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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par Thierry Didier
Du règne minéral : Par Thierry Didier
Ce thème sur le monde minéral qui traverse le parcours initiatique et alchimique du Rite Écossais Ancien Accepté, fait surgir l'importance de la pierre brute, taillée, polie, burinée, travaillée, et sur sa quintessence, du Cabinet de réflexion au nec plus ultra de l'initiation.
Une incitation à penser ou repenser notre parcours sur ce chemin parsemé de pierres et de métaux. De notre rencontre avec le mythe de l'architecte légendaire qualifié de Maître dans l'art des métaux.
Dans cette riche réflexion, l'on devine la qualité de scientifique de l'auteur.
Le jeune initié comme tous ceux qui sont plus instruits dans l'art Royal découvrirons l'importance souvent mal estimée ou occultée du monde minéral.
Bonne lecture.

 

Jean-François Guerry.

Du règne minéral

 

La science a coutume de définir l’organisme vivant à partir d’un critère simple : la

capacité à se reproduire, et donc à se rendre pérenne par la descendance. C’est pourquoi

la limite inférieure que ladite science fixe à ce statut de vivant est celui de la bactérie,

organisme monocellulaire apte par lui-même à subsister et se perpétuer. C’est également

pourquoi le virus, qui a besoin de la cellule infectée pour se reproduire, n’est pas classé

dans la biologie au sens propre, c’est-à-dire la science du vivant. La postérité, qui

découle de la vie organique, est un incontournable de l’existence, mais peut donner lieu,

du fait d’un individualisme fort compréhensible, à une prise en compte exagérée du

présent, qui ferait la part belle à la créature plutôt qu’au « créateur », au diktat de la

contemporanéité plutôt qu’au doux souvenir d’un passé fondateur. Tout ceci au

détriment d’un lignage, d’une généalogie certes moins prégnants au quotidien que

l’immédiateté d’une démarche ou d’une opinion. Cette attitude est tout à fait acceptable,

simplement faut-il en tenir compte et évaluer, pour un initié, par quel biais nous

pourrions aussi mettre en place un environnement dans lequel la vie, habitée par 3

règnes, végétal, animal et humain, laisserait parfois parler son origine, son induction

divine. Cet endroit privilégié pourrait peut-être, par défaut, être le monde minéral : nous

allons nous en expliquer. Relisons l’origine de la vie du point de vue biblique.

 

La Genèse nous dit :

06 Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux.

07 Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-

dessus. Et ce fut ainsi.08 Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un

matin : deuxième jour.09 Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles

se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. Et ce fut ainsi ».

Ces quelques versets précèdent l’apparition génésiaque des végétaux, des animaux et

des humains. Le règne minéral n’est pas à proprement parler présent dans la Genèse,

tout au plus nous apporte-t-elle symboliquement une nuance avec les eaux du 6ème

verset et suivants, qui apparaissent comme une sorte de potentialité scindée, c’est-à-dire

identifiée, par le firmament en « eaux au-dessous du ciel » et en « terre ferme ». Ces 2

occurrences issues des eaux primordiales sont trop floues pour pouvoir s’affirmer

porteuses d’une désignation minérale précise. Ce seront en fait les humains, alchimistes,

francs-maçons et autres initiés qui mettront en évidence, a posteriori, le règne minéral à

une place qui est la sienne, ambigüe s’il en est, et qui manifeste tout ce que la vie n’anime

pas directement. Cette « confession par défaut » rejoint le principe de ce que l’on appelle

la théologie négative. Cette dernière fonctionne à la façon du levier, qui peut soulever

des montagnes en prenant un appui générant une force négative, bien plus importante

qu’une force qui serait directement rattachée à notre force positive. D’après Charles

Wackenheim. « La théologie négative (ou apophatique) met en évidence l'inadéquation

foncière de nos représentations et de nos énoncés par rapport à la mystérieuse altérité de

Dieu ». Le règne minéral fait partie de cette inadéquation supposée qui nous permettra

de confronter cette « mystérieuse altérité de Dieu » au vécu ordinaire. La théologie

négative est appelée aussi apophatique : ce mot dérive étymologiquement du grec

Apophatis, qui signifie à la fois déclaration et négation : ces 2 phases correspondent

symboliquement aux 2 forces qui régissent l’action du levier : la poussée « déclarative ,

ostensible » symbolisant la vie organique et s’identifiant à la force descendante exercée

sur le levier, et la force « négative », « en retour », symbolisant tout ce qui est inanimé,

répondant à ce que Wackenheim appela la « stratégie de l’écart ». Cette stratégie fut

transposée chez Freud, qui voit l’homme comme nécessairement névrosé, par l’écart qui

peut exister en lui entre foi et concept, entre langage discursif et langage symbolique,

entre parole et silence, entre expérience subjective et fait objectif. Et donc écart ici entre

ce que la science considère comme vivant, et ce à quoi elle se réfère concernant le monde

minéral et son caractère passif, statique et inertiel qui peut apparaître en négation de

l’ostensibilité de la vie.

