L’initiation maçonnique permet de trouver sa juste place dans l’univers. Elle éveille le meilleur de l’homme pour lui faire prendre conscience de son enracinement terrestre, mais aussi de sa participation cosmique. Comme l’artiste qui lève les yeux et soudain comme une révélation, son cœur et son esprit s’enflamment, s’élèvent et le jour commence a paraître, tout devient clair, de plus en plus pur, de plus en plus beau. Son cœur guide sa main qui sculpte l’œuvre de sa vie, le pinceau trace la beauté sur la toile. Une unité profonde se réalise, avec la terre, l’univers entier, la Phusis devient réalité.
Cette sensation me vient souvent quand je contemple les vagues incessantes qui meurent sur le rivage et se reforment sans cesse, comme une onde éternelle, infinie. Je lève alors les yeux vers l’est, vers la lumière naissante, il se produit alors en moi une sorte d’apaisement, d’extase cosmique, un sentiment d’être, d’être vraiment enfin à ma place en union avec la nature, avec ma vraie nature. Je m’abandonne « au torrent du monde » comme le disait Cézanne.
Je quitte un instant la pesanteur de mon corps, pour suivre des yeux le vol du goéland et contempler mon âme comme le disait Plotin. Je fusionne en quelque sorte avec la nature je suis partie et tout à la fois. Je suis au centre de la Rose mystérieuse, ma main se tend vers celle de mon Frère, dans la chaîne sous la voûte étoilée.
Je suis comme le peintre Philipp Otto Runge qui pensait que l’homme se reflète dans la nature et la nature dans l’homme. Il entrepris une œuvre malheureusement inachevée, mais c’est le chemin qui compte. Elle est composée d’une série de tableaux considérée comme le but de sa vie ce sont les heures du jour en quatre gravures : le matin, le jour, le soir et la nuit. Il réalisa seulement le petit matin et le grand matin.
Ses travaux étaient ouverts, la grande Lumière commençait à paraître.
Runge a écrit dans une de ses lettres : « Quand le soleil au-dessus de moi fourmille d’innombrables étoiles, quand le vent siffle dans l’espace immense, quand la vague se brise en mugissant dans la vaste nuit, quand l’éther rougit au-dessus de la forêt et que le soleil éclaire le monde, des vapeurs s’élèvent dans la vallée et je me jette dans l’herbe parmi les gouttes de rosée scintillantes, chaque feuille, chaque brin d’herbe déborde de vie, la terre vit et s’agite tout autour de moi, tout résonne ensemble en un seul accord ; alors mon âme crie de joie et plane en tout sens dans l’espace incommensurable autour de moi ; il n’y a plus de haut et de bas, plus de commencement ni de fin, j’entends et je sens le souffle vivant de Dieu, qui tient et supporte le monde et en qui toute chose vit et se meurt. »
Il avait trouvé sa juste place.
JF.
« Je suis né dans la ville de Wolgast en Poméranie suédoise. Mon père travaille dans le commerce, et notamment à la construction de nombreux bateaux. Ayant été malade presque sept ans de suite (de ma 11ème à ma 18ème année), j’ai été dispensé d’école et j’en ai profité pour faire de très belles choses. J’ai appris notamment, à découper des silhouettes, à tourner le bois, et même, finalement, à la tailler. » (Lettre à Goethe, 23 août 1801)
En 1795, il est engagé dans la firme de son frère, à Hambourg.
Ce n’est qu’à partir de 1799, qu’il commence des études de peinture à l’Académie de Copenhague, jusqu’en mars 1801. La même année, il fait la connaissance de Caspar David Friedrich ainsi que de Ludwig Tieck. (Il fera également la connaissance, en 1802 de Friedrich Schlegel).
Il était trop tard cependant pour que Runge puisse rencontrer Novalis, mort en 1801, mais, comme pour l’œuvre de Jacob Boehme, c’est Ludwig Tieck qui lui fera connaître celle de Novalis.
En février 1802, dans une lettre à son frère, il écrit : « Nous sommes sur la frange de toutes les religions issus du Catholicisme. Les abstractions disparaissent, tout se fait plus aérien et plus léger, tout converge dans le paysage. On cherche à discerner quelque chose dans ce flou, sans savoir comment s’y prendre. Ne pourrait-on pas atteindre une apogée dans cet art nouveau ? – die Landschafterei, l’art du paysage pour le nommer ainsi. Une apogée plus belle, peut-être, que les précédentes ? Je veux représenter ma vie dans un cycle artistique. Quand disparaît le soleil et que la lune revêt d’or les nuages, je fixerai le cours des esprits. Si nous ne vivons pas la belle période de cet art, nous consacrerons notre vie à la susciter réellement et en vérité ».
Runge se marie en avril 1803 avec Pauline Bassenge. Le couple aura quatre enfants, Otto Sigismund, en 1805, Maria Dorothea, en 1807, Gustav, en 1809, et un dernier, Philipp Otto, posthume (il est né le lendemain de la mort de Runge), en 1810. La même année, au mois d’août, il se rend à Berlin pour y rencontrer August Schlegel, puis en novembre, à Weimar, pour voir Goethe.
Dès 1804, Runge s’est préoccupé de la question de la couleur, qui fera l’objet de sa conférence avec Goethe de 1806 à la mort du peintre, et qui aboutira à son traité intitulé Sphère des couleurs, ou construction du rapport des mélanges de couleurs et de leurs affinités, suivi d’un essai sur l’harmonie chromatique (1808)
En 1806, il reçoit la visite du peintre Overbeck, le chef de file des Nazaréens.
Fréquemment malade, à partir de 1807, Runge n’en continue pas moins à peindre (recherches pour le petit Matin).
En 1810, il fait la connaissance du poète Brentano, qui lui confie le projet d’illustrer : « Il [Brentano] espérait une collaboration plus intime, que l'art de ce peintre lui semblait apte à réaliser. Il voulait que, là où la parole ne suffirait plus à créer le prolongement mythique, le dessin intervînt, et dessin ornemental, ces arabesques par lesquelles Runge se rattache à l'art baroque. Il s'agissait, explique-t-il au peintre, de souligner par ses dessins les rapports étroits entre certaines situations, racontées par le poème, et des « constellations invisibles »; d'évoquer leur continuelle référence aux mythes chrétiens du monde supérieur et du monde inférieur, sans toutefois en parler explicitement. » (Albert Béguin, L’âme romantique et le rêve).
Mais la tuberculose se déclare au printemps. Runge accomplit encore durant l’été un long voyage pendant lequel il rend visite à ses amis.
De retour à Hambourg, il meurt le 2 décembre, à l’âge de 33 ans.
« Ne pleurez pas sa mort précoce ! / Il n’a pas vécu : il a été une aurore. » Brentano
Novalis est mort lui aussi de tuberculose, à 29 ans, en 1801, laissant une œuvre philosophique et poétique inachevée, et cette communauté de destin des deux génies du romantisme allemand n’a pas échapper à leurs contemporains.
Source INTERNET.