Après son passage à l’incontournable « Grande Librairie « de François Busnel notre académicien poète, écrivain François Cheng, avec son dernier livre : « DE L’ÂME » se situe en bonne place des livres les plus vendus (cf le magazine l’Express).
Pourtant le titre a l’allure d’une confidence chuchotée à l’oreille pourrait rebuter. (l’aum)
La forme adoptée est celle de la correspondance, 7 lettres écrites à une amie de plus de trente ans à l’aube de ses 90 ans le poète chinois d’origine naturalisé Français ; manie notre langue, sa langue avec une dextérité rare, les mots sont ciselés. La simplicité , la clarté avec laquelle il nous conduit sur le chemin de l’âme des âmes, donne l’impression de feuilleter un livre d’images et d’entendre les sons qui en émanent résonner en nous.
C’est un chemin de découverte de l’âme, de son âme, de notre âme, une conquête de notre espace intérieur.
De sa première lettre j’ai retenu : « Le désir de vie, le désir du beau », ce qui mène du paraître à l’être, à la beauté qui nous habite.
Sa deuxième lettre, parle de l’âme présente dans toutes les traditions, un chemin vers l’unité. Le passage de l’âme universelle à l’âme individuelle. François Cheng écrit à propos de l’incarnation de l’âme : « Dans la vie courante l’âme d’une personne transparaît dans son regard et s’exprime par sa voix. Deux organes, les yeux et la bouche, qui se concentrent dans un visage, lequel constitue le mystère incarné de tout être humain. »
La troisième lettre permet de bien saisir la distinction âme esprit. Si l’esprit nous permet de penser , de raisonner, de concevoir, d’organiser, de réaliser, d’accumuler consciemment des expériences en vue d’un savoir. « L’âme qui est en nous est ce qui permet de désirer, de ressentir, de nous émouvoir, de résonner. » … « L’esprit raisonne, l’âme résonne. »… « l’esprit se meut , l’âme s’émeut. »
L’âme dit François Cheng permet la communion, cela évoque pour moi, l’état dans lequel je suis assis en silence sur ma colonne, dans ma loge et que je regarde les yeux de mon Frère, mon âme est alors en communion me semble t’il avec la sienne, je ne sais pas ce qu’il pense peu importe, je ressens à cet instant là qu’il est pleinement mon Frère.
François Cheng cite Hildegarde de Bingen : « Le corps est le chantier de l’âme ou l’esprit vient faire ses gammes. »
Sa troisième lettre nous invite également à faire le tour des traditions, pour essayer de définir l’âme. L’interprétation des Soufis a retenue mon attention. Ils distinguent plusieurs sortes d’âmes en fonction du fidèle et de son avancement sur le chemin de la spiritualité ; je cite : « Au fur et à mesure de son épuration, par un procédé de rappel (Dhikz) explique Faouzi Skali, dans la voie Soufie, l’âme gravite à travers les étapes qui doivent la mener à la connaissance de Dieu. A chaque nouvelle étape, l’âme apparaît avec de nouveaux caractères. »
Les Soufis envisagent donc l’âme dans une perspective initiatrice. Il s’agit pour elle de passer de station en station. Cela n’est pas s’en rappeler la voie écossaise.
Les grandes traditions affirment une perspective de l’âme située au delà de la mort corporelle, basée sur l’idée que l’âme de chaque être est reliée au souffle primordial. On peut là encore tenter un rapprochement entre ce souffle et le prologue de Jean.
La quatrième lettre est plus polémique l’on ressent un agacement de l’auteur sur l’opposition âme et esprit. « celui qui ose se réclamer de l’âme prend le risque d’être traité de ringard, voire de suppôt des religions. » On ne jure de nos jours que par l’esprit, on chercher à briller, à épater la galerie en lançant des phrases assassines, en scrutant les failles de l’autre pour mieux le faire chuter.
La lettre se termine néanmoins par un message d’espérance : « la charité, c’est l’ordre de l’amour dans lequel l’âme de chacun communie, de don à don, avec la générosité du principe de vie qui se donne indéfiniment. »
Dans la cinquième lettre, il est question de l’âme et des merveilles de la nature mises sous nos yeux, ainsi que de l’inspiration artistique, de la beauté et de la bonté de l’âme.
« Chez un être, la beauté de l’âme transparaît dans le regard et se traduit par un ensemble de geste. Elle nous touche au delà des mots. Seules les larmes muettes parviennent parfois à dire l’émotion qu’elle suscite. »
A propos des artistes François Cheng écrit : « Tous les êtres ne sont pas forcément artistes, mais toute âme a un chant elle est à même de répondre à d’autres chants qui lui parlent. »
La conclusion de cette cinquième lettre rappelle l’humilité que nous devons conserver face aux mystères de la création.
