Du règne minéral
La science a coutume de définir l’organisme vivant à partir d’un critère simple : la
capacité à se reproduire, et donc à se rendre pérenne par la descendance. C’est pourquoi
la limite inférieure que ladite science fixe à ce statut de vivant est celui de la bactérie,
organisme monocellulaire apte par lui-même à subsister et se perpétuer. C’est également
pourquoi le virus, qui a besoin de la cellule infectée pour se reproduire, n’est pas classé
dans la biologie au sens propre, c’est-à-dire la science du vivant. La postérité, qui
découle de la vie organique, est un incontournable de l’existence, mais peut donner lieu,
du fait d’un individualisme fort compréhensible, à une prise en compte exagérée du
présent, qui ferait la part belle à la créature plutôt qu’au « créateur », au diktat de la
contemporanéité plutôt qu’au doux souvenir d’un passé fondateur. Tout ceci au
détriment d’un lignage, d’une généalogie certes moins prégnants au quotidien que
l’immédiateté d’une démarche ou d’une opinion. Cette attitude est tout à fait acceptable,
simplement faut-il en tenir compte et évaluer, pour un initié, par quel biais nous
pourrions aussi mettre en place un environnement dans lequel la vie, habitée par 3
règnes, végétal, animal et humain, laisserait parfois parler son origine, son induction
divine. Cet endroit privilégié pourrait peut-être, par défaut, être le monde minéral : nous
allons nous en expliquer. Relisons l’origine de la vie du point de vue biblique.
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La Genèse nous dit :
06 Et Dieu dit : « Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux.
07 Dieu fit le firmament, il sépara les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-
dessus. Et ce fut ainsi.08 Dieu appela le firmament « ciel ». Il y eut un soir, il y eut un
matin : deuxième jour.09 Et Dieu dit : « Les eaux qui sont au-dessous du ciel, qu’elles
se rassemblent en un seul lieu, et que paraisse la terre ferme. Et ce fut ainsi ».
Ces quelques versets précèdent l’apparition génésiaque des végétaux, des animaux et
des humains. Le règne minéral n’est pas à proprement parler présent dans la Genèse,
tout au plus nous apporte-t-elle symboliquement une nuance avec les eaux du 6ème
verset et suivants, qui apparaissent comme une sorte de potentialité scindée, c’est-à-dire
identifiée, par le firmament en « eaux au-dessous du ciel » et en « terre ferme ». Ces 2
occurrences issues des eaux primordiales sont trop floues pour pouvoir s’affirmer
porteuses d’une désignation minérale précise. Ce seront en fait les humains, alchimistes,
francs-maçons et autres initiés qui mettront en évidence, a posteriori, le règne minéral à
une place qui est la sienne, ambigüe s’il en est, et qui manifeste tout ce que la vie n’anime
pas directement. Cette « confession par défaut » rejoint le principe de ce que l’on appelle
la théologie négative. Cette dernière fonctionne à la façon du levier, qui peut soulever
des montagnes en prenant un appui générant une force négative, bien plus importante
qu’une force qui serait directement rattachée à notre force positive. D’après Charles
Wackenheim. « La théologie négative (ou apophatique) met en évidence l'inadéquation
foncière de nos représentations et de nos énoncés par rapport à la mystérieuse altérité de
Dieu ». Le règne minéral fait partie de cette inadéquation supposée qui nous permettra
de confronter cette « mystérieuse altérité de Dieu » au vécu ordinaire. La théologie
négative est appelée aussi apophatique : ce mot dérive étymologiquement du grec
Apophatis, qui signifie à la fois déclaration et négation : ces 2 phases correspondent
symboliquement aux 2 forces qui régissent l’action du levier : la poussée « déclarative ,
ostensible » symbolisant la vie organique et s’identifiant à la force descendante exercée
sur le levier, et la force « négative », « en retour », symbolisant tout ce qui est inanimé,
répondant à ce que Wackenheim appela la « stratégie de l’écart ». Cette stratégie fut
transposée chez Freud, qui voit l’homme comme nécessairement névrosé, par l’écart qui
peut exister en lui entre foi et concept, entre langage discursif et langage symbolique,
entre parole et silence, entre expérience subjective et fait objectif. Et donc écart ici entre
ce que la science considère comme vivant, et ce à quoi elle se réfère concernant le monde
minéral et son caractère passif, statique et inertiel qui peut apparaître en négation de
l’ostensibilité de la vie.
