Toujours plus loin, plus haut vers Perros, Penn ar roz, vers le bout du chemin, le sommet de la colline, là où la quête me mène. C’est comme une exigence de ne plus parler qu’avec le cœur, une envie d’abandonner la vanité des paroles au bord du chemin, quand elles deviennent insupportables se vident de sens, comme on jette ses vêtements inutiles pour marcher dans le silence du désert quand le soleil est au zénith.
Débarrassé de ses corsets pour écouter les battements de son cœur, être plus proche de l’essentiel, de l’essence des choses, être enfin de tout cœur avec moi, avec les autres.
Voir la coupe, le Graal d’où s’écoulent lentement le sang et l’eau de la vie, voir le miracle de la Rose qui s’épanouie pleine de la rosée céleste et ses pétales qui montent dans l’éther. Atteindre le centre de l’être intégral, harmonieux, unique tel est le chemin de Perros, le chemin du sommet, l’ultime destinée de l’initiation maçonnique, le retour chez soi, au paradis sur terre, la restauration de l’ordre après le chaos, la réouverture du livre de la vie, celui de Jean de Patmos au prologue.
JF.
Source d’inspiration : Les Poèmes Bleus de Georges Perros – Le Chemin chez NRF Gallimard. Pour extrait vu sur Babélio KEN AVO.
Penn ar roz ou Perros en Breton c’est le bout du chemin, le sommet de la montagne.
KEN AVO
J’avais quitté la Seine-et-Oise de bon matin
Ma mansarde là-haut, sur la colline
Où l’on observe les astres et les fusées
Mon poêle à pétrole, mes pipes
Mes livres, mes poussières, ma fenêtre
D’où je pouvais ne pas regarder la Tour Eiffel
Qui tourne de l’œil tous les soirs
Le Panthéon, le Sacré-Cœur, ce fromage blanc
D’autres choses encore, indicibles
Pour le moment
Les toits de Paris.
J’allais une fois encore vers cette Bretagne
Qui m’a très jeune fasciné
Qui m’est aimant quand je suis loin
Qui m’est douleur quand de trop près
J’en subis la loi inflexible
Des pierres de ciels d’horizons.
Les hommes partout se ressemblent
Les lieux n’y pourront jamais rien
Les lieux ne nous donnent à vivre
Qu’avec parcimonie
Pour renouveler le bail, le contrat qui nous lie
A nos frères, puisqu’il paraît.
Et je quittais mes amis, que j’aime bien
Qu’il m’est difficile d’aimer tous à la fois
Quand par hasard ils se connaissent
Et qu’on se retrouve autour d’une table ;
Je quittais mes amis dont j’ai besoin
Et qui me font souffrir comme un pays,
Comme la Bretagne
Que j’aurai maintenant tant de mal à quitter,
J’ai si peur de mourir ailleurs ;
L’homme est pays pour l’homme
Quelques fois paysage
L’homme a besoin de l’homme
Bien plus que de la femme
Et les femmes le savent
Qui connaissent leur homme
Je quittais mes amis, et sur mon engin,
Une motocyclette
Qu’un de mes amis justement, m’avait payée
Connaissant mon vice, le vent,
La vitesse du vent,
Les jambes serrées contre ce ventre d’essence
Un peu comme sur un cheval j’imagine
Qui aurait deux roues, et ce bruit désagréable
Pour ceux qui n’en profitent pas
Du mouvement
Oui j’allais en Bretagne, le col de ma chemise ouvert
Une guêpe s’y engouffra, je dus m’arrêter, la douleur
Etait très forte, et inquiétante,
Et puis les hommes sont douillets,
Par Trappes, Houdan, Dreux, Verneuil, L’aigle
Le Pin aux haras, Argentan, je buissonnais
Ce n’était pas la route droite,
J’allais en Bretagne une fois de plus.
Je ne me sens homme qu’au contact des choses
Avec les hommes c’est le contraire
Vous savez bien que c’est difficile
Ou trop facile
Je ne me sens à l’aise avec eux
Que de profil quand à deux
On regarde la même chose
Cette chose qui n’existe pas
Devant laquelle le prêtre lève le bras
Sans plus y croire beaucoup
Il est trop isolé
Et que nous ponctuons notre fixité ignorante
A coup de vin ordinaire
Ou de Guiness aux relents joyciens
Avec cette affiche qui fait penser
A l’aigreur de Dublin, is good for you
Cette marque de petite bouteille sombre, fumée
Qu’on imagine irlandaise
Et ce liquide velouté qui mousse
Qu’il faut savoir verser dans des verres spéciaux
Sinon ce n’est plus la même chose
Et qui détermine le sens de la conversation
Dans sa bave marine.
Entre hommes, comment…. Suite demain.
Extraits de KEN AVO de Georges Perros.