SPINOZA : TRISTESSE ET JOIE
Dans son troisième livre de l’Éthique Spinoza traite des affections et des sentiments. Son axiome, son évidence de départ est que nous sommes condamnés à éprouver des passions que nous ne maîtrisons pas. Notre âme est incapable de contrôler notre corps. Elle est certes unie à lui, elle se situe sur l’attribut de la pensée, le corps existe lui au travers de l’attribut ‘étendue’. (Pour Spinoza les attributs sont les caractères propres à la substance divine, c’est-à-dire que Dieu se manifeste à nous ou sur le plan de la pensée ou sur le plan de l’étendue. Mais Spinoza refuse que ces deux attributs soient les seuls : à la différence de Descartes, il suppose que la substance divine possède en réalité une infinité d’attributs. Si nous n’en connaissons que deux, c’est uniquement parce que nous sommes limités. Dieu en revanche, étant par définition infini, doit posséder une infinité d’attributs, même si nous sommes incapables de les saisir. – explication tirée du Lexique de l’Éthique de Spinoza par Vincent Delègue.)
Il y a bien un rapport entre l’âme et corps, mais pas domination de l’âme sur le corps comme le pense Descartes.
Comment dès lors sortir de ses affections de ses passions, qui risquent de nous détourner de la connaissance, de l’Éthique, de notre existence, de notre vie bonne, comment en clair être heureux ?
C’est aussi la question que se pose le profane assailli par les affections de la vie, quand il frappe à la porte du temple maçonnique en quête d’une vie plus heureuse, quand il postule pour recevoir la lumière de l’initiation maçonnique. Quand il cherche la connaissance, quand il veut connaître les mystères de la vie véritable au midi de sa vie, au milieu de sa vie.
Le profane est dans une forme de tristesse et aspire à la joie. C’est précisément les deux premiers sentiments opposés selon Spinoza.
Spinoza constate que lorsque nous éprouvons de la joie, nous sentons que notre puissance augmente et que nous sommes confortés dans notre être. C’est cette joie au cœur, qui clôture les travaux maçonniques et que nous devons transmettre en dehors de la loge. Il nous faut travailler à la préservation de notre être, Spinoza dit avoir de ‘l’appétit’.
Je dirais le désir de nous-mêmes, en rapport avec l’oracle du temple de Delphes : « Connais toi, toi-même… » Ou, ce que prônait l’empereur philosophe Marc Aurèle le soin de son soi. La connaissance de soi est indispensable au bon usage des passions. Savoir qui nous sommes, avoir pris conscience de notre essence. C’est la proposition de la réflexion de la méditation du cabinet réflexion maçonnique, cette descente à l’intérieur de soi-même, ce V I T R I O L alchimique.
Nous pourrons ensuite savoir ce qui est bon pour nous, pour notre être. Conscients que nous sommes soumis aux influences du monde extérieur et des autres, que les autres peuvent nous aimer ou nous haïr. C’est alors qu’intervient le « Conatus » de Spinoza.
Le Conatus :
Traduit du latin c’est l’effort. Faire un effort implique une volonté, un désir de faire, une persévérance, une action. Plus encore une force morale, un travail, c’est ce travail que glorifie le franc-maçon dans le symbolisme de la construction, il construit et se construit lui-même. S’efforcer, c’est commencer, commencer c’est s’initier. En frappant avec force à la porte du temple, le postulant passera entre les colonnes. Il établira pour faire, pour agir, pour être. Tout effort pour préserver notre être, provoque chez nous de la joie.
Le Conatus de Spinoza est bien la volonté de se préserver de ce qui peut nous dégrader. De prendre ce qui nous est utile dans l’affirmation de notre être : Je suis ce que je suis.
Il nous faut nous préserver des inévitables conflits avec autrui, cela nous impose de choisir les passions qui sont utiles, un peut à la manière d’Épicure cultiver son jardin intérieur en particulier les roses de l’amour. Choisir ce que est bon et bien, ce n’est pas faire acte de moralisateur. Ces passions bonnes amènent de la joie, et la joie ultime est bien celle de la connaissance. Cette connaissance de nous-mêmes Qui suis-je ? Comment maîtrisez mon être, comment vivre bien. Le franc-maçon s’assigne le combat contre les viles passions, peut-il le faire ? Il peut pour le moins humblement se mettre en chemin.
Le Conatus, c’est faire l’effort pour maîtriser son être, en prenant connaissance de celui-ci, mais aussi de son essence. Nous nous élevons alors, jusqu’à l’éternité. Après l’effort de l’élan vers le sacré et le divin, vient l’essor. L’on ressent intimement la présence du Grand Architecte à travers nous, le génie parle.
Il s’installe une forme d’harmonie, une félicité universelle qui vient se substituer aux passions, aux joies éphémères.
Pour atteindre cet état au lieu des joies éphémères, il nous faut préférer la Connaissance à cette vie passionnelle. C’est le message de Spinoza avec son Conatus.
Le bonheur passager, est un faux bonheur il est identique à la tristesse, le bonheur de la Connaissance est stable. Quand la connaissance établie dans sa demeure dans l’esprit, rien ne peut l’altérer.
Le Conatus est un levier du désir de la joie du bien, en opposition au plaisir fugace des passions. C’est la volonté de conserver notre être dans sa pureté, de garder son cœur pur malgré les agressions extérieures, garder l’éternelle jeunesse du cœur, la joie du cœur.
Jean-François Guerry.