Cette stratégie de l’écart permet de préciser, d’amplifier, générer, et d’individuer un
monde ou un principe, tel le règne minéral, en se contentant de modifier tout ce qui
l’entoure. Ainsi que reste-t-il du monde une fois écartés les 3 règnes végétal, animal et
humain ? Le règne minéral. Á cet égard, le monde minéral occupe toujours une place
particulière dans les processus initiatiques. Fondamentalement, déclaration et négation
déjà évoquées plus tôt permettent d’induire des raisonnements puissants, qui nous
permettent d’aller au-delà de la simple évidence physique, et d’envisager une réalité qui
sera d’autant plus puissante qu’on ne se sera interdit aucune possibilité. La prise en
compte du minéral est de ce tonneau, et devient, sans pour autant dominer le monde,
incontournable lorsqu’on se penche sur les liens de l’Homme avec la Nature, c’est-à-
dire sur l’art initiatique.
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La franc-maçonnerie, par exemple, est basée d’abord et avant tout sur une construction
intérieure, mimétique à celle d’un édifice. Les outils symboliques en sont les supplétifs,
le matériau étant intuitivement perçu comme essentiellement minéral : la pierre, brute
ou cubique, symbole de potentialité et de progressivité humaine, mais aussi le goudron,
qui assurera, dans l’Ancien Testament, l’étanchéité de l’Arche de Noé, ou la glaise, d’où
provient Adam, et qui participa à la construction de la Tour d’Achizar, au 10ème degré
du REAA, et de la tour de Babel dans la Genèse. Le fait d’incorporer dans le vivant le
règne minéral s’entend philosophiquement si l’on considère que tout ce qui est
immanent à notre existence est fait du même bois que nous-mêmes. Or le règne minéral
est bien présent devant nos yeux, au même titre qu’un végétal, un animal ou un autre
humain, justifiant sa place dans la Nature. Je ne dis pas que le minéral peut être placé à
égalité avec les 3 autres règnes, mais simplement qu’un travail symbolique accompli se
doit d’intégrer, au niveau qui est le sien, ledit minéral.
En affirmant cette occurrence, je ne me pose pas en ésotériste fumeux, mais en utilisateur
rationnel de tout ce qui est mis à ma disposition en tant que cherchant. L’alchimie
reprend d’ailleurs cette conception minérale au travers des métaux, travaillés depuis le
plomb jusqu’à l’or, introduisant ici subtilement l’idée d’une maturation de l’initié,
illustrée par une échelle de valeurs depuis le plus vil (le plomb) vers le plus noble (l’or).
En fait, c’est moins ici l’aspect moral qui entre en jeu, que la maturation progressive de
l’initié dont l’état primaire est porté symboliquement par le plomb, et l’état final, celui
de maturité totale et de sagesse, porté symboliquement par l’or. L’alchimie, procède
même d’une subtilité supplémentaire , dont l’occurrence est bien illustrée par ces 2 voies
concomitantes que sont ésotérisme et exotérisme : l’exotérisme alchimique correspond
bien à cette vision simpliste qui satisfait le vulgus , là où l’initié plus abouti aura bien
compris que le plomb, par exemple, n’est pas que lourdeur et archaïsme , mais symbole
également d’une potentialité, d’une omniscience et d’une omnipotence toute entières
contenues dans ce métal gris et mat, là où l’or brille de mille feux , ne symbolisant
qu’une fraction infime du terreau fondateur.
Autre métaphore minérale, la Pierre Philosophale, qui représente en alchimie la
quintessence de ce que l’initié peut devenir, porte cet avantage sémantique de conserver
dans son acception tout ce qui fait sa substance, à savoir le substantif « pierre ». Seule
l’épithète associée témoignera de son évolution : de brute à équarrie, d’équarrie à
cubique, de cubique à philosophale. La force de cette épithète, « philosophale », sera
d’abord qu’elle s’apparentera, sans s’y fondre, à la philosophie, qui demeure l’exercice
d’une matière, là où le statut « philosophal » traduit plutôt un état acquis, une
conformation qui modèle, tout en l’accompagnant, ladite pierre. On ne parlera jamais,
par exemple, car ça serait un contre-sens, d’or philosophal, qui nous amènerait alors à
une forme de redondance, de pléonasme stérile. Si l’alchimie considéra le règne minéral
comme opératif, c’est avant tout parce que l’alchimiste avait la conviction, au moins
inconsciente, que ses expériences redondantes furent le siège d’une mise en abyme
d’interactions entre sa psyché et la réalité expérimentale, nécessitant un milieu
particulier, isolé des évènements du quotidien.
