Macron au Louvre : "Un rite initiatique, indispensable", selon Serge Moati
La marche solitaire et spectaculaire d'Emmanuel Macron, dimanche soir, au Louvre, évoque celle de François Mitterrand au Panthéon en 1981, qui avait été filmée par Serge Moati. Les commentaires du cinéaste.
Serge Moati fut le conseiller audiovisuel de François Mitterrand à partir de 1971, le cinéaste qui a réalisé la mémorable séquence du Panthéon, le 21 mai 1981. Il a signé de nombreux documentaires dont Quai d’Orsay, les coulisses de la diplomatie (2015), Adieu Le Pen (2014), Élysée 2012, la vraie campagne ! (2012). Pour Ouest-France, il commente la scénographie de la victoire d'Emmanuel Macron.
Cette arrivée solitaire d'Emmanuel Macron au Louvre, vous l’avez découverte comme des millions de téléspectateurs ? Ou étiez-vous informé de cette mise en scène spectaculaire ?
Je n’étais pas dans les coulisses, je n’étais au courant de rien. Alors, vous imaginez... J’ai été heureusement surpris, puis très ému par cette référence à l’investiture de François Mitterrand au Panthéon, le 21 mai 1981. Dimanche soir, je me suis retrouvé jeune homme ! J’avais 34 ans quand j’ai filmé Mitterrand.
Comment analysez-vous cette marche solitaire autour de la Pyramide ?
J’ai adoré. D’abord, le choix du lieu. Le cadre exceptionnel du Louvre et la Pyramide de Pei – geste architectural que Mitterrand imposa, en dépit d’intenses critiques. La Pyramide symbolise l’audace dont se réclame Macron.
Et puis, c’est beau cette marche dans la nuit. Un rite initiatique, indispensable. En quatre minutes, le nouvel élu s’avance, fragile, et au fur et à mesure, il incarne la fonction. Il devient Président au son de l’Ode à la joie, l’hymne européen. Rien à redire, c’est parfait.
Très emphatique aussi...
Mais c’est un moment où la France a rendez-vous avec son Histoire ! Dimanche soir, on l’a eu enfin, ce rituel républicain qui a tellement manqué lors du débat d’entre-deux-tours.
En tant que cinéaste, comment jugez-vous la réalisation de la séquence Louvre ?
Impeccable. Une mention très bien pour les éclairages. On voit d’abord Macron surgir du sombre ou plutôt on le devine. Il s’avance dans une demi-pénombre, trouée parfois de projecteurs, et monte sur scène pour déboucher en pleine lumière. Franchement, bravo ! Je ne sais pas comment ils ont fait, en coulisses. Ça semble simple, mais chorégraphier cela d’une manière aussi fluide, n’est pas évident. Là, le ou les directeurs photos étaient extrêmement forts.
Réussir ce type de prestation est compliqué. on est en direct, on ne refait pas la prise. Le long du parcours de Macron, hors champs, j’imagine qu’il y avait beaucoup de gens, vêtus de noir, pour le guider ou l’éclairer ou lui donner le tempo de la marche.
Ils avaient dû régler les détails en répétition...
Pas sûrs qu’ils aient eu le temps de répéter in situ avec Macron... En 1981, pour le Panthéon, c’est l’acteur Roger Hanin qui avait joué le rôle du Président, pendant la répétition. Résultat : le jour J, Mitterrand ne connaissait pas le parcours à l’intérieur du monument. Il était guidé par de jeunes socialistes, vêtus de noir. Cachés derrière les colonnes, invisibles à l’écran, ils lui indiquaient le parcours, lui tendaient discrètement les roses qu’il devait déposer sur les tombeaux de Jean Moulin, Jean Jaurès et Victor Schoelcher. Des petits malins ont baptisé cette scène « la multiplication des roses ». C’est vrai qu’à la télé, ces fleurs qui apparaissaient de nulle part, ça tenait du miracle ! (Rire).
En 1981, au Panthéon, vous avez eu des sueurs froides ?
Quand j’y repense... J’orchestrais le tout. De mémoire, je disposais de sept ou huit caméras à l’intérieur du Panthéon. Tout d’un coup, panique : Mitterrand avait disparu de tous les écrans de contrôle, je l’avais perdu !! Il était passé où ? Je me souviens de Gaston Defferre, qui craignait un attentat, et qui me criait dessus : « Retrouve-le, retrouve-le ! ». Defferre était ministre de l’Intérieur (Rire). Bon, on l’a retrouvé, on a eu chaud.
Soulagement général...
De courte durée. On avait pris du retard. Quand Mitterrand est sorti sur le parvis du Panthéon, face à cette foule immense, dingue, il a commencé à pleuvoir. La tuile. Daniel Barenboïm dirigeait les Chœurs de Paris qui interprétaient l’Ode à la joie, dernier mouvement de la 9e symphonie de Beethoven. Mitterrand était là, immobile, une rose à la main, cible parfaite pour un sniper.
Defferre, inquiet, voulait qu’on accélère la musique ! Barenboïm, exaspéré, a failli en casser sa baguette. La musique n’en finissait plus. Des minutes à « meubler ». Moi, je multipliais les plans larges et les gros plans, mais le visage de Mitterrand ruisselant... ». Enfin, tout s’est bien terminé. Dans l’émotion et la cohue.
Et vous êtes rentré chez vous, satisfait et heureux ?
Épuisé et vidé. C’est toujours étrange, cette impression, quand c’est fini... J’habitais près du Panthéon. Chez moi, il y avait plein de copains qui avaient fêté la victoire de la gauche. Ça riait, ça buvait. Je leur ai aussitôt demandé : « Alors, comment vous avez trouvé, c’était comment ? » Ils ont dit : « Quoi ? ». Ça rend humble...