens qui tu es (repris par le frère Goethe, par Nietzsche…). Claude Romano parle d’archéologie, de structure, d’architecture de la sagesse. Les hommes recherchaient le même idéal de sagesse ensemble, en commun. Je dirais que les anciens comme nous étaient différents, mais regardaient dans la même direction. Ils essayaient ensemble de créer et de faire du commun, pour leur bien propre et celui de la cité. Ils se sculptaient, se polissaient, chaque pierre était différente, mais chacune avait sa place dans l’édifice social, qui tenait debout par la contribution de tous. Avaient-t-ils compris que l’individualisme est une forme d’autarcie de l’esprit, un refus de vivre ensemble ? Un plaisir d’avoir et non un désir d’être ? Une mauvaise passion à combattre ? Claude Romano donne une explication : L’idéal de sagesse, s’est peu à peu transformé ou a été substitué par un idéal d’authenticité. Il semblerait que cela ne date pas d’hier il se réfère à l’Épitre aux corinthiens : Je perdrais la sagesse des sages et reprouverais la prudence des prudents.Ou encore avec l’Éloge de la folie d’Érasme : La sagesse est une expression d’orgueil et il faut lui opposer l’humilité comme vertu évangélique.
Le raisonnement tenu est celui-ci tout être humain étant unique et différent, comment tous les humains pourraient-ils tendre vers une unique Sagesse, sans nier leur autonomie, leur individualité, leur authenticité ? Romano constate que cet idéal de Sagesse perdure jusqu’au siècle des Lumières et disparaît peu à peu avec le Romantisme. Je dirais que l’authenticité se mêle à l’émancipation des minorités, le penser par soi-même est poussé à l’extrême et sers même d’alibi, le commun est relégué, condamner à la portion congrue. Le « je » le « seul » se substitue au « nous » au « ensemble » ainsi qu’au « Il » à l’autre qu’il soit une transcendance intérieure ou extérieure. On constate que l’aspiration à l’authenticité va de pair avec l’embourgeoisement de la société, qui bientôt va se transformer en combat contre celle-ci, le romantique incarnant la figure du rebelle, rejetant tout derrière ses épaules avec sa cape et sa mèche de cheveux longs en arrière. Concentré et préoccupé par lui-même, de lui-même comment pourrait-il s’intéresser aux autres ? À force de refus, on finit par refuser la société dans son ensemble, à quoi servirait-elle puisque l’on devient un surhomme. L’accomplissement individuel solitaire se transforme en bien-être individuel. Avec, je dirais en alibi encore l’idée de vérité à l’égard de soi, une pureté de la vérité, plus on se considère comme authentique, cette vérité mienne devient la Vérité. Ainsi naissent les particularismes qui s’opposent à l’Universalisme. Romano écrit :L’hyperindividualisme, le mythe du génie autocréé, la revendication d’une vérité de l’individu s’accompagne d’une répudiation de la vérité en générale, du relativisme éthique. Le lien social se désagrège peu à peu. Autant dire que la devise républicaine est mise à mal par cet excès d’authenticité et d’individualisme. Chaque individu, chaque minorité se croyant justifiée par cet idéal d’authenticité individuelle, cela provoque des fractures ouvertes dans notre société, les hommes ne se parlent plus, chacun voulant imposer sa sagesse et sa vérité sous couvert de son authenticité, cela provoque replis, puis colère, puis violence. L’égalité disparaît elle devient inutile, la liberté est muselée, la fraternité n’est appelée que pour éteindre les incendies provoqués par d’authentiques pyromanes qui s’assument.
Jean-François Guerry.
Le romantisme fut le théâtre d’un culte du moi et de l’originalité sans précédent. Une apologie du héros et du grand homme qui conduisit, à la fin du XIXe siècle, au dandysme. On y prôna comme jamais auparavant la hardiesse d’exprimer ce que l’on est, défiant les canons de la morale et les conventions de la société. L’époque romantique fut aussi celle où l’idée de vérité entra en crise, où la science éveilla de plus en plus le scepticisme, où fleurirent de nouvelles variétés de relativisme et d’historicisme : la vérité déclinant, la sincérité tendit à en prendre la place. Cet ouvrage cherche à cerner les grands traits de cette « révolution de l’authenticité » dans la pensée, la littérature, la société, et à en questionner les présupposés. Il poursuit ainsi l’étude entreprise dans Être soi-même afin de cerner la nature d’un des idéaux les plus paradoxaux de notre temps.
Claude Romano enseigne la philosophie à Sorbonne Université et à l’Australian Catholic University. Il a été titulaire de la chaire Gadamer à Boston College en 2020 et de la chaire Perelman à l’Université Libre de Bruxelles en 2022. Il est l’auteur de nombreux ouvrages de philosophie et d’histoire de la philosophie, dont récemment : Être soi-même. Une autre histoire de la philosophie (2019) et L’identité humaine en dialogue (2022).
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