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La notion de minéral sous-entend intuitivement, dans l’imaginaire collectif, celle d’un
immobilisme, d’une forme de statisme fort à propos lorsqu’il s’agira, pour le préserver,
d’isoler un mouvement de la vie : par exemple la cornue de verre, ou le creuset de terre
cuite de l’alchimiste protégeait la réaction chimique en son sein. L’espace sacré est aussi
une façon inertielle de préserver la tenue maçonnique, par le dépôt des métaux
maçonniques avant l’ouverture des travaux, et leur récupération une fois la tenue
terminée. On peut concevoir moralement ce dépôt en y voyant une manière de se
débarrasser momentanément de nos passions tristes et de notre concupiscence, obstacles
métaphysiques à une réflexion intime. Mais on peut aussi considérer ce dépôt collectif
comme une gangue protégeant paradoxalement nos débats les plus intimes. Transposé à
l’alchimie, l’Athanor répondait à ce besoin de séparation, d’isolation, laissant libre cours
et protégeant la réaction alchimique de la pollution extérieure, que cette pollution soit
projective (conditionnée par la psyché de l’expérimentateur) ou ambiante (conditionnée
par les éléments tangibles du milieu). Les alchimistes considéraient, ou en tout cas
promouvaient le fait que le minéral était bien vivant, mais avec un temps d’expression
si long que nous, pauvres humains, ne pouvions en saisir les subtilités de la
manifestation. Cette approche intuitive du minéral par l’alchimiste peut paraître quelque
peu saugrenue, il n’en demeure pas moins qu’elle est relayée dans la « vraie vie » par
un postulat qui allie légende biblique et corroboration physicochimique, au travers de
ce que l’on appelle en physique des matériaux le « nombre de Deborah ». Le nombre de
Deborah est une valeur de mesure utilisée pour caractériser la fluidité d'un matériau.
Certains matériaux amorphes apparemment rigides comme le goudron, certains
polymères ou certains verres s'écoulent si on les observe sur une longue durée ou à une
température assez élevée. Cet écoulement est bien sûr imperceptible en temps réel, mais
est bien documenté par la science. Cette dénomination fait référence, dans le Livre des
Juges 5 :5, à un chant de la prophétesse Deborah, seule femme parmi les douze juges
d’Israël, qui nous dit : « Les montagnes coulèrent devant le Seigneur ». On trouve une
mention semblable dans le Livre de Michée 1 :4, ou encore dans le Psaume 97 :5 : « Les
montagnes se fondent comme la cire devant… ».
Formellement, le nombre de Deborah est défini comme le rapport entre le temps de
relaxation, caractérisant la fluidité intrinsèque d'un matériau, et l'échelle de temps
caractéristique d'une expérience testant la réponse du matériau. Plus le nombre de
Deborah est petit, plus le matériau apparaît fluide. Je ne prétends pas, bien entendu,
assimiler le minéral à un élément vivant, mais simplement noter l’aspect relativiste que
peut prendre la vie quand on la réduit au simple entendement de l’esprit humain. Et
combien la réalité peut changer lorsqu’on lui applique des paramètres ou des
circonstances différents. Or l’initiatique, et donc la franc-maçonnerie, sont justement là
pour ne rien s’interdire, en gardant toutefois en permanence une cohérence qui nous
préserve des cogitations fumeuses ou déviantes. Alors si la minéralité soutient, précède
ou accompagne l’initié, c’est aussi qu’elle est ontologiquement partie prenante de la vie
du maçon. Factuellement, l’être humain a besoin, dans sa chair, des minéraux pour
transmettre l’influx nerveux, contracter ses muscles ou former la trame structurelle de
son squelette.
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D’autres minéraux sont utiles, en tant que tels, dans le soin : l’or est cicatrisant,
antiseptique, et intervient aussi dans le traitement de certaines polyarthrites sévères.
