RÉFLEXION : DOGMES, DOCTRINE, MAÇONNERIE
J’ai toujours été mal à l’aise, avec l’affirmation suivante la Franc-Maçonnerie est adogmatique. Je parle ici d’une partie de la franc-maçonnerie, celle qualifiée de tradition. Jusque là, pas de problème, ou presque car cela suppose que certaines franc-maçonneries ne seraient pas dans la tradition, au singulier donc ne respectant pas le dogme d’une tradition, cette même franc-maçonnerie est qualifiée également de régulière, là cela se complique encore, quand on pense régularité, cela suppose qu’il y a une ou des franc-maçonneries irrégulières, est-ce énoncer un deuxième dogme, et plus loin encore une franc-maçonnerie, de tradition régulière et ayant obtenu la reconnaissance d’autres franc-maçonneries se soumettant, aux mêmes règles, aux mêmes dogmes, cela constitue un troisième dogme. Nous sommes donc, dans une doctrine maçonnique, puisqu’une doctrine est composée d’un ensemble de dogmes.
Je poursuis mon raisonnement, les dogmes sont des points, des éléments qui fondent une doctrine. Les grandes lumières sous les auspices desquelles travaillent les francs-maçons de tradition, sont-t-elles des dogmes ou des symboles ? Si l’on considère que les trois grandes lumières sont l’Équerre, le Compas et le Volume de la loi Sacrée, l’on peut dire que ce ne sont pas des dogmes, mais plutôt des symboles.
La caractéristique d’un dogme est qu’il représente et impose une pensée unique, une opinion. La compilation de dogmes si j’ose fonde une doctrine, cette doctrine dirige, oriente l’homme dans l’interprétation des faits et donc dans la direction de sa conduite. C’est donc une sorte de tyrannie, de vérité unique.
Si je reviens aux trois grandes lumières, l’Équerre est le symbole universel de la rectitude, donc représente une vertu éthique, le compas le symbole de l’ouverture d’esprit, le volume de la loi sacrée, n’est pas un livre unique, pour certains c’est le Coran, pour d’autres la Bible, la Torah (livre de Moïse), le Zabur (livre des Sabéens), Avesta (livre des Mazdéens), les Védas (livres des Hindous), Tao Tö King (livre de Lao Tseu) etc. Le volume de la loi sacrée, ne peut donc pas être considéré comme un dogme. Il convient cependant d’être attentif au terme précis, la Bible se différencie de la Holy Bible, de la Sainte Bible. Ainsi le même livre, n’a pas la même signification d’une religion à l’autre, il y a diverses Bibles, contenues dans le Volume de la loi Sacrée, où chacun peut trouver son bonheur. L’on pourrait faire presque la même démonstration avec le principe du Grand Architecte de l’Univers.
Qui est un symbole pour les francs-maçons et pas un dogme, certains considèrent que le Grand Architecte de l’Univers est Dieu, c’est leur choix, d’autres qu’il est un principe où ils voient ce qu’il souhaite c’est leur libre choix et volonté. Cette interprétation du concept de Grand Architecte de l’Univers est à l’origine en France de la séparation en deux grands courants de la franc-maçonnerie, celle qualifiée de moderne, humaniste, libérale, sociale etc.. Et l’autre de traditionnelle, régulière, maçonnerie des anciens. La franc-maçonnerie moderne ne travaillant plus sous l’égide du Grand Architecte de l’Univers, prônant la totale liberté de conscience pour ses membres.
L’autre courant affirmant travailler sous l’égide du Grand Architecte de l’Univers. Les Suprêmes Conseils du Rite Maçonnique Ancien et Accepté du monde entier réunis dans un convent qualifié d’Universel à Lausanne en 1875, ont souhaité affirmer et préciser après avoir délibéré, dans l’article une de leurs déclarations de principes :
« 1- La franc-maçonnerie est une institution de fraternité universelle dont l’origine remonte au berceau de la société humaine ; elle a pour doctrine la reconnaissance d’une force supérieure dont elle proclame l’existence sous le nom de Grand Architecte de l’Univers. »
Il est difficile, de ne pas voir, dans le paragraphe un de ce préambule, à la fois une forme de dogme donc un élément d’une doctrine, comme précisé même dans le texte. Ce serait s’arrêter aux apparences à mon sens.
L’affirmation du principe, est claire, comme l’est le contenu de la doctrine, c’est-à-dire la possibilité d’interprétation, on est donc plus dans le symbole que dans le dogme.
Le principe même du symbolisme est d’introduire des variations de sens et des valeurs et des intensités différentes de ses divers sens. Cette doctrine contient donc en elle une liberté d’interprétation. Liberté sans laquelle, la franc-maçonnerie serait comparable à une religion ou un parti politique ce qu’elle n’est pas. Nous ne sommes pas par exemple dans le Credo des Églises chrétiennes « je crois en un seul Dieu » credo in unum Deum.