Cette stratégie de l’écart permet de préciser, d’amplifier, générer, et d’individuer un

monde ou un principe, tel le règne minéral, en se contentant de modifier tout ce qui

l’entoure. Ainsi que reste-t-il du monde une fois écartés les 3 règnes végétal, animal et

humain ? Le règne minéral. Á cet égard, le monde minéral occupe toujours une place

particulière dans les processus initiatiques. Fondamentalement, déclaration et négation

déjà évoquées plus tôt permettent d’induire des raisonnements puissants, qui nous

permettent d’aller au-delà de la simple évidence physique, et d’envisager une réalité qui

sera d’autant plus puissante qu’on ne se sera interdit aucune possibilité. La prise en

compte du minéral est de ce tonneau, et devient, sans pour autant dominer le monde,

incontournable lorsqu’on se penche sur les liens de l’Homme avec la Nature, c’est-à-

dire sur l’art initiatique.

La franc-maçonnerie, par exemple, est basée d’abord et avant tout sur une construction

intérieure, mimétique à celle d’un édifice. Les outils symboliques en sont les supplétifs,

le matériau étant intuitivement perçu comme essentiellement minéral : la pierre, brute

ou cubique, symbole de potentialité et de progressivité humaine, mais aussi le goudron,

qui assurera, dans l’Ancien Testament, l’étanchéité de l’Arche de Noé, ou la glaise, d’où

provient Adam, et qui participa à la construction de la Tour d’Achizar, au 10ème degré

du REAA, et de la tour de Babel dans la Genèse. Le fait d’incorporer dans le vivant le

règne minéral s’entend philosophiquement si l’on considère que tout ce qui est

immanent à notre existence est fait du même bois que nous-mêmes. Or le règne minéral

est bien présent devant nos yeux, au même titre qu’un végétal, un animal ou un autre

humain, justifiant sa place dans la Nature. Je ne dis pas que le minéral peut être placé à

égalité avec les 3 autres règnes, mais simplement qu’un travail symbolique accompli se

doit d’intégrer, au niveau qui est le sien, ledit minéral.

En affirmant cette occurrence, je ne me pose pas en ésotériste fumeux, mais en utilisateur

rationnel de tout ce qui est mis à ma disposition en tant que cherchant. L’alchimie

reprend d’ailleurs cette conception minérale au travers des métaux, travaillés depuis le

plomb jusqu’à l’or, introduisant ici subtilement l’idée d’une maturation de l’initié,

illustrée par une échelle de valeurs depuis le plus vil (le plomb) vers le plus noble (l’or).

En fait, c’est moins ici l’aspect moral qui entre en jeu, que la maturation progressive de

l’initié dont l’état primaire est porté symboliquement par le plomb, et l’état final, celui

de maturité totale et de sagesse, porté symboliquement par l’or. L’alchimie, procède

même d’une subtilité supplémentaire , dont l’occurrence est bien illustrée par ces 2 voies

concomitantes que sont ésotérisme et exotérisme : l’exotérisme alchimique correspond

bien à cette vision simpliste qui satisfait le vulgus , là où l’initié plus abouti aura bien

compris que le plomb, par exemple, n’est pas que lourdeur et archaïsme , mais symbole

également d’une potentialité, d’une omniscience et d’une omnipotence toute entières

contenues dans ce métal gris et mat, là où l’or brille de mille feux , ne symbolisant

qu’une fraction infime du terreau fondateur.