L’argent est cicatrisant, le platine est utilisé en oncologie, etc… Au 25ème degré du
R.E.A.A., l’usage concomitant de l’étain et du cuivre au sein de l’alliage airain
transparaîtra dans la constitution du serpent d’Airain, qui comporte 3 Minéraux, l’étain
et le cuivre, plastiques et malléables, et leur combinaison en un alliage particulièrement
résistant, l’Airain. Il est d’ailleurs dit dans le rituel du 25ème degré, que le Chevalier du
Serpent d’Airain est « l’homme en bonne santé », bonne santé qu’il faut entendre là sur
le plan métaphysique. L’alliage métallique renvoie symboliquement à l’alliance des
hommes, qui se veut un mélange de circonstance, face à un intérêt ou à un péril commun.
L’étain, plastique, malléable, source de liant, symbolise la mémoire et la cohésion.
L’étain forme une trame qui soude les idées et les hommes, et mêle sa substance à ce
qu’il faut unir, il en constitue le pont. Le cuivre est lui symbole de conductivité, de
transmission, et en même temps c’est un métal tendre, susceptible d’être gravé, et régi
par Vénus, symbole d’une potentialité de type féminin, symbole de la réserve gestative,
faisant appel à la douceur et à la profondeur. Assembler ces métaux fusible et conducteur
amène symboliquement à fondre le lien et la transmission en une forme de pugnacité et
de solidité particulières. L’airain va faire des 2 métaux précités qui, pris isolément,
symbolisent la fragilité morale comme physique de l’être humain, et qui semblent donc
bien mal armés face à la vie, un mariage symbole de résistance, de robustesse,
d’invincibilité. L’alliage de ces 2 métaux symbolise donc l’orthodoxie couplée au
renouvellement permanent. Et nous voyons bien là en quoi le minéral peut expliciter de
la façon la plus pure les affres et les bonheurs de l’humain. Le règne minéral se manifeste
essentiellement lorsqu’il s’agira, du 1er au 16ème degré, d’utiliser la substitution comme
méthode initiatique : en effet, nous avons déjà dit que l’humain ne peut pas se référer
directement à la déité, tant que cette déité ne s’est pas encore incarnée en nous et
demeure donc transcendante. La substitution est la seule façon de cultiver l’analogie
entre initié et monde minéral, la simple confrontation étant impossible : trop de choses
opposent minéral et humain, et c’est heureux : par exemple, le minéral est dur, il ne s’en
laisse pas facilement compté, et l’humain apparaît d’une certaine façon bien fragile face
à l’acutesse d’un silex, à la rugosité d’une pierre, ou même à la beauté d’une gemme.
Les mondes humain et minéral sont définitivement incompatibles : c’est ce qui fait leur
force respective, et l’avantage de ne pas induire l’un pour l’autre des compromissions
qui toujours affaiblissent ceux qui en sont porteurs. Les choses changeront partiellement
au 18ème degré, où le fait de ressentir dans sa chair la déité rendra moins prégnant
l’usage d’un intermédiaire minéral. La pratique analogique de la construction de soi-
même vis-à-vis de celle, habituelle, d’un édifice tel que le Temple de Salomon permettra
le recul nécessaire. En mimétisant notre construction intime sur celle d’un édifice fait
de glaise, de pierre ou de ciment permettra d’installer un garde-fou bien tangible et
différencié grâce auquel l’humain pourra générer une démarche parallèle et originale,
sans le risque d’une confusion possible. C’est tout le sens de la balustrade du 4 ème
degré.
