ETRE MAÎTRE de Claude Darche. Etre Maître L’initiation est un apprentissage constant, ce que l’on a cru apprendre, il faut le réapprendre, disait Jean Mourgues, ce que l’on a éprouvé, peut être vécu différemment , revu, corrigé. C’est effectivement ce qui se passe lorsque nous sommes, non pas initiés mais exaltés à la maîtrise, lorsque nous franchissons les portes de l’ombre , le pont qui va nous laisser sur la rive de ce que l’on pourrait appeler le royaume des morts et qui est en fait le royaume des trois fois Vivants, tout comme Hermès Trismégiste est dit le Trois fois Grand . Si dans le cabinet de réflexion, nous sommes mort à la vie profane, vie du quotidien, vie de l’homme du dehors et sommes nés à l’homme du dedans, l’homme intérieur, spirituel et vertueux, à la maîtrise, nous mourons à nos illusions, à ce qui nous fait croire à notre presque toute puissance. Quelle erreur ! nous sommes toujours au début du chemin, nous sommes toujours en marche, avec devant nous la finitude qui attend tout être humain et même tout ce qui fait partie du Vivant, la mort. Nous commençons à entrevoir la signification d’un terme qui, ne nous avait guère interrogé jusque là et que l’on nomme « l’humilité « . Etre humble ne consiste pas à courber l’échine et à se punir de je ne sais quelle culpabilité, être humble c’est savoir reconnaître son impuissance d’homme devant ce qui nous dépasse et nous dépassera toujours, car le monde est ainsi fait : la mort nous dépasse, l’amour nous dépasse , la perte de l’amour nous dépasse. Personne ne peut réellement parler de la mort car personne n’en est revenu , on la redoute, on la craint, on l’espère parfois lorsque la souffrance physique, morale ou psychique est trop importante, on la sait certaine pour tous , on l’approche lorsqu’un être cher est emporté par elle et lorsque nous assistons à ses derniers instants de vie, là où le souffle se fait rare, à peine audible, où les traits sont accentués par la pâleur, l’usure, la fatigue, la lutte contre la maladie. Elle est parfois tranquille, sereine, lorsque la drogue, la morphine, permettent au malade de partir le plus paisiblement ou lorsqu’elle surprend, comme c’est parfois le cas, l’humain dans son sommeil. Elle peut être aussi apaisée lorsque certains , et j’en ai connu, ont la chance de mourir en pleine conscience en se disant « j’ai bien vécu, j’ai fait ce que j’ai dû, j’ai fait des erreurs, mais je n’ai jamais vraiment fait du tort à autrui et si j’en ai fait, c’est bien involontairement, « alors oui, sans doute, on part presque tranquille, ses affaires en ordre et sans doute fatigué de cette vie qui, malgré sa beauté et ses paroxysmes en tout genre, nous use et nous exalte à la fois. En maçonnerie et plus particulièrement au grade de Maître, la mort symbolise non seulement la mort du Vieil Homme que nous avons vécue au grade d’apprenti, sans vraiment en comprendre le sens, mais plus encore la résurrection , la métamorphose de l’être. Nous avons quitté le monde profane pour rentrer dans le monde du sacré, nous avons quitté le monde du commun , nous avons ouvert les yeux en apprenant à tenir notre langue, nous sommes déjà loin de ce que les autres hommes appréhendent, du moins dans notre ignorance, le croyons nous, et cependant, il en reste du chemin à parcourir. A la maîtrise nous mourons, et sommes relevés par les cinq points , nous sommes devenus connaissants, nous savons, nous sommes passés par cette mort , certes symbolique, mais oh combien éprouvante . Nous avons pris la chair et le sang d’Hiram et sommes devenus ce Maître Architecte fidèles à son Devoir, à ses serments, fidèle à la Justice, faire ce qui est juste, agir en homme vertueux, avec une morale, des valeurs, prêt à combattre pour que vivent la liberté, l’égalité, la fraternité, pour que toujours en eux et en dehors d’eux le Temple soit vivant et que la lumière perce les Ténèbres . Lors de la rituélie du grade de Maître l’impétrant enjambe le cadavre d’Hiram, et en l’enjambant, il devient le maître architecte , il peut ensuite revivre son assassinat perpétré par trois mauvais compagnons qui ne veulent que pouvoir et pseudo connaissance. Parce que j’ai les mots du maître, j’ai sa parole, de là vient l’erreur. On peut avoir les mots et ne rien comprendre à la Parole, être ou paraître , telle était la question de l’apprenti, telle est la voie du Juste. Parce que la mort donne du sens à ma vie, parce qu’elle la limite et me limite, je deviens conscient que je dois faire quelque chose de ce temps qui m’est imparti et que dont je ne connais pas la durée. Parce que mon existence est limitée, je vais essayer de faire de chaque instant une plénitude car demain serai-je encore là ? Qu’importe se dit le Maître, demain deviendra Eternel, Resplendissant, Lumineux, demain je saurai, savoir quoi ? On a coutume de dire que la mort nous apprendra quelque chose, un secret, une connaissance ? Dernière illusion ! elle apprendra à qui aura cherché, à qui sera déjà sur la voie, elle initiera le passant qui l’aura demandé, sinon je crois que les êtres meurent comme ils ont vécu, bêtement, simplement, comme ils peuvent. Seul celui qui aura cherché et il n’y pas qu’en maçonnerie que l’on cherche, aura une nouvelle ouverture, une autre porte encore et encore, toujours pourrait-on dire. C’est Sean Penn, acteur et cinéaste américain qui dit « j’ai survécu à pas mal de colères, je les ai remplacées par de l’amour : la vie n’est qu’une longue guérison », la vie est comment se remettre de vivre , diraient certains ! la vie pour le maître maçon, c’est comment sortir de la boue, du marécage , comment naître à soi-même ? Comment retrouver son désir d’être, nous à qui l’on apprend le plus souvent à paraître et à gommer nos vrais désirs d’existence . Etre maître maçon c’est sans conteste vouloir retrouver sa parole, celle qui fut perdue pour tous les humains que nous sommes, celle qui est enfouie au tréfonds de notre cœur ou de notre âme, chacun emploiera les termes qui lui conviennent. Aussi, lorsque dans la rituélie, nous sommes soudainement relevés et mis à la verticale , debout, vivant et debout, nous vivons symboliquement ce que la maîtrise nous offre, être un homme ou une femme debout, toujours , quoi qu’il arrive, quoi qu’il advienne. Etre maître, c’est être vertueux, avoir une morale, une éthique, c’est dire non lorsqu’on pense non et oui lorsqu’on pense oui, en son âme et conscience, c’est être lucide et aimant, c’est croire en l’homme désespérément, c’est donner et partager, c’est ne jamais lâcher prise sur l’espérance, c’est se conduire en homme de bien, c’est être digne, faire du mieux que nous le pouvons et encore plus…C’est reconnaître ses faiblesses, ses manques, s’en moquer et continuer à lutter , être Maître c’est résister de toutes ses forces à la paresse du quotidien, c’est voir le merveilleux dans l’ordinaire, et au bout du compte, c’est non seulement porter un autre regard sur le monde , mais vivre ce regard chaque jour et chaque minute. Claude DARCHE Un regard, un moment d'humilité. JFG