Autre métaphore minérale, la Pierre Philosophale, qui représente en alchimie la

quintessence de ce que l’initié peut devenir, porte cet avantage sémantique de conserver

dans son acception tout ce qui fait sa substance, à savoir le substantif « pierre ». Seule

l’épithète associée témoignera de son évolution : de brute à équarrie, d’équarrie à

cubique, de cubique à philosophale. La force de cette épithète, « philosophale », sera

d’abord qu’elle s’apparentera, sans s’y fondre, à la philosophie, qui demeure l’exercice

d’une matière, là où le statut « philosophal » traduit plutôt un état acquis, une

conformation qui modèle, tout en l’accompagnant, ladite pierre. On ne parlera jamais,

par exemple, car ça serait un contre-sens, d’or philosophal, qui nous amènerait alors à

une forme de redondance, de pléonasme stérile. Si l’alchimie considéra le règne minéral

comme opératif, c’est avant tout parce que l’alchimiste avait la conviction, au moins

inconsciente, que ses expériences redondantes furent le siège d’une mise en abyme

d’interactions entre sa psyché et la réalité expérimentale, nécessitant un milieu

particulier, isolé des évènements du quotidien.

 

 

La notion de minéral sous-entend intuitivement, dans l’imaginaire collectif, celle d’un

immobilisme, d’une forme de statisme fort à propos lorsqu’il s’agira, pour le préserver,

d’isoler un mouvement de la vie : par exemple la cornue de verre, ou le creuset de terre

cuite de l’alchimiste protégeait la réaction chimique en son sein. L’espace sacré est aussi

une façon inertielle de préserver la tenue maçonnique, par le dépôt des métaux

maçonniques avant l’ouverture des travaux, et leur récupération une fois la tenue

terminée. On peut concevoir moralement ce dépôt en y voyant une manière de se

débarrasser momentanément de nos passions tristes et de notre concupiscence, obstacles

métaphysiques à une réflexion intime. Mais on peut aussi considérer ce dépôt collectif

comme une gangue protégeant paradoxalement nos débats les plus intimes. Transposé à

l’alchimie, l’Athanor répondait à ce besoin de séparation, d’isolation, laissant libre cours

et protégeant la réaction alchimique de la pollution extérieure, que cette pollution soit

projective (conditionnée par la psyché de l’expérimentateur) ou ambiante (conditionnée

par les éléments tangibles du milieu). Les alchimistes considéraient, ou en tout cas

promouvaient le fait que le minéral était bien vivant, mais avec un temps d’expression

si long que nous, pauvres humains, ne pouvions en saisir les subtilités de la

manifestation. Cette approche intuitive du minéral par l’alchimiste peut paraître quelque

peu saugrenue, il n’en demeure pas moins qu’elle est relayée dans la « vraie vie » par

un postulat qui allie légende biblique et corroboration physicochimique, au travers de

ce que l’on appelle en physique des matériaux le « nombre de Deborah ». Le nombre de

Deborah est une valeur de mesure utilisée pour caractériser la fluidité d'un matériau.

Certains matériaux amorphes apparemment rigides comme le goudron, certains

polymères ou certains verres s'écoulent si on les observe sur une longue durée ou à une

température assez élevée. Cet écoulement est bien sûr imperceptible en temps réel, mais

est bien documenté par la science. Cette dénomination fait référence, dans le Livre des

Juges 5 :5, à un chant de la prophétesse Deborah, seule femme parmi les douze juges

d’Israël, qui nous dit : « Les montagnes coulèrent devant le Seigneur ». On trouve une

mention semblable dans le Livre de Michée 1 :4, ou encore dans le Psaume 97 :5 : « Les

montagnes se fondent comme la cire devant… ».

Formellement, le nombre de Deborah est défini comme le rapport entre le temps de

relaxation, caractérisant la fluidité intrinsèque d'un matériau, et l'échelle de temps

caractéristique d'une expérience testant la réponse du matériau. Plus le nombre de

Deborah est petit, plus le matériau apparaît fluide. Je ne prétends pas, bien entendu,

assimiler le minéral à un élément vivant, mais simplement noter l’aspect relativiste que

peut prendre la vie quand on la réduit au simple entendement de l’esprit humain. Et

combien la réalité peut changer lorsqu’on lui applique des paramètres ou des

circonstances différents. Or l’initiatique, et donc la franc-maçonnerie, sont justement là

pour ne rien s’interdire, en gardant toutefois en permanence une cohérence qui nous

préserve des cogitations fumeuses ou déviantes. Alors si la minéralité soutient, précède

ou accompagne l’initié, c’est aussi qu’elle est ontologiquement partie prenante de la vie

du maçon. Factuellement, l’être humain a besoin, dans sa chair, des minéraux pour

transmettre l’influx nerveux, contracter ses muscles ou former la trame structurelle de

son squelette.