L’on donne le nom que l’on souhaite au Grand Architecte de l’Univers.
Certaines obédiences vont plus loin dans leur « Doctrine » en précisant « le Dogme » en écrivant dans leurs constitutions : Le Grand Architecte de l’Univers qui est Dieu.
Le sujet vous le voyez est complexe, les symboles universels dans lesquels se reconnaissent les initiés francs-maçons, ne constituent pas l’acceptation libre, entre eux d’une doctrine universelle. Ne se reconnaissent-ils pas dans une tradition primordiale au sens Guénonien du terme ?
La foi maçonnique, n’est pas la foi religieuse. Elle est la foi dans des valeurs universelles, réalisables par l’exemplarité et la pratique des vertus à hauteur d’homme.
S’il n’y a pas une doctrine ou des dogmes au sens strict, premier. Il y a une recherche commune, un chemin commun, une mémoire commune.
Jung parlait de la rencontre d’un inconscient collectif, d’une mémoire collective, avec un inconscient personnel débouchant sur une conscience personnelle et collective. C’est aussi la spécificité de l’initiation maçonnique à la fois individuelle et collective. Dans notre mémoire collective, il y a des traditions partagées, qui font ce que nous sommes, est-ce des dogmes, des symboles ?
Plus un symbole est archaïque, plus il est pur, plus il est universel. D’où l’étude nécessaire des symboles, ceux qui affirment s’en dispenser sous prétexte que l’on peut faire dire tout et n’importe quoi à un symbole, ils sont dans le syncrétisme, il ne faut bien sûr pas confondre avec l’interprétation personnelle, qui vient après l’étude.
Alors s’il y a une doctrine maçonnique, ses dogmes sont la recherche du bien, du beau, du vrai, de la lumière intérieure qui a pris sa source dans les temps les plus anciens.
Les « dogmes », ne doivent pas être des idoles humaines, mais des vertus universelles, dont nous ne sommes que les passeurs, les transmetteurs, il faut que nous fassions en sorte que le génie parle en nous, ou en avoir au moins conscience.
« J’ai toujours cru a écrit George Russel. Dans ‘Le Flambeau de la Vision’ Que ce qui est immortel en nous, garde la mémoire de cette sagesse totale.
Ou encore le poète John Keats : « Il y a dans l’homme une sagesse ancestrale, et qu’il nous est possible, si nous le désirons, de rassasier notre soif de ce vin céleste. Cette mémoire de l’esprit est la base réelle de l’imagination, et quand elle nous parle, nous nous sentons vraiment inspirés, parce qu’une créature plus puissante que nous parle à travers nous. »
Ce qui corrobore les paroles de l’Ecclésiaste. « Rien de nouveau sous le soleil. » L’important c’est bien l’idée que l’on doit transmettre et non le sujet qui la transmet.
Je pense qu’il ne faut pas avoir peur de parler de doctrine maçonnique, à condition de savoir ce que l’on entend par doctrine et ce que l’on met dedans, il y a le camion et le fret.
Une doctrine est de se faire par soi-même une opinion, ne rien rejeter, mais être soi-même capable de décider. Bouddha parle aussi de doctrine :
« Ne crois rien de ce que les docteurs et le prêtres affirment. Mais ce que tu as vérifié personnellement et expérimenté, et donc reconnu pour vrai, gardes-le et fais-en ta doctrine. »
La doctrine maçonnique, c’est peut-être de rassembler toutes les valeurs de toutes les traditions, pour les fondre en une seule, construire une cité utopique, un Saint-Empire, où l’esprit domine la matière, où le sacré occupe tout le champ du réel, du quotidien.
Une doctrine pour passer de l’horizontale à la verticale, pénétrer les hautes sphères de la spiritualité. Une doctrine pour réaliser une forme d’unité en soi, pour soi, mais surtout pour les autres, arriver aussi à une symbiose avec la nature. Le symbolisme est une voie de cette réalisation, exprimée par le poète Rainier Maria Rilke.
« Si ta vie quotidienne te semble pauvre, ne l’accuse pas,
accuse toi plutôt ; dis-toi que tu n’es pas assez poète
pour en convoquer les richesses. »
« Si tu veux réussir à ce que vive un arbre
Projette autour de lui cet espace intérieur qui réside en toi..
Ce n’est qu’en prenant forme dans ton renoncement qu’il devient réellement un arbre. »
« Ô moi qui aspire à croître je regarde au-dehors et voilà
Que croit en moi l’arbre intérieur. »
« Vue des anges, les cimes des arbres peut-être
Sont des racines buvant les cieux ;
Et dans le sol, les profondes racines d’un hêtre
Leur semblent des faîtes silencieux. »
Jean-François Guerry.