Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Amour de la racine Grec Agapé et du verbe Agapan)
Dans le Lévitique (19, 18) – Il est dit Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas rancune aux fils de ton peuple, mais tu aimeras ton prochain comme toi-même. L’idée que le judaïsme aurait ignoré la Loi de l’Amour, au profit de la seule Loi de crainte est fausse. Il n’en demeure pas moins que le vocabulaire Chrétien s’enrichit d’un terme nouveau pour désigner l’amour le plus authentique : Agapè, tiré du verbe grec agapan, qui signifie simplement chérir et que l’on traduit habituellement par charité.
C’est le terme que le Christ utilise selon l’Evangile de Jean lorsqu’il déclare : A ceci, tous vous reconnaitront pour mes disciples : à cet amour que vous aurez les uns pour les autres (13, 35). C’est encore lui qui s’avère plus fort que la mort et qui préside à la résurrection de Lazare : il sous entend la croyance que Jésus exige de ses fidèles lorsqu’il leur fait cette promesse : Moi je suis la résurrection et la vie : celui qui croit en moi, fût-il mort vivra et quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais (Jean 11,25)
Le stoïcisme, est proche du Bouddhisme. Il tenait la peur de la mort comme la pire entrave à la vie heureuse. Or cette angoisse à l’évidence, n’est pas sans lien avec l’amour. Il existe une contradiction apparemment insurmontable entre l’amour, qui porte de manière presque inéluctable à l’attachement, et la mort qui est la séparation. Si la Loi de ce monde est celle de la finitude et du changement, c’est pêcher par manque de sagesse que de s’attacher aux choses et aux êtres. Non pour sombrer dans l’indifférence, ce que le sage stoïcien et le moine bouddhiste ne saurait recommander. : la compassion, la bienveillance et la sollicitude à l’égard des autres, voire envers toutes les formes de vie, doivent demeurer la règle éthique la plus élevée de nos comportements. Mais la passion n’est pas de mise chez le sage et les liens familiaux eux-mêmes lorsqu’ils deviennent trop attachants doivent être, si besoin, distendus.
C’est en ce sens que Epictète fait à son disciple cette recommandation qui peu sembler étrange aux yeux d’un moderne, mais qui n’en résume pas moins toute la richesse du monde : << Désirer ton fils ou ton ami en un temps où ils ne t’ont pas été donnés, c’est sache-le désirer des figues en hiver. Comme l’hiver est à la figue, l’ensemble des circonstances provenant de l’Univers l’est aux êtres qu’elles nous enlèvent. Au reste, même quand tu jouis de leur présence, met-toi devant l’esprit des représentations contraires. Quel mal y a-t-il à murmurer entre ses dents, tout en embrassant son enfant : Demain, il mourra, où de dire à ton ami : demain nous quitterons le pays et nous ne nous reverront plus."
S’il faut s’exercer à penser sans cesse à la mort, à la séparation, à l’impermanence de toutes les choses, ce n’est pas par goût du morbide mais au contraire par le souci du bonheur : si la séparation est la Loi de ce monde, il faut l’anticiper et s’y préparer pour que le jour venu nous ne soyons pas pris au dépourvu et comme tel, plongés dans le malheur. La vraie liberté et la joie la plus authentique en dépendent.
C’est aussi pourquoi, comme le sage grec, le moine bouddhiste à tout intérêt à vivre, autant qu’il est possible dans une certaine solitude. Vous vous efforcerez en vertu de votre pratique spirituelle , de vous détacher des objets de l’attachement, idéal auquel à vrai dire est bien difficile de parvenir dans la vie sociale et familial ordinaire. Parmi les humains, la vie professionnelle est bourrée de turbulences et de problèmes, et les laïcs sont impliqués dans toutes sortes d’activités qui ne favorise guère l’exercice du dharma (l’enseignement du bouddha). La vie monastique est beaucoup plus favorable, dit-on à la pratique en vue d’en finir avec ce cycle, car elle nous expose moins que tout autre aux tentations de l’attachement. Or, c’est bien de ces tentations qu’il faut nous affranchir si nous voulons parvenir à surmonter la crainte de la mort car la condition idéale pour mourir est d’avoir tout abandonné, intérieurement et extérieurement, afin qu’il y ait, à ce moment essentiel, le moins possible d’envie, de désir et d’attachement auquel l’esprit puisse se raccrocher. C’est pourquoi avant de mourir, nous devrions nous libérer de tous nos biens, amis et famille, opération qui ne peut se faire au dernier moment mais exige toute une vie de sagesse préalable.