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Imaginez que l’on réfère notre construction intime à celle d’un autre individu : il en
ressortirait des risques possibles d’assimilation, d’amalgame à ce dernier, avec ce qui
relèverait alors de la subjectivité, de la relativité, aboutissant au pire au culte de la
personnalité et à une possible sectarisation. Ce sera tout le sens, cette fois, de l’idolâtrie,
telle qu’elle est définie au 4ème degré du R.E.A.A. Ici, le minéral pallie à ce risque, au
moins jusqu’au 16ème degré inclus, c’est pourquoi, jusqu’à ce degré, la construction est
mimétisée à celle du Temple matériel de Salomon. Le minéral est donc le biais, pour un
initié, à utiliser pour assimiler notre expérience à celle de la nature : nous aurons ensuite
toute latitude à voir en notre temple intérieur celui de l’incarnation de l’esprit : ce sera
le cas au grade de Chevalier Rose +Croix, à partir du 18ème degré, et plus tard celui de
la somme des relations tissées avec notre environnement : ce sera là le grade de
Commandeur, à partir du 27ème degré .Le règne minéral va aussi apparaître par touches
plus ou moins visibles dans le cursus initiatique maçonnique assurant des fonctions
subsidiaires mais incontournables, préparant toujours l’initié à progresser, en lui créant
un cadre particulier propice à des avancées initiatiques majeures : par exemple la Mer
d’Airain, cathartique et lustrale au 14ème degré . Cette eau lustrale est le produit des 4
éléments, c'est-à-dire une exposition pleine et entière à ce que renvoie notre propre
nature. Cette transition symbolique depuis le mur d’airain, évoqué au 8ème degré vers
la Mer d’Airain est l’illustration de ce qu’est la progression maçonnique, qui veut qu’on
ne possède vraiment un degré que lorsqu’on l’a dépassé : d’obstacle transitoire, témoin
un temps d’une carence à combler, l’airain deviendra quelques degrés plus tard quelque
chose qui s’offrira au récipiendaire. Le règne minéral est donc là pour initier à bas bruit
le maçon jusqu’au sans pour autant être invasif, d’où le choix de la substitution. Au
15ème degré, l’eau du Starbuzanaï , par essence minérale, se charge de débris humains,
manifestant ce passage mêlé du minéral à l’organique, et donc d’une « Liberté De Passer
» qui est l’aptitude que présente tout Chevalier d’Orient et de l’Épée à être capable de
dépasser les blocages que suscite inévitablement tout élan : Les couleurs vert d’eau et
rouge sang symbolisent ce double sentiment, celui de l’eau vive , minérale qui nettoie,
qui lave, qui draine les plaies rougeâtres et organiques de la bataille.
La liberté de passer concerne symboliquement le passage du minéral à l’organique, de
la substitution à la future incarnation, de la loge de perfection au Souverain Chapitre.
C’est un changement radical. Non pas que le minéral devient d’un seul coup obsolète,
au contraire : il ouvre la voie à une nouvelle conformation qui s’ajoute à la précédente,
appelant alors de nouvelles valeurs, telles la charité, l’amour ou la foi, valeurs viscérales,
incarnées, immanentes reflétant l’esprit du Nouveau Testament. Plus tard, au 21ème
degré, les cendres de Phaleg et les fragments de pierre et de marbre enfouis nourriront
au 22ème degré par leur minéralité les cèdres du Liban, symboles vivants d’une
continuation spirituelle par cette matière infiniment renouvelable dont seront faites les
« saintes entreprises », c’est-à-dire les arches et les temples. La terre-creuset, mix de
minéral et d’organique, accueillera, assistera, participera et donc rendra possible, au
grade de Chevalier de Royal Hache, ce mariage du bois et de la pierre, en permettant la
pousse des cèdres.
Le cèdre est la continuation de la recherche ésotérique du 21e degré, en ce sens qu’il se
nourrit de cette terre mêlée qui est le fond de l’humanité et des ponts ainsi dressés entre
monde vivant et monde minéral. Résonner sur la matière minérale conduit
symboliquement à creuser dans celle-ci, à en déceler les fragments, tous relatifs à ce que
la vie a pu laisser comme traces. La matière est une mémoire, où s’inscrivent par
l’enfouissement des fragments d’une existence d’antan. Cet enfouissement, tout comme
les strates qui composent notre mémoire, connaît un degré variable, où le plus profond
signe le plus ancien, à la façon dont se comporte la nature. Mais en même temps la
matière se mêle à l’histoire d’un fragment, et c’est cet ensemble qui devient l’Histoire.
En creusant, on s’approche du sol commun, et des multiples édifices qui en signent
l’existence et l’utilité : on retrouve Phaleg à une place enfouie qui est la sienne, à la
façon d’un Hiram Abi jeté dans un puits ou d’un Galaad enseveli sous les ruines du
Temple. Ces édifices minéraux sont des jalons posés à travers l’histoire par des mythes
fondateurs. Narrativement, les différentes trouvailles apparaîtront au fur et à mesure que
l’on creuse : symboliquement, il faut bien avoir à l’esprit qu’ils ne sont que la
matérialisation transitoire d’une vérité plus générale. Ainsi ce qui apparaît comme une
colonne de marbre blanc, massive et homogène, gravée de caractères identifiés, devient
plus bas des fragments de ce même matériau, gravés cette fois de caractères plus anciens.
