Partir pour mourir ou pour renaître.
Georges Perros, dans ce poème a pris la route, il est parti pour une nouvelle aventure, laissant derrière lui, une partie de sa vie, partir c’est mourir un peu, peut-être beaucoup, c’est peut-être aussi renaître. Ce départ a des allures de voyage initiatique, abandon du vieil homme et conquête d’un homme neuf, transfiguré, par le désir d’amour, voyage teinté de nostalgie et de peurs de l’avenir, de lui-même sans doute. C’est une belle démonstration que le but est peut-être le voyage, où dans le voyage. Trouver la force de partir, laisser derrière soi une partie de soi-même, pour en découvrir une autre. Ce voyage traine en longueur, en langueur, c’est presque un chemin de croix, le diaporama de sa vie passée, l’espérance de sa vie future.
JF.
Extraits des Poèmes Bleus KEN AVO de Georges Perros. La Suite…
Entre hommes, comment y aurait-il
A moins de s’invectiver, et pourquoi,
Pourrait-il y avoir
Ce face à face que je n’ai pas fini de trouver, tragique
Ce ventre à ventre sous la lune
Ce bouche à bouche en nudité
En nage,
Ce combat fébrile et malin
Si doucereux parfois si fin
Qui mine l’amour que l’on dit
Mais qui n’est drôle pour personne
Ni pour la femme ni pour l’homme
La mort avance dans la nuit
Mais l’homme est bavard il se plaint
Il appelle plus volontiers au secours
La femme enfante dans sa peur
L’amour pour elle est un travail
Qui peut avoir de l’avenir
L’homme est comme un oiseau perdu
Ce combat qui mine le couple
Isolé sur la grand’terre
Avec les étoiles sur le dos
Ce cœur à cœur entre l’homme et la femme
Toute pensée suspendue
Au lustre de l’immensité
Toute affaire aux calendes
Toute ambition aux orties
Tout orgueil au lendemain
Toute dignité dans le vent
Tout esprit suspendu
Au lustre de la frénésie
On se mange on se rend grâce
Avec cette chose étrange
Là-bas, en bas
Qui fouaille et bave et s’énerve
Cette chose à tous les deux
Qui veut la lune et le soleil
Et les anges et les démons
Pris dans leur piège mutuel
Et te voilà pauvre homme
Dans l’halètement de l’insatisfaction
Gorgé d’humain, aux frontières
Colorées de l’impossible pur
Et te voilà ma pauvre femme
Sous ton pauvre homme, prête
Offerte aux laves de tous les Vésuve du Monde
Ô Pompeï, beaux morts d’amour
Foudroyés ensemble, encendrés
Dans le geste essentiel
On devrait toujours en mourir
Je faisais mon dernier voyage
C’était comme un pèlerinage
Je repassais les draps routiers
De ce que j’appelais mon passé,
Cette côte, avant Ducey je crois
Après Saint-Hilaire-du-Harcouët,
Cette côte au sommet de laquelle
On aperçoit pour la première fois
Le Mont Saint-Michel
Avant le carrefour de Pontaubault
A droite Avranches sur la Sée
A gauche Pontorson, Dol, Saint-Malo
Et cette route pomme à cidre
Dont Stendhal parle avec amour
Dans les mémoires d’un Touriste
Quel drôle de touriste j’étais
Chaque halte ah la dernière
Et la forêt animée de Paimpont
Là-bas, de l’autre côté, irais-je encore
A seule fin d’y rencontrer qui sait
Shakespeare et André Breton
Qui signe de là
Certains de ses plus beaux écrits
J’allais retrouver une femme
Qui m’attendait
Avec laquelle j’allais devoir vivre
Ce qui n’est pas, ne serait-ce qu’avec soi-même
Une sinécure
C’était sérieux
Fallait recharger les accus
Changer tous les meubles de place
Mais en changer l’âme, comment ?
Finis le grand vagabondage
La détresse des soirs mauvais
Les bonnes goulées d’amitié
A quatre mains, Haydn, Schubert,
Ou bien à deux
Vauhallan, Ham, Cergy, Bourg-la Reine,
Et ces années passées ensemble
A creuser la nuit de paroles
O métaphysique, ma belle inconnue,
Ai-je été assez bavard
Avec vous l’ami frettois
Le plus ancien et nous ne nous tutoyons pas
Où allais-je ?
