HUMEUR : DÉLIVRANCE
Notre langue française est riche, derrière ce mot de délivrance se cache : la libération, le soulagement mais aussi la livraison.
Le siècle des lumières a délivré l’homme plongé dans l’asservissement aux dogmes, célébrant ainsi la raison de Kant, alors que l’austère et pessimiste Schopenhauer pense plutôt l’homme comme :
« Un animal métaphysique capable de s’étonner devant sa propre existence et devant le spectacle du monde, comme un être aspirant à l’absolu. »
Les lumières étaient censées éclairer le monde et rendre l’homme libre. Bien sûr le mythe s’est traduit, notre monde a radicalement changé, grâce à l’expansion des sciences et des techniques, qui pourrait dire le contraire ? Mais au service de qui, et pour quoi ?
Oublié non pas les lumières, mais l’idéal des lumières pour une nouvelle évolution, révolution, celle du numérique. La question est le numérique est-il une délivrance ?
Présent dans notre vie quotidienne, les sociétés de services prétendent êtres les vecteurs de nos libertés, de notre liberté. Profondément installés dans nos canapés, face à nos écrans ou écrans en main, nous attendons le livreur de Déliveroo, instrument de cette magnifique star-up, qui après avoir hameçonné les travailleurs précaires, les chômeurs en début de droits ou en fin de droits les ont mis sans aucun droit sur leurs propres vélos, tous ces droits sont bien éloignés des Droits de l’homme des lumières, et en guise de lumière, ces jeunes hommes font du slalom entre les phares des voitures quand la nuit tombe, sur leurs vélos tout terrain, ils roulent sur les pavés glissants, les trottoirs, les passages pour piétons, ils franchissent les feux tricolores, arcs-en-ciel de leur délivrance, le temps presse !
La plate-forme gourmande de liberté, assure notre satisfaction, notre sécurité pas de risque vous serez livré à l’heure, c’est dans le contrat.
Mais la liberté, la sécurité ne sont pas des biens à partager, les livreurs ces temps-ci ont vu leurs rémunérations réduites de 30 à 50%, il leur faut aller plus loin, plus vite, travailler plus longtemps.
Ces esclaves du numérique, sont souvent nos enfants en recherche d’un complément de revenu pour survivre, en faisant leurs études.
Après avoir fait travailler les enfants d’Asie, puis d’Afrique loin de nos yeux, ce sont nos propres enfants que nous mettons sur de vélos, pour nous délivrer des tâches quotidiennes.
On n’arrête pas le progrès, après le pousse-pousse, la calèche, la locomotive à vapeur, la voiture électrique, on revient au vélo !
Les excès des lumières nous éblouissent, et pourtant nos loges résonnent encore comme un cri d’espérance, de délivrance,de la devise : Liberté, Égalité, Fraternité.
Jean-François.
Louis XVI donne ses instructions au Capitaine Jean-François de la Pérouse, Franc-Maçon initié à la Loge l'Heureuse Rencontre à Brest.
Liberté
Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)
Au rendez-vous allemand (1945, Les Editions de Minuit)