Vains espoirs ! Vaines gloires ! Nous savons, depuis Auschwitz (et même avant) que l’humanité peut être retranchée de l’humanité. Éternel conflit entre le souverain bien et le mal radical. Le progrès est dans l’impasse, la science conduit au pire, la raison est impuissante, le mal semble chaque fois renaître et gagner en force et vigueur.
Etant à la recherche, comme vous tous, de la paix universelle, je ne peux faire l’économie d’un doute sur son existence et, ne disposant que de moi-même pour y voir clair – et même n’en étant pas très sûr –, je suis tenté de réinterroger Voltaire. On connaît sa pensée. Dieu créa le monde comme un géomètre, non comme un père. C'est-à-dire qu’il ne se mêle pas d’accompagner sa création et, qu’une fois réglé, le monde n’entretient plus de rapport avec Dieu. Une intelligence originelle a établi une fois pour toutes un certain type de causalité : il n’y a jamais d’effets sans causes, d’objets sans fins, le rapport des uns et des autres est immuable… Car Dieu, retiré du monde qu’il a créé (comme l’horloger de son horloge), ni Dieu ni l’homme ne peuvent plus bouger. Certes, le Bien et le Mal existe mais, l’un et l’autre ne sont que les éléments d’une causalité universelle ; ils ont une nécessité mais cette nécessité est mécanique et non morale : le Mal ne punit pas, le Bien ne récompense pas. Ils ne signifient pas que Dieu est, qu’il surveille, mais qu’il a été, qu’il a créé. Si donc l’homme s’avise de courir du Mal au Bien par un mouvement moral, c’est à l’ordre universel des causes et des effets qu’il attente ; il ne peut produire par ce mouvement qu’un désordre-bouffon.
Que peut donc l’homme sur le Bien et le Mal ? Pas grand-chose : dans cet engrenage qu’est la création, il n’y a de place que pour un jeu c'est-à-dire la très faible amplitude que le constructeur d’un appareil laisse aux pièces pour se mouvoir.
Hors de ces développements nihilistes, il existe peut-être un remède au Mal radical : l’Amour ! Dans le chapitre 178 des Futuhât qu’il consacre à l’amour, Ibn ‘Arabî aime à souligner que l’amour est la raison même de la création du monde. L'amour qui est à l'humanité ce que la gravitation est à la nature, la force qui tient le tout ensemble, qui rassemble contre le diable ("diabolos" qui signifie ce qui sépare ou est séparé). L'amour, qui est la reconnaissance de l'autre sans condition, qui est donc l'assomption de la vie, une disposition empathique qui libère la joie.