SPINOZA UN CARTÉSIEN ?
Il serait tentant de répondre à la question de manière radicale par oui ou par non, mais ce n’est pas simple. Un lecteur du blog voit en Spinoza un héritier de la pensée de René Descartes. Pour d’autres il y a des oppositions majeures entre les deux philosophes.
Il est incontestable que Spinoza s’est nourrit de la pensée de Descartes. À ce propos Pierre Macherey (Pierre Macherey est philosophe Professeur émérite à l’Université de Lille Nord de France spécialiste de Spinoza et de la pensée littéraire) écrit :
« (…) le fait que Spinoza, non seulement a été pour commencer, dans la période de sa formation un lecteur particulièrement attentif et exigeant de Descartes, mais a tiré de cette lecture de nombreux arguments à partir desquels il a forgé sa propre façon de voir, qu’en tout état de cause, il n’a pas inventé en la tirant du néant par une sorte de miraculeuse création ex nihilo. »
Est-il pour autant resté cartésien, jusqu’au bout de sa pensée. Il y aurait continuité et à la fois approfondissement de la pensée cartésienne. Mais surtout, il aurait approfondi les trois points concernant Dieu. Premièrement, pour Descartes Dieu n’est pas présent dans la nature. Deuxièmement toujours pour Descartes il existe une pluralité de ‘substances’. Troisièmement les attributs de Dieu sont au nombre de deux : « l’étendue et la pensée. » Si pour Descartes Dieu possède une volonté infinie cela ne change pas notre capacité de choix, en clair nous conservons notre libre arbitre. Nous avons une volonté propre, indépendante, autonome. Une précision pour Descartes comme pour les antiques le terme ‘substance’ signifie essence.
Pour Descartes donc deux essences bien distinctes, une divine et une humaine pensante d’où son cogito ergo sum, je pense donc je suis dans son ‘Discours de la Méthode’.
C’est sur cette affirmation par Descartes de la présence de deux essences que les pensées des deux philosophes divergent.
Spinoza est sans nul doute un précurseur de l’esprit des Lumières, un rationaliste en devenir. Pour étayer cette thèse il faut remonter à sa naissance et son enfance. Spinoza est né dans une famille juive, qui deviendra ‘marrane’, d’origine espagnole ou portugaise. Ses parents sous le joug de l’inquisition, ont dus abjurer leur foi, mais ont continué sa pratique clandestinement. Ils seront obligés de fuir aux Provinces Unies, les actuels Pays-Bas, ou souffle un vent de tolérance. C’est sans doute ce qui lui fera prendre un peu de distance avec les religions, mais pas avec la théologie et la spiritualité. Il peut être considéré comme un précurseur de ce que l’on appelle aujourd’hui la spiritualité laïque, la spiritualité sans un Dieu révélé ou pas. Ou une spiritualité a dogmatique, chère à de nombreux francs-maçons.
La mouvance des juifs marrane, est constituée de juifs qui ont dus renoncer sous la pression de la chrétienté à leur foi, ils ont subi, de ce fait l’excommunication juive que l’on appelle ’le Herem’. Peut-on en déduire que Spinoza fût un athée stupide, ou alors un déiste ou encore un panthéiste ?
Ce n’est pas sans rappeler que les francs-maçons sont frappés d’excommunication par l’église catholique romaine, alors que nombre d’entre eux sont de fervents chrétiens.
Cela nous rappelle aussi le jugement de Newton sur Des cartes comme il le nommait avec ironie, il le jugeait comme un intolérant papiste ! (Voir le livre La Perruque de Newton de Jean-Pierre Luminet)
Notons que le grand-père de Spinoza : Abraham Espinoza se réfugia d’abord à Nantes en Bretagne avant d’être expulsé par un édit du Parlement de Bretagne à Rennes le 11 mai 1615, sous le conseil de régence de Marie de Médicis. Pourquoi ce choix de l’asile en Bretagne, parce qu’il existait depuis longtemps en Bretagne une communauté juive, attestée par le concile de Vannes en 465. Vannes où l’on peut encore de nos jours trouver la rue de la Juiverie. À Rennes dans le centre historique près des Portes Mordelaises il existait une synagogue. Cette présence des juifs en Bretagne se retrouve dans des noms Bretons comme Hélias qui provient de Elie ou Ely, ou encore Salaün qui vient de Salomon. Mais c’est une autre histoire.
Je reviens donc au principe à la thèse de Spinoza sur l’essence unique, la substance unique, par rapport aux deux essences de Descartes. Spinoza s’interroge ? S’il y a deux essences, nous serions donc à égalité avec Dieu, donc des Dieux similaires à Dieu.
Dieu ne serait pas supérieur à l’homme, et nous serions parfaitement indépendants.
Spinoza avec son principe de l’essence unique, qui n’a besoin que de soi pour exister. Pour Spinoza Dieu est tout il est le monde ou encore Dieu n’est pas partout il est tout. Partant de cet axiome, c’est toute la liberté et la volonté humaine qui est à repenser. Contrairement à Descartes pour Spinoza le libre arbitre n’existe pas !
Où se situe l’homme s’il n’existe qu’une seule substance, une seule essence, comment trouve-t-il sa place dans le monde pour Spinoza ?
Pour lui Dieu possède l’infini en lui, il est l’infini, il a donc des idées infinies. L’homme est l’une des idées de Dieu, une idée particulière dans le temps et l’espace.
Nous sommes donc une idée de Dieu, en Dieu et nous ne pouvons agir que grâce à lui. Ma volonté, ma liberté, dépend du principe, c’est pourquoi le franc-maçon recherche l’aide du Grand Architecte de l’Univers. Construire sa vie en fonction de, sous l’impulsion du Grand Architecte. L’on touche là, à l’objet de l’Éthique nous instruire sur ce que nous sommes, quelle est notre nature. C’est une propédeutique de la connaissance de soi.
Spinoza n’est pas en opposition avec Descartes, mais plutôt dans la continuité et l’approfondissement de la pensée de Descartes. Il y a acquisition de la pensée cartésienne et métamorphose de cette pensée, il y a, à mon sens une poussée vers, une transcendance divine.
C’est à cette connaissance de nous-mêmes, du monde qui nous entoure, de notre place dans ce monde, cette connaissance nous libère et fait que la joie règne dans les cœurs.
Voilà quelques-unes de mes recherches pour essayer de répondre à notre lecteur Cincinnatus. Je ne doute pas que d’autres lecteurs sauront enrichir, ou contester cette vision à travers le prisme maçonnique.
Jean-François Guerry.
L’essentiel de mes sources : Éthique de Spinoza de Vincent Delègue Éthique Breal La Philothèque.