COMPAGNONS ET FRANCS-MAÇONS
Comme une histoire de famille qui pourrait être belle, malheureusement en famille on se déchire souvent pour un héritage, c’est le cas pour les relations entre les compagnons et les Francs-Maçons, on imagine assez facilement que dans les années entre 1600 et 1700, quand les loges opératives reçoivent des membres de la société qui sont des scientifiques, des hommes de lettres, des nobles, qu’elles ouvrent leurs portes à tous ceux qui ne sont pas du métier, que les secrets et les mystères leur sont dévoilés, cela n’a pas dû être simple !
Dans notre monde contemporain il perdure une forme de concurrence ou de fragmentation entre les Compagnons et les Francs-Maçons et c’est bien dommage, en un temps où l’on fait l’éloge de l’apprentissage pour essayer de motiver les jeunes générations en leur faisant redécouvrir l’intérêt du bel ouvrage.Il faut des drames comme l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris pour s’apercevoir que le compagnonnage est indispensable et n’est pas incompatible avec notre société techno numérique.
Compagnons et Francs-Maçons seraient bien inspirés de se tenir la main dans une même chaîne d’union, plutôt que de réduire leurs rapports à des querelles d’héritage, ils ont plus de points communs que de divergences. Chacune des fraternités à sa manière entend former des hommes complets, de devoir, des compagnons finis.
Marcel Bris, Parisien La Noblesse du Devoir, Compagnon Forgeron-Maréchal-Mécanicien du Devoir a écrit en 1984 dans Le Compagnonnage à la recherche de sa vocation.
« Former des hommes de caractère, faire naître et développer des compétences professionnelles, enseigner les données d’une compréhension entre les hommes et faire comprendre qu’il existe, dans notre humanité terrestre, un sacerdoce et un culte dont l’utilité se révèle être, au-dessus de tout, le travail. Ainsi peut se résumer la règle des Compagnons depuis toujours : établir une alliance entre le Travail et le Devoir. »
Les Francs-Maçons dans leurs rituels célèbrent un ancêtre de Marcel Bris un forgeron mythique Tubalcaïn, de la lignée de Caïn septième génération. Ce maître forgeron enseigne le maniement du feu, de l’eau et du métal, il transforme poli le vil métal en or pur. Compagnons et Francs-Maçons travaillent à la construction du temple matériel, mais aussi du temple de l’esprit, le temple spirituel, le temple de l’homme.
Le message des Compagnons va bien au-delà de la maîtrise de techniques ou de secrets de construction, le message des Francs-Maçons n’est pas un devoir d’accumulation de connaissances intellectuelles, ils ont en commun la volonté de construire des hommes dans leur globalité.
Georges Sand qualifiait le tour de France des Compagnons de :
« Chevalerie errante de l’artisan. »Le Franc-Maçon avec ses outils symboliques fait aussi son tour, le tour du cercle, pour trouver sa juste place dans le cosmos, au centre du cercle.
Compagnons et Francs-Maçons nourrissent la cité de leurs valeurs universelles. Jules Vallès communard et Franc-Maçon a écrit dans Le Cri du Peuplele 1ermai 1871 :
« En sortant de ses ateliers mystiques pour porter sur la place publique son étendard de paix (…) La Franc-Maçonnerie a réuni au nom de la Fraternité la bourgeoisie laborieuse et le prolétariat héroïque. »
Il a écrit aussi à propos de son oncle Compagnon du Devoir :
« (…) Je touche à leurs mètres et à leurs compas, je goûte au qui me fait mal, je me cogne au chef-d’œuvre (…) ils ont des pendants d’oreilles…. Je suis heureux avec les menuisiers. »
Belle démonstration des liens entre les Compagnons et les Francs-Maçons, ils ont en partage des secrets qui mènent au sacré.
Dans son livre La BillebaudeHenri Vincenot en songeant à Vézelay se rappelle les paroles de son grand-père :
« Les enfants de Maître Jacques ! N’y touche surtout pas. Ceux-là savaient ! Savaient ? Mais savaient quoi ? (…) J’ai toujours cru quant à moi, qu’il y avait une relation entre ce site extraordinaire, cette basilique, ce monument mystérieux et les Compagnons. Les Jacques…. Ceux qui savaient ! »
Les Francs-Maçons et les Compagnons partagent aussi d’autres valeurs qui malheureusement se perdent de nos jours. Le refus du fanatisme, de l’intégrisme, de l’ignorance, ils s’efforcent d’êtres tolérants sans faiblesse, ils rendent sa gloire au travail.
Agricol Perdiguier dit Avignonnais La Vertu 1erCompagnon Menuisier du Devoir de Liberté, a écrit en 1861 dans Question Vitale sur le Compagnonnage et la classe ouvrière.
« (…) Que chacun soit libre dans sa foi, dans son opinion, dans son aspiration, dans son mode de gouvernement, dans ses coutumes, dans ses usages, dans telles ou telles formes qu’il lui plaît d’adopter et de suivre et ne peuvent nuire à autrui. Point de satire, de raillerie, d’agression… Chantons l’humanité, chantons la fraternité et ne cessons point de nous donner la main. »
Un regret toutefois, sous le prétexte d’affirmer leur identité certains Compagnons, comme certains Francs-Maçons affirment avec force leurs différences, en faisant des divergences, plus que des forces. À l’instar du Compagnon Jean-Bernard dit la Fidélité qui a écrit dans Compagnonnage en Juillet 1976.
« Un soi-disant cousinage ! »
« Il n’est pas jusqu’aux férus d’ésotérisme qui ne s’interrogent sur les vertus de l’un ou l’autre pour en extraire nous ne savons trop quelle panacée fondamentale.
(…) Ce caractère, cette pureté et cette vérité n’ont d’autres sources réelles que l’exercice du métier. C’est une source avec laquelle on ne transige pas. Il ne suffit pas pour s’y retremper de revêtir un tablier brodé, de manier des outils symboliques ou de parler un langage pseudo-professionnel. (…) Nous sommes donc d’une espèce tout à fait à part, qui l’a toujours été et le restera d’une façon irréductible… »
Il est plus simple, plus facile, plus réducteur de fracturer que de rassembler ce qui est épars. Pour preuve la Maçonnerie Forestière, la Maçonnerie du bois démontre que les Francs-Maçons et les Compagnons peuvent se retrouver, le père Soubise est bien présent chez les fendeurs.
Pour ma part j’ai eu le bonheur et je l’ai encore de compter parmi les frères de ma loge maçonnique des Compagnons, qui sans renier les enseignements qu’ils ont reçus dans le Compagnonnage sont d’excellents francs-maçons reconnus comme tels.
Je dédie ces quelques réflexions à Louis, André et Jean-Jacques, mes Compagnons de route, mes Frères.
Jean-François.