Les six fragments minéraux enfouis et retrouvés de marbre blanc comportent des
inscriptions « différentes qui n’ont pu toutes être traduites », ce qui signifie qu’elles
témoignent de langues différentes, datant d’un passé encore plus ancien. Les pierres
d’agate, le tombeau, la colonne et les fragments de marbre furent déposés dans les
archives du roi de Prusse : symboliquement, cela signifie que le Noachite établit et dirige
son parcours en ayant en permanence en lui ce que le passé y a logé. Sa vie est en
permanence remémorée, et tous les actes qu’il peut accomplir se mesurent à l’aune de
cette totalité en mouvement. Nous retrouvons aussi l’esprit des « 12 pierres
commémoratives », passées et présentes, évoquées en Josué 4,1-9, qui portèrent
l’empreinte du franchissement du Jourdain par les 12 tribus d’Israël, et qui furent
utilisées pour obstruer le fleuve le temps du passage des hébreux.
Les pierres, au sens large, sont aussi des jalons et des passages, commémoratrices car
posées à travers l’histoire par des mythes fondateurs. Commémoratrices aussi car la
légende de nos grades conditionne, comme dans tout mythe, le fait que tout est présent
dès le départ, et que l’initié s’ouvre à la connaissance de faits qui ne peuvent être
qu’antérieurs, dans la mesure où tout, dans un mythe, est déjà inscrit dans notre
patrimoine mémoriel. La commémoration, dans son sens initiatique, est aussi le
renouvellement induit par chaque initiation, initiation qui étymologiquement nous
renvoie à ce « recommencement perpétuel » que porte chacune de nos cérémonies
maçonniques. La minéralité a cette force symbolique d’être à la fois partie prenante,
mais aussi suffisamment en retrait pour laisser les grandes phases de la vie maçonnique
se dérouler devant elle : la construction aux 1er et 2ème degrés ( outils) la transcendance
au 13ème degré (triangle d’or et agate) la mesure au 12ème degré ( instruments )la
transgression et la formalisation aux 3ème, 9ème et 30ème degrés ( armes, par
destination, couteau , dague ou épée) ; la transmission et la célébration ( chaine d’union,
formé symboliquement d’ « anneaux de pur métal ») .
La substitution ne signifie pas remplacement, mais complémentation, accompagnement,
enjambement ou découverte, L’agate dans laquelle est souché au 13ème degré le triangle
gravé du nom ineffable symbolise dans sa structure visible les errements auxquels
personne n’échappe et dans ses strates colorées et diverses les méandres de l’existence.
L’agate est à cet égard notre mémoire mimétique, une archive inscrite dans la masse de
la roche, à la façon des souvenirs et des attitudes qui nous ont façonnées. L’agate est
aussi la meilleure façon de marquer dans notre chair, par le biais de l’initiatique, nos
aspirations métaphysiques. L’agate est donc là pour « séculariser » le triangle au nom
ineffable, c’est-à-dire formaliser à l’entendement de l’humain l’image du Nom créateur,
non par l’imposition de son image, mais par les circonvolutions de différentes duretés
et de différentes couleurs que révèle sa trame minérale. L’or mêlé aux gemmes trahit ce
télescopage entre des intuitions relatives au principe créateur (l’or), et l’impossibilité de
comprendre pleinement cette occurrence, Ce théâtre neutre qu’impose finalement le
nom ineffable en lien avec le minéral permettra à Guibulum de ne pas se bruler les ailes.
Il ne s’agira pas ici de feux et de nuées, témoins physiques auprès de tout un peuple de
la transcendance éphémère de Dieu, mais d’un réceptacle à la fois suffisamment
explicité, et en même temps distancié de cette corporéité qui nous cache parfois la
finesse de la manifestation du divin. Le nom ineffable transcende ontologiquement tout
effet de la vie, puisqu’il en est la source : c’est pourquoi il ne peut être porté que par un
support neutre, non vivant au sens biologique, qui sera celui du minéral : son épellation,
c’est-à-dire sa mesure, ne peut se faire s’il y a interférence avec la vie organique : d’où
l’usage du minéral.