 

D’autres minéraux sont utiles, en tant que tels, dans le soin : l’or est cicatrisant,

antiseptique, et intervient aussi dans le traitement de certaines polyarthrites sévères.

L’argent est cicatrisant, le platine est utilisé en oncologie, etc… Au 25ème degré du

R.E.A.A., l’usage concomitant de l’étain et du cuivre au sein de l’alliage airain

transparaîtra dans la constitution du serpent d’Airain, qui comporte 3 Minéraux, l’étain

et le cuivre, plastiques et malléables, et leur combinaison en un alliage particulièrement

résistant, l’Airain. Il est d’ailleurs dit dans le rituel du 25ème degré, que le Chevalier du

Serpent d’Airain est « l’homme en bonne santé », bonne santé qu’il faut entendre là sur

le plan métaphysique. L’alliage métallique renvoie symboliquement à l’alliance des

hommes, qui se veut un mélange de circonstance, face à un intérêt ou à un péril commun.

L’étain, plastique, malléable, source de liant, symbolise la mémoire et la cohésion.

L’étain forme une trame qui soude les idées et les hommes, et mêle sa substance à ce

qu’il faut unir, il en constitue le pont. Le cuivre est lui symbole de conductivité, de

transmission, et en même temps c’est un métal tendre, susceptible d’être gravé, et régi

par Vénus, symbole d’une potentialité de type féminin, symbole de la réserve gestative,

faisant appel à la douceur et à la profondeur. Assembler ces métaux fusible et conducteur

amène symboliquement à fondre le lien et la transmission en une forme de pugnacité et

de solidité particulières. L’airain va faire des 2 métaux précités qui, pris isolément,

symbolisent la fragilité morale comme physique de l’être humain, et qui semblent donc

bien mal armés face à la vie, un mariage symbole de résistance, de robustesse,

d’invincibilité. L’alliage de ces 2 métaux symbolise donc l’orthodoxie couplée au

renouvellement permanent. Et nous voyons bien là en quoi le minéral peut expliciter de

la façon la plus pure les affres et les bonheurs de l’humain. Le règne minéral se manifeste

essentiellement lorsqu’il s’agira, du 1er au 16ème degré, d’utiliser la substitution comme

méthode initiatique : en effet, nous avons déjà dit que l’humain ne peut pas se référer

directement à la déité, tant que cette déité ne s’est pas encore incarnée en nous et

demeure donc transcendante. La substitution est la seule façon de cultiver l’analogie

entre initié et monde minéral, la simple confrontation étant impossible : trop de choses

opposent minéral et humain, et c’est heureux : par exemple, le minéral est dur, il ne s’en

laisse pas facilement compté, et l’humain apparaît d’une certaine façon bien fragile face

à l’acutesse d’un silex, à la rugosité d’une pierre, ou même à la beauté d’une gemme.

Les mondes humain et minéral sont définitivement incompatibles : c’est ce qui fait leur

force respective, et l’avantage de ne pas induire l’un pour l’autre des compromissions

qui toujours affaiblissent ceux qui en sont porteurs. Les choses changeront partiellement

au 18ème degré, où le fait de ressentir dans sa chair la déité rendra moins prégnant

l’usage d’un intermédiaire minéral. La pratique analogique de la construction de soi-

même vis-à-vis de celle, habituelle, d’un édifice tel que le Temple de Salomon permettra

le recul nécessaire. En mimétisant notre construction intime sur celle d’un édifice fait

de glaise, de pierre ou de ciment permettra d’installer un garde-fou bien tangible et

différencié grâce auquel l’humain pourra générer une démarche parallèle et originale,

sans le risque d’une confusion possible. C’est tout le sens de la balustrade du 4 ème

degré.

