Michel Foucault – Reflets des Lumières..
Foucault interroge les Lumières, dans ses « Dits et écrits » qui sont souvent des commentaires des textes de Emmanuel Kant. Les conclusions qu’il en retire par rapport au retour de l’esprit des Lumières dans le XXème siècle, et du rôle du philosophe dans la cité, sont prémonitoires de notre actualité présente.
Il constate : « L’importance prise par la rationalité scientifique et technique dans le développement des forces productives et le jeu politique. »
Les préoccupations de Foucault comme nous le constatons sont d’une criante actualité. Elles peuvent être dérangeantes pour nos esprits qui idéalisent les Lumières. Il se pose des questions sur le « progrès » et notre capacité à penser par nous-mêmes, sur les limites de la raison et par voie de conséquence, il se dessine alors un besoin de spiritualité. Après tout on ne peut pas vivre que de frigidaires comme le disait Saint-Exupéry, pas plus que d’objets connectés !
L’excès des Lumières, de lumière agit comme une sorte d’éblouissement de notre regard vis à vis des choses matérielles, jusqu’à parfois l’insupportable. Il écrit :
« Il y a belle lurette que la philosophie a renoncé à tenter de compenser l’impuissance de la raison scientifique, qu’elle ne tente plus d’achever son édifice. (les hommes du XIXème siècle) (…) Ils commencèrent à s’inquiéter de la relation qu’ils devinaient confusément entre la société encline à la rationalisation et certaines menaces sur l’individu et ses libertés, l’espèce et sa survie. Autrement dit, depuis Kant, le rôle de la philosophie a été d’empêcher la raison de dépasser les limites de ce qui est donné dans l’expérience ; mais dès cette époque -c’est-à-dire, avec le développement des États modernes et l’organisation politique de la société-, le rôle de la philosophie a aussi été de surveiller les abus de pouvoir de la rationalité politique- ce qui donne une espérance de vie assez prometteuse. »
Le rôle du sage, du philosophe est donc de veiller, pour éviter les excès, les errances, les déviances des Lumières. De préserver l’esprit des Lumières qui doit mener à la liberté individuelle. Il doit donc être le gardien du temple des lumières. Il doit être un incitateur à la préservation de cet esprit des Lumières, et ne pas laisser aux marchands une toute puissance justifiée par la raison, les Lumières deviendraient alors artificielles.
L’esprit des Lumières ne peut pas, ne doit pas être une dictature de la raison. Cette dictature a été dénoncée par le sociologue et économiste allemand Weber, qui voit dans les Lumières un désenchantement du monde, qui culmine dans la bureaucratie contemporaine. L’on constate que les idées nouvelles, les réformes s’enlisent dans la dictature de la bureaucratie, dirigée par les marquis des hautes administrations.
Il nous faut sans doute revenir au fondamental des Lumières tel que défini par Kant avoir le courage de penser par soi-même, sortir de notre minorité où par paresse nous nous mettons nous-mêmes, cela passe par l’action au présent, aujourd’hui.
Les Lumières sont donc bien un processus, que j’ose mettre en rapport avec l’initiation maçonnique qui ambitionne de nous sortir de notre état de minorité, que Olivier Dekens décrit ainsi l’état de minorité de Kant :
« Il entend un certain état de notre volonté qui nous fait accepter l’autorité de quelqu’un d’autre pour nous conduire dans des domaines où il convient de faire usage de la raison. Kant donne trois exemples : nous sommes en état de minorité lorsqu’un livre nous tient lieu d’entendement, lorsqu’un directeur spirituel nous tient lieu de conscience, lorsqu’un médecin décide à notre place de notre régime (notons en passant qu’on reconnaît facilement le registre des trois critiques, bien que le texte ne dise pas explicitement). En tout cas l’Aufklärung est définie par la modification du rapport préexistant entre la volonté, l’autorité et l’usage de la raison. »
Cela implique un travail personnel, un courage personnel, en clair un désir d’être.
Kant fait aussi une distinction entre l’usage privé et l’usage public de la raison. Sans en faire une longue démonstration, je vous propose ce qu’écrit encore Olivier Dekens à ce sujet :
« Mais comment assurer un usage public de cette raison ? L’Aufklärung, on le voit, ne doit pas être conçue simplement comme un processus général affectant toute l’humanité ; elle ne doit pas être conçue comme une obligation prescrite aux individus : elle apparaît maintenant comme un problème politique.
La question en tous cas, se pose de savoir comment l’usage de la raison peut prendre la forme publique qui lui est nécessaire, comment l’audace de savoir peut s’exercer en plein jour, tandis que les individus obéiront aussi exactement que possible. Et Kant, pour terminer, propose à Frédéric II, en termes à peine voilés, une sorte de contrat. Ce qu’on pourrait appeler le contrat du despotisme rationnel avec la libre raison : l’usage public et libre de la raison autonome sera la meilleure garantie de l’obéissance, à la condition toutefois que le principe politique auquel il faut obéir soi lui-même conforme à la raison universelle. »
Frédéric II Roi de Prusse n’était pas un révolutionnaire, mais faisait preuve d’une large ouverture du compas de l’esprit, protecteur des Francs-Maçons, il fût qualifié du titre de despote éclairé, tolérant. Néanmoins, il censura Kant à cause de sa philosophie sur la religion. La proximité de Frédéric II avec Voltaire, son implication dans les Grandes Constitutions du Rite Écossais Ancien et Accepté de 1786 le plus pratiqué par les Francs-Maçons du monde entier atteste de son engagement maçonnique. Il a été initié dans l’ordre en 1738 alors qu’il avait 26 ans dans une auberge de Brunswick.
Les Lumières selon Kant sont donc un moment où l’humanité va faire usage de sa propre raison, sans se soumettre à aucune autorité.
Il y aurait donc un paradoxe, la critique de la raison devient nécessaire, c’est « La Critique de la Raison pure » publiée par Kant en 1781 et remaniée en 1787. Une réconciliation avec la métaphysique, la transcendance, Kant ne nie pas la foi mais la cantonne à l’intime, au tribunal intérieur. La critique doit définir les conditions dans lesquelles l’usage de la raison est légitime pour déterminer ce que l’on peut connaître, ce qu’il faut faire, ce qu’il est légitime d’espérer. Il faut se garder d’un usage illégitime de la raison qui fait naître l’illusion, le dogmatisme et l’hétéronomie c’est-à-dire hors de soi-même les règles et les pratiques de son action.
D’où la nécessité constante de la règle intangible du penser par soi-même. On ne construit pas un homme neuf sans la force de la force de la volonté, la sagesse de l’humilité, le respect de la beauté du monde, c’est le prix de la liberté intérieure.
La critique constructive de son soi, est une voie de perfectionnement sans fin de son être intérieur, pour espérer atteindre la joie du cœur.
Jean-François Guerry.