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Au 13ème degré, la rencontre fondamentale entre l’initié-témoin, en l’occurrence
Guibulum et le nom ineffable se doit d’échapper au maximum aux manifestations
objectives de la vie, qui ne seraient ici que des freins, des perturbations brouillant la
source, la cause, à savoir le nom ineffable. : en effet, on imagine mal ce triangle gravé
posé au milieu de la nature, dont il est symbole de transcendance, tout simplement parce
qu’il est le Verbe qui génère ladite nature, et qu’à cet égard il ne peut en aucune façon
s’y trouver mêlé L’environnement purement tellurique et minéral de Guibulum, au
13ème degré du REAA (terre battue, triangle d’or, gemmes et agate) permet d’éviter ce
qu’on appelle en physique quantique la décohérence, c’est-à-dire le moment où
s’entrechoquent 2 réalités incompatibles : ici, celle de la source, du Verbe, de la cause,
et celle de la manifestation, de l’effet, de la nature et de la vie tangible. La décohérence,
pour le nom ineffable, serait de le trouver mêlé à la vie tangible. Or ici le théâtre
complètement minéral évite ce qui pourrait créer des accointances entre ce nom et ce
qu’il régit, perdant alors son caractère de transcendance et d’ineffabilité. Le milieu des
9 arches, froid, obscur et stérile se prête au théâtre purement minéral qui présidera et
préservera la rencontre entre Guibulum et le nom ineffable.
La réalité transcendante ne peut en effet faire saillie que dans un environnement libre
de toute manifestation objective qui en polluerait le message. Cet espace minéral se
rencontre à chaque fois qu’il est donné à un témoin d’être confronté à la transcendance
du divin : je citerai les 2 tables de pierre gravé de la Loi, qui ne sont pas transmis par
Yahvé à Moïse uniquement au sommet d’une montagne, et donc loin du peuple, mais
aussi sur un édifice rocheux, minéral, qui n’inter réagira pas avec cet acte sacré. Je citerai
enfin le don, dans un endroit souterrain comparable à celui de Guibulum, par Hermès à
un témoin nommé Bélinous, thaumaturge grec, du texte hermétique de la Table
d’Emeraude, gravé sur un support minéral, l’Emeraude. Là encore, la puissance
transcendance portée par les mots gravés cette table, ne peut rester vertueuse que dans
un environnement dépourvu de toutes vie ostensible, sans quoi interférait-elle avec cette
dernière. Le minéral est donc, dans l’initiatique, fondamental, car il permet de sous-
tendre, de préparer cette aventure humaine que représente la franc-maçonnerie qui
devra, à terme, incarner le principe créateur. Mais cette incarnation ne pourra se faire ex
nihilo, le sujet que nous sommes doit d’abord être un objet, confronté comme il se doit
aux forces de la nature. Ces forces sont originellement telluriques, et donc
essentiellement minérales comme le subodore le soufre le sel et le mercure du Cabinet
de Réflexion. A cette étape, le minéral est encore assimilé aux métaux, telle que l’entend
la connotation morale attachée à ceux-ci dans le rituel. Cette coloration morale est
fondamentale car l’énergie d’imprégnation du futur apprenti passe avant tout par la
qualification la plus évidente, la plus grossière et la plus immédiate : la morale, souvent
violente et rédhibitoire, et donc chargée d’énormément d’affects, collera bien à cette
fonction guerrière, nécessaire pour un candidat souvent perclus de certitudes.
Nombre de dispositions minérales feront le lit du nouvel initié, le Pavé Mosaïque, le fer
des épées, le miroir mais aussi la craie des sentences inscrites dans le Cabinet de
Réflexion, certains outils ferreux. Tout ceci tranchera avec l’organique de la cire des
bougies, du pain du Cabinet de Réflexion, de la terre battue et surtout des frères qui nous
entoureront. D’autres référents, cosmologiques, se manifesteront : luminaires, voûte
étoilée, perspectives spatiales (Occident, Nadir, Septentrion etc… seront là pour situer
cet amalgame du minéral et de l’organique dans un cadre transcendant.
Thierry Didier.
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