Isaac Newton

Imaginez que l’on réfère notre construction intime à celle d’un autre individu : il en

ressortirait des risques possibles d’assimilation, d’amalgame à ce dernier, avec ce qui

relèverait alors de la subjectivité, de la relativité, aboutissant au pire au culte de la

personnalité et à une possible sectarisation. Ce sera tout le sens, cette fois, de l’idolâtrie,

telle qu’elle est définie au 4ème degré du R.E.A.A. Ici, le minéral pallie à ce risque, au

moins jusqu’au 16ème degré inclus, c’est pourquoi, jusqu’à ce degré, la construction est

mimétisée à celle du Temple matériel de Salomon. Le minéral est donc le biais, pour un

initié, à utiliser pour assimiler notre expérience à celle de la nature : nous aurons ensuite

toute latitude à voir en notre temple intérieur celui de l’incarnation de l’esprit : ce sera

le cas au grade de Chevalier Rose +Croix, à partir du 18ème degré, et plus tard celui de

la somme des relations tissées avec notre environnement : ce sera là le grade de

Commandeur, à partir du 27ème degré .Le règne minéral va aussi apparaître par touches

plus ou moins visibles dans le cursus initiatique maçonnique assurant des fonctions

subsidiaires mais incontournables, préparant toujours l’initié à progresser, en lui créant

un cadre particulier propice à des avancées initiatiques majeures : par exemple la Mer

d’Airain, cathartique et lustrale au 14ème degré . Cette eau lustrale est le produit des 4

éléments, c'est-à-dire une exposition pleine et entière à ce que renvoie notre propre

nature. Cette transition symbolique depuis le mur d’airain, évoqué au 8ème degré vers

la Mer d’Airain est l’illustration de ce qu’est la progression maçonnique, qui veut qu’on

ne possède vraiment un degré que lorsqu’on l’a dépassé : d’obstacle transitoire, témoin

un temps d’une carence à combler, l’airain deviendra quelques degrés plus tard quelque

chose qui s’offrira au récipiendaire. Le règne minéral est donc là pour initier à bas bruit

le maçon jusqu’au sans pour autant être invasif, d’où le choix de la substitution. Au

15ème degré, l’eau du Starbuzanaï , par essence minérale, se charge de débris humains,

manifestant ce passage mêlé du minéral à l’organique, et donc d’une « Liberté De Passer

» qui est l’aptitude que présente tout Chevalier d’Orient et de l’Épée à être capable de

dépasser les blocages que suscite inévitablement tout élan : Les couleurs vert d’eau et

rouge sang symbolisent ce double sentiment, celui de l’eau vive , minérale qui nettoie,

qui lave, qui draine les plaies rougeâtres et organiques de la bataille.

La liberté de passer concerne symboliquement le passage du minéral à l’organique, de

la substitution à la future incarnation, de la loge de perfection au Souverain Chapitre.

C’est un changement radical. Non pas que le minéral devient d’un seul coup obsolète,

au contraire : il ouvre la voie à une nouvelle conformation qui s’ajoute à la précédente,

appelant alors de nouvelles valeurs, telles la charité, l’amour ou la foi, valeurs viscérales,

incarnées, immanentes reflétant l’esprit du Nouveau Testament. Plus tard, au 21ème

degré, les cendres de Phaleg et les fragments de pierre et de marbre enfouis nourriront

au 22ème degré par leur minéralité les cèdres du Liban, symboles vivants d’une

continuation spirituelle par cette matière infiniment renouvelable dont seront faites les

« saintes entreprises », c’est-à-dire les arches et les temples. La terre-creuset, mix de

minéral et d’organique, accueillera, assistera, participera et donc rendra possible, au

grade de Chevalier de Royal Hache, ce mariage du bois et de la pierre, en permettant la

pousse des cèdres.

Le cèdre est la continuation de la recherche ésotérique du 21e degré, en ce sens qu’il se

nourrit de cette terre mêlée qui est le fond de l’humanité et des ponts ainsi dressés entre

monde vivant et monde minéral. Résonner sur la matière minérale conduit

symboliquement à creuser dans celle-ci, à en déceler les fragments, tous relatifs à ce que

la vie a pu laisser comme traces. La matière est une mémoire, où s’inscrivent par

l’enfouissement des fragments d’une existence d’antan. Cet enfouissement, tout comme

les strates qui composent notre mémoire, connaît un degré variable, où le plus profond

signe le plus ancien, à la façon dont se comporte la nature. Mais en même temps la

matière se mêle à l’histoire d’un fragment, et c’est cet ensemble qui devient l’Histoire.

