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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par jean françois
UN DERNIER VOYAGE VERS SOI-MÊME
UN DERNIER VOYAGE VERS SOI-MÊME

 

Partir pour mourir ou pour renaître.

Georges Perros, dans ce poème a pris la route, il est parti pour une nouvelle aventure, laissant derrière lui, une partie de sa vie, partir c’est mourir un peu, peut-être beaucoup, c’est peut-être aussi renaître. Ce départ a des allures de voyage initiatique, abandon du vieil homme et conquête d’un homme neuf, transfiguré, par le désir d’amour, voyage teinté de nostalgie et de peurs de l’avenir, de lui-même sans doute. C’est une belle démonstration que le but est peut-être le voyage, où dans le voyage. Trouver la force de partir, laisser derrière soi une partie de soi-même, pour en découvrir une autre. Ce voyage traine en longueur, en langueur, c’est presque un chemin de croix, le diaporama de sa vie passée, l’espérance de sa vie future.

JF.

Georges Perros et Xavier Grall à Pont-Aven photo Thersiquel Le Télégramme de Brest

Georges Perros et Xavier Grall à Pont-Aven photo Thersiquel Le Télégramme de Brest

 

Extraits des Poèmes Bleus KEN AVO de Georges Perros. La Suite…

 

Entre hommes, comment y aurait-il

A moins de s’invectiver, et pourquoi,

Pourrait-il y avoir

Ce face à face que je n’ai pas fini de trouver, tragique

Ce ventre à ventre sous la lune

Ce bouche à bouche en nudité

En nage,

Ce combat fébrile et malin

Si doucereux parfois si fin

Qui mine l’amour que l’on dit

Mais qui n’est drôle pour personne

Ni pour la femme ni pour l’homme

La mort avance dans la nuit

Mais l’homme est bavard il se plaint

Il appelle plus volontiers au secours

La femme enfante dans sa peur

L’amour pour elle est un travail

Qui peut avoir de l’avenir

L’homme est comme un oiseau perdu

Ce combat qui mine le couple

Isolé sur la grand’terre

Avec les étoiles sur le dos

Ce cœur à cœur entre l’homme et la femme

Toute pensée suspendue

Au lustre de l’immensité

Toute affaire aux calendes

Toute ambition aux orties

Tout orgueil au lendemain

Toute dignité dans le vent

Tout esprit suspendu

Au lustre de la frénésie

On se mange on se rend grâce

Avec cette chose étrange

Là-bas, en bas

Qui fouaille et bave et s’énerve

Cette chose à tous les deux

Qui veut la lune et le soleil

Et les anges et les démons

Pris dans leur piège mutuel

Et te voilà pauvre homme

Dans l’halètement de l’insatisfaction

Gorgé d’humain, aux frontières

Colorées de l’impossible pur

Et te voilà ma pauvre femme

Sous ton pauvre homme, prête

Offerte aux laves de tous les Vésuve du Monde

Ô Pompeï, beaux morts d’amour

Foudroyés ensemble, encendrés

Dans le geste essentiel

On devrait toujours en mourir

 

Je faisais mon dernier voyage

C’était comme un pèlerinage

Je repassais les draps routiers

De ce que j’appelais mon passé,

Cette côte, avant Ducey je crois

Après Saint-Hilaire-du-Harcouët,

Cette côte au sommet de laquelle

On aperçoit pour la première fois

Le Mont Saint-Michel

Avant le carrefour de Pontaubault

A droite Avranches sur la Sée

A gauche Pontorson, Dol, Saint-Malo

Et cette route pomme à cidre

Dont Stendhal parle avec amour

Dans les mémoires d’un Touriste

Quel drôle de touriste j’étais

Chaque halte  ah la dernière

Et la forêt animée de Paimpont

Là-bas, de l’autre côté, irais-je encore

A seule fin d’y rencontrer qui sait

Shakespeare et André Breton

Qui signe de là

Certains de ses plus beaux écrits

 

J’allais retrouver une femme

Qui m’attendait

Avec laquelle j’allais devoir vivre

Ce qui n’est pas, ne serait-ce qu’avec soi-même

Une sinécure

C’était sérieux

Fallait recharger les accus

Changer tous les meubles de place

Mais en changer l’âme, comment ?

Finis le grand vagabondage

La détresse des soirs mauvais

Les bonnes goulées d’amitié

A quatre mains, Haydn, Schubert,

Ou bien à deux

Vauhallan, Ham, Cergy, Bourg-la Reine,

Et ces années passées ensemble

A creuser la nuit de paroles

O métaphysique, ma belle inconnue,

Ai-je été assez bavard

Avec vous l’ami frettois

Le plus ancien et nous ne nous tutoyons pas

 

Où allais-je ?

