Jean-François Guerry.
Musset : Allégorie du Pélican
LA MUSE
Quel que soit le souci que ta jeunesse endure,
Laisse-la s'élargir, cette sainte blessure
Que les séraphins noirs t'ont faite au fond du cœur;
Rien ne nous rend si grands qu'une grande douleur.
Mais, pour en être atteint, ne crois pas, ô poète,
Que ta voix ici-bas doive rester muette.
Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Lorsque le pélican, lassé d'un long voyage,
Dans les brouillards du soir retourne à ses roseaux,
Ses petits affamés courent sur le rivage
En le voyant au loin s'abattre sur les eaux.
Déjà, croyant saisir et partager leur proie,
Ils courent à leur père avec des cris de joie
En secouant leurs becs sur leurs goitres hideux.
Lui, gagnant à pas lent une roche élevée,
De son aile pendante abritant sa couvée,
Pêcheur mélancolique, il regarde les cieux.
Le sang coule à longs flots de sa poitrine ouverte;
En vain il a des mers fouillé la profondeur;
L'océan était vide et la plage déserte;
Pour toute nourriture il apporte son cœur.
Sombre et silencieux, étendu sur la pierre,
Partageant à ses fils ses entrailles de père,
Dans son amour sublime il berce sa douleur;
Et, regardant couler sa sanglante mamelle,
Sur son festin de mort il s'affaisse et chancelle,
Ivre de volupté, de tendresse et d'horreur.
Mais parfois, au milieu du divin sacrifice,
Fatigué de mourir dans un trop long supplice,
Il craint que ses enfants ne le laissent vivant;
Alors il se soulève, ouvre son aile au vent,
Et, se frappant le cœur avec un cri sauvage,
Il pousse dans la nuit un si funèbre adieu,
Que les oiseaux des mers désertent le rivage,
Et que le voyageur attardé sur la plage,
Sentant passer la mort se recommande à Dieu.
Poète, c'est ainsi que font les grands poètes.
Ils laissent s'égayer ceux qui vivent un temps;
Mais les festins humains qu'ils servent à leurs fêtes
Ressemblent la plupart à ceux des pélicans.
Quand ils parlent ainsi d'espérances trompées,
De tristesse et d'oubli, d'amour et de malheur,
Ce n'est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l'air un cercle éblouissant;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.
À PLOUGASTEL
Ma grand-mère dans l’enfance, me disait ne prend pas la grand route, prend le chemin creux, le chemin de la garenne, ce sera plus sûr et je partais aux beaux jours, à pied ou à bicyclette vers la ferme des cousins, à Tréastel comme à l’aventure, entre les murailles du chemin creux à la quête des mottes de beurre blond, qui suintaient de sel, ornées des fleurs de genêt.
Au quatre heure on étalait le beurre sur les tranches des miches de deux et comble de bonheur à la fin de l’été, aux dernières fraises, celles de la confiture, elles s’étalaient sur le beurre frais, rougissant nos lèvres, j’étais heureux, j’étais à Plougastel.
Bientôt il faudrait retourner là-bas dans le bruit et la poussière de la ville près du vacarme du périphérique, crachant un flot continu de boîtes métalliques, à la porte d’Orléans enfermé.
Il faudrait attendre encore pâques ou l’été pour reprendre le chemin, vers la Fontaine Blanche, vers Pors Guen, pour voir les cousins en liberté sur le Port du Tinduff, godiller dans les plates vers de nouvelles aventures.
Le dimanche avec ma cousine, qui venait des Comores, nous allions à l’église Saint-Pierre près du calvaire, à la messe du côté des femmes, ma cousine chantait à tue tête ‘aux ananas’, déclenchant les fous rires, c’était son hymne à la joie d’être.
Après la messe nous avions droit à un gâteau de pâtisserie, avec le bol de chocolat derrière l’église, j’ai oublié le nom du café, mais je revois toutes femmes en coiffe, j’entends encore les cris de joie, qui montent en moi quand je pense à Plougastel.
Jean-François Guerry.