En creusant, on s’approche du sol commun, et des multiples édifices qui en signent

l’existence et l’utilité : on retrouve Phaleg à une place enfouie qui est la sienne, à la

façon d’un Hiram Abi jeté dans un puits ou d’un Galaad enseveli sous les ruines du

Temple. Ces édifices minéraux sont des jalons posés à travers l’histoire par des mythes

fondateurs. Narrativement, les différentes trouvailles apparaîtront au fur et à mesure que

l’on creuse : symboliquement, il faut bien avoir à l’esprit qu’ils ne sont que la

matérialisation transitoire d’une vérité plus générale. Ainsi ce qui apparaît comme une

colonne de marbre blanc, massive et homogène, gravée de caractères identifiés, devient

plus bas des fragments de ce même matériau, gravés cette fois de caractères plus anciens.

Les six fragments minéraux enfouis et retrouvés de marbre blanc comportent des

inscriptions « différentes qui n’ont pu toutes être traduites », ce qui signifie qu’elles

témoignent de langues différentes, datant d’un passé encore plus ancien. Les pierres

d’agate, le tombeau, la colonne et les fragments de marbre furent déposés dans les

archives du roi de Prusse : symboliquement, cela signifie que le Noachite établit et dirige

son parcours en ayant en permanence en lui ce que le passé y a logé. Sa vie est en

permanence remémorée, et tous les actes qu’il peut accomplir se mesurent à l’aune de

cette totalité en mouvement. Nous retrouvons aussi l’esprit des « 12 pierres

commémoratives », passées et présentes, évoquées en Josué 4,1-9, qui portèrent

l’empreinte du franchissement du Jourdain par les 12 tribus d’Israël, et qui furent

utilisées pour obstruer le fleuve le temps du passage des hébreux.

Les pierres, au sens large, sont aussi des jalons et des passages, commémoratrices car

posées à travers l’histoire par des mythes fondateurs. Commémoratrices aussi car la

légende de nos grades conditionne, comme dans tout mythe, le fait que tout est présent

dès le départ, et que l’initié s’ouvre à la connaissance de faits qui ne peuvent être

qu’antérieurs, dans la mesure où tout, dans un mythe, est déjà inscrit dans notre

patrimoine mémoriel. La commémoration, dans son sens initiatique, est aussi le

renouvellement induit par chaque initiation, initiation qui étymologiquement nous

renvoie à ce « recommencement perpétuel » que porte chacune de nos cérémonies

maçonniques. La minéralité a cette force symbolique d’être à la fois partie prenante,

mais aussi suffisamment en retrait pour laisser les grandes phases de la vie maçonnique

se dérouler devant elle : la construction aux 1er et 2ème degrés ( outils) la transcendance

au 13ème degré (triangle d’or et agate) la mesure au 12ème degré ( instruments )la

transgression et la formalisation aux 3ème, 9ème et 30ème degrés ( armes, par

destination, couteau , dague ou épée) ; la transmission et la célébration ( chaine d’union,

formé symboliquement d’ « anneaux de pur métal ») .

La substitution ne signifie pas remplacement, mais complémentation, accompagnement,

enjambement ou découverte, L’agate dans laquelle est souché au 13ème degré le triangle

gravé du nom ineffable symbolise dans sa structure visible les errements auxquels

personne n’échappe et dans ses strates colorées et diverses les méandres de l’existence.

L’agate est à cet égard notre mémoire mimétique, une archive inscrite dans la masse de

la roche, à la façon des souvenirs et des attitudes qui nous ont façonnées. L’agate est

aussi la meilleure façon de marquer dans notre chair, par le biais de l’initiatique, nos

aspirations métaphysiques. L’agate est donc là pour « séculariser » le triangle au nom

ineffable, c’est-à-dire formaliser à l’entendement de l’humain l’image du Nom créateur,

non par l’imposition de son image, mais par les circonvolutions de différentes duretés

et de différentes couleurs que révèle sa trame minérale. L’or mêlé aux gemmes trahit ce

télescopage entre des intuitions relatives au principe créateur (l’or), et l’impossibilité de

comprendre pleinement cette occurrence, Ce théâtre neutre qu’impose finalement le

nom ineffable en lien avec le minéral permettra à Guibulum de ne pas se bruler les ailes.

Il ne s’agira pas ici de feux et de nuées, témoins physiques auprès de tout un peuple de

la transcendance éphémère de Dieu, mais d’un réceptacle à la fois suffisamment

explicité, et en même temps distancié de cette corporéité qui nous cache parfois la

finesse de la manifestation du divin. Le nom ineffable transcende ontologiquement tout

effet de la vie, puisqu’il en est la source : c’est pourquoi il ne peut être porté que par un

support neutre, non vivant au sens biologique, qui sera celui du minéral : son épellation,

c’est-à-dire sa mesure, ne peut se faire s’il y a interférence avec la vie organique : d’où

l’usage du minéral.

