LA JUSTICE, ELEEMOSYNA.
Si la figure du sage Salomon est de toute évidence une référence pour les francs-maçons il s’agit bien entendu de symbolisme, car Salomon réputé pour sa pratique de la justice ne fût pas toujours un exemple de vertu.
Les francs-maçons aspirent à être des hommes justes en toutes circonstances et non pas des justiciers. Ils veulent êtres en paix avec eux-mêmes et faire régner la justice sur le monde, mais quelle justice ? Celle du glaive, de la lance qui terrasse le dragon, de la balance de l’équilibre, la justice aux yeux bandés ? Celle justice sanglante et barbare de la loi du talion, celle quasi mystique de l’autre joue tendue ? Quelle justice donc, la justice divine celle qui s’imposerait en fonction d’un déterminisme sur lequel nous n’aurions aucune prise, une justice du renoncement et de la facilité en quelque sorte « Dieu reconnaitras les siens. » Nous serions soumis à une justice divine sans possibilités d’actions ?
Les sœurs et les frères du Rite Écossais Rectifié d’inspiration chrétienne dans leur loge ont apposé deux cartouches sur lesquelles l’on peut : Justice et Clémence. Mais la majorité des sœurs et des frères préfèrent la symbolique attachée au glaive et à la truelle. Le glaive qui terrasse les vices et la truelle qui unit les pierres vivantes avec le ciment de la fraternité symbole de l’alliance entre les hommes.
La saine ambition de faire régner la justice anime les francs-maçons, pas cette justice ordinaire qui applique les lois ordinaires qui changent selon les pays, cette raillée avec ironie par Voltaire, mais plutôt cette éthique mise en avant, en action par Aristote dans son Éthique à Nicomaque, Aristote se démarque des théologues, il est à la recherche d’une action sur le réel, il veut penser par lui-même, penser pour la communauté universelle. Il fait si j’ose référence aux contraires de la raison et de l’être, il recherche l’alliance entre les deux, la force de sa raison, la conscience de son intuition du bien, une alliance des contraires, ou une unicité presque atteignable ? Une manière peut-être de se bâtir une éthique, un temple intérieur capable d’accueillir le bien en soi, mais aussi de le transmettre dans la sphère publique, on parle ainsi de comités d’éthique et non de comités de justice.
L’Éthique à Nicomaque est donc une éthique de la vertu, dont le but est l’accès à la joie, au bonheur pour l’homme.
La pratique de la justice en maçonnerie s’apparente donc plus à l’éthique, l’homme veut être plus humain, meilleur, plus moral.
« Cette morale n’est pas une science exacte comme les mathématiques, mais un enseignement qui vise à rendre les hommes meilleurs, et non seulement à leur donner des opinions droites sur les choses à rechercher ou à fuir, mais à les leur faire effectivement rechercher ou fuir. » Émile Brehier. À propos de l’Éthique à Nicomaque.
Cette justice éthique à hauteur d’homme vient en soi par le travail de l’exemplarité, et pénètre le monde, réalisant un savoir, une méthode pour vivre ensemble, ascèse et plaisir qui sont une forme d’harmonie donc de bonheur.
L’équité surpasse donc la justice ordinaire, celle qui tire vers le bas, si j’ose dire le service minimum, une sorte d’horizontalité du vulgaire, matériel nécessaire à la vie en collectivité, mais insuffisant pour une vie bonne. L’utopie d’un homme augmenté par lui-même, par sa conscience du collectif est nécessaire aux premiers de cordée.
L’actualité récente démontre que beaucoup de ceux qui veulent nous représenter, manquent d’exemplarité, ils se contentent de la justice ordinaire, a minima, ils marchent au mieux sur la bordure entre la justice et l’éthique. Ils brandissent comme autant de trophées de gloire leurs turpitudes, avec la formule : « je n’ai rien fait qui soit contraire à la justice. »S’exonérant ainsi d’être juste dans leurs actions.
Le principe créateur en nous laissant notre libre arbitre, nous permet de travailler à faire régner la justice, nous pouvons donc agir sur notre vie, nous efforcer d’être le plus juste possible c’est-à-dire d’être heureux et de rendre les autres heureux.
Cette justice « Tsedakah » à force de pratique glisse peu à peu vers « Eleemosyna » qui l’offrande vers les autres, la compassion, la charité, l’amour agapè, selon la belle démonstration faite par un frère Régis R dans un opuscule maçonnique, qui cite Albert Camus en introduction de son article :
« Est-ce que tu aimes la justice avec la tendresse ? Est-ce que tu aimes notre peuple avec cet abandon et cette douceur ou, au contraire, avec la flamme de la vengeance et de la révolte ? » Albert Camus – Les Justes.
Au-delà, de cette nécessaire justice, dans l’organisation sociale qui doit régner sans faiblesse pour que l’ordre règne. Il y a cette justice de la compassion et de l’amour, c’est peut-être l’autre nom de la fraternité humaine si chère aux francs-maçons.
Jean-François.