L’amour chrétien n’est pas si éloigné de la sagesse hellénique ou orientale. A bien des égards, en effet, il semble lui aussi exclure, toute idée d’attachement aux créatures de ce monde. Comme le souligne le philosophe André Comte Sponville, « la charité Agapè culmine dans l’amour du prochain » Or, précisément on n’est pas attaché au prochain ! Le prochain par définition c’est n’importe qui …
Si bien que la charité ?, c’est exactement selon l’expression de Pascal, un amour sans attache. Ce qui la caractérise et qui est la marque propre des évangiles, ce n’est pas l’amour que nous avons pour nos enfants ou nos amis, à qui nous sommes attachés, mais celui que nous devrions avoir pour nos ennemis mêmes ! L’amour sans attache, n’est pas seulement une notion bouddhiste ; c’est aussi une vertu chrétienne qui à nom charité, c'est-à-dire aimer sans vouloir posséder. André Comte Sponville, a raison. Pascal qui confirme par avance son propos dans un fragment que Voltaire jugeait, à tort, dans un point de vue chrétien, déraisonnable : S’il y a un Dieu, il ne faut aimer que lui et non les créatures passagères. C’est la conclusion des sages : il y a un Dieu, ne jouissons donc pas des créatures.
Tout ce qui nous incite à nous attacher aux créatures est mauvais puisque cela nous empêche, ou de servir Dieu si nous le connaissons ou de le chercher si nous l’ignorons. Nous sommes pleins de concupiscence, donc nous sommes pleins de mal, donc nous devons nous haïr, nous-mêmes, et tout ce qui nous excite à autre attache qu’un Dieu seul « si ce n’est nos proches et non le prochain, mais ceux que nous aimons « de façon singulière et personnelle, comme des êtres à part des autres .>> Le Christ ne dit d’ailleurs pas autre chose, et de manière plus radicale. « Ne croyez pas que je suis venu apporter la paix sur cette terre, mais le glaive. Car je suis venu séparer et dresser l’homme contre son père, et la fille contre sa mère, et la bru contre sa belle mère ; et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison. Qui aime père et mère plus que moi, n’est pas digne de moi. La phrase paraît contredire le premier commandement tant les termes qu’elle emploie pourraient sembler convenir davantage au démon qu’au saint : séparation, inimitié, haine. Il n’en est rien, et la signification est assez claire : l’amour humain, simplement humain est exclusif de Dieu et comme tel haïssable. Elle parait confirmer de manière éclatante que l’amour chrétien authentique n’est ni un amour d’attachement, encore moins une passion et n’est pas si éloigné des recommandations stoïciennes ou bouddhistes.
Du reste comme la parole du Christ et la pensée de Pascal, toute l’œuvre de saint Augustin viendrait encore s’il en était besoin, le confirmer comme en témoigne, ce passage du « De verra religione » : nul ne peut aimer parfaitement l’état auquel nous sommes appelés sans haïr celui d’où nous sommes rappelés. Voilà pourquoi l’homme ne doit pas aimer son semblable comme on aime ses frères selon la chair, son fils, sa femme ou ses parents alliés ou concitoyens. Cet amour là est temporel …Et il n’y a rien qui doive paraître inhumain : car il est bien plus inhumain d’aimer un homme, non en tant qu’homme, mais en tant que fils, car c’est aimer en lui non ce qui le rattache à Dieu mais ce qui le rattache à vous.
Bref, l’amour du prochain n’est pas non seulement l’amour des proches, mais à vrai dire tout son contraire, et la conclusion du raisonnement d’Augustin ne laisse aucun doute sur ce point. : puisque « nul ne peut servir deux maîtres » (Mathieu VI, 24) Haïssons donc les liens temporels, si l’amour de l’éternité nous presse. Ce qu’il faut aimer c’est la nature humaine parfaite ou tendant à le devenir, indépendamment de sa condition charnelle. Si nous prenons la peine d’aller un peu plus loin et sans nous arrêter à la surface des choses de réfléchir davantage à la condamnation exacte chrétienne de l’amour d’attachement, elle nous apparaîtra sous un jour très différend de celui qui l’éclaire dans le stoïcisme et le bouddhisme.