 

Au 13ème degré, la rencontre fondamentale entre l’initié-témoin, en l’occurrence

Guibulum et le nom ineffable se doit d’échapper au maximum aux manifestations

objectives de la vie, qui ne seraient ici que des freins, des perturbations brouillant la

source, la cause, à savoir le nom ineffable. : en effet, on imagine mal ce triangle gravé

posé au milieu de la nature, dont il est symbole de transcendance, tout simplement parce

qu’il est le Verbe qui génère ladite nature, et qu’à cet égard il ne peut en aucune façon

s’y trouver mêlé L’environnement purement tellurique et minéral de Guibulum, au

13ème degré du REAA (terre battue, triangle d’or, gemmes et agate) permet d’éviter ce

qu’on appelle en physique quantique la décohérence, c’est-à-dire le moment où

s’entrechoquent 2 réalités incompatibles : ici, celle de la source, du Verbe, de la cause,

et celle de la manifestation, de l’effet, de la nature et de la vie tangible. La décohérence,

pour le nom ineffable, serait de le trouver mêlé à la vie tangible. Or ici le théâtre

complètement minéral évite ce qui pourrait créer des accointances entre ce nom et ce

qu’il régit, perdant alors son caractère de transcendance et d’ineffabilité. Le milieu des

9 arches, froid, obscur et stérile se prête au théâtre purement minéral qui présidera et

préservera la rencontre entre Guibulum et le nom ineffable.

La réalité transcendante ne peut en effet faire saillie que dans un environnement libre

de toute manifestation objective qui en polluerait le message. Cet espace minéral se

rencontre à chaque fois qu’il est donné à un témoin d’être confronté à la transcendance

du divin : je citerai les 2 tables de pierre gravé de la Loi, qui ne sont pas transmis par

Yahvé à Moïse uniquement au sommet d’une montagne, et donc loin du peuple, mais

aussi sur un édifice rocheux, minéral, qui n’inter réagira pas avec cet acte sacré. Je citerai

enfin le don, dans un endroit souterrain comparable à celui de Guibulum, par Hermès à

un témoin nommé Bélinous, thaumaturge grec, du texte hermétique de la Table

d’Emeraude, gravé sur un support minéral, l’Emeraude. Là encore, la puissance

transcendance portée par les mots gravés cette table, ne peut rester vertueuse que dans

un environnement dépourvu de toutes vie ostensible, sans quoi interférait-elle avec cette

dernière. Le minéral est donc, dans l’initiatique, fondamental, car il permet de sous-

tendre, de préparer cette aventure humaine que représente la franc-maçonnerie qui

devra, à terme, incarner le principe créateur. Mais cette incarnation ne pourra se faire ex

nihilo, le sujet que nous sommes doit d’abord être un objet, confronté comme il se doit

aux forces de la nature. Ces forces sont originellement telluriques, et donc

essentiellement minérales comme le subodore le soufre le sel et le mercure du Cabinet

de Réflexion. A cette étape, le minéral est encore assimilé aux métaux, telle que l’entend

la connotation morale attachée à ceux-ci dans le rituel. Cette coloration morale est

fondamentale car l’énergie d’imprégnation du futur apprenti passe avant tout par la

qualification la plus évidente, la plus grossière et la plus immédiate : la morale, souvent

violente et rédhibitoire, et donc chargée d’énormément d’affects, collera bien à cette

fonction guerrière, nécessaire pour un candidat souvent perclus de certitudes.

Nombre de dispositions minérales feront le lit du nouvel initié, le Pavé Mosaïque, le fer

des épées, le miroir mais aussi la craie des sentences inscrites dans le Cabinet de

Réflexion, certains outils ferreux. Tout ceci tranchera avec l’organique de la cire des

bougies, du pain du Cabinet de Réflexion, de la terre battue et surtout des frères qui nous

entoureront. D’autres référents, cosmologiques, se manifesteront : luminaires, voûte

étoilée, perspectives spatiales (Occident, Nadir, Septentrion etc… seront là pour situer

cet amalgame du minéral et de l’organique dans un cadre transcendant.

 

Thierry Didier.

Du règne minéral : Par Thierry Didier
Du règne minéral : Par Thierry Didier
Du règne minéral : Par Thierry Didier

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