Fini le coup de rouge au zinc
De tous les bistrots de banlieue
Avec l’ouvrier de chez Renault
Qui m’en voulait j’avais fait
Sa caricature
Avec le coiffeur du quartier
Qui jouait les chevaux emballés
L’apprenti-maçon et tant d’autres
Ils me racontaient tous leur vie
Aux trois pénibles anecdotes
La guerre la femme l’ennui
C’est dur de vivre on le sait bien
Je gardais pour moi mon chagrin
Pour ne pas faire du tort au leur
Comment parler tous à la fois
C’est dur de vivre c’est malin
On ne s’y fait guère la fin
N’arrive jamais sans qu’on le veuille
Un peu qu’elle arrive
Car vraiment nous sommes très fatigués
Je les écoutais tant et tant
Je m’y serais perdu peut-être
Car on se saoule vite on prend
Toutes les souffrances à son compte
Mais nous sommes tous aussi faibles
On rentre chez soi éperdu.
Qu’avais-je à perdre ou à gagner ?
Je me sens tour à tour valet
Roi fou cheval pion
O le jeu d’échecs
Sur le grand damier de ma vie
Et ce coin d’enfer dans mon crâne
Portes battantes à jamais
J’allais retrouver une femme
Bientôt ma femme
Comment se faire à ce ma femme
Je n’y arriverai jamais
L’épicière me demande
Comment va votre femme
Et je me retourne pour voir
S’il y a un mari derrière moi
Je ne me sens propriétaire de rien
Quelle drôle d’idée
Se croire maître de quoi
De qui que ce soit.
Ma motocyclette avait des ruades
Comme parfois en ont les choses
Elles éclairent violemment, crûment
Notre piste nerveuse
Le disque tourne fou
Et se raye ça fait mal
C’est un peu comme si j’allais mourir
Toute une vie d’entre mes vies
Défilait à toute vitesse
Sur le réseau de mon angoisse
Je n’avais plus peur de tomber
Quelqu’un était en train de mourir en moi
Quelque part, quelqu’un
Que j’avais détesté
Qui m’avais fait beaucoup souffrir
Mais que je ne voulais ni ne pouvais
En toute occasion, ne pas reconnaître
Etre un homme est ambigu
Nul masque au monde ne m’en eût
Caché la froide présence
Quelqu’un qui était en train de me dire
Le pire, le cruel,
L’inacceptable.
Le réel,
C’est l’imagination relayée, vérifiée
Soulagée
Remplacée
Poète celui qui pactisant
Avec la mort
Oublie qu’il va mourir.
Une femme m’attendait
Je ne pouvais plus reculer
J’en serais mort, conscience en berne
Je ne pouvais plus dire non
A ce oui fugitif qu’un soir
Je mis à son oreille
Comme boucle, mais boucle de ma vie
Boucle de ma stupéfaction de faire acte de présence
Sur cette terre qui n’en peut plus
Qui geint
Qui est malade de partout
Qui va bien sauter une de ces jours
Quand on est à bout on se suicide
Les hommes meurent de en plus gaiement
Comme s’ils lançaient un à la vôtre
Aux malheureux qui restent.
Les hommes sont dans une ornière
Pourtant parfois l’inspiration
D’un terrain resté vierge
A jamais indéfrichable
J’aime jouer avec les mots
Passez-m’en la fantaisie.
Une halte encore la dernière
J’avais couché dans un petit hôtel
Au bord de la route nationale
Allez me dire le nom du village
Je confonds tous les lieux
Tous les visages
Je risque de me faire gifler
Par les femmes que je regarde
Comme si je les avais déjà vues quelque part
Mais oui madame aidez-moi je vous prie
Les femmes ne comprennent pas qu’on puisse
Ne les prendre que pour nos semblables
Ça les vexe, c’est bien curieux.
Une halte la dernière avant de dire adieu
Pas au revoir, adieu, c’est fini
Quand une fois on a dit oui
Adieu donc a quelque chose
Qui me faisait tenir debout
Même quand ça n’allait pas du tout
Que j’étais malade de solitude
Béquille bâton de jeunesse
Camisole de faiblesse
Alors je vous ai pris dans mes bras
Toutes mes solitudes
Tous mes moments d’euphorie triste
De joie désespérée
Je vous ai juré que rien n’était changé
Qu’on pourrait se revoir
Parles toujours
L’intonation n’y était plus
On y était trop c’est ainsi
Que jouent les mauvais comédiens
Mais je ne vais plus au théâtre
Et vous m’avez laissé en plan
Sans rien me dire
Sur cette petite place de marché
Du marché de Rosporden, dans le Finistère
Où l’on vend du Chouchen.
(….)
Georges Perros.
Chez Gallimard
Être souvent seul, et faire de soi tout son univers, cela peut être la source de grandes joies.
Georges Perros ; Pour ainsi dire (2004)
Parler de la difficulté, de l'ésotérisme, c'est se donner des gants.
Georges Perros ; Lectures (posthume, 1981)
Le voyage Georges Chelon (Les fleurs du mal)
Texte de Charles Baudelaire "les fleurs du mal" mis en musique par Georges Chelon CD intégral 2009