Là Pascal peut encore nous mettre sur la voie. Dans les pensées (471), il expose de façon lumineuse les raisons pour lesquelles il est indigne de laisser quelqu’un s’attacher à soi (et par conséquent absurde de se laisser aller soi-même à un amour d’attachement pour un autre). Il est injuste écrit Pascal, que l’on s’attache à moi, quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en fais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai pas de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir ? Et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc, je serais coupable de faire croire à une fausseté, quoique je la persuadasse doucement et qu’on la crût avec plaisir, et qu’en cela on me fit plaisir, de même, je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne doivent pas croire. Quelque avantage qui m’en revint ; et, de même, qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’il passe leur vie et leurs soins à plaire à Dieu, ou à la chercher. L’argumentation de Pascal rencontre celle des sagesses anciennes. C’est bien parce que l’objet de l’attachement est mortel et que toute complaisance envers lui est indigne. Comme l’affirme l’épitre aux Galates (VI ,8) « Qui sème dans la chair, de la chair moissonnera la corruption ; qui sème dans l’esprit, de l’esprit moissonnera la vie éternelle. « , ou comme le dit St Augustin qui s’attache par amour à des créatures mortelles : « vous cherchez une vie heureuse dans la région de la mort ; vous ne l’y trouverez point . Car comment trouverait-on la vie heureuse là ou il n’y a même pas la vie « mais la réciproque se profile comme en creux dans le raisonnement lui-même, «si l’objet de mon attachement n’était pas fautif en quoi serait il fautif ou déraisonnable ? Si mon amour portait sur l’éternité en l’autre pourquoi devrait il ne pas m’attacher ? C’est là que St Augustin, avant Pascal, mais déjà dans le même sens, concède volontiers « Gardons-nous donc de servir la créature de préférence au Créateur et de nous perdre en nos imaginations.
Voilà la religion parfaite. En nous rattachant à l’éternel Créateur, nous recevrons nécessairement, nous aussi l’éternité. Autrement dit, dès que l’amour se porte vers Dieu, l’attachement qu’il implique redevient légitime, mais tout autant s’il se porte sur les créatures en tant qu’elles sont divines – et les misères de l’homme ont aussi pour effet sa grandeur ne redevient t-il pas licite et même souhaitable ? C’est ici tout le thème de l’amour en Dieu qui se profile et, contrairement à la compassion universelle des stoïciens et des bouddhistes, il n’exclut nullement la singularité de chaque individu. Pascal à raison, il est indigne de laisser d’autres êtres s’attacher à nous de manière exclusive et possessive ou de nous attacher nous-mêmes à eux sur ce mode. C’est là d’ailleurs à un moment ou à un autre, la crainte légitime des parents de tous les parents qui, souvent craignent davantage leur propre mort pour les autres que pour eux-mêmes. Ils sont de manière plus ou moins consciente, que l’attachement qui celui de leurs enfants constitue un risque majeur pour eux ; que leur arriveraient t’ils si nous disparaissions ? Cette éventualité n’et elle pas un jour ou l’autre réalité, puisque nous sommes tous mortels ? Mais une troisième forme d’amour vient réconcilier les deux premières et dépasser ainsi les sagesses anciennes dans leur refus des attachements singuliers ; l’amour « en Dieu », qui inclut les créatures en tant qu’elles peuvent par le salut, succéder ainsi à l’immortalité.
Pour revenir à l’esprit maçonnique fraternel et libre qui existe depuis les lumières. Le Franc- Maçon travaille à son élévation spirituelle en taillant des pierres aux atomes lumineux, sur son chantier des symboles. Les pierres offrent par leurs diversités, en quelque sorte, une élévation universelle de la vérité pure sur le passé, présent et futur de toute la condition humaine, la vie de notre planète y compris avec la nature puis, les sciences, les arts et les mystères insondables de notre univers, représentés par notre symbole le pentagramme, désigné par l’étoile à cinq branches des compagnons. Notre amour du prochain, est concentré, non pas sur l’agapè, que désigne Pascal par « Charité – c'est-à-dire, amour sans attache »,mais sur la dignité, l’humanité et le respect de l’homme. Nous nous sommes battus contre l’esclavage et crimes contre l’humanité depuis toujours et, il en sera ainsi éternellement, s’il le faut dans le futur. Nos sangs, à l’intérieur de toutes les couleurs de peaux et par notre temps de présence sous les colonnes, se sont mélangés dans un esprit du bien. Nous croyons comme Spinoza, Kant et autres philosophes en une, déité, que chaque frère interprète en vertu de ses propres réflexions expérimentées par le temps, sur le chantier de ses compétences et efforts. Nous sommes une famille librement consentie. Nous nous devons fidélité, assistance et défendons nos frères par le serment biblique de la grande lumière, que vous connaissez.
Juin 6020 - J’ai dit - C. Galinier
Mes sources - Les philosophes – Caratini – Luc Ferry - lucien Jerphagnon