La dernière partie de l’essai d’Yves Michaud :
Contre la vision morale du monde, contre la bienveillance politique.
Toutes les idées qu’il a fallu remettre en cause dans les chapitres précédents tiennent d’abord à une volonté d’aveuglement face à la réalité, en se berçant d’illusions : qu’il peut y avoir un islam modéré, tolérant et démocratique, que le populisme est un spectre à exorciser sans plus d’explications, qu’une politique conforme à la morale doit guider l’action internationale.
Cet aveuglement se teinte chaque fois d’un préjugé de bienveillance : on veut croire en un monde où toutes les idées sont respectables, où toutes les différences enrichissent, où les conflits ne sont jamais irréductibles, où les bonnes volontés finissent toujours par s’entendre.
Cette bienveillance politique, semble être un paradoxe dans une société, qualifiée de purement matérialiste, consumériste, individualiste. Serions nous devenus tous solidaires avec le monde entier. Dans une sorte de religion universelle, une pensée planétaire, un rêve le nouveau jardin d’Eden.
Yves Michaud écrit :
Cette vue compassionnelle du monde et des êtres n’empêche nullement un égoïsme tout aussi bienveillant. C’est une générosité du moi d’abord. L’individualisme possessif devient présentable quand il dégouline d’émotion feinte. L’homme de notre temps ne pleure pas, il pleurniche. Il ne compatit pas, il s ‘émeut. Il n’est pas généreux, il fait des dons défiscalisés. Il ne fait pas preuve de sollicitude, il appelle le 115 pour qu’une équipe de maraudeurs du SAMU social intervienne.
Il délègue en quelque sorte a l’état, ou en réclamant des subventions à tous les étages du mille feuille administratif, ainsi c’est l’impôt qui remplace les bons sentiments et les élans de générosité, qui de fait ne sont plus des élans, « l’insistance du Vous aurez un justificatif fiscal » devient presque obscène. Je donne personnellement, pour donner pas pour payer moins d’impôts.
(…), il faut aussi que d’autres viennent rassurer la belle âme sur la beauté de ses convictions et la pureté de ses actions.
Ce n’est pas seulement un BHL qui parle mais toute une communauté de BHL, qui fait chœur.
Le phénomène des « Marches blanches » caractérise l’indignation, la compassion, la bonne volonté mais aussi « l’impuissance » Ce que hegel qualifiait ainsi : « La confluence silencieuse des entités apathiques de la vie volatilisée ».
Ainsi Yves Michaud nous fait prendre conscience que la vision morale du monde ne doit en aucun cas tenir lieu de politique : elle peut, éventuellement, combler l’âme des êtres sensibles, elle n’a que des relations légères et volatiles avec la réalité.
Dans le meilleur des cas, elle exprime la vie rêveuse. Dans le pire la vie hypocrite.
C’est le même caractère inapproprié du passage de la morale à la politique que révèle l’examen de la bienveillance compassionnelle qui constitue le second palier de cet ethos/pathos qui nous rend aveugle à la réalité.
C’est me semble t’il là le cœur même de la théorie de Yves Michaud.
SA CONCLUSION :
Si recommander la bienveillance, la sollicitude, l’attention, le soin qu’on appelle le care comme on voudra n’a rien de pendable quand on s’en tient à la morale avec ses limites, faire du soin le principe d’une politique entraine ne cascade de conséquences inacceptables.
L’obsession de la bienveillance et du soin conduit à accepter toutes les différences, pour peu qu’elles invoquent les excuses de la vulnérabilité, de la souffrance, et de la minorité. Elle favorise donc les revendications communautaristes qui s’avancent masquées sous des dehors de plaintes.
Concernant les différences culturelles elles doivent bien sûr demeurées sans jamais devenir des différences politiques, pour une respublica unifiée, et une adhésion volontaire à un contrat social.
La violence des faits a ceci de bon qu’elle fait revenir sur terre.
Mais revenir sur terre n’est pas renoncer au rêve ni à l’utopie.
Le paradoxe de notre situation est que nous n’avons plus de capacité de rêve ni d’utopie car nous nous n’avons plus de vision.
C’est cette capacité de vision en se projetant à partir des faits qui est à retrouver.
Avec elle reviendra celle d’utopie et de rêve.
Avant de clore son essai Yves Michaud a rajouté trois appendices, un sur la Bienveillance au XVIII ; ont y lit que la justice est le pilier de la politique, que la morale reste à part de la politique. A contrario, les théories du soin dissolvent la politique dans la morale.
L’appendice numéro deux traite de la peur de la liberté. Et enfin l’appendice numéro de la déchéance de nationalité où il écrit entre autres :
Personne ne peut nier, sauf s’il est de complète mauvaise foi, que l’appartenance à une communauté civique, fût-elle due aux hasards de la naissance, suppose l’adhésion explicite, ou en tout cas, le respect des principes de cette communauté, tels qu’ils sont exposés dans le texte constitutionnel.
Et plus loin c’est depuis crument d’actualité :
La fraude fiscale massive et organisée, l’expatriation fiscale, constituent des atteintes caractérisées à la solidarité civique..
Instituer dès la prime enfance et jusqu’à l’adolescence un apprentissage simple mais obligatoire des principes fondamentaux de la citoyenneté par tous, en l’assortissant d’un énoncé clair et explicite des conditions dont la violation entraîne la déchéance de nationalité.
Il s’agirait en quelque sorte d’une confirmation de l’adhésion civique, proche du serment de « religion civile » chez Jean-Jacques Rousseau..
J’arrive au terme de ce parcours de l’essai de Yves Michaud, dont je ne peux qu’encourager la lecture. C’est un moment de vérité et de courage dans un monde où le contrat social est fracturé, par une confusion entre le respect des différences et la liberté qui en découle. Si les différences nous enrichissent, il faut néanmoins se retrouver sur un projet commun, l’important étant de se tourner dans la même direction, donner un projet, redéfinir un cadre où nos jeunes puissent se retrouver. Cesser de considérer que tout est acceptable, que les communautés ne sont que des niches électorales.
La lumière de la liberté ne brillera qu’avec le feu du courage et de la justice.
Bienveillance à nos Frères et à ceux qui pourraient êtres comme tels.
JFG