Fini le coup de rouge au zinc

De tous les bistrots de banlieue

Avec l’ouvrier de chez Renault

Qui m’en voulait j’avais fait

Sa caricature

Avec le coiffeur du quartier

Qui jouait les chevaux emballés

L’apprenti-maçon et tant d’autres

Ils me racontaient tous leur vie

Aux trois pénibles anecdotes

La guerre la femme l’ennui

C’est dur de vivre on le sait bien

Je gardais pour moi mon chagrin

Pour ne pas faire du tort au leur

Comment parler tous à la fois

C’est dur de vivre c’est malin

On ne s’y fait guère la fin

N’arrive jamais sans qu’on le veuille

Un peu qu’elle arrive

Car vraiment nous sommes très fatigués

Je les écoutais tant et tant

Je m’y serais perdu peut-être

Car on se saoule vite on prend

Toutes les souffrances à son compte

Mais nous sommes tous aussi faibles

On rentre chez soi éperdu.

 

 

Qu’avais-je à perdre ou à gagner ?

Je me sens tour à tour valet

Roi fou cheval pion

O le jeu d’échecs

Sur le grand damier de ma vie

Et ce coin d’enfer dans mon crâne

Portes battantes à jamais

J’allais retrouver une femme

Bientôt ma femme

Comment se faire à ce ma femme

Je n’y arriverai jamais

L’épicière me demande

Comment va votre femme

Et je me retourne pour voir

S’il y a un mari derrière moi

Je ne me sens propriétaire de rien

Quelle drôle d’idée

Se croire maître de quoi

De qui que ce soit.

 

Ma motocyclette avait des ruades

Comme parfois en ont les choses

Elles éclairent violemment, crûment

Notre piste nerveuse

Le disque tourne fou

Et se raye ça fait mal

C’est un peu comme si j’allais mourir

Toute une vie d’entre mes vies

Défilait à toute vitesse

Sur le réseau de mon angoisse

Je n’avais plus peur de tomber

Quelqu’un était en train de mourir en moi

Quelque part, quelqu’un

Que j’avais détesté

Qui m’avais fait beaucoup souffrir

Mais que je ne voulais ni ne pouvais

En toute occasion, ne pas reconnaître

Etre un homme est ambigu

Nul masque au monde ne m’en eût

Caché la froide présence

Quelqu’un qui était en train de me dire

Le pire, le cruel,

L’inacceptable.

Le réel,

C’est l’imagination relayée, vérifiée

Soulagée

Remplacée

Poète celui qui pactisant

Avec la mort

Oublie qu’il va mourir.

 

 

Une femme m’attendait

Je ne pouvais plus reculer

J’en serais mort, conscience en berne

Je ne pouvais plus dire non

A ce oui fugitif qu’un soir

Je mis à son oreille

Comme boucle, mais boucle de ma vie

Boucle de ma stupéfaction de faire acte de présence

Sur cette terre qui n’en peut plus

Qui geint

Qui est malade de partout

Qui va bien sauter une de ces jours

Quand on est à bout on se suicide

Les hommes meurent de en plus gaiement

Comme s’ils lançaient un à la vôtre

Aux malheureux qui restent.

 

 

 

Les hommes sont dans une ornière

Pourtant parfois l’inspiration

D’un terrain resté vierge

A jamais indéfrichable

J’aime jouer avec les mots

Passez-m’en la fantaisie.

 

 

Une halte encore la dernière

J’avais couché dans un petit hôtel

Au bord de la route nationale

Allez me dire le nom du village

Je confonds tous les lieux

Tous les visages

Je risque de me faire gifler

Par les femmes que je regarde

Comme si je les avais déjà vues quelque part

Mais oui madame aidez-moi je vous prie

Les femmes ne comprennent pas qu’on puisse

Ne les prendre que pour nos semblables

Ça les vexe, c’est bien curieux.

 

 

Une halte la dernière avant de dire adieu

Pas au revoir, adieu, c’est fini

Quand une fois on a dit oui

Adieu donc a quelque chose

Qui me faisait tenir debout

Même quand ça n’allait pas du tout

Que j’étais malade de solitude

Béquille bâton de jeunesse

Camisole de faiblesse

Alors je vous ai pris dans mes bras

Toutes mes solitudes

Tous mes moments d’euphorie triste

De joie désespérée

Je vous ai juré que rien n’était changé

Qu’on pourrait se revoir

Parles toujours

L’intonation n’y était plus

On y était trop c’est ainsi

Que jouent les mauvais comédiens

Mais je ne vais plus au théâtre

Et vous m’avez laissé en plan

Sans rien me dire

Sur cette petite place de marché

Du marché de Rosporden, dans le Finistère

Où l’on vend du Chouchen.

 

(….)

Georges Perros.

UN DERNIER VOYAGE VERS SOI-MÊME
POÈMES BLEUS

Chez Gallimard

CITATIONS

 Être souvent seul, et faire de soi tout son univers, cela peut être la source de grandes joies. 
Georges Perros ; Pour ainsi dire (2004)

 Parler de la difficulté, de l'ésotérisme, c'est se donner des gants. 
Georges Perros ; Lectures (posthume, 1981)

 

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