LE PASSAGE DE L’OPERATIF AU SPECULATIF
Hier dans l’une de mes loges, j’ai eu la tristesse d’apprendre la démission de l’un de mes frères, pourtant initié depuis de nombreuses années. Une démission provoque toujours un sentiment réciproque d’échec, il y a une sorte de culpabilité, un reproche que l’on se fait individuellement ou collectivement, surtout quand il s’agit d’un jeune maçon, erreur de casting diront certains, manque de soutien et d’attention diront d’autres, peu importe le triste résultat est là. Certes l’on s’initie soi-même, mais qui peut prétendre ne pas avoir besoin de ses frères, quand les sentiers sont trop sinueux ou les ponts difficiles à franchir, qui peut prétendre savoir en toutes circonstances se diriger seul dans les ténèbres vers la lumière de la vérité en toute certitude, sans la moindre aide fraternelle.
Mais un maçon comme le frère de ma loge était ce que l’on appelle un vieux maçon, et ce n’est pas l’âge qui l’a fait renoncer à poursuivre sa voie, mais comme il l’exprime un manque « d’opératif »ou trop de spéculatif dans notre franc-maçonnerie moderne, un monde d’idées et peu d’action de concret.
J’imagine, qu’il y a quelque 300 ans nombreux furent les maçons dits opératifs qui travaillaient dans les loges au pied des cathédrales, à s’être osé la même question quel est le but, le sens de ma vie en loge, quand les outils ont été remisés, quand le silence a rempli le chantier, plus de pierres à tailler, plus d’édifices à construire, la fin des cathédrales, plus de marques à inscrire dans les pierres, plus de pain à partager en compagnon, la fin de la pose des clés de voûte qui couronnaient souvent le chef-d’œuvre de leur vie.
Le progrès des sciences et des techniques remplaçant peu à peu les hommes a éclairci les colonnes des loges, les ouvriers ont posé à terre leurs outils, il n’est restés que des mots, des signes, des gestes, sur l’art de construire, quelques méthodes, des valeurs, des guides de construction, pour construire, se construire.
Des hommes sont venus ont observé la grandeur et la beauté des édifices, ils ne maniaient pas la truelle ou le maillet, mais ils ont voulu savoir comment, pourquoi de telles œuvres ont pu voir le jour, comment ces artisans inspirés ont pu des siècles durant remplir l’espace de leurs œuvres, quelles forces les ont animés. Comment tant de beautés ont pu êtres réalisés, il a fallu beaucoup de sagesse à ces hommes. Ils devaient y avoir des mystères cachés, une force intérieure, pour élever ces voûtes, ces flèches de pierre vers le ciel, pour inscrire ces rosaces de lumière dans tous ces frontons.
Peu à peu les spéculatifs ont remplis les loges, les outils sont devenus symboliques, le travail a changé de nature, plus de pierres à tailler, à mettre dans les temples ; mais un nouveau travail sans limite, le perfectionnement de l’homme, le réveil puis l’éveil de l’homme intérieur, son façonnage, son polissage.
La recherche du sens de la vie, la naissance d’un nouvel homme questionnant sans cesse.
Le travail du maçon spéculatif n’était plus dans la carrière de pierres mais sur lui-même, lever un coin du voile sur les mystères de la vie, se mettre à sa place dans le cosmos. La pierre vivante en constante évolution, se taille elle-même sa place dans la société des hommes et rentre dans la chaîne fraternelle de tous les hommes. C’est ce franc-maçon spéculatif qui devient en toute humilité une cathédrale, non plus de pierre mais d’esprit, un homme véritable initié reconnu comme tel par ses frères, mais surtout par tous les hommes de bonne volonté.
Chaque jour de l’aurore à la tombée du jour, le franc-maçon spéculatif est dans l’action, il s’efforce de faire le bien par préférence au mal, il devient passeur de messages d’amour fraternel, il n’est plus dans la théorie mais dans la Praxiscomme les philosophes de la Grèce antique. Le franc-maçon spéculatif qui a reçu l’héritage les valeurs spirituelles de ses frères opératifs, il les pratiquent, les protègent, les transmets, les défends, véritable chevalier de l’esprit.
Au seuil de sa vie sur terre, il ne connaît pas le mystère de l’au-delà, mais il souhaite que l’on dise de lui, pour le moins, cet homme a essayé de s’améliorer, d’être le meilleur possible dans les limites de son humanité, non pour lui, non pas vanité, mais pour que le message d’amour passe pour encore de nombreux siècles, c’est ainsi que le franc-maçon de ce siècle est à la fois opératif et spéculatif.
JF.