« Oui nous devons être assez humbles pour reconnaître que tout le visible et l’invisible, est vu et su par quelqu’un qui n’est pas en face, mais à la source. Seul celui qui jouit du voir total jouit du vrai savoir et du vrai pouvoir. »
La sixième lettre est principalement consacrée aux écrits de Simone Weil à savoir « l’attente de Dieu. » et la « Pesanteur de la grâce.» qui mettent en exergue la suprématie de l’âme par rapport à l’esprit, je pense pour ma part qu’il y a plus de complémentarités que de concurrence.
La septième et dernière lettre est la conclusion de ce travail. François Cheng en tire en quelque sorte ce résultat ou cette conviction : « A mesure que l’âme parle à l’âme, ne pénètre -t-on pas au pays de la résonance lequel est placé sous le règne de l’éternel. »
« Au bout de tout, voici ce que j’ai saisi : la vraie vie n’est pas seulement ce qui , a été donné comme existence. Elle est dans le désir même de vie, dans l’élan même vers la vie. »
L’ultime phrase de François Cheng est : « La voie pour continuer une incarnation réellement ouverte, n’a sans doute pas trop de toutes les âmes qui, ayant vécu, aspirent à la vraie vie. »
Ce livre est un véritable coup de cœur, coup au cœur, coup à l’âme. C’est vendredi veille de Week-end courez chez votre libraire chercher ces lettres sur l’âme et après leurs lecture poser les près de votre table de chevet, on ne sait jamais si un soir vous avez du vague à l’âme.
JF
Extrait 4ème de couverture:
"Lorsque j'ai reçu votre première lettre, chère amie, je vous ai répondu immédiatement. Avoir de vos nouvelles plus de trente ans après m'a procuré une telle émotion que ma réaction ne pouvait être qu'un cri instantané. Votre deuxième lettre, que j'ai sous les yeux, je l'ai gardée longtemps avec moi, c'est seulement aujourd'hui que je tente de vous donner une réponse. La raison de ce retard, vous l'avez sans doute devinée, puisque votre missive contient une singulière requête : " Parlez-moi de l'âme "… Votre phrase : "Sur le tard, je me découvre une âme ", je crois l'avoir dite à maintes reprises moi-même. Mais je l'avais aussitôt étouffée en moi, de peur de paraître ridicule. Tout au plus, dans quelques-uns de mes textes et poèmes, j'avais osé user de ce vocable désuet, ce qui sûrement vous a autorisée à m'interpeller. Sous votre injonction, je comprends que le temps m'est venu de relever le défi… "
Né le 30 août 1929, en Chine, François Cheng est issu d'une famille de lettrés et d'universitaires — ses parents comptaient parmi les premiers étudiants boursiers envoyés aux États-Unis. Études secondaires à Chongqing de 1937 à 1945. La guerre terminée, la Chine sombre peu après dans la guerre civile qui jeta la jeunesse dans le désarroi ou la révolte. Après un temps d'errements, il entre à l'Université de Nankin.
Début 1948, son père participe, en tant que spécialiste des sciences de l'éducation, à la fondation de l'UNESCO, grâce à laquelle il peut venir en France. Il se consacra à l'étude de la langue et de la littérature françaises. Il dut cependant traverser une assez longue période d'adaptation marquée par le dénuement et la solitude avant d'obtenir en 1960 un emploi stable au Centre de linguistique chinoise (devenu plus tard le Centre de recherches linguistiques sur l'Asie orientale à l'École des hautes études en sciences sociales). Parallèlement à son travail, il s'est employé à traduire les grands poètes français en chinois et à rédiger sa thèse de doctorat.
En 1969, il a été chargé d'un cours à l'Université de Paris VII. À partir de là, il mènera de front l'enseignement et une création personnelle. Il sera naturalisé français en 1971. En 1974, il devient maître de conférences, puis professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales, tandis que ses travaux se composent de traductions des poètes français en chinois et des poètes chinois en français, d'essais sur la pensée et l'esthétique chinoises, de monographies consacrées à l'art chinois, de recueils de poésies, de romans et d'un album de ses propres calligraphies.
Il se verra attribuer le prix André Malraux pour Shinto, la saveur du monde, le prix Roger Caillois pour ses essais et son recueil de poèmes Double chant, le prix Femina pour son roman Le Dit de Tianyi et le Grand prix de la Francophonie pour l'ensemble de son œuvre. Docteur honoris causa de l’université de Bergame (Italie) et de l’Institut catholique de Paris (2007).
Il a été élu à l'Académie française, le 13 juin 2002, au fauteuil de Jacques de Bourbon Busset (34e fauteuil).
Source Académie Française.